Écarts entre corpulence déclarée et corpulence mesurée dans les études de surveillance en population en France
// Differences between self-reported and measured anthropometric data in population-based surveillance in France
Résumé
Le surpoids et l’obésité sont des facteurs de risque majeurs des maladies non transmissibles. Leur prévalence doit être régulièrement évaluée, afin d’adapter au mieux les politiques de santé publique et les programmes de prévention. Les études de surveillance épidémiologiques s’appuient pour ce faire sur des données mesurées (gold standard) ou déclarées. L’objectif de cette étude était d’estimer les écarts entre les données anthropométriques déclarées et celles mesurées dans la population générale française, d’élucider les facteurs associés à ces écarts et de mesurer leurs éventuelles évolutions au cours du temps.
Les analyses ont été effectuées sur un échantillon de 2 429 adultes âgés de 18 à 74 ans, inclus dans l’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban 2014-2016), et disposant de données anthropométriques déclarées et mesurées. Des régressions linéaires simples et multivariées ont été réalisées, afin de déterminer les associations entre l’écart d’indice de masse corporelle (IMC) et différentes variables sociodémographiques. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus précédemment dans l’Étude nationale nutrition santé (ENNS 2006-2007).
De manière générale, en 2016, les hommes et les femmes sous-déclaraient leur poids et sur-déclaraient leur taille, ce qui conduisait à une sous-estimation de l’IMC de l’ordre de -0,41 chez les hommes et de -0,79 chez les femmes. Comme en 2006, l’écart de l’IMC entre données déclarées et mesurées était significativement associé à l’IMC mesuré, les écarts étant plus importants chez les personnes en surpoids ou obèses. En 2016, les écarts variaient également avec la situation matrimoniale des individus ce qui n’était pas le cas auparavant.
Les résultats mettent en évidence l’existence d’une sous-estimation de la prévalence de l’obésité dans le cadre de l’utilisation de données de poids et taille déclarées. Les écarts entre données déclarées et mesurées et les facteurs associés varient au cours du temps ce qui justifie la réalisation de mesures anthropométriques effectives et régulières dans les enquêtes de surveillance épidémiologique.
Abstract
Overweight and obesity are major risk factors for non-communicable diseases. Their prevalence must be regularly assessed in order to adapt public health policies and prevention programs. Monitoring anthropometrics is based on measured (gold standard) or self-reported data. The objective of this study was to estimate the discrepancies between self-reported and measured anthropometric data in the general French population, as well as factors associated with these discrepancies and possible changes over time.
Analyses were carried out on a sample of 2,429 adults aged 18 to 74 years, included in the Esteban study (2014-2016) and having both self-reported and measured anthropometric data. Simple and multivariate linear regressions were conducted to determine associations between the BMI gap and various socio-demographic factors. The results were compared with those obtained previously in the ENNS study (Nutrition and Health Study 2006-2007).
Overall, in 2016, men and women underreported their weight and overreported their height, leading to an underestimation of BMI of -0.41 for men and -0.79 for women. As in 2006, the BMI gap, between self-reported and measured data, was significantly associated with measured BMI, with greater differences in overweight or obese individuals. In 2016, the differences also varied with marital status, which was not the case before.
The results highlight an underestimation of the prevalence of obesity when using self-reported weight and height data. Differences between self-reported and measured data and associated factors vary over time, justifying effective and regular anthropometric measurements in epidemiological surveillance surveys.
Introduction
Le surpoids et l’obésité sont un fléau mondial qui ne cesse de prendre de l’ampleur. L’obésité peut engendrer plusieurs complications au niveau de la santé, notamment le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, les cancers, ou encore des maladies articulaires 1. En 2016, ce ne sont pas moins de 1,9 milliards d’adultes dans le monde qui étaient en surpoids, dont plus de 650 millions étaient obèses (ce qui représente 13% de la population mondiale) 1. En France, depuis 2006, la prévalence de l’obésité s’est stabilisée à 17% chez les adultes 2. Il est important d’évaluer régulièrement la prévalence du surpoids et de l’obésité dans la population au regard de son enjeu majeur en matière de santé. La surveillance de la corpulence constitue par ailleurs un outil de monitoring des politiques publiques mises en place, et l’étude régulière des facteurs associés aux différents niveaux de corpulence permet de cibler les programmes de prévention.
