Pronostic à court et long terme des syndromes coronariens aigus avec et sans sus-décalage du segment ST chez les sujets âgés de 35 à 74 ans dans trois zones françaises : résultats du registre populationnel MONICA

// Short- and long-term prognosis between ST-elevation and non-ST-elevation myocardial infarction among patients aged 35 to 74 years old, in three areas of France: Insights from the MONICA registry

Frédéric Bouisset1,2, Samantha Huo Yung Kai2, Jean Dallongeville3, Marie Moitry4,5, Michèle Montaye3, Katia Biasch4, Jean Ferrières1,2 (jean.ferrieres@univ-tlse3.fr)
1 Fédération de cardiologie, Centre hospitalier universitaire de Toulouse, Toulouse
2 Service d’épidémiologie, Inserm UMR 1295, Toulouse
3 Institut Pasteur de Lille, Service d’épidémiologie et de santé publique, Inserm-U1167, Lille
4 Faculté de médecine, Service d’épidémiologie et de santé publique, Université de Strasbourg, Strasbourg,
5 Service de santé publique, Université de Strasbourg, Strasbourg
Soumis le 15.04.2021 // Date of submission: 04.15.2021
Mots-clés : Syndrome coronarien aigu | Cardiopathie ischémique | Pronostic | MONICA
Keywords: Acute coronary syndrome | Ischaemic heart disease | Prognosis | MONICA

Résumé

Introduction –

Les données disponibles comparant le pronostic à long terme des différents types de syndrome coronarien aigu (SCA) sont limitées et anciennes. L’objectif de notre étude était de comparer les pronostics vitaux à court et long terme dans le SCA avec et sans sus-décalage du segment ST (SCA ST+ et SCA non-ST+) au moyen des données du registre populationnel contemporain MONICA (Multinational monitoring of trends and determinants in cardiovascular disease).

Méthodes –

Les sujets âgés de 35 à 74 ans, présentant un SCA inaugural au cours de l’année 2006 et habitant dans l’une des trois zones de France couverte par le registre MONICA ont été inclus (départements du Bas-Rhin, de la Haute-Garonne et Communauté urbaine de Lille). Les données sur la présentation clinique, la prise en charge et le statut vital, à court (28 jours) et long terme (10 ans), en fonction du type de SCA (SCA ST+ et SCA non-ST+) ont été recueillies.

Résultats –

Un total de 1 822 sujets présentant un SCA inaugural, 1 121 (61,5%) SCA ST+ et 701 (38,5%) SCA non-ST+, ont été inclus en 1 an. À 28 jours de suivi, les taux de mortalité étaient respectivement de 6,7% et 4,7% (p=0,09) pour les SCA ST+ et non ST+. Après ajustement sur les facteurs confondants potentiels, la probabilité de décès à 28 jours était significativement inférieure pour les SCA non-ST+ (OR=0,58, IC95%: [0,36-0,94] p=0,03). À 10 ans de suivi, les taux de mortalité étaient respectivement de 19,6% et 22,8% (p=0,11) pour les SCA ST+ et non ST+. Après ajustement sur les facteurs confondants potentiels, la probabilité de décès à 10 ans n’était pas significativement différente entre les SCA ST+ et non-ST+ (HR=1,07, IC95%: [0,83-1,38] p=0,59). Au cours de la première année de suivi, le taux de mortalité global de la population était de 7,2%, puis diminuait et se stabilisait à 1,7% par an de la 2e à la 10e année au décours du SCA initial.

Conclusion –

Les SCA ST+ ont un plus mauvais pronostic vital à 28 jours que les SCA non-ST+. Cependant, à 10 ans de suivi, SCA ST+ et SCA non-ST+ ont un pronostic vital identique.

Abstract

Introduction –

Available data comparing long-term prognosis according to the type of acute coronary syndrome (ACS) are scarce, contradictory and outdated. Our aim was to compare short- and long-term mortality in ST-elevated (STEMI) and non-ST-elevated (non-STEMI) ACS patients through the contemporary population-based registry MONICA (Multinational monitoring of trends and determinants in cardiovascular disease).

