Les salariés affiliés au régime général, victimes d’accidents corporels de la circulation routière sur leurs trajets professionnels, selon le secteur d’activité en France en 2017

// Victims of work-related road traffic injuries in 2017 among private sector employees in France, by economic activity

Julien Brière1 (julien.briere@santepubliquefrance.fr), Chaheir Chabane2, Thierry Fassenot2, Blandine Gadegbeku3
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Caisse nationale d’assurance maladie – Direction des risques professionnels, Paris
3 Université Lyon, Université Gustave Eiffel, Ifsttar, Umrestte UMR_T9405, Lyon
Soumis le 04.06.2021 // Date of submission: 06.04.2021
Mots-clés : Accident de la circulation routière | Accident du travail | Accident de trajet | Sécurité sociale | Secteur d’activité
Keywords: Road traffic accident | Occupational injury | Commuting accident | Social insurance | Economic activity

Résumé

Introduction –

Les accidents corporels de la circulation routière au cours de l’activité professionnelle, première cause d’accidents mortels au travail, regroupent d’un côté les accidents de la route au cours d’une mission pour l’employeur et, de l’autre côté, les accidents de la route sur le trajet domicile-travail. L’objectif était d’identifier les secteurs d’activité les plus concernés par ce risque professionnel.

Méthodes –

Les données de réparation des accidents du travail du régime général de la Sécurité sociale de l’année 2017 ont été utilisées. Les victimes d’accidents routiers professionnels ont été identifiées parmi les victimes d’accidents du travail avec au moins quatre jours d’arrêt de travail grâce à un algorithme construit avec cinq variables descriptives de l’accident. Le nombre et l’indice de fréquence des accidents, au total et selon le secteur d’activité, ont été analysés séparément pour les accidents routiers en mission et sur le trajet domicile-travail.

Résultats –

Environ trois quarts des victimes étaient blessées sur le trajet domicile-travail (74%) et un quart en mission. Les secteurs d’activité identifiés comme les plus concernés par les accidents de mission étaient le transport routier de voyageurs et de fret, la collecte des déchets non dangereux, la restauration de type rapide, l’enseignement de la conduite, l’aide à domicile et les ambulances et, pour les accidents de trajet domicile-travail, la santé humaine et l’action sociale, certaines activités de commerce, la restauration et les centres d’appels.

Discussion –

L’étude a identifié des secteurs d’activité avec un nombre et une fréquence élevés d’accidents routiers professionnels qui pourraient être prioritaires pour cibler des actions de prévention. Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer ces résultats et prendre en compte l’exposition au risque routier (kilomètres parcourus, conditions de réalisation de ces déplacements et contraintes en lien avec le métier).

Abstract

Introduction –

Work-related road traffic injuries include accidents that occur during work and while commuting between home and work. They are the leading cause of fatal occupational injuries. The objective was to identify the economic activities most affected by this occupational risk.

Methods –

Workers’ compensation data for occupational injuries in 2017 were obtained from the French social insurance system. Victims of work-related road traffic injuries were identified among victims of occupational injuries who required at least four days of sick leave using an algorithm constructed with five descriptive variables of the accident. The number and rate of accidents, in total and according to economic activity, were analysed separately for accidents during work and commuting accidents.

Results –

Approximately three quarters of victims (74%) were injured in commuting accidents, one quarter during the course of work. The economic activities identified as most affected by accidents during work were freight and ground-passenger transportation, non-hazardous waste collection, fast-food restaurants, driving schools, domestic care services and ambulance services; for commuting accidents the activities most affected were healthcare and social assistance, certain retail sectors, restaurants and call centres.

Discussion –

The study identified economic activities with a high number and rate of work-related road traffic injuries, which could be determined as priority targets for prevention actions. Further studies would be useful to confirm these results and to account for exposure to road risk (number of kilometres travelled, driving conditions and constraints in connection with occupation).

Introduction

Les accidents corporels de la circulation routière au cours de l’activité professionnelle regroupent les accidents de la route survenant au cours d’un déplacement professionnel (mission pour l’employeur) et les accidents survenant sur le trajet entre le domicile et le lieu de travail. Dans ce qui suit, la dénomination « accident routier professionnel » sera utilisée.

