Facteurs associés à l’adhésion de la population française aux recommandations pour la prévention de la lombalgie chronique, à la suite de la campagne grand public de l’Assurance maladie : « Mal de dos ? Le bon traitement, c’est le mouvement »

// Factors associated with the French population's adherence to prevention recommendations concerning chronic lower back pain following a media campaign by the National Health Insurance

Roxane Agius1, Natacha Fouquet1 (natacha.fouquet@santepubliquefrance.fr), Noémie Soullier1, Denoël Ohouo2, Stéphanie Schramm2, Emilie Chazelle1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Caisse nationale d’assurance maladie, Paris
Soumis le 19.01.2022 // Date of submission: 01.19.2022
Mots-clés : lombalgie | recommandations | prévention | campagne grand public
Keywords: low-back pain | recommendations | prevention | mass media campaign

Résumé

Contexte –

Pour limiter l’impact négatif des lombalgies sur la qualité de vie, les politiques de santé publique se sont orientées, d’une part sur la prévention de l’apparition des lombalgies, et d’autre part sur la limitation de la chronicisation. En France, une campagne grand public est mise en place depuis 2017 par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam).

Objectif –

 Déterminer les facteurs associés à l’adhésion de la population française métropolitaine aux recommandations pour la prévention de la chronicisation de la lombalgie. Le fait d’avoir eu connaissance (aussi appelé « mémorisation ») de la campagne de la Cnam a été un des facteurs évalués en particulier.

Méthode –

Les facteurs sociodémographiques et de santé associés à l’adhésion aux recommandations pour la prévention des lombalgies ont été analysés à l’aide d’une régression logistique pondérée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2019 – enquête téléphonique menée auprès de personnes âgées de 18 à 85 ans résidant en France métropolitaine.

Résultats –

Une association entre l’adhésion aux recommandations et la mémorisation de la campagne tend à être mise en évidence (odds ratio : OR=1,32, intervalle de confiance à 95% : IC95%: [1,00-1,74] ; p=0,052). Être plus âgé est significativement associé à une meilleure adhésion aux recommandations (1,01 [1,00-1,03] ; p=0,028). Par ailleurs, les professions intermédiaires (0,50 [0,30-0,82], p=0,007) et les ouvriers (0,48 [0,28‑0,83] ; p=0,009) adhèrent moins aux recommandations que les cadres et professions intellectuelles supérieures.

Discussion –

Bien que cette étude ne constitue pas une évaluation stricte de la campagne de la Cnam, elle met en évidence un lien entre la mémorisation de la campagne et l’adhésion aux recommandations.

Conclusion –

Une politique de prévention plus ciblée semble nécessaire auprès des catégories socioprofessionnelles les plus à risque de lombalgie, adhérant le moins aux recommandations.

Abstract

Context –

Lower back pain can have a major impact on quality of life. Public health policies focus on avoiding the onset of this disease and preventing existing cases from developing into a chronic condition. In France, a mass media campaign was launched by the national health insurance (CNAM) in 2017 to raise public awareness on the topic.

Aim –

The aim of this study was to determine, among the population in metropolitan France, factors associated with adherence to prevention recommendations concerning chronic lower back pain. The influence of the CNAM campaign, measured through “recollection”, was of particular interest.

Method –

Data for this study was obtained from the 2019 edition of the “Baromètre Santé”, a phone survey conducted by the national public health agency on people aged 18-85 living in metropolitan France. Weighted analysis was performed on the survey responses using logistic regression to identify socio-demographic and medical factors associated with adherence to the prevention recommendations.

Results –

An association between adherence to the recommendations and recollection of the media campaign tended to be observed (odds ratio: OR=1.32, 95% confidence interval: CI95%: [1.00-1.74]; p=0.052). Greater age also showed a significant association with increased adherence to the recommendations (1.01 [1.00-1.03]; p=0.028). In addition, people working in intermediate occupations (0.50 [0.30-0.82]; p=0.007) and manual workers (0.48 [0.28-0.83]; p=0.009) were less influenced by the recommendations than people working in higher intellectual professions and managers.

Discussion –

Although this study is not a strict assessment of the CNAM campaign, it seems to highlight that recollection of the campaign is associated with adherence to the recommendations. A more targeted prevention policy appears necessary among the socio-professional categories most at risk of lower back pain, who also adhere least to the recommendations.

Contexte

La lombalgie, qui se définit comme une douleur du bas du dos, entre la charnière thoraco-lombaire et le pli fessier, fait partie des troubles musculo-squelettiques les plus courants retrouvés à l’âge adulte 1. Sa prévalence au cours de la vie est très fréquente, atteignant 84% 1. La lombalgie est considérée comme chronique lorsque les douleurs sont présentes depuis plus de 12 semaines 2.