Ces prévalences s’obtiennent généralement chez les adultes par la mesure de l’indice de masse corporelle (IMC). Le gold standard d’une telle méthode dans des enquêtes en population repose sur le recueil de données de poids et taille mesurées, selon des procédures standardisées. Toutefois, de nombreuses études épidémiologiques utilisent des données anthropométriques déclarées, afin d’approcher cette prévalence. En effet, les études basées sur les données déclarées ont l’avantage d’être peu onéreuses et plus simples à mettre en œuvre, les données pouvant être collectées par simple entretien. Elles peuvent de ce fait être réitérées plus régulièrement que les études réalisant des mesures de corpulence effectives et standardisées. Il convient néanmoins de s’interroger sur la fiabilité des données déclarées par rapport aux données mesurées.
Bien que quelques études considèrent les données déclarées comme fidèles à la réalité et très peu différentes des données mesurées 3,4, la majorité d’entre elles ont toutefois mis en évidence des différences notables, malgré la présence d’une corrélation forte entre les données déclarées et mesurées 5,6,7,8,9. Ces considérations ne sont pas négligeables, puisque des déclarations anthropométriques erronées entraînent de fait une mauvaise estimation de l’IMC, d’où une mauvaise classification des individus dans les catégories d’IMC, faussant ainsi les prévalences de surpoids et d’obésité. Une récente revue de littérature a rapporté que les données déclarées étaient généralement sujettes à une sous-déclaration du poids et une sur-déclaration de la taille 7. Ces biais de déclaration seraient notamment plus importants chez les personnes en surpoids ou obèses 9,10. Les études analysant les écarts entre les données anthropométriques déclarées et mesurées ont également montré qu’il existait des différences selon le sexe ou encore l’âge des participants 8,9,11,12. Par ailleurs, la question de l’évolution de ces écarts et de ces biais de déclaration se pose. Certaines études ont montré que les biais de déclaration du poids et de la taille étaient restés stables durant les 20 dernières années 13,14, quand d’autres mettent en évidence des différences d’évolution du biais de déclaration du poids 15,16.
En France, une première analyse s’était déjà intéressée en 2010 17 aux biais de déclaration du poids et de la taille chez les adultes en population générale à partir des données de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS, 2006-2007). Les résultats avaient mis en évidence une sous-déclaration du poids et une sur-déclaration de la taille, conduisant à une sous-estimation des prévalences de surpoids et d’obésité. Cette sous-estimation était associée à l’âge, ainsi qu’au poids et à la taille mesurés des sujets. L’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban, 2014-2016) a permis d’actualiser les données de corpulence de la population française, selon les mêmes procédures standardisées que dans ENNS. La production de données de poids et de taille mesurées et déclarées permet ainsi de s’intéresser aux biais de déclaration et à leurs effets sur l’estimation des prévalences de surpoids et d’obésité, 10 ans après les travaux réalisés dans ENNS. L’objectif de cet article est donc de réitérer ces analyses sur les données d’Esteban, afin d’étudier la nature et l’importance des biais de déclaration entre corpulence mesurée et déclarée, ainsi que l’évolution de ces biais au cours du temps.
Méthode
Recueil des données
L’étude Esteban est une étude transversale nationale réalisée sur un échantillon aléatoire de la population générale française âgée de 6 à 74 ans. Elle fait suite à l’étude ENNS, réalisée en 2006-2007 18. Le recrutement s’est effectué entre avril 2014 et mars 2016 selon un plan de sondage aléatoire à trois degrés (tirage au sort des unités primaires (UP), des ménages, puis des individus au sein de ces ménages). Le taux de participation a été de 43% 19. Cette étude comportait une enquête par questionnaires (administrés en face à face et auto-administrés), une enquête alimentaire et un examen de santé. À l’inclusion, une visite à domicile était effectuée par un enquêteur. Ce dernier administrait un questionnaire permettant de recueillir les données sociodémographiques, ainsi que les données de poids et taille déclarées. Les participants étaient informés que des mesures de poids et de taille seraient effectuées lors de l’examen de santé.