Methods –

Patients aged 35-74 presenting an inaugural ACS during the year 2006 and living in one of the three areas of France covered by the MONICA registry were included (Haute-Garonne, Bas-Rhin and the urban community of Lille). Data on presentation, management, and vital prognosis over the short- and long-term (28 days vs 10 years) according to the type of ACS (STEMI vs non-STEMI) were recorded.

Results –

A total of 1,822 cases of inaugural ACS – 1,121 (61.5%) STEMI and 701 (38.5%) non-STEMI – were included in the study over 1 year. At 28-day follow-up, mortality rates were 6.7% and 4.7% (p=0.09) for STEMI and non-STEMI patients, respectively, and after adjustment on potential confounding factors, the 28-day probability of death was significantly lower for non-STEMI ACS (OR=0.58, CI95%: [0.36-0.94] p=0.03). At 10-year follow-up, the death rates were 19.6% and 22.8% (p=0.11) for STEMI and non-STEMI, respectively, and after adjustment on potential confounding factors, the 10-year probability of death did not significantly differ between non-STEMI and STEMI events (OR=1.07 [0.83-1.38] p=0.59). During the first year, the mortality rate was 7.2%; it then decreased and stabilized at 1.7% per year between the 2nd and 10th year following the initial ACS.

Conclusion –

STEMI patients have a worse vital prognosis than non-STEMI patients within the 28 days following the ACS. However, at 10-year follow-up, STEMI and non-STEMI patients have similar vital prognosis.

Introduction

Les syndromes coronariens aigus (SCA) sont classés en deux catégories en fonction de l’électrocardiogramme initial (ECG) : syndrome coronarien avec sus-décalage du segment ST (SCA ST+) et syndrome coronarien sans sus-décalage du segment ST (SCA non-ST+) 1. Ces deux catégories ont la même origine physiopathologique : dans la plupart des cas, au décours d’une rupture ou d’une érosion de plaque d’athérome vulnérable, un thrombus se forme au niveau d’une artère coronaire 2. Une occlusion complète de la coronaire conduit en général à un SCA ST+ 1, alors qu’une occlusion partielle, ou en présence d’une circulation collatérale, conduit généralement à un SCA non-ST+ 3. L’atteinte athéromateuse compliquée d’un événement thrombotique aigu, telle que décrite ci-dessus, conduit à un infarctus du myocarde de type 1. L’infarctus du myocarde de type 2 résulte, pour sa part, d’un déséquilibre entre les apports et les besoins en oxygène du myocarde, avec ou non une pathologie athéromateuse coronaire sous-jacente 4.

Parmi les précédentes études comparant le pronostic vital des deux types de SCA, un grand nombre étaient limitées par une durée de suivi relativement courte ou le manque d’ajustement sur les facteurs confondants potentiels 5,6,7,8. Celles pour lesquelles la durée de suivi était suffisamment longue rapportaient des résultats discordants. De plus, ces études ont été conduites dans les années 1990 ou au début des années 2000. La prise en charge du SCA depuis lors s’étant considérablement améliorée, modifiant potentiellement le pronostic vital à long terme 9,10,11,12, il apparaît essentiel de disposer de données actualisées.

La présente étude repose sur les données du registre contemporain populationnel français MONICA (Multinational monitoring of trends and determinants in cardiovascular disease), qui inclut prospectivement chaque cas de SCA survenu dans l’une des trois zones de France métropolitaine couvertes par ce registre. À partir de ces données, l’objectif était de comparer la présentation clinique initiale, la prise en charge, ainsi que le pronostic vital à court (28 jours) et long terme (10 ans) des SCA ST+ et non-ST+.

