L’exposition professionnelle à la silice cristalline en France en 2017 : une question toujours d’actualité

// Occupational exposure to crystalline silica in France in 2017: An ongoing issue

Laurène Delabre (laurene.delabre@santepubliquefrance.fr), Marie Houot, Adrianna Burtin, Corinne Pilorget
Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 23.08.2022 // Date of submission: 08.23.2022
Mots-clés : Poussières de silice | Exposition professionnelle | Matrice emplois-exposition | Prévalence
Keywords: Silica dust | Occupational exposure | Job-exposure matrix | Prevalence

Résumé

Contexte –

La poussière de silice cristalline fait partie des expositions professionnelles les plus anciennes, du fait de sa présence dans de nombreux matériaux de construction. Elle reste cependant une problématique actuelle, d’autant plus que les travaux exposant à la silice cristalline sont classés cancérogènes en France depuis le 1er janvier 2021. Pour disposer d’indicateurs d’exposition récents, Santé publique France a mis à jour sa matrice emplois-expositions (MEE) spécifique des poussières de silice cristalline dans le cadre du programme de production d’indicateurs d’exposition professionnelle dans la population générale des travailleurs à partir de matrices emplois-expositions (Matgéné).

Méthode –

Cette MEE a été actualisée sur les périodes les plus récentes, puis a été croisée avec les différents recensements de population disponibles entre 1982 et 2017. Le nombre et la proportion de travailleurs exposés, par sexe et par statut du travailleur (salariés ou non-salariés) ont été estimés.

Résultats –

Entre 1982 et 2017, le nombre de travailleurs exposés à la silice en France est passé de 1 400 000 (6,2%) à 975 000 (4%). En 2017, les travailleurs exposés sont majoritairement des hommes (93%) travaillant dans la construction ou occupant des emplois en lien avec des travaux de construction, qu’ils soient salariés ou non-salariés. Les femmes (65 000 exposées à cette même date) présentent un profil d’exposition un peu différent, en travaillant notamment plus dans les secteurs de la fabrication de la céramique et de la porcelaine.

Conclusion –

Avant l’ajout des travaux exposant à la silice cristalline à la liste des substances ou procédés cancérogènes, un nombre important de travailleurs était exposé à la silice cristalline. De plus, la substitution de cette nuisance est complexe dans de nombreux secteurs où les travaux exposant à la silice sont réalisés sur des matériaux déjà en place. Il apparaît donc nécessaire de poursuivre la surveillance de cette exposition au niveau populationnel.

Abstract

Context –

Crystalline silica dust constitutes a longstanding occupational exposure due to the widespread presence of silica in construction materials. This remains a current issue, especially given that work involving exposure to respirable crystalline silica dust was classified as carcinogenic in January 2021. In order to address this and produce recent exposure indicators, Santé publique France, the French public health agency, updated its crystalline silica job-exposure matrix (JEM) within the framework of the Matgéné programme for indicators on occupational exposure among the working population.

Method –

The JEM was updated using the most recent periods, then linked with the different French population censuses available from 1982 to 2017 in order to estimate the number and proportion of exposed workers by sex and worker status (employees or self-employed).

Results –

Between 1982 and 2017, the number of exposed workers decreased from 1,400,000 (6.2%) to 975,000 (4%). In 2017, those exposed were mainly men (93%) working in the construction industry or occupying jobs linked with construction work, whether employees or self-employed. Women (65,000 exposed for the same year), showed a different exposure pattern through work in the ceramic or porcelain industries.

Conclusion –

A significant number of workers found themselves exposed to silica dust before the substance and work involving exposure to it were classified as a carcinogen. Moreover, substitution of this harmful dust is difficult in many industrial sectors where exposure comes from work carried out on past constructions. It therefore appears necessary to continue surveillance of this occupational exposure at population level.

Introduction

La silice (SiO2) est un composant chimique très répandu qui existe sous différentes formes selon leur structure spatiale, silice cristalline (quartz, cristobalite et tridymite) ou silice amorphe. Sous sa forme cristalline, elle est naturellement présente dans de nombreux matériaux extraits des mines et carrières pour des utilisations variées dans le milieu professionnel (sable pour la fabrication du béton et du verre, argile pour le secteur de la céramique, etc.). Elle est également présente dans les aérosols particulaires émis lors, par exemple, de l’emploi d’outils rotatifs à haute énergie (perceuse, disqueuse) sur des matériaux riches en silice dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) (voir encadré). Ainsi, la poussière de silice cristalline est l’une des plus anciennes expositions professionnelles connues encore présente dans de nombreuses activités 1.

