Tabac et maladies cardiovasculaires : le point sur la connaissance des Français, Baromètre
de Santé publique France 2019

// French knowledge on tobacco and cardiovascular diseases, Santé publique France Health Barometer 2019

Valérie Olié1 (valerie.olie@santepubliquefrance.fr), Marie Houot1, Noémie Soullier1, Jean-Baptiste Richard1, Arnaud Gautier1, Viet Nguyen Thanh1, Anne Pasquereau1, Clémence Grave1, Amélie Gabet1, Daniel Thomas2, Christophe Bonaldi1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Université Paris-VI-Sorbonne, AP-HP, Institut de Cardiologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris
Soumis le 04.08.2020 // Date of submission: 08.04.2020
Mots-clés : Tabac | Maladies cardiovasculaires | Accident vasculaire cérébral | Connaissance | France
Keywords: Tobacco | Cardiovascular diseases | Stroke | Knowledge | France

Résumé

Contexte –

 Le tabagisme constitue l’un des principaux facteurs de risque de maladies cardiovasculaires avec des effets pouvant être précoces et pour une très faible consommation de tabac. L’objectif de notre étude était de fournir un état des lieux de la connaissance, par la population, du tabac comme facteur de risque de maladies cardiovasculaires en 2019.

Méthode –

 Notre étude a été réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2019, enquête téléphonique réalisée auprès d’adultes âgés de 18 à 85 ans résidant en France métropolitaine. La connaissance de la population a été évaluée à partir de trois questions portant sur le tabac comme facteur de risque de maladies cardiovasculaires et les seuils de quantité de tabac et de durée de tabagisme à atteindre pour être à risque pour ces pathologies. Ces questions ont été posées à un sous-échantillon aléatoire de 5 074 personnes. Pour tenir compte du mode de recrutement des participants et que les données soient représentatives de la population de France métropolitaine, celles-ci ont été pondérées puis redressées sur la structure de la population (sexe, âge, niveau de diplôme, région, niveau d’urbanisation, taille du foyer).

Résultats –

 En 2019, 9 Français sur 10 déclaraient que le tabac constituait un facteur de risque de maladies cardiovasculaires ou d’AVC. Seulement deux tiers avaient connaissance du risque cardiovasculaire pour une consommation de moins de 10 cigarettes par jour et 1 personne sur 4 avait connaissance d’un risque cardiovasculaire augmenté de manière immédiate chez les fumeurs. Les personnes de moins de 65 ans et celles avec un niveau de diplôme élevé avaient une meilleure connaissance du lien entre tabac et maladies cardiovasculaires et notamment des seuils de quantité et de durée pour être à risque.

Conclusion –

 Cette étude met en évidence une amélioration importante, ces 20 dernières années, de la connaissance des Français sur le lien entre tabac et maladies cardiovasculaires. Néanmoins, cette connaissance reste très parcellaire, avec une sous-estimation par la population des seuils bas de dangerosité en quantité et en années de tabagisme.

Abstract

Background –

 Smoking is one of the main risk factors for cardiovascular diseases with possible early impact for very low tobacco consumption. The objective of our study was to provide an overview of the knowledge of French people about tobacco as a risk factor for cardiovascular diseases in 2019.

Method –

 Our study was carried out using data from Santé publique France Health Barometer 2019, a telephone survey carried out among adults, aged 18 to 85 years living in metropolitan France. Knowledge of French population was assessed on the basis of three questions on tobacco as a risk factor for cardiovascular diseases, the quantity of tobacco and the duration of smoking to be at risk for these pathologies. These questions were asked to a subsample of 5,074 people. To take into account the design of the survey and to ensure representatively of the population, data were weighted and recalibrate to adjust to the French population structure (sex, age, education level, region, urbanization level, household size).

Results –

 In 2019, 9 out of 10 French people declared that smoking was a risk factor for cardiovascular disease or stroke. Only two thirds were aware of the cardiovascular risk for consuming less than 10 cigarettes per day and 1 in 4 people were aware of the early cardiovascular risk in smokers. People under 65 and people with a high level of education had a better knowledge of the link between tobacco and cardiovascular diseases especially of the thresholds of quantity and duration to be at risk.

Conclusion –

 This study highlights a significant improvement in the knowledge of the French on the link between tobacco and cardiovascular diseases over the past 20 years. Nevertheless, this knowledge remains incomplete, with low thresholds of risk in quantity and time of smoking which are underestimated by the population.

