Allaitement à la sortie d’hospitalisation des enfants nés prématurément et politiques des unités néonatales : données de la cohorte nationale française Epipage-2*

// Breast milk feeding at discharge of preterm infants in France and neonatal unit policies: data froM the Epipage-2 French national cohort study

Ayoub Mitha1,2 (ayoub.mitha@inserm.fr), Monique Kaminski1, Véronique Pierrat1,2
1 Université de Paris, Centre de recherche épidémiologie et statistiques (CRESS), Inserm U1153 Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (EPOPé), Inra, Hôpital Tenon, Paris
2 CHU Lille, Département de médecine néonatale, Hôpital Jeanne de Flandre, Lille

*Adaptation du manuscrit de thèse de doctorat de l’Université Paris-Descartes soutenue le 26 novembre 2019 par Ayoub Mitha, sous la direction de Véronique Pierrat et de Pierre-Yves Ancel, « Allaitement à la sortie d’hospitalisation des enfants nés prématurément et politiques d’unité : données de la cohorte EPIPAGE-2 ».

Soumis le 06.02.2020 // Date of submision: 02.06.2020
Mots-clés : Allaitement | Prématurité | Variabilité des pratiques | Politiques d’unités | Soutien à l’allaitement
Keywords: breast milk feeding | Preterm infants | Practice variability | Unit policies | Breastfeeding support

Résumé

Contexte –

Malgré les bénéfices reconnus du lait maternel, les taux d’allaitement chez les enfants nés prématurément sont variables selon les pays et les unités néonatales. Les caractéristiques maternelles et néonatales associées à l’allaitement d’un enfant né prématurément ont largement été étudiées et n’expliquent pas l’ensemble de cette variabilité.

Objectifs –

Décrire et analyser les facteurs associés à l’allaitement à la sortie d’hospitalisation chez les enfants nés prématurément, avec un intérêt particulier pour les politiques d’unités soutenant l’allaitement.

Méthodes –

La cohorte Epipage-2 (Étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels-2) est une étude nationale prospective en population ayant inclus les naissances survenues en 2011 entre 22 et 34 semaines d’aménorrhée (SA) dans toutes les unités néonatales de 25 régions françaises. Les déterminants de l’allaitement ont été analysés par régression logistique multivariée dans deux populations distinctes : 3 108 enfants nés avant 32 SA et 883 enfants nés entre 32 et 34 SA.

Résultats –

Au total, 47% des enfants nés avant 32 SA et 59% des enfants nés entre 32 et 34 SA recevaient du lait maternel à la sortie d’hospitalisation, avec une variabilité inter-unités respective de 21% à 84% et de 27% à 87%. Les politiques d’unités soutenant l’allaitement, en particulier le peau-à-peau précoce, la participation des parents à l’alimentation de leur enfant, étaient en partie associées à cette variabilité. Des taux élevés d’initiation de l’allaitement dans la population générale n’étaient associés à l’allaitement à la sortie que chez les enfants nés entre 32 et 34 SA.

Conclusion –

L’adoption des politiques de soutien des unités les plus performantes pourrait permettre de réduire la variabilité des taux d’allaitement à la sortie dans cette population à risque des enfants nés prématurément.

Abstract

Background –

Despite acknowledged benefits of maternal milk, breast milk feeding rates for preterm infants vary between countries and neonatal units. Maternal and infant characteristics have been extensively studied and do not totally explain this variability.

Objectives –

To describe and analyze factors associated with breast milk feeding at discharge for preterm infants, with a special focus on unit policies aiming to support breast milk feeding.

Method –

Epipage-2 cohort is a national prospective population-based study, which included infants born between 22 and 34 completed weeks of gestation in all neonatal units in 25 French regions in 2011. Determinants of breast milk feeding were analyzed with multilevel logistic regression in two separate populations: 3,108 very preterm infants (<32 weeks’ gestation) and 883 moderate preterm infants (32-34 weeks).

Results –

In total, 47% of very preterm infants and 59% of moderate preterm infants received breast milk feeding at discharge. There was a great variability of breast milk feeding rates between units, ranging from 21% to 84% for very preterm and from 27% to 87% for moderate preterm infants. Unit policies associated with breast milk feeding at discharge, particularly early skin-to-skin, early involvement of parents in feeding support for the infant, partly explained this variability. High breast milk feeding initiation rates in the general population were associated with breast milk feeding at discharge only in moderate preterm infants.

