Incidence des événements indésirables graves associés aux soins dans les établissements de santé (Eneis 3) : quelle évolution dix ans après ?

// Evolution in incidence of adverse events in French health care over ten years of the Eneis 3 survey

Philippe Michel1 (philippe.michel@chu-lyon.fr), Jean-Luc Quenon2, Valentin Daucourt3, Sarah Burdet4, Damien Hoarau4, Amna Klich5, Catherine Pourin2, Muriel Rabilloud5, Cyrille Colin4
1 Unité 1290 Research on healthcare performance (Reshape) – Institut national de la santé et de la recherche médicale – Université Claude-Bernard-Lyon-I, Hospices civils de Lyon
2 Comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Nouvelle-Aquitaine (Ccecqa), Pessac
3 Réseau qualité en santé Bourgogne-Franche-Comté (Réqua), Besançon
4 Coordination pour l’évaluation des pratiques professionnelles en Auvergne-Rhône-Alpes (Ceppraal), Lyon
5 Service de biostatistique et bioinformatique, Pôle de santé publique – Hospices civils de Lyon
Soumis le 01.02.2022 // Date of submission: 02.01.2022
Mots-clés : Événements indésirables associés aux soins | Incidence | Hospitalisation évitable | Gestion des risques
Keywords: Healthcare-related adverse events | Incidence | Preventable hospital admission | Risk management

Résumé

Introduction –

L’étude Eneis 3 visait à suivre l’évolution de l’incidence des événements indésirables graves (EIG) associés aux soins dans les établissements de santé entre 2009 et 2019.

Méthode –

Une enquête nationale, longitudinale, prospective d’incidence sur une population ouverte de séjours de patients hospitalisés à temps complet et suivis pendant une période de sept jours, à partir d’un échantillon tiré au sort d’établissements de santé publics et privés en France métropolitaine selon un plan d’échantillonnage en grappe à trois degrés (département, établissement, unité de soins) et stratifié (médecine, chirurgie).

Résultats –

Cent vingt-trois EIG ont été identifiés lors du suivi de 4 825 patients sur 21 686 journées d’observation. En moyenne, on observait 4,4 événements indésirables graves (EIG) (intervalle de confiance à 95%: IC95%: [2,9-6,8]) en 2019 pour 1 000 jours d’hospitalisation, dont 34% évitables. Des EIG ont causé 2,6% [1,8-3,8] des séjours, dont 53% étaient évitables. Parmi les 61 EIG éligibles à la déclaration, un seul l’avait été lors de la collecte des données.

La densité d’incidence des EIG évitables survenus pendant l’hospitalisation a diminué statistiquement entre 2009 et 2019. En médecine, une tendance à la baisse dans toutes les spécialités, sauf en soins critiques a été observée. En chirurgie, la densité d’incidence n’a diminué de manière statistiquement significative que dans les CHU (centres hospitaliers universitaires). Les EIG évitables liés aux actes invasifs ont diminué dans les secteurs interventionnels, et non pour les actes chirurgicaux. Les EIG évitables relatifs aux produits de santé concernent principalement les médicaments, avec une classification des médicaments les plus à risque similaire en 2009 et en 2019. En revanche, les EIG évitables associés aux dispositifs médicaux implantables (DMI) sont stables sur la période. Les EIG évitables dus à une infection associée aux soins diminuent également, à la limite de la significativité statistique.

Les facteurs liés aux conditions de travail des équipes apparaissent plus souvent contributifs à la survenue des EIG.

Discussion-conclusion –

L’étude Eneis 3 montre une baisse statistiquement significative des EIG évitables et de leur gravité entre 2009 et 2019, mais la vigilance doit être maintenue sur la chirurgie, les soins critiques et sur les DMI pour les événements survenus pendant l’hospitalisation. La péjoration des facteurs contributifs à ces événements proviendrait du fait de la meilleure formation des enquêteurs à l’analyse systémique en 2019, au manque persistant de pratiques collaboratives et à la difficulté renforcée des conditions de travail des personnels soignants actuels. La hausse de la proportion des réhospitalisations parmi les EIG causes d’hospitalisation nécessite de poursuivre la sécurisation des sorties, dans le contexte de réduction des durées de séjour. Enfin, la sous-déclaration des EIG nécessite de renforcer la formation des professionnels de santé à la sécurité des patients. Pour toutes ces raisons, et conformément aux conclusions du rapport du Haut Conseil de santé publique (HCSP) en 2018, la sécurité des soins doit rester une priorité des politiques de santé.

