Troubles musculo-squelettiques liés au travail : nombre de cas évitables par l’application d’un scénario théorique de prévention

// Work-related musculoskeletal disorders: Number of avoidable cases by applying a theoretical prevention scenario

Natacha Fouquet1 (natacha.fouquet@santepubliquefrance.fr), Laurence Chérié-Challine2, Élise Rubion3, Alexis Descatha3,4, Yves Roquelaure3,4
1 Santé publique France, Univ Angers, Angers
2 Santé publique France, Saint-Maurice
3 Univ Angers, Univ Rennes, Inserm, EHESP, Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail) – UMR_S 1085, Angers
4 CHU Angers, Angers
Soumis le 02.06.2020 // Date of submission: 06.02.2020
Mots-clés : Troubles musculo-squelettiques | activité professionnelle | Risque attribuable | Prévention
Keywords: Musculoskeletal disorders | Professional activity | Attributable risk | Prevention.

Résumé

Introduction –

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) constituent la première cause de maladies professionnelles indemnisées en France. Les objectifs de l’étude étaient d’estimer d’une part le nombre de TMS évitables par l’application d’un scénario théorique de prévention visant à réduire de 10% le nombre de cas uniquement liés au travail, et d’autre part le niveau de réduction d’incidence de l’ensemble des cas de TMS équivalent à la réduction de 10% de l’incidence de ceux liés au travail.

Matériel-méthodes –

Les données étudiées concernent deux évènements traceurs chirurgicaux : le syndrome du canal carpien (SCC) pour les TMS du membre supérieur et la hernie discale (HD) pour les lombalgies, à partir du réseau de surveillance épidémiologique des TMS des Pays de la Loire. En utilisant la fraction de risque attribuable chez les exposés (FRAE), un scénario de prévention visant à réduire de 10% le nombre des cas liés au travail (IT-10%) a été simulé afin de déterminer le nombre de cas théoriquement évitables.

Résultats –

Parmi les secteurs à risque élevé de TMS, les FRAE à l’activité professionnelle par secteur variaient entre 21 et 57% pour le SCC et de 30 à 55% pour la HD. Le scénario IT-10% montrait son efficacité sur la réduction du nombre de cas liés au travail seulement pour les secteurs d’activité pour lesquels au moins la moitié des cas de TMS étaient attribuables à l’activité professionnelle, bien que cette efficacité soit relativement limitée à l’échelle régionale comme nationale.

Discussion-conclusion –

À l’exception des secteurs fortement à risque, il serait nécessaire pour réduire l’incidence des TMS, de mettre en œuvre des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, en plus d’actions relatives aux risques professionnels.

Abstract

Background –

Musculoskeletal disorders (MSD) are the leading cause of compensated occupational diseases in France. The objectives were to estimate the number of avoidable cases by simulating a theoretical prevention scenario designed to reduce work-related MSD, as well as the level of equivalence in terms of reducing the incidence of all MSDs cases.

Methods –

The data studied concern two surgical sentinel events: carpal tunnel syndrome (CTS), for the upper extremities MSD, and disc-related sciatica (DRS), for low back pain, from the epidemiological surveillance network of MSD in the Pays de la Loire region. Using the attributable risk fraction among exposed patients (AFE), a prevention scenario designed to reduce the number of work-related cases by 10% (WI-10%) was simulated, in order to determine the number of theoretically avoidable cases.

Results –

Among the high-risk sectors for MSDs, the professional AFEs by sector varied between 21 and 57% for CTS and from 30 to 55% for DRS. The WI-10% scenario showed its effectiveness in reducing the number of work-related cases only for the sectors of activity for which at least half of the MSD cases were attributable to work activity, although this effectiveness is relatively limited at regional level as at national level.

Conclusion –

Prevention efforts to reduce exposure to work-related risk factors should focus on high-risk jobs. Reducing MSD rates will also require integrated strategies to reduce personal risk factors, particularly in jobs with low levels of work-related risk of MSD.

Introduction

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) constituent un important problème de santé au travail, mais également de santé publique. Les TMS sont à l’origine de douleurs et gênes dans le travail et la vie quotidienne, de séquelles fonctionnelles parfois irréversibles, de réduction d’aptitude au travail et de risque de rupture de carrière professionnelle. Elles génèrent de ce fait un coût socio-professionnel important 1. En 2017, 42 349 cas de TMS des membres et du rachis ont été reconnus en maladies professionnelles en France, ce qui représente 87% des maladies professionnelles (MP) indemnisées 2.