Encadré :
La silice

La silice, SiO2, est un composant majeur de la croûte terrestre. Elle se trouve principalement sous forme de silice libre ou de silicates (c’est-à-dire comprenant des oxydes métalliques) qui peuvent exister sous forme cristalline ou amorphe (sans structure spatiale fixe). Toutes ces formes peuvent être naturelles ou résulter d’un processus industriel. Différents exemples des formes de silice sont présentés dans le tableau 1.

Tableau 1 : Exemples de différentes formes de silice
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Dans le cadre professionnel, la silice cristalline libre concerne essentiellement le quartz et la cristobalite. Il est très difficile de distinguer ces deux formes lors de l’évaluation des expositions.

Les principaux secteurs d’activités concernés sont :

les mines et carrières ;

le Bâtiment et Travaux publics (BTP), les cimenteries et la fabrication d’éléments préfabriqués en béton ;

la fabrication de verre, de porcelaine, de céramique, de produits abrasifs, de prothèses dentaires, de bijoux, etc.

la démolition, réparation et fabrication de fours industriels en briques réfractaires ;

la métallurgie.

Le taux de silice cristalline dans les différents matériaux retrouvés en milieu professionnel peut varier d’un matériau à l’autre (tableau 2).

Tableau 2 : Proportion de silice cristalline dans différents matériaux
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En France, les affections liées à cette exposition sont reconnues au titre des maladies professionnelles (MP) depuis 1945. Ce sont principalement des pneumoconioses, dont la plus connue est la silicose, mais également des cancers broncho-pulmonaires associés à une silicose, des pathologies auto-immunes comme la sclérodermie systémique, le lupus érythémateux systémique et la polyarthrite rhumatoïde. Pour protéger les travailleurs, des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) ont été mises en place à partir de 1983 (1), d’abord à titre indicatif avant qu’elles ne deviennent contraignantes à partir de 1997 (2). La silice cristalline est classée comme agent cancérogène avéré pour l’homme depuis 1997 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) pour le cancer bronchique 2. Les autres formes de silice ne sont ni classées ni réglementées.

Une matrice emplois-expositions (MEE) spécifique de l’exposition professionnelle aux poussières de silice cristalline libre (quartz et cristobalite uniquement, la tridymite ne se retrouvant pas en milieu professionnel) a été développée par Santé publique France dans le cadre du programme Matgéné 3,4 pour évaluer les expositions jusqu’en 2007. Après croisement avec un échantillon d’histoires professionnelles représentatif de la population française, il a été estimé qu’en 2007, 3,1% des travailleurs (5,6% des hommes et 0,3% des femmes) étaient exposés à la silice cristalline et que 15,6% des hommes avaient été exposés au moins une fois à cette poussière au cours de leur carrière professionnelle 5.

Depuis ces estimations, la silice cristalline est un sujet de préoccupation pour les travailleurs et les pouvoirs publics. En effet, en décembre 2017, l’Union européenne a ajouté à la liste des procédés cancérogènes les travaux exposant à la silice cristalline, et cette disposition a été traduite en droit français par l’arrêté du 26 octobre 2020. Ainsi, en France, depuis le 1er janvier 2021, les travaux exposant aux poussières de silice sont considérés comme cancérogènes, ce qui impose une substitution et un contrôle des expositions.

En 2019, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié un rapport d’expertise incluant une étude de filière qui mettait en lumière l’émergence de nouveaux métiers exposés à la silice cristalline à cause de l’utilisation de pierres reconstituées (notamment par les cuisinistes pour certains plans de travail) 6. Le nombre de MP en lien avec l’exposition à la silice cristalline est quant à lui en augmentation depuis 2015, avec 246 reconnues en 2019 pour le régime général 7.

L’exposition professionnelle à la silice cristalline reste donc une problématique actuelle. Santé publique France a souhaité mettre à jour sa MEE pour disposer d’estimations actualisées sur l’exposition professionnelle à cette nuisance.

Cet article présente l’évolution de la proportion et du nombre de travailleurs exposés entre 1982 et 2017, puis leur déclinaison selon le sexe et le statut du travailleur pour l’année 2017.