Abstract

Introduction –

Eneis 3 was launched to track the incidence of serious adverse events (SAE) associated with treatment received in French healthcare facilities between 2009 and 2019.

Methods –

Eneis 3 is a national, longitudinal, prospective study on SAE incidence conducted on an open population of hospital inpatients followed for a period of 7 days. Participants were drawn at random from voluntary public and private hospitals in metropolitan France according to a three-stage (department, hospital, care unit) and stratified (medicine, surgery) cluster sampling plan.

Results –

4,825 patients over 21,696 observation days were included. A total of 123 adverse events were identified. In 2019, 4.4 SAEs (CI 95%: [2.9-6.8]) were observed per 1,000 hospital days, of which 34% were preventable. Adverse events caused 2.6% [1.8-3.8] of admissions, of which 53% were preventable. Among the 61 SAE eligible for national reporting, only one was declared.

The incidence density of preventable events during hospitalisation decreased statistically between 2009 and 2019. In medicine, a downward trend in all specialties except intensive care was observed. In surgery, the incidence density decreased statistically in academic hospitals only. Avoidable SAEs associated with invasive procedures decreased in interventional sectors but not in surgical procedures. SAEs related to health products mainly concerned drugs, with a similar ranking of the most at risk drugs in 2009 and in 2019. On the other hand, the events associated with implantable medical devices (IMD) were stable over the period. Adverse events due to health-care associated infections are also decreasing, bordering on statistical significance.

The working conditions of clinical teams appeared as the most frequent contributing factors to SAEs.

Discussion-conclusion –

The third French national SAE survey (Eneis 3) shows a statistically significant drop in preventable adverse events and in their severity between 2009 and 2019. However, vigilance towards the risks linked to surgical procedures, intensive care and implantable medical devices must be maintained regarding events occurring during hospitalisation. The increased prevalence of organisational contributing factors may be influenced by a measurement biais related to better trained investigators in 2019, persistent teamwork failures and a deterioration in working conditions over the last decade. The increase in the proportion of readmissions among SAEs that caused hospitalisation highlight a need to reinforce security during the discharge process, in the context of reduced lengths of stay in hospital. Finally, fact that SAEs were rarely declared shows a need to strengthen the training of healthcare professionals to reinforce a culture of patient safety. For all these reasons, and in accordance with the conclusions of the report of the Haut Conseil de santé publique in 2018, patient safety must remain a health policy priority in France.

Introduction

Après les études nationales sur les événements indésirables associés aux soins (Eneis) dans les établissements de santé en 2004 1 et 2009 2,3, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a reconduit une étude similaire en 2019, appelée Eneis 3 4. En 2019, l’ambition était de réaliser une enquête également en soins primaires et dans les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad). Du fait de la pandémie, la première est mise en œuvre en 2022 et la seconde, qui avait démarré en février 2020 juste avant la première vague, a dû être abandonnée. La maîtrise d’œuvre a été confiée à la Fédération des organismes régionaux et territoriaux pour l’amélioration des pratiques en santé (Forap) (Comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Nouvelle-Aquitaine (Ccecqa), puis Coordination pour l’évaluation des pratiques professionnelles en santé en Auvergne-Rhône-Alpes (Ceppraal)) 5, et la responsabilité scientifique aux Hospices civils de Lyon (HCL) et à l’équipe Inserm U1290 Reshape.

Conformément aux études antérieures, l’objectif principal de l’enquête visait à estimer l’incidence des événements indésirables graves (EIG) associés aux soins de deux types : ceux qui causent les hospitalisations et ceux qui sont identifiés pendant l’hospitalisation. Les objectifs associés étaient de définir la gravité et la part évitable de ces événements, de décrire les causes immédiates et les facteurs contributifs. En 2019, nous avons de plus mesuré la proportion des événements indésirables graves déclarés à l’Agence régionale de santé (ARS) par l’établissement de santé parmi les événements identifiés lors de l’enquête.