Les TMS peuvent être qualifiés de « maladies liées au travail » selon la dénomination de l’OMS (work-related diseases), c’est-à-dire que « la nature, le milieu et les conditions de travail entrent pour une part importante dans l’étiologie des maladies multifactorielles, mais n’en représentent cependant que l’un des nombreux facteurs » 3.

Au début des années 2000, les données de réparation en MP constituaient la seule source d’information disponible en France pour décrire l’accroissement des TMS. Dans ce contexte, Santé publique France en collaboration avec l’Université d’Angers a mis en place en 2002 le réseau pilote de surveillance épidémiologique des TMS des Pays de la Loire 4,5. Il avait pour objectif de constituer un observatoire des TMS d’origine professionnelle, afin d’orienter la prévention et d’évaluer et améliorer les procédures de prise en charge au titre des maladies professionnelles 6. Dans ce cadre, le réseau pilote a surveillé dans les Pays de la Loire la fréquence des principaux TMS et leur part attribuable au travail, données ventilées selon les secteurs d’activité, les professions et tâches, ainsi que leur réparation en maladies professionnelles.

Les travaux d’estimation de la fraction de risque attribuable à l’activité professionnelle ont montré que le syndrome du canal carpien (SCC) était fortement lié à l’activité professionnelle 7, alors que la hernie discale (HD) semblait plutôt aggravée par l’activité professionnelle 8.

De nombreux facteurs de risque de TMS sont identifiés dans la littérature, d’origine personnelle ou professionnelle. Parmi les facteurs personnels, certains ne sont pas modifiables (âge, sexe, taille, susceptibilité génétique) et d’autres peuvent l’être par des interventions de prévention (consommation de tabac, activités domestiques, exercice physique…) et/ou médicales (obésité, diabète de type 2, arthrite…) 9,10. Les facteurs professionnels peuvent être modifiés par des interventions en milieu de travail 10,11,12, agissant notamment sur les facteurs de risque biomécaniques (mouvements répétitifs, vibrations, manutention manuelle de charges, flexion/torsion du poignet ou du tronc…) et les risques psychosociaux 12,13.

L’origine multifactorielle des TMS rend difficile la distinction entre la contribution relative aux facteurs personnels et professionnels individuels. Cependant, au niveau de la population, un nombre important de TMS est lié aux caractéristiques personnelles des travailleurs et à leur état de santé. La réduction de l’incidence des TMS parmi les travailleurs est une priorité pour les décideurs politiques en raison des coûts humains, sociaux et économiques 14. Ainsi, la lombalgie, par exemple, constitue un des six premiers problèmes de santé en termes de coûts 15. Elle génère en effet des coûts directs conséquents, liés aux recours aux soins médicaux et paramédicaux ainsi qu’aux procédures diagnostiques (évalués à 1,4 milliards d’euros, soit 1,6% des dépenses de santé), et surtout des coûts indirects (rentes, indemnités journalières, perte d’emploi,…) qui sont cinq à six fois plus importants 16.

Les interventions globales multi-composantes (IG), comprenant à la fois des interventions comportementales personnelles (IP) et des interventions techniques, ergonomiques et organisationnelles collectives (IT), sont considérées comme l’approche préventive la plus prometteuse pour les TMS chez les travailleurs 17,18. Cependant, les informations sur leur durabilité et leur efficacité pour réduire les facteurs de risque (prévention primaire) et/ou la durée des absences consécutives à un TMS (interventions secondaires/tertiaires) sont encore insuffisantes 19. Les connaissances concernant l’efficacité des IT et des IG pour réduire l’incidence des TMS sont encore insuffisantes 20. D’un point de vue théorique, les IG devraient être les plus efficaces puisqu’elles ciblent à la fois les TMS liés au travail, mais également ceux liés à des déterminants personnels 21. Cependant, nous manquons toujours d’informations sur les effets conjugués de la réduction des facteurs de risque professionnels et personnels des TMS lorsqu’ils sont combinés.

En l’absence d’études contrôlées comparant l’efficacité d’interventions de prévention en milieu de travail 17, nous avons mené des travaux basés sur l’utilisation des fractions de risque attribuable à l’activité professionnelle dont les objectifs étaient, d’estimer pour le SCC et la hernie discale :

le nombre de cas évitables par l’application d’un scénario théorique de prévention visant à réduire de 10% l’incidence de TMS liés au travail ;

le niveau de réduction de l’incidence de l’ensemble de cas de TMS équivalent à la réduction de 10% de l’incidence des TMS liés au travail, par la mise en œuvre d’interventions théoriques globales ciblant à la fois les facteurs personnels et professionnels.