Constituant la première cause d’année de vie en situation d’incapacité dans le monde 3, la lombalgie et son fardeau économique, estimé à plusieurs milliards de dollars en 2008, sont une problématique centrale dans le domaine de la santé publique 4. La lombalgie est une affection multifactorielle. Outre des facteurs (anatomiques, psychologiques…) individuels 5, des facteurs professionnels, qu’ils soient biomécaniques, psychosociaux ou organisationnels 1,6, jouent également un rôle dans son apparition et sa chronicisation.

Pour limiter l’impact de la lombalgie, les politiques de santé publique se sont orientées vers la prévention de son apparition, ainsi que la limitation de la chronicisation. Le repos et l’alitement, auparavant préconisés 7 lors des premiers stades de la lombalgie sans signe d’alerte ni de gravité, ont désormais fait place à des conseils d’autogestion et d’activité physique adaptée 8,9. Ces nouvelles recommandations n’ont pas été systématiquement appliquées, ni par les professionnels de santé, ni par la population générale 10,11. Les peurs, croyances et attitudes d’évitement des patients souffrant de lombalgie, liées à l’éventualité que le mouvement puisse produire des douleurs et être néfaste pour le rachis 12, sont des freins à l’adoption des recommandations 13. Afin de promouvoir l’autogestion et le mouvement lors de l’apparition des maux de dos, plusieurs campagnes de prévention ont été mises en place dans le monde 14, notamment en France depuis 2017 15. Un groupe d’experts pluridisciplinaire a travaillé sur les messages de cette campagne, diffusée par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), « Mal de dos ? Le bon traitement, c’est le mouvement », déclinée en plusieurs volets destinés au grand public, dont le premier a été diffusé à partir de novembre 2017 et réactualisé en novembre 2018. Celui-ci portait sur les activités physiques sportives. Cette campagne a été diffusée par le biais des médias grands publics, et également déclinée à destination des professionnels de santé en 2017, et des entreprises, fin 2018 16.

En France, les dernières enquêtes de la Cnam mettent en avant une évolution positive en ce qui concerne l’adhésion de la population générale aux recommandations de prévention de la lombalgie chronique 16,17. Cependant, les portées des campagnes étrangères variaient en fonction, d’une part des caractéristiques de la campagne et des critères d’impact étudiés, et d’autre part des caractéristiques socio-économiques des personnes interrogées 10,14.

Objectif

Ainsi, l’objectif de ce travail était d’étudier les facteurs associés à l’adhésion aux recommandations pour la prévention de la lombalgie chronique dans la population française, en particulier le fait d’avoir eu connaissance (appelé aussi la « mémorisation ») de la campagne de la Cnam, et les caractéristiques sociodémographiques et de santé des personnes.

Méthode

Population et source de données

Les questions portant sur la lombalgie ont été posées à un sous-échantillon aléatoire de 2 736 personnes issu du Baromètre de Santé publique France 2019. Il s’agit d’une enquête transversale téléphonique menée auprès d’un échantillon probabiliste de personnes âgées de 18 à 85 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français. Les numéros de téléphone, fixes comme mobiles, ont été générés aléatoirement ; les participants ont été sélectionnés selon un sondage à deux degrés sur ligne fixe (sélection d’un individu par ménage selon la méthode Kish) et à un degré sur ligne mobile (sélection de la personne qui décroche). Le recueil s’est déroulé au premier semestre 2019 auprès de 10 352 personnes. Le taux de participation était de 51% 18.

Les estimations ont été pondérées pour tenir compte de la probabilité d’inclusion (au sein du ménage et en fonction de l’équipement téléphonique), et de la structure de la population via un calage sur les marges des variables « sexe croisé avec l’âge », région de résidence, taille d’unité urbaine, niveau de diplôme et nombre d’habitants dans le foyer (population de référence : Insee, Enquête Emploi 2018) 18.

Sélection des variables

Les questions portant sur la lombalgie, conçues en partenariat avec la Cnam, étaient les suivantes :

Mémorisation de la campagne : « Avez-vous eu connaissance de la campagne de prévention de la lombalgie (c’est-à-dire du mal de dos), menée par l’Assurance maladie, diffusée à plusieurs reprises depuis novembre 2017 ? » (Oui/Non) ;

(si l’enquêté a eu connaissance de la campagne de prévention de la lombalgie) « Par quels moyens avez-vous eu connaissance de cette campagne de prévention de la lombalgie ? » (Plusieurs réponses possibles : À la télévision/À la radio/Sur internet/Dans la rue (affiches)/Sur les plateformes de téléchargement d’applications mobiles (Application Activ’Dos)/Par un autre moyen) ;

Adhésion aux recommandations de prévention : « Êtes-vous d’accord avec la proposition suivante : lorsqu’on a une lombalgie, le maintien de son activité physique (professionnelle ou autre) est préférable au repos ? » (Tout à fait/Plutôt/Plutôt pas/Pas du tout d’accord).