Méthode

Les MEE sont des outils fournissant, pour une nuisance donnée, des indices d’exposition pour les emplois (profession associée à un secteur d’activité) considérés comme exposés. Avant sa mise à jour, la MEE spécifique des poussières de silice cristalline dite MEE « silice » évaluait, par emploi, les expositions professionnelles de 1947 à 2007 suivant trois indices d’exposition :

la probabilité, définissant la proportion (en pourcentage) de travailleurs au sein de l’emploi exposés à la silice, selon les classes suivantes : [1-5], ]5-15], ]15-25], ]25-35], ]35-45], ]45-55], ]55-65], ]65-75],
]75-85], ]85-95], ]95-100] ;

la fréquence, définissant le pourcentage du temps de travail pendant lequel le travailleur est exposé selon les classes suivantes : [1-5], ]5-15], ]15-25], ]25-35], ]35-45], ]45-55], ]55-65], ]65-75], ]75-85],
]85-95], ]95-100] ;

l’intensité, représentant la concentration atmosphérique moyenne à laquelle est soumis le travailleur pendant les situations exposantes selon les quatre classes suivantes : [0,02-0,1 mg/m3[, [0,1‑0,5 mg/m3[, [0,5-1 mg/m3[, et ≥1 mg/m3.

En combinant la fréquence et l’intensité d’exposition, il a été possible d’estimer le niveau moyen d’exposition de l’emploi concerné. Le niveau a été défini comme élevé lorsqu’il était supérieur à 0,1 mg/m3 (valeur correspondant à la VLEP-8h en vigueur (3)).

Les emplois au sein de la matrice étaient exprimés selon les codes issus de plusieurs nomenclatures nationales et internationales :

pour les professions, la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) de 1994 et 2003 et la classification internationale type des professions (CITP) de 1968 ;

pour les secteurs d’activité, la nomenclature d’activités française (NAF) de 2000 et 2003 et la classification internationale type par industrie (CITI) de 1975 8,9,10,11.

Mise à jour de la MEE silice

Le travail de mise à jour de cette MEE a porté sur deux points principaux.

Tout d’abord, les trois indices d’exposition ont été mis à jour pour la période 2008-2020 à partir de recherches portant sur l’évolution de la réglementation, des techniques professionnelles, ainsi que des données de métrologie et d’exposition. Ces recherches ont été majoritairement réalisées à partir des données métrologiques des bases Colchic et Scola (évolution des techniques professionnelles) gérées par l’INRS l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) 12,13, mais aussi des monographies du Circ, pour l’évaluation de la cancérogénicité. Les références bibliographiques identifiées dans la base de données PubMed® et les évolutions réglementaires d’après le site Légifrance constituent également les bases de ces recherches.

Ensuite, les emplois de la MEE exprimés en PCS2003*NAF2003 ont été transcodés en PCS2003*NAF2008 (dernières versions de nomenclatures nationales disponibles), en utilisant la table de correspondance entre les codes de la NAF 2003 et ceux de la NAF 2008 mise à disposition par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 14. Les indices d’exposition ont alors été réévalués pour chacun des emplois obtenus.

Les données de population et indicateurs estimés

La MEE a été croisée avec le recensement de la population française millésimée 2017, qui inclut les enquêtes annuelles du recensement de 2015 à 2019, fournies par l’Insee. Ce dernier comprenait, pour la population active occupée, les données d’emplois (codées en PCS2003 et NAF2008), le sexe, l’âge, le statut du travailleur (salarié, non-salarié) et les effectifs associés dans la population. Ce croisement a permis d’estimer le nombre et la part de travailleurs exposés à la silice par profession et secteur d’activité selon le sexe ou le statut du travailleur chez les actifs en emploi en France métropolitaine âgés de 20 à 74 ans en 2017. Un intervalle de sensibilité (IS) a été calculé en prenant la borne inférieure et la borne supérieure des classes de probabilité d’exposition. De la même façon, le nombre et la proportion de travailleurs exposés ont été estimés à partir des recensements de la population pour les années 1982, 1990, 1999 et 2007 chez les actifs en emploi âgés de 20 à 74 ans en France métropolitaine.

Résultats

Chez les actifs en emploi âgés de 20 à 74 ans, la proportion de travailleurs exposés à la silice a diminué entre 1982 et 1999, passant de 6,2% en 1982 (1 427 300 travailleurs exposés) à 4,0% en 1999, puis a été stable jusqu’en 2017 (975 000 travailleurs exposés, intervalle de sensibilité : [907 000-1 060 000]) (figure 1).