Ces travaux doivent contribuer à orienter les stratégies de prévention les mieux adaptées à chacun des secteurs d’activité à risque.

Matériel-méthodes

Matériel

Les données étudiées concernent deux évènements traceurs :

1. le syndrome du canal carpien opéré, pour les TMS du membre supérieur ;

2. la hernie discale opérée, pour les lombalgies.

Elles sont issues du volet en population générale du réseau pilote de surveillance épidémiologique des TMS des Pays de la Loire. Elles ont été recueillies dans le cadre de deux études de surveillance épidémiologique. La première a été menée auprès des habitants du Maine-et-Loire de 20 à 59 ans opérés d’un SCC en 2002-2003 4 et la seconde parmi les habitants des Pays de la Loire de 20 à 64 ans opérés d’une HD en 2007-2008 8.

Pour chacun des évènements traceurs, le repérage des cas opérés a été réalisé à partir des bases de données hospitalières (PMSI). Un auto-questionnaire permettait de renseigner pour chaque cas, en complément de ces données médico-administratives, l’historique médical et professionnel des sujets 8,22.

Scénario théorique de prévention

Le scénario théorique de prévention étudié est une intervention mono-composante centrée sur le travail, ciblant uniquement les facteurs de risque de TMS liés au travail et dont l’objectif est une réduction de 10% des cas liés au travail (IT-10%). En l’absence de données précises dans la littérature, le niveau de 10% a été fixé de façon arbitraire, bien que ce niveau de baisse semble important et difficile à atteindre en pratique. Il est utilisé pour produire les estimations dans les secteurs d’activité à risque élevé de TMS.

Afin de juger de la pertinence de l’intervention dans les secteurs d’activité à risque de TMS, il a été nécessaire de déterminer le niveau de réduction de l’incidence de l’ensemble des TMS (liés au travail ou non) à atteindre pour obtenir un nombre de TMS évités par des interventions globales (IG), équivalent à celui obtenu par l’effet théorique d’IT-10%.

Analyse statistique

Les analyses ont été stratifiées sur le sexe et les indicateurs sont ajustés sur l’âge. Les analyses ont été mises en œuvre uniquement pour les secteurs « à risque élevé », c’est-à-dire présentant un risque relatif (RR) ajusté sur l’âge significativement supérieur à 1 (résultats non présentés dans les tableaux).

Pour ces secteurs, la fraction de risque attribuable chez les exposés (FRAE), qui représente la proportion de cas de TMS que l’on peut attribuer au fait de travailler dans un de ces secteurs d’activité à risque élevé parmi les cas qui surviennent chez les travailleurs de ce secteur, a été calculée :

Avec cette approche, exercer dans un secteur d’activité donné est assimilé à une exposition à un facteur de risque de TMS, avec une hypothèse causale en cas de relation statistique significative mise en évidence. Le secteur d’activité est utilisé comme proxy des expositions professionnelles à risque (biomécaniques, organisationnelles ou psychosociales) qui y sont liées.

Ensuite, des taux d’incidence (I) ont été calculés pour les secteurs à risque élevé de TMS. Le nombre total de TMS (n) dans le secteur considéré a été calculé en multipliant le nombre de travailleurs de ce secteur (N) par le taux d’incidence dans ce secteur (I). Le nombre de cas liés au travail (ntravail) a été calculé en multipliant le nombre total de TMS (n) par la FRAE dans le secteur considéré 23.

Pour le scénario théorique IT-10%, le nombre de cas évitables a été estimé en appliquant le niveau de réduction retenu (10%) au nombre de cas liés au travail. Le niveau de réduction théorique de l’incidence par la mise en œuvre d’interventions globales équivalent à IT-10% est calculé en rapportant le nombre de cas évitables liés au travail par IT-10% au nombre total de TMS.

La population de référence utilisée pour le calcul du nombre de cas théoriquement évitables était issue du recensement de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) des Pays de la Loire de 2009.