Conclusion –

Adopting support policies of best performing units may reduce the variability in breast milk feeding rates at discharge for this high-risk population of preterm infants.

Introduction

Les bénéfices pour l’enfant du lait maternel sont universellement reconnus. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande en cas de naissance prématurée de débuter l’alimentation par du lait maternel en premier choix et du lait de donneuses en alternative 1,2. L’alimentation par du lait maternel a de meilleurs bénéfices et réduit la morbidité liée à la prématurité en diminuant le risque d’entérocolite ulcéro-nécrosante, de rétinopathie, d’infections néonatales tardives. Elle est aussi associée à des bénéfices cognitifs à long terme, avec un effet-dose démontré 3. Malgré les bénéfices sur la morbidité à court et long terme, les taux d’allaitement à la sortie d’hospitalisation chez les enfants nés prématurément sont très variables selon les pays 4 et les unités néonatales 5,6.

Dans la pratique clinique, allaiter un enfant né prématurément est le reflet d’un parcours souvent difficile pour les mères et familles. La glande mammaire est prête à fabriquer du lait dès le cinquième mois de grossesse 7, néanmoins il y a parfois un délai très important entre le moment de la naissance d’un enfant né prématurément et celui où les tétées deviennent possibles et efficaces. L’initiation et l’entretien de la lactation doivent alors être faits par la mère au tire-lait lors d’une hospitalisation en néonatologie plus ou moins longue et grevée d’obstacles 8.

Les caractéristiques individuelles (mères et enfants) associées à l’allaitement à la sortie dans cette population vulnérable ont largement été étudiées et n’expliquent que partiellement la variabilité des taux d’allaitement 4,5. Les déterminants de l’allaitement sont multiples 9 et les facteurs organisationnels des unités néonatales sont rarement explorés en tant que déterminants à part entière 4,10, et encore moins à l’échelle d’une population. De plus, l’influence de la culture de l’allaitement dans la population générale sur les taux d’allaitement chez les enfants nés prématurément est peu décrite 6.

La cohorte en population Epipage-2 (Étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels-2) a inclus des naissances prématurées survenues en France en 2011, en collectant à la fois des données individuelles et des données liées aux politiques d’unité 11. Epipage-2 est une opportunité unique d’évaluer les effets de l’organisation des soins et des pratiques en néonatologie. Les objectifs de ce travail étaient de décrire et d’étudier les déterminants de l’allaitement à la sortie d’hospitalisation, en se focalisant sur les politiques d’unité soutenant l’allaitement chez les enfants grands prématurés nés avant 32 semaines d’aménorrhée (SA) et les enfants modérément prématurés nés entre 32 et 34 SA.

Méthode

Population

La population d’étude est issue de la cohorte Epipage-2, cohorte prospective nationale en population d’enfants nés prématurément entre 22 et 34 SA. La cohorte Epipage-2 fait suite à la cohorte Epipage-1 ayant inclus des enfants nés prématurément dans neuf régions françaises en 1997 11.

La phase d’inclusion d’Epipage-2 s’est déroulée en 2011 dans tous les établissements de 21 des 22 régions françaises métropolitaines (Poitou-Charentes n’ayant pas participé et comptant pour 2% des naissances en France en 2011), ainsi que dans quatre départements d’outre-mer. Pour des raisons de faisabilité, la durée de recrutement était différente selon l’âge gestationnel de naissance : 8 mois pour les naissances à 22-26 SA, 6 mois pour les naissances à 27-31 SA et 5 semaines pour les naissances à 32-34 SA 11. Au total, 3 108 enfants nés avant 32 SA et 883 enfants nés entre 32 et 34 SA, hospitalisés dans 137 unités néonatales (66 unités de niveau 3 et 71 unités de niveau 2b), et vivants au moment de la sortie, ont été inclus dans ce travail 12,13,14.

La mise en place de la cohorte Epipage-2 et son traitement informatique ont reçu un avis favorable du Comité de protection des personnes (référence SC-2873), du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé (référence 10.626) et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (numéro d’autorisation 911009).