La variable d’intérêt était l’adhésion aux recommandations, considérée en variable binaire : la catégorie « Oui » rassemblait les réponses « Tout à fait » et « Plutôt », et la catégorie « Non », « Plutôt pas » et « Pas du tout » d’accord.

Les variables explicatives ont été sélectionnées a priori selon la littérature et selon les connaissances sur la pathologie. Elles comprenaient, outre le fait d’avoir eu connaissance de la campagne (« mémorisation de la campagne ») :

le sexe ;

l’âge (continu) ;

la catégorie socioprofessionnelle (CSP) ;

la taille d’agglomération ;

le fait d’être limité depuis au moins six mois à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement (Non, pas limité/Limité mais pas fortement/Fortement limité), utilisé comme proxy (1) de l’état de santé pour prendre en compte son influence sur la sensibilité aux campagnes de prévention, plus particulièrement sur la thématique des lombalgies ;

le fait de se sentir bien informé sur les sujets de santé, proxy de la deuxième dimension du Health Literacy Questionnaire (HLQ, échelle de littératie), à savoir « Avoir suffisamment d’informations pour gérer sa santé » 19, construit à partir d’une analyse en composante principale réalisée sur toutes les questions en rapport avec les connaissances en santé, des institutions et le sentiment de se sentir informé en santé. Notre proxy correspondait au score en deux points combinant les questions rendues binaires sur le sentiment d’être bien informé sur la maladie de Lyme d’une part, et sur l’hypertension artérielle et ses conséquences de l’autre.

Analyses statistiques

La fréquence de l’adhésion aux recommandations a été décrite selon les variables explicatives, et les relations bivariées entre cette fréquence et ces variables explorées par le test du Chi2 de Rao-Scott. Les associations multivariées ont ensuite été testées par une régression logistique. La log-linéarité de la variable âge dans le modèle a été vérifiée. Les interactions entre, d’une part le fait d’avoir mémorisé la campagne, et d’autre part le sexe, l’âge et le sentiment de se sentir informé sur les sujets de santé, ont été testées.

Les valeurs manquantes étaient rares (<5% au maximum) et ont été exclues des analyses.

L’analyse en composante principale a été réalisée avec le logiciel R® version 3.6.1. Les analyses univariées et multivariées ont été effectuées avec le logiciel SAS® version 9.4.

Résultats

Analyses descriptives

Environ un quart de la population (n=716) se souvenait avoir eu connaissance de la campagne : deux tiers par la télévision, un quart par un « autre moyen » et un quart par plusieurs moyens (figure 1). La majorité (81%) des personnes était « tout à fait » ou « plutôt » d’accord avec les recommandations (figure 2), plus fréquemment celles ayant mémorisé la campagne (84% vs 79%, p=0,041) (tableau 1).

Figure 1 : Fréquence des moyens par lesquels les répondants ont eu connaissance de la campagne
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Figure 2 : Niveau d’adhésion aux recommandations : «Lorsqu’on a une lombalgie, le maintien de son activité physique (professionnelle ou autre) est préférable au repos »
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Tableau 1 : Prévalence de l’adhésion aux recommandations en fonction des variables explicatives sélectionnées
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La prévalence de l’adhésion aux recommandations était également significativement associée, dans les analyses univariées, à la CSP (tableau 2) et à l’âge.

Tableau 2 : Facteurs liés à l’adhésion aux recommandations de prévention des lombalgies
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Facteurs associés à l’adhésion aux recommandations

Les personnes ayant mémorisé la campagne avaient plus de chance d’adhérer aux recommandations (odds ratio ajusté : ORa=1,32, intervalle de confiance à 95% : IC95%: [1,00-1,74], à la limite de la significativité (p=0,052)) (tableau 2). Une association avec la CSP était observée : les professions intermédiaires (0,50 [0,30-0,82]) et les ouvriers (0,48 [0,28-0,83]) adhéraient significativement moins bien aux recommandations que les cadres et professions intellectuelles supérieures. Le même constat était fait chez les employés, les inactifs et les retraités, en comparaison aux cadres et professions intellectuelles supérieures, avec une association proche de la significativité. Les personnes très fortement limitées dans les activités quotidiennes depuis au moins six mois à cause d’un problème de santé adhéraient moins souvent aux recommandations que celles ne l’étant pas. Enfin, l’âge était positivement et significativement associé à l’adhésion aux recommandations. Aucune des interactions testées n’était statistiquement significative.