Enfin, afin de donner un ordre de grandeur au niveau national, une application du scénario IT-10% a été effectuée pour la France métropolitaine en utilisant les données de recensement national de 2009 et en faisant l’hypothèse que les FRAE régionales étaient applicables au niveau national, du fait que les taux de chirurgie pour le SCC ou la HD ainsi que la structure socioprofessionnelle, au niveau régional, sont comparables aux données nationales 24,25.

Résultats

Estimation du nombre de cas de SCC et HD dans les secteurs d’activité à risque élevé

Au total, six secteurs étaient ciblés comme à risque élevé de SCC (tableaux 1A et 1B), trois chez les hommes (construction, transports/entreposage, hébergement/restauration) et trois chez les femmes (agriculture, sylviculture/pêche, industrie manufacturière, santé humaine/action sociale). Pour ces secteurs à risque, le nombre de cas estimé globalement était de 1 786 [1 442-2 199] dont 78% chez les femmes, et de 511 cas liés au travail [378-687] dont 71% chez les femmes. La FRAE la plus élevée concernait pour les hommes le secteur de l’hébergement et restauration (57% [56-57]) et pour les femmes celui de l’agriculture/sylviculture/pêche (48% [47-49]).

Tableau 1A : Taux d’incidence, fraction attribuable de risque par secteur (FRAE) et nombres de cas de syndrome du canal carpien et de hernie discale estimés chez les femmes dans les Pays de la Loire
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Tableau 1B : Taux d’incidence, fraction attribuable de risque par secteur (FRAE) et nombres de cas de syndrome du canal carpien et de hernie discale estimés chez les hommes dans les Pays de la Loire
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Concernant la hernie discale (HD), quatre secteurs d’activité présentaient un risque élevé, représentant au total 277 [216-352] cas dont 53% chez les hommes, et de 98 [37-175] cas liés au travail dont 51% chez les femmes (tableaux 1A et 1B). Il s’agissait chez les hommes des secteurs de la construction et de l’information/communication, et, chez les femmes, du commerce de gros et de détail ainsi que des activités d’hébergement/restauration. La FRAE variait de 30% [15-43] dans la construction chez les hommes à 55% [35-69] pour le secteur de l’hébergement/restauration chez les femmes.

Estimation du nombre de cas de TMS potentiellement évitables dans les secteurs d’activité à risque élevé

Concernant le SCC

Réduire de 10% le nombre de cas de SCC liés au travail (IT-10%) dans les secteurs d’activité à risque élevé, revient théoriquement à éviter 51 [39-69] cas de SCC sur les 1 786 cas des six secteurs concernés soit 2,8% du nombre total de SCC survenant chez les hommes et femmes dans la région Pays de la Loire (tableaux 2A et 2B).

Tableau 2A : Nombres estimés de cas de syndrome du canal carpien et de hernie discale évitables avec le scénario de prévention de réduction de 10% le nombre de cas liés au travail (IT-10%) chez les femmes et niveau de réduction de l’ensemble des cas équivalent à IT-10%
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Tableau 2B : Nombres estimés de cas de syndrome du canal carpien et de hernie discale évitables avec le scénario de prévention de réduction de 10% du nombre de cas liés au travail (IT-10%) chez les hommes et niveau de réduction de l’ensemble des cas équivalent à IT-10%
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La réduction de 10% de l’incidence des cas de SCC liés au travail permet de réduire de 2,0% à 6,3% l’ensemble des cas de SCC survenant dans les six secteurs les plus impactés, le bénéfice le plus important concernant l’hébergement et la restauration chez les hommes (6,3%) et l’agriculture, sylviculture, pêche chez les femmes (4,8%).

À l’échelle de la France métropolitaine, réduire de 10% le nombre de cas de SCC liés au travail entrainerait une baisse, chez les femmes des trois secteurs les plus impactés, de 421 [323-532] cas dont 235 dans le secteur de la santé humaine et action sociale et, chez les hommes, de 198 [116-331] cas dont 104 dans la construction.

Concernant la HD

La réduction de 10% du nombre de cas de HD liés au travail permettrait d’éviter 10 [4-18] cas de HD, soit 3,6% des 277 cas de HD survenant dans les quatre secteurs à risque élevé chez les hommes et femmes dans la région Pays de Loire (tableaux 2A et 2B).

La réduction de 10% de l’incidence des cas de HD liés au travail permettrait d’éviter entre 3,0% et 7,1% de l’ensemble des cas de SCC survenant dans les quatre secteurs les plus impactés, le bénéfice le plus important concernant l’information/communication chez les hommes (7,1%) et l’hébergement/restauration chez les femmes (5,9%).

