Évaluation de l’impact perçu du premier confinement (17 mars-11 mai 2020) sur la santé des enfants et des femmes enceintes vus dans le service de Protection maternelle et infantile (PMI) et dans les crèches de la ville de Paris lors de la pandémie de Covid-19

// Assessment of the perceived impact of the first lockdown (17 March-11 May 2020) on children and pregnant women’s health seen in maternal and children-protection services and in day-care centres in the city of Paris, France, during the COVID-19 pandemic

Marion Carayol (marion.carayol@paris.fr), Emmanuelle Berraute, Sylvie Jung, Valérie Ledour, Sandra Merle, Agathe Stark, Mathilde Marmier
Service de Protection maternelle et infantile, Sous-direction de la PMI et des familles, Direction de la famille et de la petite enfance, Ville de Paris
Soumis le 26.03.2021 // Date of submission: 03.26.2021
Mots-clefs : Confinement | Covid-19 | Enfants | Femmes enceintes | Santé
Keywords: Lockdown | COVID-19 | Children | Pregnant women | Health

Résumé

Introduction –

Pendant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19 (17 mars-11 mai 2020), le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a alerté sur l’impact éventuel de ce confinement sur le mode de vie des enfants et sur leur santé physique et mentale.

L’objectif de cette analyse est de décrire l’impact du premier confinement sur quelques indicateurs de la santé des femmes enceintes et des enfants et de comparer ces indicateurs entre des populations ayant des caractéristiques différentes à partir des données des enquêtes réalisées dans le service de PMI et dans les crèches municipales, ou établissements d’accueil de la petite enfance (EAPE), par la Direction de la famille et de la petite enfance de la Ville de Paris (DFPE).

Matériel et méthode –

L’enquête en PMI (EPMI) a été réalisée par auto-questionnaire auprès du public en octobre 2020 et l’enquête en crèche (EEAPE) par voie informatique en novembre 2020. Deux questionnaires ont été élaborés : pour les parents des enfants (QE) et pour les femmes enceintes ou ayant accouché (QF). Les données recueillies proviennent de la déclaration des parents. À partir du type de logement dans lequel les familles ont vécu le confinement, quatre populations ont été constituées : « en logement individuel habituel » et « en logement très social » pour l’EPMI ; « en logement individuel habituel » et « dans un autre logement individuel » pour l’EEAPE. La population d’analyse de l’EPMI comprend 500 enfants de (7 mois à 2 ans) et 956 femmes ; celle de l’EEAPE comprend 3 185 enfants. Une analyse descriptive et une comparaison des caractéristiques entre les populations d’une même enquête ont été réalisées.

Résultats –

Les familles de l’enquête EAPE ont vécu le confinement dans de meilleures conditions (logement plus spacieux, présence du conjoint plus fréquente) que celles de l’enquête PMI. Au moins 20% des parents de l’EEAPE et 25% des parents de l’EPMI ont déclaré un impact négatif du premier confinement sur les indicateurs étudiés de la santé des enfants. Dans l’EPMI, la fréquence de certains indicateurs négatifs était plus élevée pour les familles en logement très social, comme par exemple l’apparition de troubles du sommeil ou de difficultés dans la relation avec l’enfant. Au contraire, dans l’EEAPE, la fréquence de certains d’entre eux était plus faible pour les familles en dehors de leur logement habituel. Parmi les femmes enceintes, 68,8% ont déclaré avoir été « particulièrement inquiètes » pendant cette période, et des prestations de santé ont été annulées pour 29,5% d’entre elles.

Conclusion –

Le premier confinement a eu un impact globalement négatif sur la santé du public accueilli en PMI et dans les crèches municipales à Paris. Cependant, cet impact semble différent selon les conditions dans lesquelles le confinement a été vécu.

Abstract

Introduction –

During the first lockdown of the Covid-19 pandemic in France (17 March-11 May 2020), the National Council for Public Health (HCSP) warned about the impact of the lockdown on children’s lifestyle and physical and mental health.