Introduction

Le tabagisme reste l’un des principaux facteurs de risque de maladies cardiovasculaires (MCV) 1,2,3,4. En effet, le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique est multiplié par deux chez les fumeurs et le risque d’infarctus du myocarde par trois 2,4. En France, ce sont plus de 250 000 hospitalisations et 17 000 décès par maladies cardiovasculaires qui seraient directement attribuables au tabagisme chaque année 5,6. Malgré ce lourd fardeau, en France, en 2019, le quart de la population déclarait fumer quotidiennement 7. Cette proportion importante de fumeurs, bien qu’en diminution depuis 2016, reste l’une des plus élevées d’Europe de l’Ouest. Si l’impact du tabac sur le développement de maladies cardiovasculaires a été décrit dès les années 1950 avec les travaux de R. Doll et A. Bradford Hill 8,9, la connaissance par la population de ce facteur de risque pour ces maladies a été plus tardive. De plus, les effets nocifs du tabac sont souvent perçus comme étant uniquement des effets à long terme, comme cela peut être le cas pour le cancer du poumon ou la bronchite chronique obstructive, et principalement pour des consommations importantes. Pourtant, pour les maladies cardiovasculaires, les effets peuvent être précoces et pour une très faible consommation de tabac ou une simple exposition à la fumée pour le tabagisme passif 2,10. Or, la connaissance des risques sur la santé associés au tabagisme peut influer sur les comportements 11. Dans le contexte français, une étude conduite en 2016 a notamment montré que la nocivité perçue du tabagisme et la peur de ses conséquences sur la santé étaient associées au succès des tentatives d’arrêt du tabac. Ainsi, en complément d’autres mesures de prévention, une bonne perception des risques peut amener les fumeurs à plus de tentatives d’arrêt avec de meilleures chances de succès 12. La connaissance qu’ont les Français du lien entre tabac et maladies cardiovasculaires n’a pas été évaluée depuis le début des années 2000 13. L’objectif de notre étude était de fournir un état des lieux de la connaissance de la population du tabac comme facteur de risque de maladies cardiovasculaires en 2019.

Méthodes

Notre étude a été réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2019, enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon de 10 352 adultes, âgés de 18 à 85 ans, résidant en France métropolitaine et parlant le français. L’échantillonnage de cette enquête repose sur une génération aléatoire de numéros de téléphones fixes et mobiles. Sur téléphone fixe, une personne par foyer a été sélectionnée pour participer à l’enquête selon la méthode Kish (sondage à deux degrés) ; sur téléphone mobile, la personne qui décroche a été sélectionnée pour participer à l’enquête. L’enquête a été menée par l’Institut Ipsos entre le 9 janvier et le 29 juin 2019. Le taux de participation à cette enquête était de 50,8%. Une partie des participants, sélectionnés de façon aléatoire (n=5 074), a été interrogée sur les maladies cardiovasculaires. Notre analyse porte sur ce sous-échantillon. Les estimations ont été pondérées en tenant compte de la probabilité d’inclusion (au sein du ménage et en fonction de l’équipement téléphonique), puis redressées sur la structure par sexe croisé avec l’âge en tranches décennales, région, taille d’unité urbaine, taille du foyer et niveau de diplôme de la population résidant en France métropolitaine (population de référence : Insee, enquête Emploi 2018).

Les questions posées spécifiquement sur le lien entre tabac et MCV étaient les suivantes : 1) « Je vais vous citer plusieurs facteurs. Dites-moi si, d’après vous, ils sont associés au risque d’avoir une maladie cardiovasculaire ou un AVC. ». Les facteurs suivant étaient listés dans un ordre aléatoire : « Le stress », « Le tabac », « L’hypertension artérielle », « Le cholestérol », « L’inactivité physique », « Le diabète », « La pollution », « La consommation d’alcool », et « L’obésité » ; 2) « Selon vous, à partir de combien de cigarettes par jour un(e) fumeur/fumeuse risque-t-il/elle d’avoir une maladie cardiovasculaire ou un AVC ? » ; 3) « Et au bout de combien de temps ? ».

Les caractéristiques sociodémographiques et médicales, renseignées dans le questionnaire et décrites dans cette étude sont : le sexe, l’âge, le niveau d’étude, le lieu de résidence (rural/urbain), la formation aux premiers secours, le statut tabagique, les antécédents d’AVC et la crainte des maladies cardiovasculaires.