Discussion

Synthèse

L’étude des facteurs influençant l’adhésion de la population française métropolitaine aux recommandations de prévention de la lombalgie chronique, mi-2019, a montré qu’avoir mémorisé la campagne grand public a tendance à augmenter la chance de se déclarer en accord avec cette proposition : « Lorsqu’on a une lombalgie, le maintien de son activité physique (professionnelle ou autre) est préférable au repos », avec un OR à la limite de la significativité (p=0,052). Plus l’âge augmente, plus cette chance augmente aussi. À l’inverse, les personnes très fortement limitées dans les activités courantes, depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé (vs les personnes non limitées), les professions intermédiaires et les ouvriers (vs les cadres et professions intellectuelles supérieures), adhèrent significativement moins bien aux recommandations de prévention de la lombalgie chronique.

Associations entre la mémorisation de la campagne
et l’adhésion aux recommandations

Les données du Baromètre santé 2019 complètent les résultats des enquêtes sur panel de la Cnam encadrant la campagne : seulement 32% des français n’estimaient pas que le repos est le meilleur remède contre la lombalgie avant la campagne. Cette opinion montait à 55% en 2018 après la première diffusion de la campagne. En 2019, 77% des français étaient favorables au maintien des activités physiques en cas de mal de dos, notamment chez ceux ayant reconnu au moins un élément de la campagne (84% vs 68% pour les autres) 15,16,17. Dans le Baromètre santé 2019, 78% de la population ayant un avis était en faveur du maintien des activités physiques et professionnelles (84% en cas de mémorisation spontanée de la campagne, 79% en l’absence de mémorisation). Les méthodes de ces enquêtes ne sont pas comparables, mais les proportions de personnes adhérant aux recommandations sont cohérentes.

Nos résultats vont dans le même sens que ceux des évaluations des campagnes étrangères 14. Mais il serait nécessaire d’évaluer également les effets distaux (santé, bien-être de la population, économie, chronicisations évitées) testant la finalité des campagnes.

Associations entre les facteurs sociodémographiques et de santé
et l’adhésion aux recommandations

Suman et coll. en 2017 au Canada 10 mettaient en évidence que certaines mesures du statut socio-économique étaient associées aux croyances concernant les maux de dos et le mouvement. Dans notre étude, les ouvriers et les professions intermédiaires adhèrent significativement moins aux recommandations que les cadres et professions intellectuelles supérieures. Le même phénomène est mis en évidence pour les employés, les inactifs et les retraités, de façon proche de la significativité statistique. Ces différences entre catégories socioprofessionnelles renforcent des inégalités sociales de santé déjà existantes, puisque les ouvriers sont déjà plus à risque de subir une chirurgie d’hernie discale 20 que les cadres et professions intellectuelles supérieures et puisque les professions intermédiaires, les ouvriers et les employés sont plus confrontés à des expositions professionnelles à risque de lombalgie 6,21. Le critère de jugement principal (l’adhésion aux recommandations) amalgame, d’une part, la notion de connaissance et, de l’autre, la notion d’acceptation des recommandations de prévention. Il serait intéressant de documenter si ces CSP sont plutôt mal informées ou bien en désaccord avec les recommandations, et si les personnes ayant un travail à risque et en désaccord avec les recommandations répondent plus favorablement à une question portant uniquement sur les activités quotidiennes ou bien sur les activités professionnelles « adaptées ». Il est également possible que les personnes les moins concernées par les lombalgies adhèrent plus facilement à des recommandations qui ne les concernent pas. Les personnes fortement limitées depuis au moins six mois à cause d’un problème de santé dans les activités de la vie quotidienne adhèrent moins aux recommandations que celles ne l’étant pas. Ce résultat est difficilement interprétable en l’absence de connaissance des pathologies sous-jacentes. Cependant, s’il s’agit de personnes ayant eu une lombalgie chronique, devant donc être plus sensibilisées aux recommandations de prévention, une meilleure adhésion pourrait être attendue. Les recommandations apparaissent peut-être en décalage avec la réalité vécue par les personnes en situation de handicap ou d’incapacité, et mériteraient peut-être davantage d’explications et de réassurance pour ces publics. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que les femmes sont plus à risque de lombalgie que les hommes 22,23,24. Cet excès de risque, en France, ne semble pas influencer l’adhésion aux recommandations.