The goal of this article is to describe the impact of the first lockdown on key indicators of the health of pregnant women and children, and to compare these indicators between populations with different characteristics. It is based on data from surveys carried out in maternal and child-protection services (PMI) in Paris and in municipal day-care centres (EAPE) by the Department of Family and Early Childhood of the City of Paris (DFPE).

Materials and method –

The survey of the maternal and child-protection services (EPMI) is based on forms filled by users of the services in October 2020; the day-care survey (EEAPE) is based on a form sent by email in November 2020. Two forms were developed: one for the children, filled by their parents (QE), and one for women who were pregnant or had given birth (QF). All data collected comes from the answers given by the parents or the women. Four groups are considered based on the type of housing in which the families experienced lockdown: “in usual individual housing” and “in very low-income public housing” for the EPMI; “in usual individual housing” and “in another individual housing” for the EEAPE. The EPMI analysis population includes 500 children (between 7 months and 2 years old) and 956 women. The EAPE analysis includes 3,185 children. A descriptive analysis and a comparison of the characteristics between the populations of the same survey were carried out.

Results –

The families of the day-care survey experienced the lockdown in better conditions than in those in the maternal and child-protection services study, thanks to, on average, more spacious housing and the more frequent presence of the second parent. At least 20% of parents in the day-care survey and 25% of parents in the maternal and child-protection services study reported a negative impact of the first lockdown on the observed indicators of children’s health. In the maternal and child-protection services study, the frequency of some negative indicators was higher for families in very low-income public housing, for example sleep disorder or difficulties in relationship with children whereas in the day-care survey the frequency of some of these disturbances was lower for families outside their usual housing. Among pregnant women, at least 68.8% were “particularly worried” during the first lockdown, and health appointments were cancelled for 29.5% of them.

Conclusion –

The first lockdown had an overall negative impact on the health of children and pregnant women. This impact appears to have differed depending on the conditions in which the confinement was experienced.

Introduction

En France, la première période de confinement liée à la Covid-19 a eu lieu du 17 mars au 11 mai 2020 et a été suivie par un plan de déconfinement progressif. Pendant cette période, de nombreux professionnels de santé ont alerté sur l’impact du confinement sur le mode de vie des enfants et sur leur santé physique et mentale. Dans son avis du 17 avril 2020 sur « la santé des enfants, l’épidémie de Covid-19 et ses suites », le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a recommandé des mesures de prévention des risques liés au confinement 1. Dans cet avis, le terme « enfants » se réfère à la classe d’âge de 0 à 18 ans ; des problèmes concernant la grossesse et la périnatalité y sont aussi abordés.

La Direction de la famille et de la petite enfance de la Ville de Paris (DFPE) est responsable notamment du service de Protection maternelle et infantile (PMI) et de la gestion des crèches (EAPE, Établissements d’accueil de la petite enfance) municipales.

Durant le premier confinement, les professionnels de PMI ont adapté leurs pratiques et développé de nouvelles modalités d’intervention ; la plupart des EAPE étaient fermés. Cinq mois après ce confinement, et alors que la crise sanitaire était toujours en cours, le service de PMI a souhaité objectiver l’impact du confinement sur la santé des enfants et des femmes enceintes accueillis dans ces services afin d’adapter les actions de prévention à ce contexte et améliorer la prise en charge du public pour lequel des troubles liés au confinement semblaient persister. À cette fin, la DFPE de la Ville de Paris a conduit deux enquêtes, l’une en PMI (octobre 2020) et l’autre dans les EAPE municipaux (novembre 2020).

Les objectifs de cette analyse sont, à partir des données de ces enquêtes, de décrire l’impact du premier confinement sur quelques indicateurs de la santé des enfants et des femmes enceintes, et de comparer ces données entre des populations ayant des caractéristiques différentes.