À l’échelle de la France métropolitaine, réduire de 10% le nombre de cas de HD liés au travail entrainerait, chez les femmes des trois secteurs les plus impactés, une baisse de 99 [39-175] cas et, chez les hommes, de 87 [29-163] cas dont 68 dans la construction.

Discussion-conclusion

Parmi les secteurs à risque élevé de TMS, les fractions attribuables à l’activité professionnelle par secteur variaient entre 21 et 57% pour le SCC et de 30 à 55% pour la HD. Cette étude a montré que le scénario théorique de réduction de 10% des cas de TMS liés au travail (IT-10%) montrait son efficacité sur la réduction du nombre de cas liés au travail seulement pour les secteurs d’activité pour lesquels au moins la moitié des cas de TMS étaient attribuables à l’activité professionnelle, bien que cette efficacité soit relativement limitée à l’échelle régionale comme nationale. Pour les autres secteurs, il semblerait plus pertinent de mettre en œuvre des interventions globales agissant à la fois sur les facteurs de risque professionnels mais également sur les déterminants personnels.

Les données de surveillance utilisées pour le calcul des TMS théoriquement évitables provenaient du programme de surveillance des TMS des Pays de la Loire, reconnu comme étant un des plus complets au niveau international 5,8.

L’utilisation d’indicateurs chirurgicaux présentait l’avantage de limiter le nombre de cas à explorer à partir du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Néanmoins, ceci conduisait également à sélectionner les affections les plus graves et à, ainsi, sous-estimer le nombre de TMS potentiellement évitables, puisque les cas traités uniquement médicalement étaient exclus de cette étude 6,16. De ce fait, bien que ces indicateurs aient montré leur pertinence en termes de surveillance épidémiologique [4,16], ils ne sembleraient pas totalement optimaux pour étudier l’ampleur des TMS théoriquement évitables par des interventions de prévention. Cependant, la proportion de SCC et HD faisant l’objet d’une intervention chirurgicale est inconnue en France, il est donc difficile d’évaluer cette sous-estimation.

Cette étude a permis une estimation du nombre de TMS évitables par l’application d’un scénario théorique de prévention visant à réduire de 10% l’incidence de TMS liés au travail au niveau national à partir de données régionales. La généralisation des données des Pays de la Loire à la France métropolitaine a été rendue possible par le fait que la structure socio-économique régionale est très proche du niveau national 26. De plus, les taux régionaux de chirurgie calculés pour ces pathologies étaient proches des chiffres métropolitains (données non présentées 24), ce qui suggère qu’aucune caractéristique régionale spécifique (relative au recours aux soins ou à la pratique médicale) ne pourrait, à première vue, expliquer les résultats de ces études.

Étant donné que la base de données du PMSI ne comporte pas de données relatives à l’activité professionnelle, les informations sur l’emploi des patients utilisées pour estimer les FRAE sont relativement anciennes : 2002-2003 pour le SCC et 2007-2008 pour la HD 4,8. Cependant, selon les données du recensement national, la répartition de la population active régionale par professions et par secteurs d’activité était comparable entre 2010 et 2015 27, suggérant ainsi que les résultats restent pertinents.

Le calcul des FRAE aux secteurs d’activité suppose un lien de causalité entre le fait d’exercer dans un secteur d’activité et le fait de développer un TMS. Il s’agit d’une hypothèse forte et pouvant être soumise à des facteurs de confusion non pris en compte, tels que les comorbidités (surpoids ou obésité, diabète…) favorisant la survenue d’un TMS 28 et pouvant être plus fréquentes dans les catégories sociales les moins avantagées. Le secteur d’activité est utilisé comme proxy d’expositions professionnelles qui ne sont pas mesurées directement, ce qui est à l’origine d’une approximation de l’intensité du lien entre ces facteurs sous-jacents et le TMS étudié.

Certains secteurs à risque très élevé de TMS, impliquant peu de travailleurs, n’ont peut-être pas été identifiés dans la présente étude en raison d’un manque de puissance statistique, ce qui contribuerait à sous-estimer le nombre de cas évitables par une intervention de prévention centrée sur le travail 22,29. Le calcul des cas de TMS théoriquement évitables supposait plusieurs hypothèses : la première étant le lien de causalité entre la survenue de TMS et l’activité professionnelle, et la seconde l’impact substantiel des interventions de prévention réduisant l’exposition aux facteurs de risque sur le lieu de travail 23. En effet, de nombreuses preuves biomécaniques et épidémiologiques plaident en faveur de relations causales entre l’exposition biomécanique au travail et les TMS 12, même si la proportion relative de cas imputables au travail est toujours en débat 11. Cependant, bien que la diminution de l’exposition aux facteurs de risque liés au travail soit supposée réduire l’incidence de TMS de 10% dans notre étude, les preuves d’un tel impact pour la prévention primaire des TMS restent rares 19.