Forces et limites

Notre étude permet de mettre en évidence l’association entre la mémorisation de la campagne et l’adhésion aux recommandations, indépendamment des caractéristiques sociodémographiques et de santé des Français. Elle vient conforter l’observation statistique brute significative antérieure d’une meilleure adhésion aux recommandations après la première diffusion de la campagne qu’avant celle-ci 17. Nos résultats mettent en lumière la nécessité d’une prévention plus ciblée sur les CSP les plus à risque de lombalgie, se déclarant le moins en accord avec les recommandations.

Des limites et axes d’amélioration sont à souligner : cette étude n’ayant pas été construite en amont de la campagne, elle n’en constitue pas une évaluation. La construction a posteriori du groupe témoin non exposé à la campagne peut être à l’origine d’un biais de classement sur l’exposition et, ou, d’un biais de contamination, diminuant son effet. Les personnes ayant eu connaissance des recommandations par quelqu’un ayant vu la campagne, ou par un professionnel de santé lui-même sensibilisé par le volet professionnel de celle-ci, n’auront pas forcément identifié la campagne en tant que telle. Des personnes peuvent également avoir été exposées à la campagne et l’avoir oubliée. Ceci pourrait expliquer la différence moindre de fréquence d’adhésion aux recommandations observée entre les personnes ayant spontanément mémorisé la campagne ou non (Baromètre santé) et celles ayant reconnu au moins un élément présenté de la campagne ou non (enquête post-test Cnam). Ensuite, la précision du modèle est impactée par nos deux variables proxy. Des informations plus précises sur les antécédents de lombalgie permettraient de mieux prendre en compte le biais de confusion lié au fait que les personnes souffrant de lombalgie puissent être plus ou moins sensibles à la campagne, alors qu’elles peuvent connaître déjà par ailleurs les recommandations. De plus, nous ne disposons pas du niveau d’activité physique des personnes interrogées, alors même que la sédentarité pourrait avoir un impact sur l’adhésion aux recommandations. Nous devrions également intégrer une mesure rigoureuse du niveau de littératie en santé : une analyse complémentaire sur la mémorisation de la campagne en fonction des mêmes variables explicatives que précédemment met en avant que les personnes se sentant moyennement ou mal informées sur les sujets de santé ont significativement moins eu connaissance de la campagne que celles se sentant bien informées (résultats non présentés). Ces éléments pourraient être en faveur de l’adaptation du message de cette campagne au niveau de littératie des différents publics à cibler, mesuré avec des échelles adéquates en amont des prochaines diffusions : tenir compte du niveau de littératie en santé lors de stratégies de prévention visant à réduire les inégalités sociales de santé améliorerait l’engagement du patient, la prise de décisions éclairées et l’impact final sur la santé 25. Nous n’avons pas pu, par ailleurs, nous assurer de l’absence d’éventuels effets adverses de la campagne. Enfin, la proportion d’événements (personnes se déclarant en accord avec les recommandations) est très élevée et correspond à 78% de la population d’étude. L’importance de la différence à mettre en évidence entre les groupes était donc, de fait, limitée, et une plus grande population d’étude est nécessaire.

Conclusion

La lombalgie reste actuellement une problématique majeure de santé publique 1,4. En France, la campagne de prévention de grande ampleur de la Cnam « Mal de dos ? Le bon traitement, c’est le mouvement » diffusée à plusieurs reprises depuis 2017 semble avoir eu un impact positif sur l’adhésion aux recommandations de prévention de la lombalgie chronique. Cependant, des disparités marquantes existent, les CSP les plus à risque de problème de dos, notamment celle d’ouvrier, connaissant et acceptant moins les recommandations que les cadres et professions intellectuelles supérieures. Prioriser les messages ciblés vers ces publics en les adaptant à leur niveau mesuré de littératie en santé, pourrait être un moyen possible de lutter contre les inégalités de santé liées à cette problématique. De surcroît, l’effet final de la campagne sur les consultations médicales liées au mal de dos, l’utilisation de l’imagerie et des soins, la prévalence et l’incidence de la lombalgie chronique doit encore être étudié.

Remerciements

Nous remercions le Docteur Florian Bailly (AP-HP, Sorbonne Université) pour sa relecture.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Agius R, Fouquet N, Soullier N, Ohouo D, Schramm S, Chazelle É. Facteurs associés à l’adhésion de la population française aux recommandations pour la prévention de la lombalgie chronique, à la suite de la campagne grand public de l’Assurance maladie : « Mal de dos ? Le bon traitement, c’est le mouvement ». Bull Epidémiol Hebd. 2022;(13):222-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/13/2022_13_1.html

(1) Un proxy est une variable de substitution.