Figure 1 : Évolution de la proportion de travailleurs exposés à la silice en France entre 1982 et 2017
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La proportion de travailleurs exposés à un niveau supérieur à la VLEP-8h (>0,1 mg/m3) a suivi exactement la même évolution, avec une baisse de 61% sur cette même période (3,4% en 1982 vs 1,3% en 2017).

En 2017, 64% des personnes exposées professionnellement à la silice travaillaient dans le secteur de la construction (4) (628 000 exposés), dont 34% dans le secteur des travaux de construction spécialisés (travaux de maçonnerie, de charpente, de couverture etc.), 25% dans le secteur des travaux d’installation électrique, plomberie et autres travaux d’installation et 16% dans celui des travaux de finition (menuiserie, revêtement des sols et murs, etc.) (tableau 3).

Tableau 3 : Les 5 secteurs d’activités représentant le plus de travailleurs exposés à la silice cristalline
par grands groupes d’activité en France en 2017
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En dehors du secteur de la construction, 26% des exposés à la silice travaillaient dans le secteur tertiaire et 10% dans l’industrie, représentant respectivement plus de 250 000 et 93 000 travailleurs. Les secteurs principalement concernés étaient, pour le tertiaire, l’administration générale et les agences de mise à disposition de personnels intérimaires, avec respectivement 30% et 16% des exposés dans ce secteur. Pour l’industrie, il s’agissait des secteurs de la fabrication d’ouvrages en béton et en ciment (12%), la fabrication de verre et d’articles en verre (11%) et l’extraction de pierres, de sables et d’argiles (10%) (tableau 3).

En 2017, 93% des travailleurs exposés étaient des hommes (909 000 personnes), dont 726 000 travailleurs salariés (6,5% des salariés) et 183 000 non-salariés (9% des non-salariés) (figure 2).

Figure 2 : Répartition des travailleurs exposés chez les hommes, par secteur d'activité, selon leur statut en France en 2017
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Les travailleurs non-salariés exposés travaillaient très majoritairement dans les secteurs de la construction, qui concentraient plus de 80% des exposés. Chez les travailleurs salariés, le secteur de la construction était également fortement représenté (environ 50%), mais d’autres secteurs employaient des salariés pour des tâches exposantes à la silice, principalement pour des emplois relatifs à des travaux de construction (administration publique et autres secteurs d’activité). Enfin, le secteur des agences de travail temporaire concernait environ 5% des travailleurs exposés, à l’intérieur duquel les emplois de la construction étaient également largement présents (figure 2).

Malgré une exposition à la silice très masculine, 65 000 femmes étaient exposées à la silice en 2017 : 56 000 travailleuses salariées (0,5% des salariées) et près de 9 000 non-salariées (0,8% des non-salariées).

Les secteurs d’activité exposant les travailleuses étaient différents de ceux exposant les hommes, et des différences de répartition étaient également observées entre les travailleuses salariées et non-salariées (figure 3). Ainsi, les femmes salariées exposées se retrouvaient, pour 27% d’entre elles dans l’administration publique, et pour 3,5% dans la fabrication de verre et d’articles en verre ; les autres travaillaient dans des secteurs très diversifiés.

Figure 3 : Répartition des travailleuses exposées chez les femmes, par secteur d'activité, selon leur statut en France en 2017
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Pour les femmes non-salariées, comme pour les hommes, les secteurs de la construction représentaient la majorité des exposées (65% d’entre elles). Cependant, contrairement aux hommes, d’autres secteurs concernaient des activités exposantes pour les femmes non-salariées (16% travaillaient dans la fabrication d’autres produits en céramique et en porcelaine et 19% dans des activités diverses).

Les données disponibles ont permis une description par niveau d’exposition (tableau 4). L’analyse par niveau d’exposition dans le secteur de la construction a mis en évidence une part d’exposés à des niveaux supérieurs à la VLEP très importante, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Suivant les secteurs, entre 7 et 71% des hommes et entre 4 et 62% des femmes étaient exposés à un niveau supérieur à 0,1 mg/m3. Les secteurs avec les niveaux d’exposition les plus élevés étaient les mêmes : les autres travaux de construction spécialisés (comprenant notamment les travaux de maçonnerie et de gros œuvre du bâtiment) et les constructions de bâtiments résidentiels et non résidentiels.