Matériel et Méthode

Population d’étude

Les données utilisées proviennent de deux enquêtes : l’enquête PMI réalisée dans le service de PMI de la Ville de Paris en octobre 2020 et l’enquête EAPE réalisée dans les EAPE municipaux de la Ville Paris en novembre 2020.

1- L’enquête PMI (EPMI) comprenait deux populations d’enquête distinctes : les enfants (0-6 ans) nés avant le premier confinement et les femmes enceintes ou ayant accouché pendant cette période. Un questionnaire a été élaboré pour chacune de ces populations d’enquête. Ces deux questionnaires comprenaient une partie similaire sur les caractéristiques des familles et le vécu du confinement. Le recueil des données a eu lieu du 12 au 23 octobre 2020, dans les centres de PMI ou lors de visite à domicile, par auto-questionnaire sur papier. Les personnes maîtrisant mal l’écrit ont été accompagnées par un professionnel de PMI, parfois avec un interprétariat téléphonique. L’EPMI regroupait donc les données du questionnaire destiné aux enfants (QE) et de celui destiné aux femmes enceintes ou ayant accouché (QF) ;

2- L’enquête EAPE (EEAPE), réalisée en ligne, comprenait un unique questionnaire, par voie informatique, destiné aux familles des enfants nés avant le premier confinement, similaire à celui de l’EPMI. Le lien informatique a été adressé par courriel aux parents le 4 novembre 2020 pour clôture le 18 novembre 2020.

Au total, les populations initiales incluaient respectivement pour l’EPMI, 809 enfants et 1 144 femmes, et pour l’EEAPE 4 185 enfants.

Données étudiées

Le recueil de données relatif aux enfants était similaire dans les deux enquêtes. Il regroupait des données sur les caractéristiques des familles, du logement et du nombre de personnes présentes, sur leur santé et sur l’accès à la prévention et aux soins. Pour les femmes enceintes ou accouchées, il comportait des données spécifiques au vécu et l’accès aux soins pendant la grossesse et les suites de couches. Les données recueillies étaient déclaratives. Le choix des items recueillis a pris en compte l’avis du HCSP du 17 avril 2020. Pour les données relatives à la santé et à l’accès à la prévention et aux soins, il était précisé dans chaque question qu’il s’agissait d’évènements survenus pendant le premier confinement.

Les données recueillies relatives au logement étaient le type de logement (individuel, hébergement dans un autre logement [dans la famille, chez des amis, des connaissances], hôtel social, centre d’hébergement, sans domicile) et le lieu du confinement (logement habituel ou non). À partir de ces données, pour répondre aux objectifs de cette étude, quatre populations d’analyse aux caractéristiques différentes ont été définies.

1- Pour l’EPMI, pour chacune des populations d’enquête (enfants ou femmes enceintes ou ayant accouché), les deux groupes d’analyse reposaient sur les caractéristiques du logement : « vécu du confinement dans son logement individuel habituel » et « vécu du confinement dans un logement très social », regroupant les familles hébergées en hôtel social, en centre d’hébergement et sans domicile.

2- Pour l’EEAPE, les deux groupes d’analyse reposaient également sur les caractéristiques du logement « vécu du confinement dans son logement individuel habituel » et « vécu du confinement dans un logement individuel autre que le logement habituel », regroupant les résidences secondaires ou l’hébergement chez des proches.

Les familles ayant répondu qu’elles avaient été hébergées et qu’elles avaient vécu le confinement en dehors de leur logement habituel correspondaient probablement à des familles parisiennes qui avaient quitté Paris pendant cette période et non à des familles précaires. Par conséquent, ces familles ont été exclues des analyses de l’EEAPE et de l’EPMI afin d’éviter la confusion.

Dans l’EEAPE, en raison d’un très faible effectif parmi les répondants, les familles ayant vécu le confinement dans un logement très social ont été exclues ; il en est de même pour les familles de l’EPMI ayant vécu le confinement dans un logement individuel qui n’était pas leur logement habituel.