L’examen de santé était réalisé dans un Centre d’examen de santé (CES) de l’Assurance maladie ou à domicile par un infirmier diplômé. Les mesures de poids et taille ont été effectuées avec du matériel dédié à l’étude, par des personnes formées aux méthodes standardisées de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 20. Les sujets ont tous été pesés en sous-vêtements à l’aide d’une balance électronique (SECA 803 Clara) à 0,1 kg près et mesurés à l’aide d’une toise portative (Leicester Tanita HR 001) à 1 cm près.
Analyses statistiques
Les données anthropométriques déclarées et mesurées ont été arrondies au 0,5 kg ou au cm près. L’IMC a été obtenu en divisant le poids (kg) par le carré de la taille (m²), respectivement à partir des données déclarées (IMC déclaré) et mesurées (IMC mesuré). Les sujets ont été répartis dans les classes d’IMC définies par l’OMS (IMC<18,5 : insuffisance pondérale ; 18,5≤IMC<25 : corpulence normale ; 25≤IMC<30 : surpoids ; IMC≥30 : obésité). Les écarts de poids (∆ poids), de taille (∆ taille) et d’IMC (∆ IMC) rendent compte de la différence entre les données déclarées et mesurées. Une valeur positive signifie que les données ont été sur-déclarées et une valeur négative signifie qu’elles ont été sous-déclarées.
Pour les analyses réalisées sur les données d’Esteban (2014-2016), le plan de sondage complexe de l’étude a été pris en compte, en particulier dans l’estimation des variances et des intervalles de confiance à 95% (IC 95%) en utilisant la fonction « svyset » sous le logiciel Stata® (V14). Les analyses statistiques ont été réalisées avec des données redressées, en utilisant les pondérations correspondant à l’examen de santé (plusieurs jeux de pondérations ont en effet été calculés dans Esteban, au regard des effectifs de participants aux différentes étapes de réalisation de l’étude, et en se calant sur les données du recensement de la population de 2012 relatives à l’âge, le sexe, le niveau de diplôme, le fait d’être en couple ou pas et dans un foyer avec ou sans enfant). Les comparaisons par sexe, âge et niveau de corpulence ont été testées au moyen du Chi2 de Pearson avec correction de Rao-Scott pour tenir compte du plan de sondage complexe.
Pour la comparaison des écarts et des biais de déclaration entre ENNS (2006-2007) et Esteban (2014-2016), les analyses ont été réalisées sur des données brutes, hommes et femmes confondus, à des fins de comparabilité entre les deux études (les données d’anthropométrie déclarée ayant été recueillies sur un sous-échantillon restreint dans l’étude ENNS, celles-ci ne permettaient pas d’utiliser des données pondérées).
Enfin, pour étudier les facteurs associés aux biais de déclaration dans Esteban, des régressions linéaires simples ont été effectuées dans un premier temps, selon le genre, afin de tester les associations entre les écarts de poids, de taille et d’IMC, avec les facteurs suivants : âge, niveau de diplôme, degré d’urbanisation, situation matrimoniale, données anthropométriques mesurées, délai entre le recueil des données déclarées et celles mesurées, catégorie socioprofessionnelle, niveau d’activité physique, niveau de sédentarité, le fait de déclarer son poids ou sa taille par un chiffre rond (se terminant par 0 ou 5) et la présence ou non d’enfants au sein du foyer. Les variables catégorielles associées à ces facteurs ont été introduites dans les modèles, sauf mention contraire dans certains modèles où l’âge et l’IMC ont été pris en compte en continu. Puis, les variables associées aux écarts de poids, de taille ou d’IMC, avec un p de tendance <0,20, ont été retenues pour être incluses dans les modèles multivariés, sexes séparés.
Résultats
Population d’étude
Parmi les 2 504 adultes ayant réalisé l’examen de santé dans l’étude Esteban, 13 femmes enceintes ont été exclues des analyses, ainsi que 62 sujets pour lesquels certaines variables d’intérêt étaient manquantes. Les analyses ont ainsi été réalisées sur 2 429 adultes âgés de 18-74 ans disposant conjointement de données de poids et de taille mesurées et déclarées (figure 1).