Les accidents routiers professionnels sont la première cause d’accidents mortels au travail, en France 1,2,3,4,5 comme dans la plupart des pays industrialisés 6,7,8. Outre les décès, ces accidents peuvent avoir des conséquences graves pour la santé des salariés 9. Ils sont aussi facteurs de désorganisation pour les entreprises.

Le coût des accidents routiers professionnels est élevé. L’indemnisation des victimes des accidents routiers professionnels par le régime général de la Sécurité sociale (majorité des salariés du secteur privé) s’est élevée en 2019 à 607 millions d’euros (coûts médicaux et pharmaceutiques, indemnités journalières et capital décès des victimes d’accidents avec quatre jours d’arrêt et plus) 10. Une évaluation plus élevée du coût des accidents routiers a été calculée par la Sécurité routière. Elle prend en compte un plus grand nombre de composantes de coûts que celles prises en charge par le régime général et inclut l’ensemble des victimes d’accidents de la route en France (accidents sur un trajet professionnel et accidents sur un trajet privé) 11.

L’objectif de l’étude était d’identifier les secteurs d’activité avec les nombres et fréquences de victimes d’accidents routiers professionnels les plus élevés en France, en utilisant les données de réparation des accidents du travail du régime général de Sécurité sociale. Ces résultats sont indispensables pour permettre la mobilisation des branches professionnelles et, par leur intermédiaire, pour sensibiliser et former les salariés et les chefs d’entreprise et obtenir leur engagement dans l’évaluation du risque routier professionnel et sa prise en compte dans le document d’évaluation des risques 12,13,14.

Méthode

Définitions

D’après l’arrêté 97/704/CE du 30/11/1993 de la Commission européenne, l’accident routier corporel est défini par toute collision d’usagers impliquant au moins un véhicule en mouvement, circulant sur une voie publique normalement ouverte à la circulation et ayant provoqué une blessure et/ou le décès d’un ou de plusieurs usagers. Parmi ces accidents corporels, les accidents routiers professionnels regroupent les accidents au cours d’une mission pour l’employeur et les accidents de la route sur le trajet domicile-travail ou entre le lieu de travail et le lieu de restauration.

Un accident du travail est défini par le code de la Sécurité sociale (article L. 411-1) comme « un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ». Un accident routier au cours d’une mission pour l’employeur peut par conséquent être reconnu en accident du travail.

Un accident de trajet, pendant le trajet d’aller et de retour entre le domicile et le lieu de travail ou entre le lieu de travail et le lieu de restauration, est défini par la Sécurité sociale comme une catégorie particulière d’accident du travail (article L. 411-2). Seule une partie des accidents survenus au cours d’un déplacement sont des accidents routiers. Une chute de plain-pied sur le trottoir reconnu en accident de trajet par la Sécurité sociale, n’est pas un accident routier.

Données utilisées

Les données d’indemnisation des accidents du travail et de trajet du régime général (environ 85% de la population des salariés français) de l’année 2017 ont été utilisées. Ces données regroupent l’ensemble des accidents ayant donné lieu à un premier règlement d’indemnité(s) journalière(s) pour arrêt de travail ou un premier règlement d’un capital ou d’une rente suite à la reconnaissance d’une incapacité permanente ou d’un décès au cours de l’année 2017.

Indentification des accidents routiers professionnels dans les données d’indemnisation des accidents du travail et de trajet du régime général

L’identification des victimes d’accidents routiers en mission dans les données d’accidents du travail (non compris les accidents de trajet) du régime général repose sur un algorithme construit avec cinq variables descriptives des accidents du travail (type de lieu, activité spécifique de la victime au moment de l’accident, « déviation » qui a provoqué l’accident, agent matériel de la déviation et contact-modalité de la blessure). Cet algorithme, présenté dans l’annexe 1, a été mis au point avec la Direction des risques professionnels de la Caisse nationale d’assurance maladie et la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) de la région Auvergne.

L’identification des victimes d’accidents routiers sur le trajet domicile-travail dans les données d’accidents de trajet du régime général repose sur un deuxième algorithme présenté dans l’annexe 2.