Méthodes

Population et critères d’inclusion

Au cours de l’année 2006, tous les patients âgés de 35 à 74 ans hospitalisés pour un premier épisode de SCA dans l’une des trois zones géographiques de France métropolitaine couvertes par le registre MONICA (départements du Bas-Rhin, de la Haute Garonne et Communauté urbaine de Lille) ont été inclus 13,14. Seuls les sujets sans antécédents personnels de coronaropathie (SCA ou syndrome coronarien chronique) ont été analysés. Il s’agit d’un registre de population basé sur un recueil d’informations, actif et réalisé par les membres de l’équipe du registre. Chaque mois, tous les comptes rendus et courriers de sortie correspondant à des patients potentiellement atteints de SCA sont sélectionnés à partir des registres d’admission des différents services. Cette recherche est réalisée dans les services des urgences (Samu, Smur, services de porte), de cardiologie, de chirurgie cardiovasculaire, de réanimation polyvalente ou spécifique, de médecine interne à orientation cardiologique et de réadaptation fonctionnelle. L’ensemble des cliniques privées et établissements publics, centre hospitalier universitaire (CHU) et centre hospitalier général (CHG) sont inclus. Les certificats de décès sont également examinés. Ils sont sélectionnés lorsqu’ils font mention d’une cause (initiale, immédiate ou associée) cardiovasculaire (y compris une cause vasculaire cérébrale ou périphérique), d’un facteur de risque cardiovasculaire, de mort subite, brutale ou bien de cause indéterminée ou d’absence de causes. Chaque certificat sélectionné fait ensuite l’objet d’une enquête complémentaire dans les dossiers médicaux des établissements de soins ou auprès des médecins (signataires des certificats de décès ou médecins généralistes) avec remplissage d’un questionnaire.

Recueil de données

La présentation clinique initiale, les caractéristiques de l’ECG, les marqueurs de nécrose myocardique (CPK, CK-MB ou troponine), la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) et la prise en charge invasive (coronarographie ± revascularisation myocardique par angioplastie ou pontages aorto-coronaires) étaient systématiquement recueillis prospectivement, à partir des données du dossier médical du patient. Un recueil complet des traitements médicamenteux avant le SCA, au cours de l’hospitalisation et à la sortie de l’hôpital, était également réalisé pour chaque sujet.

Les patients étaient classés en deux catégories : SCA ST+ et SCA non-ST+. Un SCA était classé comme SCA ST+ s’il présentait un ECG qualifiant, c’est-à-dire : soit un sus-décalage du segment ST ≥1 mm sur au moins deux dérivations périphériques contiguës, soit un sus-décalage du segment ST ≥2 mm sur au moins deux dérivations précordiales contiguës, soit une onde Q présumée non préexistante, soit un bloc de branche gauche complet de novo. Un SCA était classé comme non-ST+ s’il ne remplissait pas les critères de SCA ST+, en présence d’une élévation significative des marqueurs de nécrose myocardique.

Chacun des trois registres est validé régulièrement par le Comité national des registres et a reçu l’accord formel de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Suivi des patients

Pour chaque sujet inclus, le statut vital était collecté à 28 jours, puis chaque année jusqu’au 31 décembre 2015, au moyen du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP).

Analyse statistique

En première approche, les principales caractéristiques des patients en fonction du type de SCA présenté ont été décrites et comparées en analyse bivariée. Les variables catégorielles ont été comparées au moyen du test de Chi2 (ou du test exact de Fischer si nécessaire). Le test de Student a été employé pour comparer les variables continues dont la distribution était normale (le test de Mann et Whitney a été employé lorsque la distribution des variables n’était pas normale ou lorsque l’hypothèse d’homoscédasticité des variances était rejetée). Tous les tests étaient bilatéraux et un test était considéré comme statistiquement significatif pour une valeur de p inférieure à 0,05.

L’analyse de survie a par la suite été réalisée à 28 jours et 10 ans. Les taux de létalité ont été calculés et les courbes de survie pour la mortalité toutes causes ont été tracées au moyen de la méthode de Kaplan-Meier et comparées en utilisant le test du log-Rank.