Les caractéristiques de la population d’étude sont présentées dans le tableau 1. Les hommes étaient davantage en couple et témoignaient d’une catégorie socioprofessionnelle en moyenne plus avantageuse que les femmes. Les femmes vivaient plus fréquemment avec des enfants et témoignaient d’un niveau d’activité physique inférieur à celui des hommes. Plus de la moitié des hommes (54,4%) étaient en surpoids (obésité incluse) en comparaison de 43,5% des femmes.
(étude Esteban, 2014-2016 ; n=2 429)
Écarts entre les données déclarées et les données mesurées
(étude Esteban, 2014-2016)
Le tableau 2 présente les écarts observés de poids, de taille et d’IMC entre les données déclarées et les données mesurées, pour les hommes et les femmes.
De manière générale, le poids des individus a été sous-déclaré, tant chez les hommes que chez les femmes. L’écart moyen entre le poids déclaré et le poids mesuré était de -0,75 ±0,5 kg chez les hommes et de -1,40 ±0,3 kg chez les femmes (différence significative ; p<0,05). La taille, quant à elle, a été sur-déclarée, puisque l’écart moyen entre la taille déclarée et la taille mesurée était de 0,37 ±0,3 cm chez les hommes et de 0,70 ±0,2 cm chez les femmes (p<0,05). Cette sous-déclaration du poids et cette sur-déclaration de la taille conduisaient à une sous-estimation de l’IMC de l’ordre de -0,41 ±0,1 chez les hommes et de -0,79 ±0,1 chez les femmes (p<0,001).
Les tableaux 3 et 4 présentent les écarts observés entre les données déclarées et mesurées selon l’âge et les mesures anthropométriques réalisées, respectivement chez les hommes et les femmes.
L’écart moyen entre la taille déclarée et la taille mesurée augmentait significativement avec l’âge tant chez les hommes (p<0,01) que chez les femmes (p<0,001). La sous-estimation de l’IMC augmentait significativement avec l’âge chez les hommes uniquement (p<0,001). Enfin, les écarts observés étaient liés aux niveaux réels de corpulence, avec notamment une sous-déclaration de l’IMC plus importante chez les personnes en surpoids ou obèses et une surestimation de l’IMC chez les personnes minces ; et ce, quel que soit le sexe.
(étude Esteban, 2014-2016 ; n=1 086)
(étude Esteban, 2014-2016 ; n=1 343)
Écarts de prévalence dans les différentes classes de corpulence
(étude Esteban, 2014-2016)
La sous-déclaration de l’IMC entraînait une classification erronée de certains individus dans les classes d’IMC, conduisant, entre les données déclarées et les données mesurées, à des écarts de prévalence dans les différentes catégories de corpulence (tableau 5). Ces écarts étaient particulièrement significatifs concernant la prévalence de l’obésité, qui était minorée de 5 points lorsqu’elle était estimée avec des données de corpulence déclarées en comparaison des données mesurées (-5,3 points chez les hommes et -4,6 points chez les femmes et jusqu’à -6,9 points chez les 55-74 ans ; voir tableau 5).
Facteurs associés aux biais de déclaration de l’IMC
(étude Esteban, 2014-2016)
En univarié, l’âge, la situation matrimoniale et l’IMC mesuré étaient significativement associés à l’écart moyen d’IMC chez les hommes comme chez les femmes. L’attirance pour les chiffres ronds n’était significative (p<0,01) que chez les femmes (tableau 6).
Chez les hommes, les variables associées à l’écart moyen d’IMC, incluses dans le modèle multivarié (p<0,20 dans l’analyse univariée), comprenaient l’âge, la situation matrimoniale, la présence ou non d’enfants au sein du foyer, la catégorie socioprofessionnelle, l’IMC mesuré et l’attirance pour les chiffres ronds dans la déclaration du poids. Après ajustement sur ces variables, l’écart moyen d’IMC était significativement associé à la situation matrimoniale (p<0,01) et à l’IMC mesuré (p<0,001). Cet écart était ainsi plus important chez les hommes veufs ou divorcés (-1,30 kg/m²), en comparaison des hommes en couple (-0,35 kg/m²) ou célibataires (-0,24 kg/m²). Par ailleurs, la sous-déclaration de l’IMC augmentait avec l’IMC mesuré. Les autres variables n’étaient pas significativement associées à l’écart moyen d’IMC entre données déclarées et mesurées.