Analyse restreinte aux accidents avec au moins quatre jours d’arrêt de travail

Les variables utilisées dans les deux algorithmes sont codées par le régime général uniquement pour les accidents du travail et de trajet occasionnant au moins quatre jours d’arrêt de travail. En conséquence, seuls les accidents routiers professionnels avec quatre jours d’arrêt ou plus ont pu être identifiés et analysés.

Indicateur de fréquence

L’indicateur utilisé est l’indice de fréquence, égal au nombre de victimes d’accidents routiers (en mission ou sur le trajet domicile-travail) divisé par l’effectif des salariés affiliés au régime général de l’année 2017 (exprimé pour 1 000 salariés).

Les effectifs de salariés sont enregistrés par le régime général pour chaque entreprise à partir des déclarations sociales nominatives des entreprises 15.

Plan d’analyses

Les analyses ont été menées séparément pour les accidents routiers en mission et sur le trajet domicile-travail. Les indicateurs portent toujours sur des victimes d’un accident, même si parfois l’intitulé de certains indicateurs fait référence à l’accident lui-même.

Trois indicateurs globaux ont été calculés pour les deux catégories d’accidents étudiées : le nombre de victimes, l’indice de fréquence et la part des accidents routiers dans les accidents du travail (ou de trajet) avec quatre jours d’arrêt ou plus.

Le secteur d’activité a été analysé selon la nomenclature d’activité française (NAF 2008) en 732 postes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 16. Pour les deux catégories d’accidents et pour chaque secteur d’activité, le nombre de victimes et l’indice de fréquence des accidents avec quatre jours d’arrêt ou plus ont été calculés. Les secteurs avec moins de cinq victimes ainsi que ceux soumis au secret statistique (1) 17 ont été exclus de l’analyse.

Résultats

Indicateurs globaux

En 2017, on dénombrait 51 489 victimes d’un accident routier professionnel avec quatre jours d’arrêt et plus dans les données d’accidents du travail et de trajet du régime général, dont 37 930 (74%) sur le trajet domicile-travail et 13 559 (26%) en mission pour l’employeur.

Les victimes d’un accident routier en mission représentaient 3,1% de l’ensemble des victimes d’un accident du travail. Les victimes d’un accident routier sur le trajet domicile-travail regroupaient 67,4% des victimes d’un accident de trajet.

Les hommes étaient majoritaires parmi les victimes d’un accident routier en mission (64% des victimes). Ils représentaient un peu plus de la moitié des victimes d’un accident routier sur le trajet domicile-travail (53%). Les jeunes (moins de 30 ans) étaient la classe d’âge qui comptait la proportion la plus élevée de victimes : 31% pour les accidents en mission et 39% pour les accidents sur le trajet domicile-travail.

L’indice de fréquence des accidents routiers en mission était trois fois moins élevé que l’indice de fréquence des accidents routiers sur le trajet domicile-travail (0,7 victime pour 1 000 salariés versus 2,0 victimes pour 1 000 salariés) (test du Chi2 de comparaison de deux proportions : p<0,001).

Secteurs d’activité avec les fréquences d’accidents routiers en mission les plus élevées

Au total, 265 secteurs d’activité comptabilisaient au moins 5 victimes d’un accident routier en mission en 2017. Parmi ces secteurs, seul le secteur « Activités de poste dans le cadre d’une obligation de service universel » était soumis au secret statistique, d’où son exclusion de l’analyse.

Les indices de fréquence des accidents routiers en mission des 264 secteurs d’activité analysés étaient compris entre 0,1 et 10,2 avec une médiane égale à 0,5 victime pour 1 000 salariés.

Les 20 secteurs avec les indices de fréquence les plus élevés (compris entre 2,4 et 10,2) sont présentés dans le tableau 1. Dans les activités de transport, 7 secteurs présentaient un indice de fréquence élevé et un nombre important de victimes (supérieur à 100 par an) : « Transports urbains et suburbains de voyageurs », « Transports routiers réguliers de voyageurs », « Autres transports routiers de voyageurs », « Transports routiers de fret de proximité », « Transports aériens de passagers », « Transports de voyageurs par taxis » et « Transports routiers de fret interurbains ». On observait également une fréquence élevée et un nombre important de victimes d’accident de mission (supérieur à 100 par an) dans la « Collecte des déchets non dangereux », la « Restauration de type rapide », « L’enseignement de la conduite », les « Ambulances » et « L’aide à domicile ».