La comparaison des variables qualitatives a été faite par le test du Chi2 ou de Fisher quand cela était nécessaire, et par le test t de Student pour les variables quantitatives. Des régressions logistiques multivariées, avec prise en compte du plan de sondage, ont été effectuées pour identifier les facteurs associés à la connaissance : 1) du lien entre tabac et maladies cardiovasculaires, 2) du seuil de dangerosité perçue en nombre de cigarettes (moins de 10 cigarettes) et 3) du seuil de dangerosité perçue en nombre d’années de tabagisme (immédiatement ou entre 1 et 5 ans). Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® version 14.

Résultats

En 2019, 92,6% des personnes interrogées déclaraient que le tabac était un facteur de risque de maladies cardiovasculaires ou d’AVC (figure). Seulement 3,9% des personnes interrogées déclaraient que le tabac n’était pas du tout un facteur de risque de maladies cardiovasculaires ou d’AVC. Les résultats de l’analyse multivariée montraient que les femmes, les personnes âgées de 45 à 64 ans, les personnes avec un niveau d’éducation supérieur au baccalauréat, les ex-fumeurs, les personnes ayant fait une formation aux gestes de premier secours et les personnes se sentant à risque de maladies cardiovasculaires ou d’AVC avaient significativement une meilleure connaissance du fait que le tabac soit un facteur de risque cardiovasculaire (tableau).

Figure : Connaissance du tabac, de la quantité fumée et de la durée du tabagisme sur le risque de maladies cardiovasculaires ou d’accidents vasculaires cérébraux (en pourcentages), France métropolitaine,
Baromètre Santé publique France 2019
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Tableau : Étude multivariée des déterminants de la connaissance du tabac, de la quantité fumée
et de la durée du tabagisme sur le risque de maladies cardiovasculaires ou d’accidents vasculaires cérébraux,
France métropolitaine, Baromètre Santé publique France 2019
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Concernant la quantité de tabac fumée, près des deux tiers des personnes interrogées considéraient qu’il existait un risque cardiovasculaire pour moins de 10 cigarettes fumées quotidiennement (32,9% entre 1 et 5 cigarettes et 30,4% entre 5 et 10 cigarettes). Un tiers considérait qu’il fallait fumer plus de 10 cigarettes pour être à risque cardiovasculaire (19,1% entre 10 et 20 cigarettes et 13,8% plus de 20 cigarettes) (figure). Concernant la quantité de tabac, les plus jeunes (18-44 ans) avaient une meilleure connaissance du lien entre faibles quantités de tabac et risque cardiovasculaire que les plus âgés (tableau). En revanche les fumeurs avaient une moins bonne connaissance : 17,5% d’entre eux déclaraient qu’il fallait fumer plus de 20 cigarettes pour être à risque, contre 11,5% pour les non-fumeurs. Le niveau d’éducation était fortement lié à la connaissance, les plus diplômés ayant une meilleure connaissance (odds ratio, OR=1,99 [1,65-2,40]). De même, la participation à une formation de premier secours et le sentiment d’être à risque de maladies cardiovasculaires étaient associés à une meilleure connaissance. En revanche, le fait d’être fumeur était associé à une moindre connaissance de ce lien.

Un quart des personnes interrogées avait connaissance du fait que fumer, même depuis peu de temps (moins de 5 ans), pouvait exposer à un risque précoce de MCV. En revanche, 28% pensaient qu’il était nécessaire de fumer plus de 20 ans pour cela. Comme pour la quantité, les plus jeunes et les personnes se sentant à risque de maladies cardiovasculaires avaient une meilleure connaissance du fait que le risque cardiovasculaire puisse être précoce chez les fumeurs. Et, comme pour le seuil de quantité, le fait d’être fumeur était associé à une moindre connaissance du lien entre exposition courte et risque cardiovasculaire (OR=0,71 [0,57-0,88])

Le fait d’avoir un antécédent personnel ou d’avoir un proche ayant eu un AVC n’était pas associé à une meilleure connaissance du lien entre tabac et maladies cardiovasculaires et des seuils de dangerosité en quantité de tabac fumée et en durée d’exposition.

Discussion

En 2019, 9 français sur 10 déclaraient que le tabac constituait un facteur de risque de maladie cardiovasculaire ou d’AVC. Seulement deux tiers avaient connaissance du risque cardiovasculaire pour une consommation de moins de 10 cigarettes par jour. La connaissance de la précocité du risque cardiovasculaire chez les fumeurs était encore insuffisante (1 personne sur 4). Globalement, un âge inférieur à 65 ans et un niveau de diplôme élevé étaient associés à une meilleure connaissance du lien entre tabac et maladies cardiovasculaires. Si les jeunes citaient un peu moins souvent le tabac comme facteur de risque, ils avaient une meilleure connaissance du lien entre quantité de tabagisme et risque cardiovasculaire ainsi que de la précocité de ce risque.