Enfin, les enfants âgés de 3 à 6 ans ont été exclus des deux enquêtes car ils étaient peu nombreux et correspondaient à un public particulier. Pour les EAPE, il s’agissait d’enfants restant en crèche après l’âge de 3 ans par dérogation, du fait d’une difficulté de santé compromettant l’insertion scolaire.

Au total, 3 185 enfants de l’EEAPE et, pour l’EPMI, 500 enfants et 956 femmes ont été inclus dans l’analyse.

Stratégie d’analyse

Une analyse descriptive a été réalisée ainsi qu’une comparaison des différentes caractéristiques entre les deux populations définies pour chacune des enquêtes. Les taux de données manquantes sont présentés à partir de 5%.

Pour les analyses univariées, le test du Chi2 a été utilisé. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel Stata® (Stata Statistical Software : Release12 SE. College Station, TX, États-Unis, 2011).

Résultats

Les taux d’exhaustivité de participation des usagers aux enquêtes étaient respectivement de 23,2%, 49,0% et 58,5% pour respectivement l’EEAPE, le QE et le QF de l’EPMI.

Caractéristiques de la population

L’âge des enfants inclus était compris entre 7 mois et 2 ans. La fréquence des enfants de moins de 1 an était plus élevée dans l’EPMI que dans l’EEAPE (33,4% vs 9,7%). La part des femmes de moins de 25 ans semblait moins élevée dans l’EEAPE que dans l’EPMI (0,4% vs 7,4%) (données de l’EEAPE non présentées car effectif trop faible pour réaliser le test statistique). Dans l’EPMI, leur part était plus importante parmi les familles vivant dans un logement très social, pour le QE (12,8% vs 5,2% ; p<0,001) comme pour le QF (19,4% vs 2,4% ; p<0,001) (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des populations d’enquête, Paris
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Conditions du confinement

Dans l’EEAPE, plusieurs éléments suggèrent que le confinement a pu être vécu plus difficilement pour les familles : l’absence du conjoint (6,9%), la présence d’un seul adulte dans le logement (4,6%) et un logement d’une seule pièce (2,2%). L’ambiance globale dans le logement a été considérée comme « très bonne » ou « bonne » pour 74,4% des cas. Ces indicateurs étaient plus favorables pour les familles dans un logement individuel différent du logement habituel. Dans cette situation, la présence du conjoint était plus fréquente (95,6% vs 92,7% ; p=0,03), celle d’un adulte unique dans le logement moins fréquente (0,3% vs 5,2% ; p=0,001) et l’hébergement dans un logement d’au moins quatre pièces beaucoup plus fréquent (85,0% vs 25,9% ; p=0,001) (tableau 1).

Dans l’EPMI, les éléments suggérant que le confinement a pu être vécu plus difficilement pour les familles sont : l’absence du conjoint dans 19,1% (QF) à 27,6% des cas (QE), la présence d’un seul adulte dans le logement dans 19,0% des cas (QE) et un logement d’une seule pièce dans 9,5% (QF) à 14,5% des cas (QE). L’ambiance globale dans le logement a été jugée comme « très bonne » ou « bonne » par 65,7% des cas de QE et 66,8% des cas de QF. Ces indicateurs sont moins favorables pour les familles en logement très social. Pour les familles de QE, la présence du conjoint était moins fréquente (45,2% vs 83,1% ; p<0,001) et l’ambiance globale dans le logement moins souvent considérée comme « bonne » ou « très bonne » (47,0% vs 73,0% ; p<0,001). Pour les familles de QF ces résultats sont respectivement (51,0% vs 90,3% ; p<0,001) et (37,6% vs 76,3% ; p<0,001) (tableau 1).