Données recueillies

Les caractéristiques individuelles (maternelles et néonatales) ont été collectées à l’aide de cahiers d’observations standardisés. Les données recueillies concernaient des caractéristiques sociodémographiques (âge maternel, lieu de naissance maternel, niveau socioéconomique, statut marital, parité, tabagisme pendant la grossesse et indice de masse corporelle), obstétricale (césarienne) et néonatales (naissances multiples, petit poids pour l’âge gestationnel, morbidité néonatale sévère et nombre d’unités avant la sortie), ainsi que des pratiques de soins soutenant l’allaitement : le peau-à-peau et la participation des parents à l’alimentation de leur enfant (définie comme la pratique, par un des parents, durant la première semaine de vie et lors d’une alimentation, d’un peau-à-peau ou d’une succion non nutritive ou d’un soutien postural). L’allaitement à la sortie d’hospitalisation, défini comme tout enfant alimenté par du lait de sa mère au moment de la sortie, de façon exclusive ou partielle, était renseigné chez 2 890 enfants nés avant 32 SA et 828 enfants nés entre 32 et 34 SA 14.

Les données concernant les unités néonatales étaient recueillies auprès des responsables médicaux et paramédicaux des unités. Ces données déclaratives portaient sur l’organisation (niveau de soins, taille de l’unité) et les politiques de soutien à l’initiation de la lactation (informations sur l’allaitement données aux mères hospitalisées pour menace d’accouchement avant 32 SA et expression de colostrum proposée dans les 6 heures après la naissance en cas d’accouchement avant 32 SA) et à son maintien (protocoles disponibles pour l’utilisation du lait de mère et d’une pièce dédiée pour tirer le lait disponible), sur la présence d’un professionnel formé en lactation (titulaire d’un Diplôme interuniversitaire de Lactation humaine et allaitement maternel ou de l’International Board of Lactation Consultant) et sur la présence d’un programme de formation en soins de développement (sensibilisation ou programme sensori-moteur 15 ou programme Nidcap16 (Newborn Individualized Developmental Care and Assessment Program)).

Les taux régionaux d’initiation de l’allaitement dans la population générale ont été pris en considération en utilisant les données de l’Enquête nationale périnatale de 2010 17. Ainsi, à partir de l’échantillon des 14 176 enfants nés vivants représentatifs des naissances de 2010, les taux régionaux d’initiation de l’allaitement dans la population générale étaient classés en terciles (faibles, intermédiaires, élevés).

Analyses statistiques

Les analyses ont été réalisées distinctement pour les enfants nés avant 32 SA et pour ceux nés entre 32 et 34 SA, compte tenu des différentes informations recueillies, ainsi que des spécificités cliniques de chaque population. Après la description de l’allaitement à la sortie, et des pratiques et politiques de soutien à l’allaitement, leur association était étudiée par une analyse logistique multiniveau. Afin de tenir compte de la non-indépendance des enfants issus d’une même unité, deux niveaux ont été pris en considération : les enfants (niveau 1) et les unités (niveau 2). La variance de référence des unités (Var(référence)) était obtenue par un modèle sans facteur d’ajustement (modèle 1), témoin de la variabilité des taux d’allaitement entre les unités. Un modèle ajusté sur les caractéristiques individuelles (modèle 2), puis un modèle ajusté sur les caractéristiques individuelles et sur les politiques d’unités (modèle 3), permettaient d’estimer la variance résiduelle entre les unités pour chaque modèle (Var(résiduelle)). Le pourcentage de variance expliquée indiquait dans quelle mesure les variables d’ajustement expliquaient la variabilité de l’allaitement à la sortie entre les unités 14.

Résultats

Une large variabilité des taux d’allaitement à la sortie

Les taux d’initiation de la lactation durant la première semaine de vie étaient de 68% chez les enfants nés avant 32 SA et de 72% chez ceux nés entre 32 et 34 SA, rejoignant ainsi ceux de la population générale (69% en 2010) 18. Au total, 47% des enfants nés avant 32 SA et 59% des enfants nés entre 32 et 34 SA recevaient du lait maternel à la sortie d’hospitalisation, avec une variabilité inter-unités respective de 21% à 84% et de 27% à 87%. Parmi les enfants recevant du lait de leur mère à la sortie, environ la moitié était exclusivement alimentés par du lait maternel, et 25 à 30% étaient nourris par leur mère directement au sein uniquement (tableau 1).