Tableau 4 : Répartition des travailleurs exposés par niveau d’exposition à la silice cristalline dans les secteurs de la construction, par sexe en 2017
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Discussion

Après une baisse jusqu’au début des années 2000, la proportion des travailleurs exposés à la silice cristalline reste stable à presque 4% de travailleurs exposés, soit 975 000 personnes en 2017. La baisse observée entre 1982 et 1999 s’explique par la mise en application des règlementations de 1983 et 1997 établissant les VLEP, et par une diminution importante des emplois exposant dans l’industrie, en particulier dans les mines. Après 2000, peu d’évolutions réglementaires ou techniques ont été mises en place, et la structure des emplois exposés, en particulier ceux de la construction, est restée identique sur la période, ce qui explique cette stabilisation.

Les personnes exposées travaillent principalement dans le secteur de la construction. Par ailleurs, le secteur de l’industrie et les emplois de la construction exercés dans un autre secteur (ouvriers du bâtiment travaillant dans l’administration, par exemple) représentent également un nombre non négligeable de travailleurs exposés. L’exposition à la silice concerne très majoritairement les hommes. Cependant, la population exposée comprend également des femmes, qui travaillent notamment dans la fabrication de la céramique et de la porcelaine, à des postes historiquement confiés aux femmes (travaux de finition, production en petites séries…).

Ces résultats peuvent être comparés avec d’autres études. En France, l’étude Sumer 2017 (Surveillance médicale des risques professionnels) menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) estimait à 358 500 le nombre de salariés exposés à la silice en 2017, soit 1,4% des salariés 15, contre 780 000 salariés dans notre étude (dont 268 000 exposés à un niveau supérieur à 0,1 mg/m3). Les écarts entre ces deux estimations peuvent en partie s’expliquer par des différences de protocole entre les deux études (Sumer vs Matgéné) : méthodes d’évaluation employées (expertise individuelle des médecins du travail vs expertise de l’emploi dans la MEE), définition de la période d’exposition (dernière semaine travaillée vs exposition moyennée sur l’année), définition de l’exposition (silice issue de l’exposition au ciment non évaluée dans Sumer). Cependant, les professions et les secteurs d’activité retrouvés sont les mêmes : la construction, la fabrication du verre, de la porcelaine et la métallurgie.

En Finlande, les travaux réalisés à partir de la matrice emplois-expositions finlandaise Finjem fournissent des proportions d’exposition très stables depuis les années 1990, avec 2,2% de travailleurs exposés à la silice 16 (vs 3,8% [3,5-4,1] dans notre population), à partir d’une méthode utilisée très proche de la nôtre.

Une étude réalisée par l’INRS à partir des données issues de la base métrologique Colchic de 2009 à 2018 indique qu’en termes de niveaux d’exposition, le secteur des industries extractives expose plus largement les salariés (22% des mesures réalisées dans le secteur des industries extractives dépassent la VLEP), suivi des industries manufacturières et de la construction (17% des mesures effectuées dépassent la VLEP) 17. Dans notre étude, les secteurs présentant le plus grand nombre de travailleurs avec une exposition supérieure à la VLEP sont identiques : les industries extractives et la construction.

Certaines expositions professionnelles n’ont pas pu être retenues dans la matrice, du fait des nomenclatures d’emploi utilisées qui ne permettent pas toujours d’identifier une situation professionnelle particulière, ou en raison de la probabilité ou de la fréquence d’apparition de ces expositions professionnelles au cours de l’année. C’est notamment le cas pour l’exposition à la silice liée aux travaux agricoles, qui dépend de la nature des sols (teneur en silice), du type de culture réalisée (terrain plus ou moins sableux) et des conditions météorologiques au moment de ces tâches. Les données disponibles n’ont pas permis de considérer une exposition moyenne pour les travailleurs agricoles, bien que des expositions soient possibles lors de préparations de sols pour certaines cultures. Le rapport de l’Anses 6 faisait également état d’expositions émergentes, notamment chez les cuisinistes, avec l’utilisation de pierres artificielles employées pour la réalisation de plans de travail à l’origine de silicoses aiguës, mais les contraintes liées à l’utilisation des nomenclatures choisies ne permettent toujours pas d’identifier ces emplois précisément. De plus, la fabrication et la découpe de ces plans de travail ne sont le plus souvent pas réalisées en France. Une réémergence de silicoses aiguës, liée à cette utilisation, a été observée en Espagne 18. En revanche, l’exposition des jardiniers lors des tâches de découpe de bordures a pu être prise en compte du fait de leur identification possible via les codes d’emplois utilisés.