Méthode

Un événement indésirable associé aux soins était un événement clinique ou paraclinique, non désiré pour le patient, consécutif aux stratégies et actes de prévention, de diagnostic, de traitement ou de surveillance relatifs à la prise en charge du patient. Les événements indésirables survenus pendant l’observation ont été considérés comme graves s’ils étaient associés à un décès ou à une menace vitale, s’ils étaient susceptibles d’entraîner une prolongation de l’hospitalisation d’au moins un jour, un handicap ou une incapacité à la fin de l’hospitalisation dans l’unité concernée par l’étude. Tous les événements indésirables à l’origine de l’hospitalisation et consécutifs à des soins antérieurs en soins de santé primaires ou dans le cadre d’une hospitalisation, étaient par convention considérés comme graves. Un événement évitable se définissait comme un événement indésirable qui ne serait pas survenu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de la survenue de l’événement.

La méthode a été strictement identique à celle des deux premières enquêtes de 2004 et 2009, afin de permettre la comparaison des résultats 6. Elle est détaillée par ailleurs 4.

Le type d’étude était une enquête nationale, longitudinale, prospective d’incidence sur une population ouverte de séjours de patients hospitalisés à temps complet et suivis pendant une période de sept jours, à partir d’un échantillon tiré au sort d’établissements de santé volontaires en France métropolitaine selon un sondage en grappe à trois degrés et stratifié (figure). L’enquête était réalisée dans le cadre de la loi 51-711 du 7 juin 1951 qui encadre les travaux du système statistique français et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Figure : Plan d’échantillonnage de l’enquête Eneis 3
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La population cible était tous les patients hospitalisés dans les services de médecine et de chirurgie dans les établissements de santé de court séjour. Étaient exclus les patients en hospitalisation de jour, dans des services de psychiatrie, d’obstétrique, et les séjours patients en lits-portes dans le service des urgences. La collecte des données a été menée par des enquêteurs (médecins et infirmiers) formés pour l’occasion. Les infirmiers réalisaient la détection dans les services tirés au sort, à l’occasion de trois passages sur les sept jours. Les médecins enquêteurs analysaient le dossier des patients avec au moins un critère positif de détection, et rencontraient les professionnels médicaux et paramédicaux du service. Les trois outils de recueil utilisés (détection, confirmation, évitabilité) ont été utilisés dans des enquêtes similaires dans les pays développés 7 ou en développement 8.

Un contrôle de la qualité des données a été réalisé à toutes les étapes. Notamment, tous les événements liés aux actes invasifs ou aux médicaments et les infections associées aux soins ont été expertisés par des experts extérieurs à l’enquête pour valider les événements identifiés et leur caractérisation.

Une analyse descriptive a été réalisée globalement et par strates, sur le type d’établissement et la discipline (médecine et chirurgie), pour les taux d’incidence de nouveaux EIG identifiés dans l’unité d’hospitalisation rapportés au nombre de jours d’hospitalisation observés, et pour la proportion des patients admis pour un EIG. Les caractéristiques des patients avec des EIG (âge, gravité clinique, provenance) et caractéristiques des EIG (type de gravité, types d’expositions et de mécanismes, causes immédiates et facteurs contributifs) ont été décrites, ainsi que la proportion d’EIG déclarés à l’ARS.