Les interventions ergonomiques centrées sur le travail en prévention primaire comprennent l’adaptation ergonomique et organisationnelle du lieu de travail (équipements réduisant les expositions physiques, conception ergonomique du poste de travail, optimisation de l’organisation du travail, développement organisationnel, ergonomie participative...). Certaines interventions globales ajoutent à la composante travail diverses composantes d’interventions personnelles, telles que les programmes comportementaux sur le lieu de travail (par exemple, la promotion de la santé sociale, la prévention de l’obésité…) et les programmes d’éducation (sur la réduction des risques, par exemple) 30,31.

Les interventions en milieu de travail axées sur les facteurs de risque liés au travail permettaient d’éviter un plus grand nombre de cas dans les secteurs d’activité les plus à risque de TMS. Comme on pouvait s’y attendre, les interventions globales seraient plus efficaces dans les secteurs d’activité pour lesquels la part attribuable à l’activité professionnelle est faible, en supposant des effets additifs sur les cas liés à l’activité professionnelle et les cas liés à des facteurs personnels. Ceci est conforme aux résultats des revues systématiques rapportant des preuves prometteuses sur les interventions multiformes pour prévenir les TMS du membre supérieur 17,20 et les lombalgies 32,33. Un article récent souligne également la nécessité d’intégrer les interventions en matière de santé et de travail afin d’améliorer le maintien au travail et de réduire le fardeau économique et social lié à l’invalidité au travail 33. Cependant, la mise en œuvre de telles interventions globales à plusieurs composantes dans des pratiques de prévention réelles reste difficilement opérable 20 et leur efficacité pour réduire l’incidence des TMS est encore en débat 17.

Dans cette étude, la réduction théorique du nombre de TMS évitables par des interventions se concentrant uniquement sur les déterminants personnels n’a pas été évaluée, les changements théoriques sur les facteurs de risque personnels pouvant constituer l’élément essentiel des interventions à multiples facettes sur le lieu de travail 22,29. La combinaison des interventions sur des facteurs personnels et professionnels a été supposée permettre une réduction plus importante du nombre de TMS évitables que des interventions visant uniquement des facteurs personnels ou professionnels. À notre connaissance, nous manquons encore de données sur l’impact d’interventions globales pour estimer les effets communs et nous avons donc adopté un modèle additif simpliste.

Rappelons enfin que l’objet de cette étude était centré sur la prévention dans le milieu de travail uniquement, bien que des interventions visant à prévenir les TMS au niveau de la population générale méritent d’être étudiées. En effet, les campagnes médiatiques sur les TMS menées en population générale ont été déployées avec succès dans plusieurs pays 33, dont la France avec la campagne menée par l’Assurance maladie 34.

Conclusions

La prévention des TMS en lien avec le travail reste un problème important de santé publique 17.

Les scénarios théoriques reposant sur des actions exclusivement en milieu de travail, visant la réduction des facteurs de risque professionnels, semblent particulièrement pertinents dans les secteurs d’activité pour lesquels au moins la moitié des cas de TMS étaient attribuables à l’activité professionnelle.

La mise en œuvre de scénarios de prévention visant à réduire l’ensemble des cas, en agissant à la fois sur les facteurs personnels et sur les facteurs professionnels, est d’autant plus efficace dans les secteurs professionnels pour lesquels la fraction attribuable à l’activité professionnelle est faible.

Ainsi, dans la majorité des cas à l’exception des secteurs fortement à risque (très importante part de cas attribuable à l’activité professionnelle), il serait nécessaire pour réduire l’incidence des TMS, de mettre en œuvre des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, en davantage d’actions relatives aux risques professionnels.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Fouquet N, Chérié-Challine L, Rubion E, Descatha A, Roquelaure Y. Troubles musculo-squelettiques liés au travail : nombre de cas évitables par l’application d’un scénario théorique de prévention. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(3):49-56. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/3/2021_3_2.html