Les indicateurs présentés dans cet article fournissent une image détaillée de l’exposition professionnelle à la silice en France en 2017 et une évolution sur presque 40 ans. Les indicateurs estimés sur plusieurs décennies à partir de la MEE ont également contribué à estimer les fractions de risques attribuables (FRA) aux expositions professionnelles pour les pathologies causées par la silice. Ainsi, entre 1,1% et 3% (soit entre 322 et 912 cas) des cancers du poumon chez les hommes et entre 0% et 0,1% (soit entre 6 et 18 cas) de ceux-ci chez les femmes ont été estimés attribuables à une exposition professionnelle à la silice en France en 2017 19. Entre 2015 et 2019, l’Assurance maladie a indemnisé 59 cancers broncho-pulmonaires liés au tableau 25 des MP (affections dues à la silice cristalline, aux silicates cristallins, au graphite ou à la houille), dont 5 pour l’année 2019 7 ; ces chiffres montrent un décalage important par rapport au nombre de cas estimés, et illustrent la sous-déclaration des MP.

Bien que cette problématique soit ancienne, apparue au temps de l’exploitation des mines de charbon avec celle de la silicose, l’exposition à la silice cristalline est donc bien une préoccupation actuelle qui concerne encore un nombre important de travailleurs. Malgré le classement des travaux exposant à la silice cristalline en tant que cancérogènes, sa substitution est complexe, du fait de sa présence dans les matériaux de construction déjà en place. L’enjeu du classement CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique) porte donc plus sur le contrôle des expositions (renforcement des protections collectives et si besoin équipement de protection individuelle adapté) que sur la substitution, ainsi que sur le repérage des professionnels exposés pour la mise en place d’un suivi médical spécifique par les médecins du travail. Le programme Matgéné participe activement à la surveillance de l’évolution de cette exposition, en déterminant le nombre de travailleurs exposés et son évolution, ainsi que les secteurs et professions concernés. Dans quelques années, il sera possible de voir si la nouvelle réglementation, entrée en vigueur en 2021, aura eu un impact sur la part et le nombre de travailleurs exposés, après une mise à jour de la MEE si nécessaire, mais aussi sur les niveaux d’exposition.

Cette matrice et les autres MEE du programme Matgéné sont consultables gratuitement sur le portail Exp-pro (http://www.exppro.fr20 et les indicateurs d’exposition dans la population générale sur le portail Géodes (https://geodes.santepubliquefrance.fr/#c=home).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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14 Institut national de la statistique et des études économiques. Tables de passage des nomenclatures d’activité françaises (NAF). Montrouge: Insee; 2017. https://www.insee.fr/fr/information/2579599
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16 Kauppinen T, Uuksulainen S, Saalo A, Mäkinen I. Trends of Occupational Exposure to Chemical Agents in Finland in 1950-2020. Ann Occup Hyg. 2013;57(5):593-609.
17 Mater G, Savary B, Emili A. Portrait rétrospectif (2009-2018) des expositions à la silice cristalline issues de la base Colchic. Hygiène et sécurité du travail. 2019;254:72-5.
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19 Marant Micallef C, Charvat H, Houot MT, Vignat J, Straif K, et al. Estimated number of cancers attributable to occupational exposures in France in 2017: An update using a new methode for improved estimates. J expo Sci Environ Epidemiol. 2021.
20 Pilorget C, Garras L, Houot M. Des outils d’aide à l’évaluation des expositions professionnelles : les matrices emplois-expositions du portail Exp-Pro. 2016. 6 p. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-substances-chimiques/pesticides/documents/rapport-synthese/des-outils-d-aide-a-l-evaluation-des-expositions-professionnelles-les-matrices-emplois-expositions-du-portail-exp-pro

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Delabre L, Houot M, Burtin A, Pilorget C. L’exposition professionnelle à la silice cristalline en France en 2017 : une question toujours d’actualité. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(1):16-24. http://beh.santepubliquefrance.fr/
beh/2023/1/2023_1_2.html

(1) Circulaire du 21 mars 1983.
(2) Décret n°97-331 du 10 avril 1997, abrogé par le décret 2008-244, mais sans modification des valeurs.
(3) Décret n°2008-244 du 7 mars 2008. Les VLEP-8h sont rapportées sur une durée de travail de 8 heures.
(4) La construction correspond à un terme générique d’un grand secteur qui intègre les activités de construction de bâtiments et les activités de construction d’ouvrages du génie civil.