Les comparaisons de densités d’incidence et de proportions de séjours-patients entre 2009 et 2019 ont été réalisées pour l’ensemble des EIG, puis pour les événements indésirables évitables, non évitables, par type de conséquence (décès, prolongation, incapacité, pronostic vital), par type d’exposition ou de mécanisme de survenue de l’événement (événements liés à une procédure invasive, à un produit de santé) et par discipline (médecine ou chirurgie). La comparaison de densités d’incidence a été menée en utilisant le modèle de quasi-Poisson. La variable à expliquer était le nombre d’EIG identifiés pendant l’hospitalisation de chaque patient, et le nombre de jours d’observation était pris en compte dans un terme offset sur l’échelle logarithmique. Les variables d’ajustement étaient la discipline (médecine ou chirurgie) et le type d’établissement (centres hospitaliers universitaires ou régionaux (CHU-CHR), centres hospitaliers généraux publics (CH), établissements privés à but lucratif et non lucratif (EP)) et l’âge des patients. La comparaison de proportions de séjours-patients admis pour au moins un EIG entre 2009 et 2019 a été menée par régression logistique. La variable à expliquer était pour chaque séjour-patient, la présence ou non d’un EIG cause d’hospitalisation. Une variable binaire indiquant l’année d’étude était introduite systématiquement. Les variables d’ajustement étaient la discipline (médecine ou chirurgie), le type d’établissement (CHU-CHR, CH, EP) et l’âge des patients. Le calcul de poids pour le redressement des estimations 2009 et 2019 et les analyses statistiques ont été réalisées sur le logiciel R grâce aux commandes svyglm, package survey (modèles de régression logistique et quasi-Poisson permettant la prise en compte des poids et du plan d’échantillonnage en grappes). Un seuil de significativité à 5% a été utilisé pour tous les tests de comparaison.

Résultats

Ce sont 16 départements, 59 établissements de santé et 154 unités de soin (avec un équilibre entre la médecine et la chirurgie) qui ont été tirés au sort. Au final, 4 825 patients ont été observés sur 21 696 journées d’observation, pour 123 événements indésirables graves identifiés (80 pendant l’hospitalisation et 43 causes d’hospitalisation).

Résultats 2019

Pour les EIG survenus pendant l’hospitalisation, on observait en moyenne, en 2019, 4,4 EIG (intervalle de confiance à 95%: IC95%: [2,9-6,8]) pour 1 000 jours d’hospitalisation. Ils ont été associés (plusieurs conséquences possibles) à la survenue de 7 décès, 16 incapacités permanentes probables à la sortie, 29 mises en jeu du pronostic vital, et 63 prolongations d’hospitalisation, dont 37 (47%) sans autre critère de gravité. Parmi eux, 34% ont été considérés comme évitables soit une densité d’incidence de 1,4‰. La densité d’incidence était plus élevée en chirurgie (2,0‰) qu’en médecine (0,8‰) (tableau 1).

Tableau 1 : Densités d’incidence (nombre d'événements pour 1 000 journées d’hospitalisation)
pour les EIG évitables identifiés pendant l’hospitalisation
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La fragilité des patients est le facteur contributif le plus fréquemment retrouvé dans la survenue de tous les EIG. Parmi les facteurs contributifs à la survenue des EIG pendant l’hospitalisation, les défaillances individuelles et le manque de communication entre professionnels étaient les plus fréquemment retrouvés (tableau 2).

Tableau 2 : Répartition des facteurs contributifs à la survenue des EIG pendant l’hospitalisation
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Des événements indésirables ont causé 2,6% [1,8-3,8] des séjours dans un service de médecine ou de chirurgie en 2019. Les EIG causes d’hospitalisation ont provoqué (plusieurs conséquences possibles) un décès, 11 mises en jeu du pronostic vital, 11 incapacités à la sortie et 23 EIG étaient sans marqueur de gravité autre que l’hospitalisation. Parmi ces EIG, 53% étaient évitables, soit une proportion de séjours de 1,2% [0,8-1,9] (tableau 3) ; ils étaient plus fréquents en médecine qu’en chirurgie. Dans 42% des cas, les EIG causes d'hospitalisation étaient directement consécutifs à une hospitalisation précédente. Pour les 58% restants, ils ont été identifiés en ville, sans lien direct avec une hospitalisation précédente, mais ce lien ne peut être exclu.

Concernant la déclaration des EIG, 61 des 123 événements remplissaient les critères du décret de 2016 et devaient être déclarés à l’ARS. Lors du passage des enquêteurs, un seul événement avait été déclaré à l’ARS.