Des études épidémiologiques ont suggéré un lien causal entre tabagisme et maladies cardiovasculaires dès le milieu des années 1950 9. Si la mise en évidence de ce lien a été plus tardive que pour le cancer du poumon, il est, depuis plus de 50 ans, clairement établi 3. Ainsi, le tabagisme multiplie par trois le risque d’infarctus du myocarde et par deux le risque d’AVC 2,4. Cependant, si le constat épidémiologique est clair, une étude rapportait en 1993 que seulement 63% des cardiologues français citaient le tabac comme un facteur de risque de maladie coronaire et 16% pour l’AVC, alors qu’ils étaient presque 90% à citer le tabac comme un facteur de risque de cancer du poumon 14.

Dans la population française, la connaissance du tabac comme facteur de risque de maladies cardiovasculaires a évolué au cours des dernières décennies. En 1990, 60,2% (IC95%: [57%-64%]) des Français déclaraient que le tabac pouvait avoir une influence sur le développement des pathologies cardiaques, mais ils n’étaient plus que 49,3% [46%-53%] en 2000 13. En 2019, ils étaient 93% à le déclarer. L’utilisation de différentes méthodes d’enquête rend difficile l’analyse de l’évolution de la connaissance du risque. En effet, les études de 1990 et de 2000 ont été réalisées auprès d’étudiants de l’enseignement supérieur âgés de 17 à 30 ans. Compte tenu de l’échantillonnage et de l’association entre âge d’une part et niveau d’éducation d’autre part avec le niveau de connaissance, il est difficile de quantifier l’évolution de cette dernière. Néanmoins, le niveau de connaissance semble avoir progressé dans la population. Depuis le début des années 2000, la diffusion de campagnes de prévention du tabagisme portant sur les risques a certainement contribué à augmenter la connaissance de ces risques. Dans une revue de la littérature portant sur les campagnes médiatiques pour promouvoir l’arrêt du tabac, des études comparant différents types de messages ont montré que les messages sur les risques pour la santé sont les plus efficaces pour augmenter les connaissances et pour inciter à l’arrêt du tabac 15.

Par ailleurs, des mesures réglementaires comme l’augmentation de la taille des avertissements sanitaires textuels (2003), l’insertion d’avertissements graphiques (2011) sur les paquets de tabac, puis la mise en place du paquet neutre en janvier 2017 avec un agrandissement de ces avertissements et un packaging neutre, a également pu contribuer à l’amélioration de la connaissance des risques liés au tabagisme. En effet, des études ont mis en évidence que ces messages étaient d’autant plus mémorisés par les fumeurs qu’ils étaient apposés sur un emballage neutre, comparativement à un paquet normal marketé 16,17,18,19. Des études expérimentales d’eye-tracking ont montré une attention visuelle accrue aux avertissements sanitaires pour les paquets neutres par rapport aux paquets marketés. En Australie, un an après la mise en place du paquet neutre, les fumeurs sont plus nombreux à avoir remarqué les avertissements sanitaires et ils les motivent davantage à arrêter de fumer.

Si la population française semble aujourd’hui avoir un bon niveau de connaissance du lien entre tabagisme et maladies cardiovasculaires, il existe encore une marge de progression importante. Un tiers des Français interrogés n’avait pas connaissance d’une augmentation significative du risque pour des faibles consommations quotidiennes (moins de 10 cigarettes) 2. En effet, la toxicité cardiovasculaire du tabagisme suit une relation dose-effet non linéaire pour laquelle il n’y a pas de seuil de consommation au-dessous duquel le risque est nul 20. Une étude danoise a ainsi mis en évidence une augmentation significative du risque d’infarctus du myocarde dès 3 à 5 cigarettes par jour chez les femmes et dès 6 à 9 cigarettes chez les hommes 21. Une méta-analyse récente a même mis en évidence l’absence de seuil de dangerosité, puisque le risque cardiovasculaire d’une consommation moyenne d’une cigarette par jour est significatif et de l’ordre de la moitié du risque de la consommation de 20 cigarettes 10. Cette notion d’absence de seuil, même si elle semble avoir évolué, reste peu connue des Français.