Tableau 1 : Description de l’initiation de la lactation la première semaine de vie et de l’allaitement à la sortie d’hospitalisation chez les enfants nés avant 32 SA et nés entre 32 et 34 SA, issus de la cohorte Epipage-2
(France, 2011)
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Un environnement favorable avec des pratiques et des politiques de soutien hétérogènes

En 2011, l’utilisation du lait de donneuses pour les enfants nés avant 32 SA, lorsque le lait de la mère n’était pas disponible, l’alimentation entérale précoce avec du lait de femme, des protocoles pour l’allaitement et des tire-laits disponibles étaient très largement répandus dans les unités néonatales en France 14. À l’inverse, d’autres politiques de soutien étaient moins implantées : 38% des unités déclaraient des politiques de soutien à l’initiation de la lactation, 50% des unités avaient un professionnel formé en lactation mais 43% d’entre elles déclaraient que ce professionnel ne disposait pas de temps dédié pour le soutien à l’allaitement, et 16% des enfants nés entre 32 et 34 SA bénéficiaient d’un peau-à-peau durant les 24 premières heures de vie (tableau 2).

Tableau 2 : Politiques des unités néonatales et pratiques soutenant l’allaitement chez les enfants nés avant 32 SA et entre 32 et 34 SA, issus de la cohorte Epipage-2 (France, 2011)
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Impact des pratiques et politiques d’unités soutenant l’allaitement et des taux régionaux de l’allaitement dans la population générale

Après ajustement sur les caractéristiques individuelles et les politiques des unités, les pratiques impliquant les parents, le peau-à-peau et la participation des parents à l’alimentation de leur enfant étaient associées à l’allaitement à la sortie chez l’ensemble des enfants nés prématurément (tableaux 3 et 4). Les politiques de soutien à l’initiation et au maintien de la lactation étaient associées à l’allaitement à la sortie chez les enfants nés avant 32 SA (tableau 3) ; les taux régionaux d’initiation de l’allaitement dans la population générale étaient uniquement associés chez les enfants nés entre 32 et 34 SA (tableaux 3, 4 et 5). La variabilité des taux d’allaitement à la sortie était partiellement expliquée par les politiques des unités soutenant l’allaitement (tableaux 3 et 4).

Tableau 3 : Pratiques et politiques des unités néonatales associées à l’allaitement à la sortie d’hospitalisation chez les enfants nés avant 32 semaines d’aménorrhée, issus de la cohorte Epipage-2 (France, 2011)
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Tableau 4 : Pratiques et politiques des unités néonatales associés à l’allaitement à la sortie d’hospitalisation chez les enfants nés entre 32 et 34 semaines d’aménorrhée, issus de la cohorte Epipage-2 (France, 2011)
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Tableau 5 : Allaitement à la sortie des enfants nés prématurément avant 32 SA et entre 32 et 34 SA inclus dans Epipage-2 selon les taux régionaux d’initiation de l’allaitement dans la population générale (France, 2011)
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Les taux d’allaitement à la sortie n’étaient pas significativement différents selon le niveau de soins de l’unité néonatale (niveau 3 ou 2b) ou la taille de l’unité.

Discussion

L’amélioration des interventions obstétricales et néonatales entre l’étude Epipage-1 en 1997 et Epipage-2 en 2011 19 s’est accompagnée d’une augmentation des taux d’allaitement à la sortie chez les enfants nés avant 32 SA (19 à 47%) et chez ceux nés entre 32 et 34 SA (30 à 59%) 14. Les données dont nous disposons ne nous permettent néanmoins pas d’analyser les facteurs qui ont été les plus déterminants dans cette augmentation, signe indirect de l’investissement des équipes dans le soutien à l’allaitement. Cependant, on notait une large variabilité inter-unités en lien avec des pratiques et des politiques de soutien à l’allaitement, en particulier les pratiques impliquant les parents. Bien que nous ayons considéré le peau-à-peau précoce et la participation des parents à l’alimentation de leur enfant à l’échelon individuel, ces pratiques dépendent à la fois des caractéristiques individuelles (parents-enfants) et des politiques d’unités. L’implication des parents dans les soins de leur enfant permettrait de soutenir la présence parentale auprès de leur enfant.