La comparaison globale des indicateurs cités précédemment entre l’EPMI et l’EEAPE semble montrer que le confinement a été vécu plus difficilement par les familles de l’EPMI que par celles de l’EEAPE, ce qui est d’autant plus accentué par les données des différentes populations d’analyse.

Effets du confinement sur les déterminants de la santé et la santé des enfants

Dans l’EPMI, au moins 25% des parents ont déclaré un impact négatif sur leur enfant lié au premier confinement, qu’il s’agisse de l’augmentation du temps passé devant les écrans (37,4%), des difficultés pour obtenir les produits alimentaires (25,4%), de la modification de l’appétit (48,6%), d’une apparition de troubles du sommeil (29,5%), de difficultés rencontrées dans la relation avec les enfants (24,6%) et du vécu compliqué de la vie quotidienne (52,8%). À 5 mois du premier confinement, cet impact négatif persistait pour au moins 20% des enfants, voire jusqu’à plus de 30% pour certains indicateurs (exposition aux écrans et apparition de troubles du sommeil) (tableaux 2 et 3).

Tableau 2 : Caractéristiques de certains déterminants de la santé des enfants. Paris, premier confinement
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Tableau 3 : Conséquences du premier confinement sur la santé des enfants, Paris
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Parmi les familles en logement très social, certaines conséquences étaient plus fréquemment rencontrées que pour les autres familles : difficultés pour se procurer les produits alimentaires (42,3% vs 18,7% ; p<0,001), apparition de troubles du sommeil (36,6% vs 26,8% ; p=0,04), difficultés dans la relation avec l’enfant (34,1% vs 20,9% ; p=0,004) (tableaux 2 et 3).

Dans l’EEAPE, au moins 20% des parents ont déclaré un impact négatif sur leurs enfants survenu pendant le premier confinement, qu’il s’agisse de l’augmentation du temps passé devant les écrans (31,0%), de la modification de l’appétit (17,2%), d’une apparition de troubles du sommeil (25,5%), de difficultés rencontrées dans la relation avec les enfants (29,4%) et du vécu compliqué de la vie quotidienne (66,8%). À cinq mois du premier confinement, cet impact négatif persistait pour au moins 20% des enfants, et jusqu’à 38% en ce qui concerne les troubles du sommeil (tableaux 2 et 3).

Pour les familles n’ayant pas vécu le confinement dans leur logement habituel, la fréquence de certaines conséquences était plus faible : augmentation du temps d’écran (20,9% vs 32,5% ; p<0,001), vécu compliqué de la vie quotidienne (53,8% vs 68,6% ; p<0,001) (tableaux 2 et 3).

La comparaison de quelques conséquences du premier confinement entre ces deux enquêtes, montre que la perception d’une modification de l’appétit était moins fréquente parmi l’EEAPE que l’EPMI (17,2% vs 48,6% ; p<0,001), que l’apparition de troubles du sommeil était similaire (25,5% vs 29,5% ; p=0,07) et que la perception d’un vécu compliqué du quotidien avec l’enfant était plus fréquente dans l’EEAPE (66,8% vs 52,8% ; p<0,001).

Un retard observé dans le suivi préventif habituel a été rapporté pour au moins 33,7% des enfants de l’EPMI et 21,3% des enfants de l’EEAPE. Dans l’EEAPE, les motifs de ce retard étaient : « difficultés pour avoir un rendez-vous avec un médecin » (50,4%), « annulation du rendez-vous par le professionnel de santé » (42,1%), « peur de sortir du domicile » (36,4%) (tableau 4).