Tableau 3 : Proportion de séjours causés par des EIG évitables
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Comparaison 2009-2019

Le taux de participation des établissements était de 71% en 2009 (81 sur 114) et de 49% en 2019 (59 sur 81). La comparaison des résultats des enquêtes de 2009 et 2019 permet de constater que les échantillons de patients étaient comparables, hormis sur le plan de l’âge (patients plus âgés en 2019) et de la durée des séjours (plus courte en 2019), ce qui correspond à l’évolution générale des populations hospitalisées.

La densité d’incidence globale des EIG survenus pendant l’hospitalisation, et la densité des EIG non évitables survenus pendant l’hospitalisation, n’ont pas diminué statistiquement entre 2009 et 2019.

En revanche, la densité d’incidence des EIG évitables survenus pendant l’hospitalisation a diminué statistiquement entre 2009 et 2019 (tableau 1). En médecine, l’enquête a permis de constater une tendance à la baisse dans toutes les spécialités, sauf en soins critiques. En chirurgie, la densité d’incidence n’a diminué de manière statistiquement significative que dans les CHU, et dans les catégories qui ne comprenaient pas de services de chirurgie regroupée.

En ce qui concerne la gravité, une baisse significative a également été observée sur la mise en jeu du pronostic vital, de l’incapacité et du décès, mais pas sur la prolongation des hospitalisations (tableau 4). Sur les types de situations dangereuses, les EIG évitables liés aux actes invasifs ont diminué dans les secteurs interventionnels, et non pour les actes chirurgicaux. Les EIG relatifs aux produits de santé concernaient principalement les médicaments, avec une classification des médicaments les plus à risque similaire en 2009 et en 2019. En revanche, les événements associés aux dispositifs médicaux implantables étaient stables sur la période. Les événements indésirables dus à une infection associée aux soins ont également diminué, à la limite de la signification statistique (tableau 5).

Tableau 4 : Densités d’incidence (nombre d’événements pour 1 000 jours d’hospitalisation) selon le type de gravité associé aux EIG évitables identifiés pendant l’hospitalisation
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Tableau 5 : Densités d’incidence (nombre d’événements pour 1 000 jours d’hospitalisation) des EIG évitables selon les expositions (actes invasifs et médicaments) et les mécanismes (infections) les plus fréquents
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Certains facteurs contributifs semblaient plus fréquents en 2019, comme la défaillance humaine (différence statistiquement significative), la mauvaise définition de l’organisation et des tâches, la composition de l’équipe non adéquate, les locaux et équipements ou produits non adaptés. La supervision des juniors, qui constituait un facteur classique notamment dans les CHU, semble intervenir moins souvent, et la communication, qui participe également des facteurs contributifs les plus fréquents, demeure stable (tableau 2).

Les événements causes d’hospitalisation ont également diminué quel que soit le type d’établissement (tableau 5), et le mécanisme (acte invasif, produit de santé ou infection associée au soin). Cette diminution a été observée à la fois pour les événements évitables et les événements non évitables. Les deux types d’événements causes d’hospitalisation étaient ceux générés par la médecine de ville, et ceux intervenant lors d’une première hospitalisation et provoquant une nouvelle hospitalisation. En proportion, la part des réhospitalisations augmente de 26% à 42%.

Discussion

Eneis 3 est une enquête réalisée selon une méthode internationalement reconnue et qui a l’avantage d’avoir été rééditée à trois reprises en France, ce qui est le cas d’un seul autre pays dans le monde 9. Ses principaux résultats ont été transmis au ministère des solidarités et de la Santé le 8 octobre 2021, lors du comité de pilotage national de l’enquête Eneis.

Une amélioration de la sécurité des soins ?

La baisse statistiquement significative des EIG évitables – et de leur gravité – corrobore ce qui a été observé aux Pays-Bas, qui a conclu à un lien vraisemblable entre les plans et programmes de lutte contre les risques associés aux soins. Nous pouvons également émettre l’hypothèse d’un lien entre les programmes mis en place en France, sans bien évidemment avoir de données factuelles (encadré).