Tableau 1 : Les 20 secteurs d’activité ayant les indices de fréquence des accidents corporels de la circulation routière en mission avec au moins quatre jours d’arrêt les plus élevés en France, en 2017 (année de paiement)
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Secteurs d’activité avec les fréquences d’accidents routiers sur le trajet domicile-travail les plus élevées

Au total, 492 secteurs d’activité comptabilisaient au moins 5 victimes d’un accident routier sur le trajet domicile-travail. Parmi eux, 2 secteurs étaient soumis au secret statistique : « Activités de poste dans le cadre d’une obligation de service universel » et « Centres de collecte et banques d’organes ». Ils ont donc été exclus de l’analyse.

Les indices de fréquence des accidents routiers sur le trajet domicile-travail des 490 secteurs d’activité analysés étaient compris entre 0,5 et 9,0 avec une médiane égale à 1,7 victimes pour 1 000 salariés.

Les 20 secteurs avec les indices de fréquence les plus élevés, compris entre 3,2 et 9,0, sont présentés dans le tableau 2. Dans les activités liées à la santé humaine et à l’action sociale, 4 secteurs présentaient un indice de fréquence élevé et un nombre important de victimes (supérieur à 100 par an) : « Aide à domicile », « Hébergement médicalisé pour adultes handicapés et autre hébergement médicalisé », « Hébergement social pour personnes âgées » et « Hébergement médicalisé pour personnes âgées ». Dans le commerce, la fréquence et le nombre d’accidents étaient également élevés dans 4 secteurs : « Boulangerie et boulangerie-pâtisserie », « Commerce et réparation de motocycles », « Commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé » et « Supermarchés ». Dans les activités de restauration, on observait une fréquence élevée et un nombre important de victimes d’accident dans la « Restauration traditionnelle » et la « Restauration de type rapide ». Enfin, dans les activités de services, la fréquence et le nombre d’accidents étaient élevés dans les « Activités de centres d’appels » et les « Autres services personnels non classés ailleurs ».

Tableau 2 : Les 20 secteurs d’activité ayant les indices de fréquence des accidents corporels de la circulation routière sur le trajet domicile-travail avec au moins quatre jours d’arrêt les plus élevés en 2017 (année de paiement)
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Discussion

Cette étude centrée sur les secteurs d’activité les plus concernés par le risque routier professionnel utilise les données de réparation des accidents du travail du régime général de la Sécurité sociale. Il existe une autre source de données nationale documentant les accidents routiers professionnels : les données des bulletins d’analyse des accidents corporels de la circulation (Baac) remplis par les forces de l’ordre lorsqu’elles se rendent sur le lieu d’un accident de la route. Ces données sont centralisées dans un fichier national des accidents géré par l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR). Elles font l’objet d’un rapport annuel, le bilan de la Sécurité routière en France, dans lequel un chapitre est dédié au risque routier professionnel 18. Les données des Baac et des régimes de sécurité sociale figurent également dans la publication annuelle « L’essentiel du risque routier professionnel » 4,5, qui est accompagnée d’un tableau de bord d’indicateurs nationaux construit avec les deux sources de données. Dans notre étude en 2017, 51 489 victimes d’un accident routier professionnel avec arrêt de quatre jours et plus étaient enregistrées, alors que dans les données Baac de la même année, le nombre de blessés liés à un accident professionnel était moins élevé (15 534) 4, les forces de l’ordre n’étant pas toujours alertées par les personnes impliquées dans l’accident, particulièrement en cas de blessures légères. Les données des Baac, à la différence de celles du régime général, ne contiennent pas d’information sur le secteur d’activité de la victime. En revanche, des données sur la catégorie socioprofessionnelle du conducteur (en neuf catégories) sont enregistrées par les forces de l’ordre.

L’étude a montré qu’environ trois quarts des victimes d’accidents routiers professionnels étaient blessées au cours d’un trajet domicile-travail, les accidents de mission étant moins nombreux avec un quart des victimes. Un résultat semblable a été observé dans une étude sur la construction d’indicateurs sur le risque routier professionnel à partir des données de l’année 2012 enregistrées par les forces de l’ordre 19.