Tableau 4 : Conséquences du premier confinement sur l’accès aux soins des enfants, Paris
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Effets du confinement sur les déterminants de la santé et la santé des femmes enceintes

Parmi les femmes enceintes, 68,8% ont déclaré avoir été « particulièrement inquiètes » pendant cette période, en raison du risque d’être contaminée par la Covid-19 pour 84,8% d’entre elles, du risque de contaminer l’enfant (81,0%) et du fait des conditions d’accouchement (84,3%). Des prestations de santé ont été annulées pour 29,5% d’entre elles, avec des différences selon la parité, 33,9% parmi les primipares, 29,7% et 21% respectivement pour les 2e pares et 3e pares ou plus (données non présentées). Il s’agit principalement des consultations médicales et des séances de préparation à la naissance, dont la part diminue avec l’augmentation de la parité (données non présentées). Pour les femmes vivant en logement très social, la part des femmes « particulièrement inquiètes » était plus élevée (79,3% vs 65,7% ; p<0,001) et celle de femmes ayant annulé des prestations de santé moins élevée (22,5% vs 31,6% ; p<0,01) (tableau 5).

Tableau 5 : Conséquences du premier confinement sur la santé des femmes enceintes, Paris
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Discussion

La confrontation des résultats obtenus auprès de populations qui ont vécu le premier confinement dans des conditions différentes montre que, pendant cette période, l’ensemble du public a manifesté des troubles, mais à des degrés divers.

Les éléments permettant de s’assurer de la représentativité des populations incluses dans ces enquêtes par rapport aux populations accueillies dans les différentes structures ne sont pas disponibles. Cependant, les données relatives aux caractéristiques du confinement permettent de constituer des populations d’étude avec des profils socioéconomiques différents et de répondre à l’objectif fixé.

Profil sociodémographique des familles

Les populations constituées à partir des données des enquêtes ont des caractéristiques différentes. Les familles ayant vécu le confinement dans un logement très social sont les plus vulnérables. Les familles de l’EEAPE semblent avoir vécu le confinement dans de meilleures conditions et être plus favorisées. En effet, pour seulement 2,2% d’entre elles, le logement comportait une pièce unique et pour 33,1% au moins 4 pièces, contrairement aux familles de l’EPMI (respectivement 14,5% et 18,8%). Le conjoint était présent dans 93,1% des cas dans l’EEAPE contre seulement 72% pour l’EPMI. D’ailleurs, 74,4% des répondants de l’EEAPE ont déclaré que l’ambiance avait été « très bonne » ou « bonne » alors que pour l’EPMI, ce pourcentage était proche de 66%. Plusieurs éléments peuvent expliquer les différences entre les profils sociodémographiques. Dans l’EEAPE, cet écart a pu être accru par le mode de passation du questionnaire par mail, induisant un biais de sélection, et peut-être par une surreprésentation des familles avec une activité professionnelle des deux parents dans l’attribution des places en crèche. Pour l’EPMI, les publics vulnérables, y compris s’ils étaient hébergés de façon temporaire, étaient orientés vers la PMI et constituaient une part importante de la file active. Ils étaient également accueillis dans les EAPE municipaux mais en proportion plus faible par rapport à l’ensemble des familles accueillies.

Effets du confinement sur les déterminants de la santé et la santé des enfants

Pendant cette période, la part des enfants pour lesquels les conséquences sur la santé explorée ont été modifiées représentait au moins 20% de ceux de l’EEAPE et au moins 25% de ceux l’EPMI. L’augmentation du temps d’écran a été signalée pour presque 1/3 des enfants alors qu’il s’agissait d’enfants de 1 et 2 ans. Cette situation persistait encore pour 1/3 d’entre eux 5 mois après. Cette période a pu induire des habitudes risquant d’exposer de très jeunes enfants aux écrans.

Pour l’alimentation, une modification de l’appétit a été observée pour 17% des familles de l’EEAPE et 48,6% de celles de l’EPMI. L’écart entre ces populations est important. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces résultats : un stade de croissance différent lié à l’âge des enfants, une activité physique différente liée aux conditions de confinement et enfin des troubles liés à l’anxiété. Concernant les familles en logement très social, la difficulté d’obtenir des produits alimentaires (42,3%) s’explique probablement par le fait que les associations ont été immobilisées et n’ont plus assuré l’aide qu’elles apportaient auparavant, particulièrement au début du confinement, mais aussi par des baisses de revenus des populations concernées.