Les associations entre les caractéristiques à l’inclusion et la survenue du décès ont été étudiées au moyen de modèles de régression logistique pour le suivi à 28 jours, et de modèles de Cox pour le suivi à 10 ans, afin de réaliser un ajustement sur les facteurs confondants potentiels. Les modèles de Cox ont été construits sur deux populations pour le suivi à 10 ans : l’une incluant l’ensemble des sujets de l’étude, l’autre excluant les sujets décédés dans les 28 premiers jours. Toutes les analyses statistiques ont été réalisées sur les logiciels de statistiques SAS® (SAS 9.4 Institute, Cary, NC, États-Unis) et STATA® 14.2 (StataCorp, TX, États-Unis).

Résultats

Au total, 1 822 sujets âgés de 35 à 74 ans présentant un SCA inaugural ont été inclus au cours de l’année 2006. Parmi ces sujets, 1 121 présentaient un SCA ST+ (61,5%) et 701 un SCA non-ST+ (38,5%). La proportion d’hommes dans le groupe SCA ST+ était de 78,2%, significativement plus élevée que dans le groupe SCA non-ST+ (73,2%, p=0,02). L’âge moyen était de 56,6±10,4 ans dans le groupe SCA ST+ et de 60,3±9,9 ans dans le groupe SCA non-ST+ (p=0,001) (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des patients en fonction du type de syndrome coronarien aigu. Registre MONICA, France, 2006-2016
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Le taux de recours aux médicaments à visée cardiovasculaire et aux procédures de revascularisation était significativement différent entre les groupes de SCA ST+ et SCA non-ST+ (tableau 2). Dans le groupe SCA ST+, la prescription d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et le recours à la revascularisation par angioplastie étaient significativement plus fréquents que dans le groupe SCA non-ST+. À l’inverse, les médicaments inhibiteurs calciques, inhibiteurs de l’angiotensine 2 et la revascularisation par pontages aorto-coronaires étaient significativement plus utilisés dans le groupe SCA non-ST+.

Tableau 2 : Prise en charge thérapeutique et statut coronarien des patients en fonction du type de syndrome coronarien aigu. Registre MONICA, France, 2006-2016
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En ce qui concerne le traitement de sortie, on notait une proportion significativement plus importante de patients recevant un traitement par antiagrégants plaquettaires, bêtabloquants et statines dans le groupe SCA ST+, comparativement au groupe SCA non-ST+, alors qu’un plus petit nombre d’entre eux recevaient un traitement par inhibiteurs calciques et inhibiteurs de l’angiotensine 2. La proportion de patients recevant à la sortie la quadrithérapie préventive (antiagrégants plaquettaires, bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou antagonistes de l’angiotensine II et statines) était significativement (p<0,001) plus élevée dans le groupe SCA ST+ (68,6%) que dans le groupe SCA non-ST+ (54,6%). Enfin, la prescription d’une rééducation cardiovasculaire était deux fois plus fréquente au décours d’un SCA ST+ que d’un SCA non-ST+ (44,7% vs 22,6%, p=0,001).

Les associations entre les caractéristiques cliniques et paracliniques initiales des sujets et leur risque de décès au cours du suivi sont présentées dans le tableau 3.

Tableau 3 : Facteurs prédictifs de décès en fonction de la période de survenue de celui-ci. Registre MONICA, France, 2006-2016
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Durant les 10 ans de suivi, 380 sujets (20,8%) sont décédés. Dans les 28 premiers jours, 108 (5,9%) sont morts (6,7% dans le groupe SCA ST+ vs 4,7% dans le groupe SCA non-ST+, p=0,09), et 272 au-delà (soit 15% : 13,9% dans le groupe SCA ST+ et 19,0% dans le groupe SCA non-ST+, p=0,005) (tableau 1).