Dans notre étude, les accidents routiers en mission touchaient davantage le transport routier de voyageurs, le transport routier de fret, la collecte des déchets non dangereux, la restauration de type rapide, l’enseignement de la conduite, l’aide à domicile et les ambulances. On retrouve la plupart de ces secteurs dans l’enquête Survey of Occupational Injuries and Illnesses (SOII) du Bureau of Labor Statistics aux États-Unis. Cette étude établit des taux d’incidence des accidents routiers impliquant des véhicules terrestres motorisés avec au moins un jour d’arrêt de travail (nombre d’accidents pour 10 000 travailleurs) par secteur d’activité selon la nomenclature North American Industry Classification System (NAICS) 20. Pour l’année 2018, elle montrait également des taux élevés dans les secteurs « 485000 – Transport en commun et terrestre de voyageurs » (59,1), « 484100 – Transport routier de fret » (25,2), « 562100 – Collecte des déchets » (34,8), « 621910 – Services d’ambulances » (29,9) et « 621900 – Autres services de soins de santé ambulatoires » (21,0). En revanche, le taux d’incidence du secteur « 722512 – Établissements de restauration à service restreint », qui comprend la restauration de type rapide, était peu élevé (3,8), quasiment équivalent au taux d’incidence tous secteurs d’activité confondus (3,4) 6.

Les accidents routiers domicile-travail présentaient un indice de fréquence élevé et un nombre important de victimes dans les activités de la santé humaine et l’action sociale, dans certaines activités de commerce (boulangerie, motocycles, commerce de détail de viandes, supermarchés), dans la restauration traditionnelle et de type rapide et dans les centres d’appels. Peu d’auteurs ont étudié le lien possible entre activité professionnelle et trajet domicile travail. Il existe également très peu d’études décrivant les accidents routiers sur le trajet domicile-travail en fonction du secteur d’activité. Dans une étude australienne, qui présente des résultats issus de l’appariement de données policières et d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles dans l’état de la Nouvelle-Galles du Sud sur la période 1998-2002 21, parmi les trois premiers secteurs avec les dénombrements les plus élevés d’accidents routiers domicile-travail, on trouvait également la santé et l’action sociale (13,2% des accidents) et le commerce de détail (11,3%).

L’étude a néanmoins plusieurs limites.

Certains accidents n’ont pas été pris en compte :

les accidents qui n’ont pas fait l’objet d’une déclaration d’accident du travail au régime général, sans que l’on puisse en évaluer leur nombre. Plusieurs facteurs de sous-déclaration peuvent être évoqués du fait de l’employeur ou du salarié comme la crainte d’une perte d’emploi ou encore dans certains cas l’absence d’avantage financier. Toutefois, le rapport de la commission instituée par l’article L 176-2 du code de la Sécurité sociale estimait, dans sa dernière occurrence de 2017 22, que la sous-déclaration des accidents du travail ne devait concerner pour l’essentiel que des accidents du travail sans arrêt de travail, pour une enveloppe de dépenses annuelle d’environ 100 M€, soit environ 2% des prestations versées par le régime général pour les accidents du travail. Il faut rappeler que la non-déclaration d’un accident du travail est une infraction au code de la Sécurité sociale pour laquelle l’employeur est passible de sanctions ;

les accidents occasionnant moins de quatre jours d’arrêt de travail, non soumis au processus de codification des accidents et donc dépourvus de variables descriptives ;

les accidents de travailleurs relevant d’un autre régime de Sécurité sociale (régime agricole, fonctionnaires, régimes spéciaux de salariés, travailleurs indépendants), soit environ 7 millions de travailleurs 4. Parmi les travailleurs indépendants, les artisans et les commerçants ont un risque élevé d’accidents routiers en mission 23.

Il en résulte une sous-estimation du nombre réel d’accidents routiers professionnels.