Ce travail permet également de souligner les efforts des mères pour mettre en place et maintenir un allaitement dans le contexte de la prématurité. Il est classique d’affirmer que les enfants nés prématurément sont allaités moins longtemps que les enfants nés à terme lorsque l’on considère leur âge corrigé. Néanmoins, lorsque l’analyse de la durée d’allaitement est rapportée en âge réel, les mères d’enfants nés prématurément allaitent en moyenne plus longtemps que les mères d’enfants nés à terme. Dans les trois régions de l’étude Epipage-2 (Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais et Bourgogne), incluses dans l’étude Epice 20, le taux d’allaitement à 6 mois d’âge chronologique chez les enfants nés prématurément avant 32 SA était de 36% (le taux d’allaitement à la sortie dans ces trois régions était de 50%). Dans la cohorte Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance), ayant inclus des enfants nés à terme en France en 2011, le taux d’allaitement était de 54% à 1 mois, 38% à 4 mois et 19% à 6 mois 21.

La variabilité des taux d’allaitement dans Epipage-2 est comparable à celle observée chez les enfants nés prématurément aux États-Unis 5 (20% à 90%) et dans les régions européennes 4 (36% à 80%), avec des caractéristiques individuelles n’expliquant aussi que partiellement cette variabilité. Soutenir l’allaitement est un processus complexe où s’intriquent tout au long de l’hospitalisation plusieurs politiques de soutien liées les unes aux autres 9. Les particularités de l’allaitement chez l’enfant né prématurément portent entre autres sur l’accompagnement des mères à la mise en route de la lactation, son maintien, la transition sonde entérale-sein et la poursuite de l’allaitement. Elles nécessitent de la part des professionnels des connaissances fines sur toutes ces étapes, mais aussi l’inscription de cet accompagnement dans un projet d’équipe. La démarche Initiative hôpital ami des bébés (IHAB) peut aider à participer à ce projet de service et représenter un objectif à moyen ou long terme pour les équipes de néonatologie 22.

La mise en œuvre de ces pratiques et politiques de soutien passe, au sein des unités néonatales, par la formation de l’ensemble des professionnels aux spécificités de l’allaitement des nouveau-nés prématurés. Cette formation pourrait être encouragée par les professionnels formés en lactation, dont l’impact sur l’initiation et le maintien de la lactation est reconnu dans la littérature 23, mais non retrouvé dans cette étude. Ces professionnels étaient peu disponibles pour le soutien à l’allaitement en France en 2011. Cette situation peut être considérée comme une sous-utilisation des ressources humaines disponibles et doit susciter une réflexion sur le rôle de ces professionnels dans l’organisation et le fonctionnement des unités de néonatologie, ainsi que de leur nombre nécessaire suivant le niveau de soins et nombre de lits des unités néonatales 24. Comprendre les rôles et interactions des différents professionnels entre eux et avec les familles, ainsi que les aspects éducationnels mis en œuvre, est un futur axe de recherche.

La transition sonde entérale-sein peut être considérée comme la dernière étape dans l’allaitement au sein, dont la réussite est conditionnée par une initiation de l’allaitement réussie, mesurée par le volume de lait recueilli au cours de la première semaine de vie. La réussite d’un allaitement au sein est associée à une durée d’allaitement plus longue chez l’enfant né prématurément 20. Dans notre travail, seuls 30% des enfants recevant du lait maternel étaient nourris directement et uniquement au sein. Les programmes de soins de développement pourraient avoir un impact sur cette transition. Mais, compte tenu du faible nombre d’unités impliquées dans ces programmes en 2011, de l’hétérogénéité des pratiques de soins de développement, du non recueil des variables appropriées à ces objectifs (sollicitations orales), nous n’avions pas assez de données pour explorer l’association entre l’allaitement à la sortie, le programme sensori-moteur et le programme Nidcap (Newborn individualized developmental care and assesment program). Ces résultats doivent être consolidés dans d’autres cohortes.