Chez les femmes, les variables associées à l’écart moyen d’IMC incluses dans le modèle multivarié, comprenaient l’âge, la situation matrimoniale, la présence ou non d’enfants au sein du foyer, le niveau de diplôme, le degré d’urbanisation, l’IMC mesuré et l’attirance pour les chiffres ronds. Après ajustement sur ces variables, une tendance similaire aux hommes était constatée ; l’écart moyen d’IMC entre données déclarées et mesurées était significativement associé à la situation matrimoniale (p=0,05) et à l’IMC mesuré (p<0,001). L’écart moyen d’IMC était ainsi plus important chez les femmes veuves ou divorcées (-1,28 kg/m²), que chez les femmes en couple (-0,72 kg/m²) ou célibataires (-0,68 kg/m²). La sous-déclaration de l’IMC augmentait avec l’IMC mesuré. Les autres variables n’étaient pas significativement associées à l’écart moyen d’IMC entre données déclarées et mesurées.
Comparaison des écarts et biais de déclaration entre ENNS (2006-2007) et Esteban (2014-2016)
Les écarts de poids, de taille et d’IMC dans l’étude Esteban étaient comparables à ceux relevés 10 ans plus tôt dans l’étude ENNS (tableau 7).
Les résultats des analyses multivariées réalisées en 2010 sur les données de l’étude ENNS (2006-2007), montraient que l’écart d’IMC était significativement associé au poids mesuré et à la taille mesurée. Ces mêmes variables étaient significativement associées à l’écart d’IMC dans l’étude Esteban (2014-2016), cependant la variable « situation matrimoniale » est devenue significative dans cette dernière étude aussi bien chez les hommes que chez les femmes, ce qui n’était pas le cas précédemment.
Discussion
Nature et enjeux des biais de déclaration de l’IMC
Les résultats de cette étude mettent en évidence des biais de déclaration significatifs quant aux données de corpulence déclarées chez les adultes en population générale. De manière générale, les hommes et les femmes surestiment leur taille et sous-estiment leur poids, de l’ordre de +0,37 cm et -0,75 kg pour les hommes et +0,70 cm et -1,40 kg pour les femmes. Ces résultats, obtenus en population générale, rejoignent ceux d’autres études déjà publiées sur le sujet 5,6,7,8 et notamment ceux de Maukonen et coll. 7, dont la revue de littérature, portant sur 62 publications, a mis en évidence une surestimation moyenne de la taille de 0,2 à 2,6 cm et une sous-estimation moyenne du poids de 0,1 à 2,3 kg.
Les écarts observés, entre données déclarées et mesurées, entraînent une sous-estimation de l’IMC, qui engendre notamment une sous-estimation de la prévalence de l’obésité au sein de la population. Dans l’étude Esteban (2014-2016), cette sous-estimation globale de l’obésité était de l’ordre de -5 points. Elle était ainsi supérieure à celle obtenue avec l’Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité ObEpi 2012 21, dont la prévalence déclarée de l’obésité de l’ordre de 15% était inférieure de 2 points à la prévalence mesurée d’Esteban. Il est possible que les conditions de réalisation de l’étude ObEpi, demandant aux personnes de se peser elles-mêmes, aient limité quelque peu la sous-déclaration du poids, mais sans toutefois l’annuler.
Les écarts quant à la prévalence de l’obésité, entre données déclarées et mesurées, variaient selon le sexe et l’âge. Cet écart avait tendance à être plus important chez les hommes en comparaison des femmes (-5,3 points versus -4,6 points) de même que chez les 55-74 ans. Ces résultats sont conformes avec les données d’autres études 5,22 où la sur-déclaration de la taille est assez fréquente chez les personnes âgées. Ce phénomène peut s’expliquer notamment par l’absence d’une mesure de taille récente alors que celle-ci peut diminuer suite à des tassements vertébraux 23.