Encadré :
Liste des principaux plans et programmes nationaux ayant pu être en lien avec la baisse de l’incidence des EIG

Dispositifs pérennes (antérieurs à 2009)

Certification HAS V2010 et V2014

Propin-Propias

Antibiorésistance

Dispositifs apparus pendant la période 2009-2019

Check-list sécurité du patient au bloc opératoire (2010)

Système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse (2011)

Programme national sécurité des patients (2013-2017)

Déclaration EIG aux ARS (2016)

Accréditation dans les spécialités à risque (2006)

HAS : Haute Autorité de santé ; EIG : événements indésirables graves ; ARS : agence régionale de santé.

Le taux de participation des établissements était moins élevé en 2019 qu’en 2009, avec pour principal motif évoqué par les établissements non participants d’une charge de travail trop importante liée à l’étude. Les différences de caractéristiques observées entre 2009 et 2019 ont toutefois été prises en compte dans l’analyse par repondération.

L’exclusion des patients autres que ceux hospitalisés en médecine et en chirurgie a été décidée lors de la mise en place de la première enquête Eneis, pour être en conformité avec les enquêtes similaires au plan international et permettre la comparaison des résultats. En effet, il existait un consensus international sur le fait que les critères de gravité des EIG en médecine/chirurgie ne pouvaient être considérés comme superposables aux critères de gravité pour les patients d’événements survenant en psychiatrie, en obstétrique, les urgences et en unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) en aval des services d’urgences, et a fortiori dans les établissements médicosociaux ou en soins primaires. Le protocole d’étude utilisé en 2009 puis en 2019 n’a pas été modifié, afin de permettre la comparaison des données françaises dans le temps. Des études d’incidence spécifiques aux unités autres que la médecine et la chirurgie seraient nécessaires au vu du nombre et du type d’EIG déclarés et remontés à la HAS.

La densité d’incidence des événements graves évitables survenus pendant l’hospitalisation a diminué statistiquement entre 2009 et 2019, alors qu’elle demeurait stable entre 2004 et 2009. En médecine, l’enquête a permis de constater une tendance à la baisse dans toutes les spécialités, sauf en soins critiques. Cette exception est intéressante en termes de gestion des risques, parce que ce domaine comprend les risques les plus importants et fait fréquemment l’objet de travaux sur la sécurité. À ce jour, la priorité des politiques de sécurité des patients dans les établissements de santé est donnée au bloc opératoire (en l’absence de programme structuré au niveau national), mais les soins critiques pourraient également être mis en avant. Sur les DMI, un décret publié en 2021 a rendu obligatoire la mise en place d’un système de management de la qualité dans les établissements de santé.

L’évolution péjorative des facteurs contributifs liés aux conditions de travail dans les établissements de santé est sans doute la conjonction d’un biais de collecte, les enquêteurs étant en 2019 mieux formés pour les identifier, et la réalité des difficultés des conditions de travail des personnels soignants.

Enfin, la hausse de la proportion des réhospitalisations parmi les EIG causes d’hospitalisation interroge la sécurité associée à la réduction des durées de séjour hospitaliers en médecine et en chirurgie 10. Ces résultats soulignent la nécessité de renforcer les travaux sur l’organisation de la sortie et le lien ville-hôpital.

Encore trop d’événements indésirables graves

La densité d’incidence pour les EIG survenus pendant l’hospitalisation qui atteint 4,4 EIG pour 1 000 journées d’hospitalisation, ce qui correspond à quatre EIG par service de 30 lits et par mois (contre cinq EIG par service et par mois en 2004 et en 2009). Ces résultats permettent, avec les précautions d’usage, des extrapolations. Ainsi, à partir du nombre total de journées d’hospitalisation et d’admissions fournis par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), on peut considérer que 160 000 à 375 000 EIG sont intervenus en 2019 au cours d’un séjour hospitalier en médecine ou en chirurgie (entre 275 000 et 395 000 en 2009), dont 55 000 à 130 000 évitables (34%) (entre 95 000 et 180 000 en 2009).

Concernant les événements cause d’hospitalisation, 2,6% des admissions sont causés par un EIG, soit un séjour sur 40 dans les établissements de santé. L‘extrapolation montre qu’il y aurait entre 176 000 et 372 000 séjours annuellement causés par un EIG (entre 330 000 et 490 000 en 2009), dont 93 000 à 197 000 séjours causés par des EIG évitables (53%) (entre 160 000 et 290 000 en 2009).