Qu’il s’agisse du suivi à court ou long terme, les patients vivants dans la communauté urbaine de Lille et le Bas-Rhin avaient un risque de décès plus élevé que ceux résidant en Haute-Garonne. L’âge, les signes cliniques de gravité à l’admission (arrêt cardiaque, choc cardiogénique, score Killip ≥2 et syncope), une FEVG basse (<35%) et la prise antérieure de traitements à visée cardiovasculaire étaient significativement associés à un risque accru de décès dans les 28 jours.

Au cours du suivi à long terme, et après exclusion des sujets décédés dans les 28 premiers jours, l’âge élevé et les signes cliniques de gravité à l’admission restaient significativement associés à un sur-risque de décès. Au contraire, une FEVG conservée (≥50%), la prescription du traitement recommandé en post-SCA à la sortie et la réalisation d’une réadaptation cardiovasculaire au décours de l’épisode aigu étaient associés à une meilleure survie.

Le taux de mortalité globale élevé (7,2%) observé au cours de la première année de suivi semblait résulter en grande partie d’une mortalité élevée au cours des 28 premiers jours (figure 1). Au-delà, le taux de mortalité annuel restait relativement faible, de l’ordre de 1 à 2% par an, et légèrement supérieur dans le groupe SCA non-ST+.

Figure 1 : Taux de mortalité annuelle au cours du suivi en fonction du type de syndrome coronarien aigu (SCA). Registre MONICA, France, 2006-2016
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Comme présenté dans la figure 2, le risque de décès dans les 28 jours était plus élevé dans le groupe SCA ST+ (figure 2A). En revanche, le risque de décès des patients SCA ST+ devenait plus faible par la suite, et ceci était plus marqué lorsque les patients décédés dans les 28 premiers jours étaient exclus des analyses (figure 2B).

Figure 2 : Survie cumulée de la population en fonction du type de syndrome coronarien aigu (SCA). Registre MONICA, France, 2006-2016
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Le tableau 4 présente les comparaisons réalisées sur la mortalité entre les sujets SCA ST+ et SCA non-ST+ lors du suivi à court et à long terme. Au cours des 28 premiers jours, le fait de présenter un SCA non-ST+ était significativement associé à un risque moins élevé de décès en comparaison au groupe SCA ST+, avec un OR (odds ratio) de 0,69 (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [0,45-1,05]). Après ajustement sur l’âge, le genre, et la zone géographique, ce sur-risque restait significatif avec un OR de 0,58 [0,38-0,89], p=0,02). L’ajustement complémentaire sur les signes de gravité à l’admission, la prise préalable de traitements à visée cardiovasculaire et la FEVG menait au même résultat (OR=0,58 [0,36-0,94], p=0,03).

Au-delà de 28 jours, le risque de décès dans le groupe SCA non-ST+ était plus élevé que dans le groupe SCA ST+, avec un HR (Hazard ratio) de 1,41 (IC95%: [1,11-1,49], p=0,005). Après ajustement sur l’âge, le genre, et la zone géographique, la différence n’était plus significative (HR=1,12 [0,88-1,42], p=0,43). Ceci persistait après un ajustement complémentaire sur les signes de gravité à l’admission, la prise préalable à l’évènement de traitements à visée cardiovasculaire, la FEVG et la prescription d’une rééducation cardiovasculaire : HR=1,07 [0,83-1,38], p=0,59.

Tableau 4 : Comparaisons brutes et ajustées de la survie des patients en fonction du type de syndrome coronarien aigu et de la période de survenue du décès. Registre MONICA, France, 2006-2016
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Discussion

Cette étude comparait les caractéristiques cliniques, la prise en charge et le pronostic vital à court et long terme des patients présentant un SCA ST+ et un SCA non-ST+, sur une cohorte de 1 822 sujets habitant dans l’une des trois zones de France métropolitaine couvertes par le registre MONICA. À 28 jours de suivi, le pronostic vital est significativement plus sombre pour les patients ayant présenté un SCA ST+. Au-delà de la première année suivant le SCA index, au cours de laquelle il était de l’ordre de 7%, le taux de mortalité décroissait et se stabilisait aux alentours de 2% par an, soit à un taux comparable à celui habituellement observé chez les patients porteurs d’une coronaropathie stable (ou syndrome coronarien chronique). À 10 ans, il était similaire dans les deux types de SCA.