En outre, les deux algorithmes utilisés pour repérer les accidents de circulation parmi les accidents du travail et de trajet sont imparfaits. Parmi les accidents de circulation repérés par les algorithmes, certains peuvent se révéler ne pas être de « réels » accidents de circulation (on y trouve à titre d’exemple des accidents de chantier impliquant des véhicules de transport). D’après les résultats d’un test de qualité des algorithmes réalisé par la Carsat Auvergne, environ 75% des accidents de mission repérés par l’algorithme seraient des « vrais » accidents de la circulation ; ce ratio atteint près de 100% pour les accidents de circulation identifiés parmi les accidents de trajet. D’autre part, certains accidents routiers professionnels reconnus par le régime général peuvent ne pas avoir été identifiés par l’algorithme.

Le calcul de l’indice de fréquence par secteur d’activité prend en compte l’ensemble des salariés du secteur, qu’ils soient amenés à se déplacer et donc exposés au risque routier ou non. L’interprétation de cet indicateur doit donc être réalisée avec prudence. En effet, il serait nécessaire de ne prendre en compte que les salariés effectivement concernés par les déplacements et donc exposés au risque (par exemple, dans un secteur d’activité dans lequel seules les équipes commerciales travaillent principalement sur la route, il serait idéalement nécessaire d’isoler ces salariés). La mesure du risque effectif obtenue en rapportant le nombre d’accidents enregistrés au cours de l’année au nombre de personnes exposées (le nombre de salariés qui, au cours de l’année considérée, se sont déplacés en lien avec le travail), ou plus précisément au nombre d’heures passées par ces salariés sur la route ou encore au nombre de kilomètres parcourus constituerait un indicateur très intéressant. Toutefois, ces données, qui diffèrent probablement de manière importante entre les « professionnels de la route » comme les routiers et les « professionnels sur la route », qui effectuent épisodiquement des trajets routiers pour leur employeur, ne sont pas disponibles dans les informations enregistrées par le régime général. L’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) du ministère du Travail donne des chiffres d’exposition à la conduite des salariés par secteur NAF, mais à un niveau d’agrégation des secteurs d’activité plus large que dans notre étude 24. L’indice de fréquence présente cependant l’intérêt, en rapportant les nombres d’accident à des heures de travail ou des effectifs de salariés, de quantifier le poids de ces accidents dans la population au travail. Il peut ainsi être utilisé à des fins de surveillance mais également pour orienter la prévention. Le suivi au cours du temps de cet indicateur devrait permettre d’orienter les mesures de prévention et de gestion vers les secteurs d’activité les plus concernés ou dont les tendances sont à la hausse, puis d’en évaluer les impacts a posteriori.

Conclusion

L’étude a permis d’identifier des différences en termes de fréquence et de répartition des accidents routiers professionnels en fonction du secteur d’activité de la victime. Ces résultats pourront contribuer à la construction d’actions de prévention avec les branches professionnelles les plus concernées par le risque routier professionnel. Ils suggèrent de prioriser des actions de prévention pour les accidents de mission, dans le transport routier de voyageurs et de fret, la collecte des déchets non dangereux, la restauration de type rapide, l’enseignement de la conduite, l’aide à domicile et les ambulances et, pour les accidents de trajet domicile-travail, dans les secteurs santé humaine et action sociale, certaines activités de commerce (boulangerie, motocycles, commerce de détail de viandes, supermarchés), la restauration traditionnelle et de type rapide et les centres d’appels. Les facteurs de risque des accidents routiers professionnels identifiés dans la littérature doivent également être pris en compte pour dégager des axes de prévention tels que : la pression temporelle, la fatigue, le fait de penser à son travail pendant la conduite 25 ou encore les horaires de travail imposés par la hiérarchie, des ordres contradictoires, des difficultés avec la hiérarchie ou le public consécutives au fait d’être en retard 26.

Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer ces résultats et pour prendre en compte l’exposition aux risques (kilomètres parcourus, conditions de réalisation de ces déplacements et contraintes en lien avec le métier) à partir d’autres sources de données. Néanmoins, le suivi au cours du temps de ces indicateurs devrait permettre d’orienter la prévention notamment dans le cadre des travaux du groupe risque routier professionnel du plan santé travail. Les analyses présentées ici et leur actualisation à l’avenir pourront compléter les chiffres clés sur ce risque professionnel publiés chaque année par ce groupe de travail (publication « L’essentiel du risque routier professionnel (2) ») 4,5.