Même si la plupart des caractéristiques associées à l’allaitement étaient communes pour ces deux populations, le fait que la culture de l’allaitement dans la population générale puisse avoir différents effets témoigne probablement de la complexité et de l’importance d’une vision globale du soutien à l’allaitement 9. L’influence de cette culture de l’allaitement, uniquement chez les enfants nés entre 32 et 34 SA, pourrait être liée au parcours de soins plus court et moins invasif chez des enfants plus matures que ceux nés avant 32 SA. Aussi, nous pensons que cette donnée renforce la responsabilité collective de la société de soutenir l’allaitement chez l’ensemble des nouveau-nés.

Epipage-2 a recueilli des informations au niveau des mères, des enfants et des unités de néonatologie à l’échelle nationale, reflétant la diversité des pratiques quotidiennes. Les stratégies de soutien à l’allaitement n’ont pas été évaluées de manière exhaustive et détaillée, en particulier le nombre d’expressions et le volume de lait recueilli la première semaine de vie, les modalités techniques de recueil (disponibilité de plusieurs tailles de téterelles) et de conservation de lait, ainsi que des politiques d’utilisation du lait cru et de soutien entre pairs, mais plutôt sur une approche globale basée sur les déclarations des unités. Cependant, nous avons souligné le rôle des pratiques et politiques de soutien des unités sur l’allaitement à la sortie, permettant aux unités qui souhaitent améliorer leur taux d’allaitement de focaliser leur attention sur les politiques décrites.

La diffusion de ce travail aux associations de soutien à l’allaitement et aux parents peut mobiliser les unités de néonatologie vers un affichage transparent des pratiques et politiques soutenant l’allaitement. Le moment du premier peau-à-peau, sa durée moyenne par jour durant l’hospitalisation et les taux d’allaitement dans chaque unité sont des indicateurs de qualité des soins que les parents ainsi que les professionnels sont à même de connaître. Un état des lieux préalable puis continu facilite la réussite de projet. La création d’une veille épidémiologique continue des taux d’allaitement sur le plan national était l’une des actions proposées en 2010 pour la promotion de l’allaitement 25. L’application de ce plan d’action 25 serait un signal fort pour le soutien à l’allaitement et pourrait s’intégrer dans les actions de prévention et promotion de la santé en périnatalité des 1 000 premiers jours de la vie.

Conclusion

L’augmentation des taux d’allaitement en 2011 par rapport à 1997 reflète l’investissement des familles d’enfants nés prématurément et des professionnels dans un projet exigeant. Allaiter un enfant né prématurément est un choix individuel dont la réussite est liée au soutien spécialisé reçu tout au long de l’hospitalisation en néonatologie. Poursuivre ce soutien lors du retour à domicile pourrait s’intégrer dans une démarche collective de soutien à l’allaitement dans la population générale. La grande variabilité des taux d’allaitement à la sortie d’hospitalisation en néonatologie en France suggère la marge de progression potentielle sur le soutien à l’allaitement, et plus particulièrement le soutien à l’allaitement au sein, ainsi que l’amélioration de la prise en charge des familles et des enfants nés prématurément.

Remerciements

Les auteurs remercient les familles qui ont participé à l’étude Epipage-2, ainsi que l’ensemble des maternités et unités néonatales. Nous remercions les associations de parents (SOS Préma, Collectif interassociatif autour de la naissance [Ciane], Jumeaux et plus) pour leur soutien et leur implication dans la diffusion des résultats. Nous remercions le groupe d’étude des soins de développement d’Epipage-2 pour sa contribution à la conception et l’acquisition des données.

Financement

Ce projet a été financé grâce au soutien de l’Institut de recherche en santé publique/Institut thématique santé publique et de ses partenaires financeurs (ministère de la Santé et des Sports, ministère délégué à la Recherche, Institut national de la santé et de la recherche médicale, Institut national du cancer et Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), du programme Equipex des investissements d’avenir (appel d’offres coordonné par l’Agence nationale de la recherche), ainsi que la Fondation PremUp et la Fondation de France.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Mitha A, Kaminski M, Pierrat V. Allaitement à la sortie d’hospitalisation des enfants nés prématurément et politiques des unités néonatales : données de la cohorte nationale française Epipage-2. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(28):562-70. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/28/2020_28_2.html