Même si elle est en partie exprimée pour un quart des sujets, la connaissance de la précocité possible de ces accidents cardiovasculaires chez les fumeurs mérite d’être encore renforcée. Moins de 10% des Français interrogés déclaraient que le risque cardiovasculaire était immédiat. Contrairement à d’autres pathologies pour lesquelles les temps d’exposition avant de développer la maladie sont plus importants, comme la bronchite obstructive chronique ou le cancer du poumon, le risque de développer une maladie cardiovasculaire peut être très précoce chez les fumeurs. En effet, les deux principaux mécanismes permettant d’expliquer la nocivité cardiovasculaire du tabac sont la dysfonction endothéliale, facteur de spasme artériel, et la thrombose 22. Ces mécanismes sont susceptibles de s’exprimer relativement tôt sur des artères de sujets jeunes, même si elles sont peu altérées. L’effet en temps réel de ces mécanismes explique également la diminution rapide et importante du risque d’événement cardiovasculaire à l’arrêt du tabagisme, et ceci d’autant plus que l’arrêt survient de manière précoce dans la vie du fumeur.

L’étude des déterminants de cette connaissance et de leur évolution dans le temps est importante pour cibler les futures campagnes de prévention du tabagisme. La moindre connaissance des risques chez les personnes les moins éduquées a souvent été rapportée dans la littérature. Elle est notamment observée en France concernant les risques de cancer : le risque perçu de cancer lié au tabagisme est plus faible parmi les personnes les plus défavorisées ; le seuil de dangerosité perçu à partir duquel un fumeur risque d’avoir un cancer est plus souvent supérieur à 10 cigarettes par jour parmi les plus défavorisés 23. Cette moindre connaissance peut être un élément explicatif des niveaux de consommation plus élevés dans ces populations. Ces différences de perception des risques pourraient s’expliquer, notamment, par un déni du risque plus important et une plus grande méfiance à l’égard des messages de prévention 24. L’absence de meilleure connaissance chez les personnes ayant des antécédents (ou avec un proche ayant été victime) d’AVC a également été retrouvée pour les autres facteurs de risque cardiovasculaire et souligne également l’importance de l’éducation thérapeutique après un premier événement, non seulement pour le patient mais aussi pour ses proches 25.

Le fait d’être fumeur est également associé à une moindre connaissance du lien entre faible quantité de tabac fumée et risque de MCV, ainsi que du lien entre exposition courte et risque de MCV. Ce résultat est également retrouvé parmi les fumeurs pour le risque de cancer. Les fumeurs de moins de 10 cigarettes par jour craignent moins d’avoir un cancer dû au tabac, ils peuvent considérer que leur consommation est trop faible pour courir un risque 26. Les fumeurs dans leur ensemble ont tendance à donner des seuils de dangerosité en nombre d’années de tabagisme et en nombre de cigarettes fumées par jour au-dessus de leur propre consommation 27. Ils mettent à distance les risques, en adhérant à des idées fausses ou à des représentations sociales leur offrant un cadre plus cohérent pour justifier leur comportement 28.

Conclusion

Les résultats de cette enquête mettent en évidence un bon niveau de connaissance de la population sur le lien entre tabac et maladies cardiovasculaires. Néanmoins, il existe encore une marge de progression de cette connaissance avec des seuils bas de dangerosité, en quantité et en années de tabagisme, encore sous-estimés par la population. Pour les maladies cardiovasculaires, les mécanismes de toxicité du tabagisme sont présents rapidement et conditionnent une précocité particulière des événements. Ces messages de lutte contre le tabac doivent continuer d’être martelés. L’effet précoce quelle que soit la quantité fumée doit être souligné, notamment chez les plus jeunes pour qui le tabac reste le principal facteur de risque de maladies cardiovasculaires, ainsi que chez les moins diplômés, la moindre connaissance des risques participant aux inégalités sociales liées au tabagisme.

Liens d’intérêt

Les auteurs ne déclarent pas de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Daniel Thomas déclare, pour les trois dernières années, une activité d’intervenant conférencier et prise en charge de frais de congrès par Pfizer.

Références

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Citer cet article

Olié V, Houot M, Soullier N, Richard JB, Gautier A, Nguyen Thanh V, et al. Tabac et maladies cardiovasculaires :
le point sur la connaissance des Français, Baromètre de Santé publique France 2019. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(1):11-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/1/2021_1_2.html