En résumé, entre 50 000 et 130 000 événements sont évitables pendant les hospitalisations, et entre 100 000 et 200 000 admissions sont dues à un EIG évitable par an.

Enfin, si l’on prend en compte les jours imputables aux EIG, soit 5,5 jours en médiane pour les EIG survenant pendant l’hospitalisation et la totalité des jours pour les événements cause d’hospitalisation (4 jours en médiane), 680 000 à 1 500 000 jours d’hospitalisation seraient évitables.

L’évaluation du Programme national pour la sécurité des patients (PNSP) 2013-2017 par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en 2018 indiquait que la France était « au milieu du gué » : elle a construit un cadre fort (textes réglementaires, outils et méthodes) qui reste mal connu et peu intégré dans la pratique de la majorité des professionnels de santé.

Des préconisations de trois ordres portaient sur :

la promotion d’objectifs ciblés pour développer la sécurité des patients (des objectifs spécifiques sur les blocs opératoires, les soins critiques et la gestion des DMI semblent, à la lumière de ces résultats, les plus pertinents) ;

la poursuite d’une politique publique forte consacrée à la sécurité des patients ;

la détermination des modalités de la future gouvernance de la politique de sécurité des patients 11.

Encourager la déclaration et surtout l’analyse des événements déclarés

La définition épidémiologique des EIG est distincte de celle du décret de 2016 posant obligation de déclaration à l’ARS, qui n’inclut pas le critère de prolongation de l’hospitalisation (EIGS est l’acronyme utilisé dans le décret) 12. Sur les 123 EIG, 61 étaient des EIGS : seul 1 avait été déclaré à l’ARS. Le phénomène de sous-déclaration des EIG est bien connu 13. Une explication propre à l’étude était que les enquêteurs passaient rapidement après la survenue de l’événement, alors que les signalements en externe prennent parfois un certain temps (en médiane, huit jours en 2020). Par conséquent, ces événements ont pu être signalés ultérieurement.

Une autre explication est bien connue par les spécialistes de gestion des risques : les patients avec EIG sont majoritairement fragiles et atteints de comorbidités, qui pourraient par elles-mêmes générer des événements indésirables graves. De ce fait, les équipes soignantes n’ont pas le réflexe de rechercher si, au-delà de l’état clinique du patient, une partie de la survenue de l’EIG est associé aux soins, conduisant à une sous-détection des événements indésirables. Une sensibilisation et une formation des professionnels de santé et des équipes à l’identification des EIG, à leur analyse et à leur déclaration externe sont à renforcer pour augmenter les signalements et déclarations, et ainsi optimiser la transparence, l’analyse et le retour d’expérience, donc à terme la sécurité des patients. Cette formation devrait systématiquement informer de l’obligation, mais aussi expliquer l’enjeu d’une démarche non sanctionnante et l’intérêt de développer la culture de sécurité.

La qualité de ces analyses, et du plan d’action qui en découle, est variable actuellement : le bilan annuel de la Haute Autorité de santé l’atteste 14. L’approche structurée et systémique nécessite une compétence qui peut être apportée par les structures régionales d’appui, lorsqu’elle n’existe pas dans les établissements.

Conclusion

L’étude Eneis 3 montre une baisse statistiquement significative des EIG évitables et de leur gravité entre 2009 et 2019, mais la vigilance doit être maintenue sur la chirurgie, les soins critiques et sur les DMI pour les événements survenus pendant l’hospitalisation. La péjoration des facteurs contributifs à ces événements proviendrait du fait de la meilleure formation des enquêteurs à l’analyse systémique en 2019, au manque persistant de pratiques collaboratives et à la difficulté renforcée des conditions de travail des personnels soignants actuels. La hausse de la proportion des réhospitalisations parmi les EIG causes d’hospitalisation nécessite de poursuivre la sécurisation des sorties, dans le contexte de réduction des durées de séjour. Enfin, la sous-déclaration des EIGS nécessite de renforcer la formation des professionnels de santé à la sécurité des patients. Pour toutes ces raisons, et conformément aux conclusions du rapport du Haut Conseil de santé publique (HCSP) en 2018, la sécurité des soins doit rester une priorité des politiques de santé.