Caractéristiques cliniques et prise en charge

Dans cette cohorte, les différences habituellement observées entre les populations de SCA ST+ et SCA non-ST+ étaient retrouvées : les patients atteints de SCA non-ST+ étaient plus âgés, plus fréquemment des femmes et présentaient des lésions coronaires plus diffuses. Ces deux populations différaient également par leur prise en charge hospitalière. En effet, les patients admis pour SCA non-ST+ bénéficiaient moins souvent d’une exploration invasive par coronarographie (89,3% vs 94,8%, p<0,001) et d’une revascularisation myocardique par angioplastie coronaire (58,5% vs 76,6%, p<0,001). Par ailleurs, ils recevaient également à ce stade moins de traitement par statines (81,2% vs 85,1%, p=0,03) et inhibiteurs de l’enzyme de conversion (61,2% vs 73,8%, p=0,001).

Après la phase hospitalière, les patients ayant présenté un SCA non-ST+ étaient deux fois moins nombreux à bénéficier d’une réadaptation cardiovasculaire que ceux ayant présenté un SCA ST+.

Dans la mesure où les différences listées ici sont de nature à influencer le pronostic vital, il était essentiel, pour comparer la survie entre ces deux types de SCA, de procéder à des ajustements sur ces paramètres afin d’obtenir une comparaison valide.

Suivi à court terme (28 jours)

Dans cette étude, les taux de mortalité brute à 28 jours étaient de 6,7% et 4,7% pour les SCA ST+ et non-ST+, respectivement. Ces résultats sont concordants avec ceux retrouvés en France à la même époque dans le registre national FAST MI 15. Après ajustement complet sur les variables d’intérêt, le risque de mortalité à court terme restait significativement plus faible de 42% dans le groupe des SCA non-ST+ (OR=0,58 [0,36-0,94], p=0.03). Ce résultat a été rapporté par le passé dans plusieurs études 12,16,17 et pourrait être attribuée à une plus grande fréquence des complications de l’infarctus du myocarde lors des évènements ST+. En effet, le choc cardiogénique 18 et les complications mécaniques de l’infarctus 19, bien que rares, sont plus fréquemment rapportés dans le SCA ST+ et sont associés à un taux de mortalité très élevé 18,19.

Suivi à long terme (1 et 10 ans)

À un an de suivi, les taux de mortalité étaient de 7,5% et 6,6% pour les SCA ST+ et non-ST+, respectivement. Au-delà de cette première année, ils s’abaissaient à 1,6% chez les sujets SCA ST+, contre 2,1% chez les patients SCA non-ST+. Ces taux sont concordants avec ceux relevés aux Pays-Bas 20 et en Suède 21 sur des cohortes de patients ayant présenté un SCA traité par angioplastie coronaire et rejoignent le taux de mortalité attendu dans la population des patients porteurs de maladie coronaire stable 22. Ceci conforte la théorie selon laquelle les sujets ayant présenté un SCA peuvent être considérés comme stabilisés un an après leur évènement coronarien aigu, intégrant ainsi la population des coronariens stables.