Quelle que soit la population cible des enquêtes, au moins 25% des enfants ont manifesté des troubles du sommeil, au moins 25% des difficultés dans la relation avec les parents. Enfin 52,9% des parents dans l’EPMI et 66% de ceux de l’EEAPE ont rapporté que le quotidien avec leur enfant avait été compliqué. Les difficultés rencontrées par les parents et leurs enfants pendant cette période, voire l’anxiété générée par cette situation, a pu aboutir à ces résultats. En effet, dès mars 2020, Santé publique France menait une étude en population générale montrant que la prévalence de l’anxiété était plus élevée en comparaison avec les données disponibles avant l’épidémie, notamment dans les populations précaires 2. De plus, pendant le confinement, les parents ont été mis en difficulté, non seulement en raison du stress dû à l’isolement social et aux incertitudes sur le futur, mais aussi du fait de l’augmentation de la demande liée à leur statut de parents 3,4 à la suite de la fermeture des structures d’accueil des enfants, qui a conduit certains à une détresse parentale 5. Parallèlement, les enfants ont aussi été exposés à des difficultés : changement de leur rythme journalier, moins de dépense physique et absence d’interaction avec d’autres enfants. Ces conséquences se sont probablement manifestées différemment selon les populations d’enquête. Pour les parents de l’EEAPE qui, pour beaucoup d’entre eux, travaillaient, la probable cogestion du télétravail et de la garde des enfants à domicile associées aux autres difficultés pourraient expliquer en partie ces résultats. Pour les familles de l’EPMI, globalement plus vulnérables, les conditions de vie participent à l’explication de ces résultats : difficultés pour obtenir les produits alimentaires, taille du logement, parent isolé, perte d’emplois précaires…

Enfin, dans l’EEAPE, la comparaison entre les deux populations a montré que le fait d’avoir vécu le confinement a priori en dehors de Paris, dans des logements plus spacieux, avec d’autres adultes, a pu réduire son impact sur la santé de l’enfant. En effet, une des difficultés de cette période pour les enfants parisiens a été le manque d’accès aux espaces extérieurs alors que les familles vivaient souvent dans des logements de petite taille et que les parcs publics étaient fermés.

À partir d’enquêtes auprès de populations d’enfants plus âgés (au moins 4 ans), plusieurs auteurs ont montré l’impact négatif du premier confinement sur les déterminants de la santé (activité physique, alimentation, temps passé devant les écrans) et sur la santé physique et mentale 6,7,8,9. Nous ne disposons pas de données similaires à celles que nous analysons sur des périodes antérieures permettant de comparer les périodes avant et pendant le confinement. Cependant, les données obtenues dans l’enquête vont dans le sens des résultats retrouvés dans la littérature.

Pendant cette période, les parents ont rapporté un retard dans le suivi préventif habituel de 33,7% dans l’EPMI et de 21,3% pour les enfants de l’EEAPE n’ayant pas changé de domicile. La différence entre ces deux populations peut s’expliquer en partie par la part des enfants âgés de moins de 1 an plus faible dans l’EEAPE (10,4%) que dans l’EPMI (34,4%). Ces résultats sont en lien avec la diminution de l’offre de soins en ville pendant cette période, notamment en PMI, avec la fermeture de centres et l’accueil du public uniquement sur rendez-vous.

La part des enfants avec un retard dans le suivi préventif était importante. Cependant, à partir de la déclaration des parents, la part des enfants avec une maladie chronique ou un handicap justifiant des soins était faible, respectivement 1,2% et 1,8% pour l’EPMI et de 0,6% et 1,8% pour l’EEAPE.