Remerciements

Les auteurs remercient Céline Ménard de Santé publique France et Pascal Jacquetin de la Direction des risques professionnels de la Caisse nationale d’assurance maladie pour leur relecture de l’article, ainsi que la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Auvergne pour sa contribution à la mise au point de l’algorithme de repérage des victimes d’accidents routiers en mission et sur le trajet domicile-travail dans les données d’accidents du travail et de trajet du régime général.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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2 Brière J, Chevalier A, Imbernon E. Surveillance of fatal occupational injuries in France: 2002-2004. Am J Ind Med. 2010;53(11):1109-18.
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17 Guide du secret statistique. Montrouge: Institut national de la statistique et des études économiques; MAJ 2021. 10 p. https://www.insee.fr/fr/information/1300624
18 La sécurité routière en France. Bilan de l’accidentalité de l’année 2017. Paris: Observatoire national interministériel de sécurité routière; 2018. 192 p. https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/etat-de-l-insecurite-routiere/bilans-annuels-de-la-securite-routiere/bilan-2017-de-la-securite-routiere
19 Brière J, Gadegbeku B, Smaïli S, Charbotel B. Mise au point d’indicateurs nationaux de surveillance des accidents de circulation routière liés au travail. Étude exploratoire à partir des données enregistrées par les forces de l’ordre, comparaison avec les indicateurs construits avec les données des régimes de Sécurité sociale, et sélection d’une liste d’indicateurs pertinents à produire régulièrement sur ce champ. Saint-Maurice: Santé publique France; 2016. 74 p. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/mise-au-point-d-indicateurs-nationaux-de-surveillance-des-accidents-de-circulation-routiere-lies-au-travail.-etude-exploratoire-a-partir-des-donnee
20 North american industry classification system – United States 2017. Washington: Executive 0ffice of the President of the United States – Office of Management and Budget. https://www.census.gov/naics/
21 Boufous S, Williamson A. Work-related traffic crashes: a record linkage study. Accid Anal Prev. 2006;38(1):14-21.
22 Rapport de la commission instituée par l’article L. 176-2 du code de la Sécurité sociale – Juin 2011. Paris: ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé; 2011. 171 p. http://www.annuaire-secu.com/pdf/rapport-commission-diricq2011.pdf
23 Charbotel B, Martin JL, Chiron M. Work-related versus non-work-related road accidents, developments in the last decade in France. Accid Anal Prev. 2010;42(2):604-11.
24 Fort E, Ndagire S, Gadegbeku B, Hours M, Charbotel B. Working conditions and occupational risk exposure in employees driving for work. Accid Anal Prev. 2016;89:118-27.
25 Salminen S, Lähdeniemi E. Risk factors in work-related traffic. Transportation Research Part F. 2002;5(1) 77-86.
26 Fort E, Pourcel L, Davezies P, Renaux C, Chiron M, Charbotel B. Road accidents, an occupational risk. Safety Science. 2010;48(10):1412-20.

Citer cet article

Brière J, Chabane C, Fassenot T, Gadegbeku B. Les salariés affiliés au régime général, victimes d’accidents corporels de la circulation routière sur leurs trajets professionnels selon le secteur d’activité en France en 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(17):313-20. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/17/2021_17_2.html
Annexe 1 :
Algorithme de repérage des victimes d’accidents corporels de la circulation routière en mission dans les données d’accidents du travail du régime général

L’algorithme repère trois différents groupes d’accidents de circulation en mission :

Groupe 1 : Accidents sur la voie publique avec activité de conduite ou présence dans un moyen de transport

Groupe 2 : Piétons accrochés par un véhicule

Groupe 3 : Autres cas d’accidents de circulation

Annexe 2 :
Algorithme de repérage des victimes d’accidents corporels de la circulation routière sur le trajet domicile-travail dans les données d’accidents de trajet du régime général

L’algorithme repère trois différents groupes d’accidents de circulation sur le trajet domicile-travail :

Groupe 1 : Accidents sur la voie publique avec activité de conduite ou présence dans un moyen de transport

Groupe 2 : Piétons accrochés par un véhicule

Groupe 3 : Piétons accrochés par un véhicule

(1) Les secteurs soumis au secret statistique sont ceux avec moins de trois entreprises, ou ceux dans lesquels une entreprise du secteur regroupe plus de 85% des effectifs salariés du secteur.