Remerciements

Sont vivement remerciés par les auteurs l’ensemble des établissements et des professionnels participants, ainsi que les enquêteurs ayant réalisé la collecte des données, enquêteurs médecins (Charles Arich, Arthur Barnay, Éric Benfrech, Henri Bonfait, Robert Chausset, Charles De Riberolles, Hervé Gouezec, Isabelle Granier, Pascal Hericotte, Christine Mangin, Catherine Mayault, Brigitte Nicolie, Pascale Oriol, Thierry Quesnel, Patrice Roussel, Isabelle Verheyde) et infirmiers (Viviane Belot, Amandine Fetiveau, Andrée Gastou, Hélène Lacroix, Chantal Lahalle, Leslie Larco, Virginie Lecaplain, Brigitte Maquet, Irdina Katia Mayi, Alexia Mazza, Camille Mur, Marie Pouch, Valérie Rolland, Maryse Savary, Florence Simon, Marie-Josée Stachowiak, Christine Thevenin, Roselyne Thiery-Bajolet, Claire Trouve). Les professionnels du CCECQA (Anne-Marie De Sarasqueta, Ahmed Djihoud, Gélica Damba-Lalarme, Bénédicte Guerrier, Xavier Gouffrand, Maryse Piscarel, Julie Rongere-Casteigt, Roxana Vanderstay, Myriam Zaaria) ont participé à la finalisation du protocole d’enquête et à la réalisation de la collecte des données.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Financement

L’enquête Eneis 3 a été financée par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère des Solidarités et de la Santé.

Références

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2 Michel P, Lathelize M, Bru-Sonnet R, Domecq S, Kret M, Quenon JL. Enquête nationale sur les événements indésirables graves liés aux soins 2009 (ENEIS2) : description des résultats 2009. Rapport final à la Drees (ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé). Série Études et Recherche. 2011;(110). 206 p. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/dt110.pdf
3 Michel P, Lathelize M, Quenon JL., Bru-Sonnet R, Domecq S, Kret M. Comparaison des deux études nationales sur les événements indésirables graves liés aux soins menées en 2004 et 2009. Rapport final à la Drees (ministère de la Santé et des Sports). Série Études et Recherche. 2011;(109). 119 p. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/dt109.pdf
4 Quenon JL, Vanderstay R, Michel P et le groupe de travail Eneis 3 de la Forap. Méthodologie – Eneis 3 : Étude nationale sur les événements indésirables graves associés aux soins dans les établissements de santé. Risques & Qualité. 2020;(17)2;116-20.
5 Gentile S, Durand AC, Mouelhi Y, Devictor B, Colin C. Les Structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité du patient en France : un état des lieux. Risques & Qualité. 2016;3:143-51.
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8 Wilson RM, Michel P, Olsen S, Gibberd RW, Vincent C, El-Assady R, et al. on behalf of the WHO Patient Safety EMRO/AFRO working group. Patient safety in developing countries: Estimating the scale and nature of harm to patients in hospital. BMJ. 2012;344:e832.
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10 Haut Conseil de la santé publique. Virage ambulatoire : pour un développement sécurité. Paris: HCSP; 2021. 128 p. https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=1078
11 Haut Conseil de la santé publique. Évaluation du programme national de sécurité des patients 2013-2017. Paris: HCSP; 2018. 212 p. https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=677
12 Décret no 2016-1606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins et aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033496373
13 Shojania KG. The frustrating case of incident-reporting systems. Qual Saf Health Care. 2008; 17(6):400-2
14 Haute Autorité de santé. Retour d’expérience national Les événements indésirables graves associés à des soins (EIGS) – 2020. Paris: HAS; 2021. 45 p. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-12/pdf_retour_experience_national.pdf

Citer cet article

Michel P, Quenon JL, Daucourt V, Burdet S, Hoarau D, Klich A, et al. Incidence des événements indésirables graves associés aux soins dans les établissements de santé (Eneis 3) : quelle évolution dix ans après ? Bull Epidémiol Hebd. 2022;(13):229-37. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/13/2022_13_2.html