Pour les familles de l’EEAPE ayant vécu le confinement dans leur logement habituel, le motif « peur de sortir du domicile » avait une fréquence proche de celle des autres motifs en lien avec l’indisponibilité des professionnels de santé, ce qui renforce la démonstration de l’impact anxiogène de cette période sur les populations.

Effets du confinement sur les déterminants de la santé et la santé des femmes enceintes et accouchées

Parmi les femmes enceintes, plusieurs indicateurs révèlent le besoin de soutien et d’accompagnement de cette population. En effet, 68,8% d’entre elles ont rapporté avoir été « particulièrement inquiètes » et les prestations de santé annulées concernaient principalement des actes (consultations médicales, préparation à la naissance) qui leur auraient permis d’échanger sur leur grossesse. Les primipares ont été particulièrement touchées, avec l’arrêt des séances de préparation à la naissance (données non présentées).

Quelques données ont été recueillies auprès de femmes accouchées pendant le confinement. Elles semblent montrer un vécu difficile de l’accouchement et des suites de couches pendant cette période, mais les effectifs sont trop faibles pour exploiter ces données.

Ces données sur la grossesse et les suites de couches vont dans le sens de la littérature car plusieurs auteurs ont retrouvé une augmentation de l’anxiété et du risque de dépression du post-partum 10.

Évolution des modalités d’exercice des professionnels de PMI

Pour répondre aux besoins des familles pendant le premier confinement, les professionnels de PMI ont adapté leurs pratiques aux circonstances en développant de nouvelles modalités comme l’organisation d’entretiens téléphoniques par les puéricultrices avec les femmes sortant de maternité, l’organisation d’entretiens téléphoniques par les psychologues, l’élaboration de fiches de psychomotricité à destination des parents. Les résultats présentés, bien que portant sur un nombre limité d’effets, ont conduit le service de PMI à poursuivre sa réflexion sur l’adaptation des messages de prévention à destination des familles et sur la mise en place de nouvelles modalités d’exercice (téléconsultation, atelier parent-enfant en visioconférence, diffusion de documents de puériculture par Internet par exemple) pour renforcer le soutien à la parentalité et l’accompagnement des familles.

Limites de l’étude

L’étude comporte quelques limites. La méthodologie choisie pour l’EPMI, utilisant un auto-questionnaire, a permis la réalisation de l’enquête en limitant la mobilisation des professionnels et sans risquer d’influencer la réponse du public, mais elle a conduit à un taux de données manquantes important, notamment parmi les familles en situation de précarité. Plusieurs variables n’ont par conséquent pas été exploitées. Les enquêtes ayant été réalisées en octobre et novembre, soit cinq et six mois après la fin du confinement, les résultats pourraient être sous-estimés, les familles ayant alors repris une vie plus active.

Conclusion

Cette étude a montré que le premier confinement semblait avoir eu un impact globalement négatif sur la santé des enfants et femmes enceintes vus en PMI et accueillis dans les crèches de la Ville de Paris. La fréquence des impacts négatifs était différente selon les conditions dans lesquelles le confinement a été vécu et semble suivre un gradient social avec un impact plus élevé parmi les familles en logement très social et au contraire un impact plus faible pour les familles ayant vécu le confinement en dehors de leur logement habituel, probablement dans une résidence secondaire. Ces résultats alimenteront les réflexions des professionnels de PMI et des crèches pour adapter leurs actions auprès du public dans les circonstances de cette crise sanitaire.

Remerciements

Les auteurs remercient les professionnels de la DFPE pour leur investissement dans ce projet et les familles qui ont participé à ces enquêtes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Carayol M, Berraute E, Jung S, Ledour V, Merle S, Stark A, et al. Évaluation de l’impact perçu du premier confinement (17 mars-11 mai 2020) sur la santé des enfants et des femmes enceintes vus dans le service de Protection maternelle et infantile (PMI) et dans les crèches de la ville de Paris lors de la pandémie de Covid-19. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(Cov_10):2-12. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/Cov_10/2021_Cov_10_1.html