La sous-estimation de l’IMC-déclaré, relevée dans l’étude Esteban (2014-2016), était variable selon le sexe et significativement associée à la situation matrimoniale et à l’IMC mesuré des individus. Ces résultats rejoignent également ceux d’autres études 8,22, qui indiquent que les personnes en surpoids ou obèses sous-estiment davantage leur IMC que les individus de corpulence normale, de même que les personnes célibataires déclarent des données plus proches de la réalité en comparaison des personnes en couple 24. Si l’IMC-mesuré était déjà associé à la variation des écarts d’IMC dans l’étude ENNS (2006-2007) 17, il semble que d’autres associations soient apparues dans l’étude Esteban. La situation matrimoniale qui était à la limite de la significativité dans ENNS, entre les personnes seules (célibataires, veufs ou divorcés) versus les personnes en couple, est devenue significativement associée à la variation d’écart d’IMC dans Esteban, faisant apparaître le statut particulier des veufs et divorcés. C’est également le cas de l’attirance pour les chiffres ronds chez les femmes qui apparaît dorénavant significatif en univarié. Cela témoigne de possibles variations de ces biais de déclaration, qui ne sont de fait pas totalement prévisibles, et renforce d’autant plus l’importance devant être accordée à la mesure effective des données anthropométriques. Même si les données déclarées restent utiles, notamment pour étudier les tendances d’évolution de la corpulence grâce à un suivi plus fréquent et plus régulier de la population, il est nécessaire d’obtenir des données mesurées à intervalles réguliers (tous les 5 ans par exemple), de manière à renseigner précisément les prévalences de surpoids et d’obésité de la population afin d’en surveiller l’évolution et d’évaluer l’impact des programmes de santé publique mis en place pour lutter contre cette épidémie.
Limites de l’étude
Ce travail met en lumière les écarts pouvant exister entre les données de corpulence déclarées et mesurées ainsi que leur impact en matière de surveillance épidémiologique. Plusieurs limites peuvent toutefois être énoncées. Tout d’abord, les écarts relevés dans cette étude ont pu être quelque peu biaisés, puisque les personnes interrogées étaient averties au moment de l’interview qu’elles seraient pesées et mesurées lors de l’examen de santé. Cela a pu les inciter à déclarer des chiffres plus proches de la réalité, et réduire ainsi les écarts observés entre les données déclarées et mesurées. Si tel est le cas, cela signifierait que les écarts pourraient être plus conséquents que ceux observés dans le cadre de cette étude.
Le délai entre l’enregistrement des données déclarées et le recueil des données mesurées était également très variable et parfois long (147 jours en moyenne). Il n’est pas exclu que des modifications du poids aient pu survenir chez certains individus au cours de la période et jouer ainsi sur les écarts relevés entre les deux mesures. Néanmoins, le délai entre les deux recueils n’apparaissait pas comme une variable significative dans l’analyse univariée. Enfin, la comparaison des résultats entre les études ENNS (2006-2007) et Esteban (2014-2016) présente également quelques limites. En effet, les analyses réalisées il y a 10 ans sur ENNS portaient sur un échantillon plus faible (629 sujets) ne permettant pas de distinguer les hommes et les femmes en particulier dans la recherche des facteurs associés aux écarts d’IMC. Les données d’Esteban autorisent donc une analyse plus fine et plus détaillée de ces facteurs.
Conclusion
Lorsque l’estimation de l’IMC se base sur des données déclarées par les individus, l’IMC est généralement sous-estimé. Cette étude a mis en avant, d’une part, que cette sous-estimation de l’IMC conduisait à une sous-estimation conséquente de la prévalence de l’obésité au sein de la population adulte française. D’autre part, si le principal facteur associé à cette sous-estimation est l’IMC mesuré lui-même, il semble que d’autres facteurs aient également pu apparaitre entre les analyses réalisées sur l’étude ENNS (2006-2007) et celles sur Esteban (2014-2016). Si le recueil de données déclaratives peut être préféré pour sa facilité de réalisation et son moindre coût, la sous-estimation et la potentielle évolution des facteurs associés à cet écart de déclaration doivent être prises en compte dans l’interprétation de telles données.
Remerciements
Les auteurs remercient l’équipe projet d’Esteban ainsi que l’ensemble des personnes ayant contribué au recueil des données anthropométriques déclarées et mesurées utilisées dans le cadre des analyses présentées ici : les enquêteurs, les infirmiers, les diététiciennes et les centres d’examens de santé de la CnamTS.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
Citer cet article
publiquefrance.fr/beh/2021/10/2021_10_1.html