À dix ans de suivi, la comparaison des taux de mortalité des deux types de SCA montre, après ajustement complet sur les potentiels facteurs confondants, un risque de décès similaire. Les précédentes études rapportaient des résultats contradictoires, certaines suggérant que les SCA non-ST+ avaient un pronostic plus sombre 12, alors que d’autres suggéraient l’inverse 10. Les résultats rapportés ici, qui ne retrouvent pas de différence à long terme sur le pronostic vital, semblent néanmoins cohérents, car ces deux formes nosologiques (ST+ et non-ST+) relèvent du même processus physiopathologique. Le choix du modèle d’ajustement pour la comparaison apparaît essentiel, dans la mesure où les sujets ayant présenté un SCA non-ST+ sont notamment significativement plus âgés, ceci expliquant potentiellement une large part de la différence de mortalité brute observée entre les deux types de SCA. Ici, la présentation clinique initiale a également été prise en compte dans le modèle d’ajustement, car il a été démontré que celle-ci est un facteur pronostic indépendant de la survie, quel que soit le type de SCA 23.

Les résultats sur les registres MONICA présentés ici, qui retrouvent après ajustement un pronostic vital similaire entre SCA ST+ et non-ST+, reflètent le fait que ces formes syndromiques sont deux facettes de la même pathologie. En effet, les facteurs de risque sous-jacents et les mécanismes physiopathologiques sont communs aux deux formes de SCA 24. Il est donc cohérent qu’elles aient, une fois l’épisode aigu passé et toutes choses égales par ailleurs, le même pronostic vital à plus ou moins long terme. De plus, la frontière entre ces deux formes nosologiques est mouvante : les recommandations de la Société européenne de cardiologie, qui suggèrent de réaliser en urgence une coronarographie aux patients présentant un SCA non-ST+ avec une douleur persistante à l’admission 25, traduisent le fait qu’une proportion significative de sujets ne présentant pas de sus-ST à l’ECG ont néanmoins une occlusion complète d’une coronaire épicardique importante. Ainsi, l’ECG qualifiant qui classe le patient dans l’une ou l’autre des formes de SCA ne semble pas toujours prédictif du caractère complet de l’occlusion coronaire. La définition du SCA ST+ est d’ailleurs un concept qui a évolué : les dernières recommandations européennes y ont inclus l’apparition d’un bloc de branche droit de novo, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors.

Enfin, bien que notre étude ait inclus des sujets relativement jeunes (moins de 75 ans), le taux de mortalité observé à 10 ans est assez élevé (20,8%). Ceci souligne le fait que, malgré les progrès réalisés dans la prise en charge du SCA au cours des dernières années, tant à la phase aiguë de la prise en charge qu’au cours du suivi, cette pathologie demeure sérieuse, avec des conséquences notables en termes pronostiques.

Forces et limites

Les registres MONICA ne contiennent pas d’information sur le niveau de fonction rénale et les facteurs de risques cardiovasculaires des sujets, et n’incluent que les patients âgés de 35 à 74 ans. Par ailleurs, seule la mortalité toutes causes a pu être étudiée. La force de cette étude est l’exhaustivité du recueil assuré par les registres MONICA qui, contrairement à la plupart des précédentes études ayant comparé le pronostic des patients présentant un SCA ST+ et non-ST+, incluent tous les sujets, quel que soit leur service d’hospitalisation, leurs comorbidités et le mode de revascularisation choisi.

Conclusion

Dans cette étude en population, le pronostic à court terme des patients présentant un SCA ST+ est plus sombre que celui des patients avec un SCA non-ST+. Après la première année, marquée par une forte mortalité, celle-ci se stabilise et rejoint la mortalité observée chez les patients porteurs d’une pathologie coronaire stable. Les différences observées initialement sur le pronostic entre les deux types de SCA s’effacent progressivement avec le temps, pour devenir similaires après 10 ans de suivi.

Financement

Le projet MONICA est conduit avec le soutien financier de Santé publique France, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’Institut Pasteur de Lille.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Bouisset F, Huo Yung Kai S, Dallongeville J, Moitry M, Montaye M, Biasch K, et al. Pronostic à court et long terme des syndromes coronariens aigus avec et sans sus-décalage du segment ST âgés de 35 à 74 ans dans trois zones françaises : résultats du registre populationnel MONICA. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(15):266-74. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/15/2021_15_1.html