Durée de l’allaitement en France selon les caractéristiques des parents et de la naissance. Résultats de l’étude longitudinale française Elfe, 2011

// Breastfeeding duration in France according to parents and birth characteristics. Results from the ELFE longitudinal French study, 2011

Sandra Wagner1,2 (sandra.wagner@inserm.fr), Claire Kersuzan3, Séverine Gojard3, Christine Tichit3, Sophie Nicklaus4,5,6, Bertrand Geay7, Pierig Humeau3, Xavier Thierry8, Marie-Aline Charles1,2, Sandrine Lioret1,2, Blandine de Lauzon-Guillain1,2
1 Inserm, Centre de recherche en Épidémiologie et statistique Paris Sorbonne Cité, U1153, Paris, France
2 Université Paris Descartes, Paris, France
3 Inra, UR1303-Aliss (Alimentation et sciences sociales), Ivry-sur-Seine, France
4 Inra, UMR1324-CSGA (Centre des sciences du goût et de l’alimentation), Dijon, France
5 CNRS, UMR6265-CSGA, Dijon, France
6 Université de Bourgogne, UMR-CSGA, Dijon, France
7 CNRS, UMR7319-Curapp (Centre universitaire de recherche sur l’Action publique et le politique), Amiens, France
8 Institut national d’études démographiques, Paris, France
Soumis le 17.03.2015 // Date of submission: 03.17.2015
Mots-clés : Nourrisson | Durée d’allaitement | Étude longitudinale | Cohorte
Keywords: Infant | Breastfeeding duration | Longitudinal study | Cohort

Résumé

Objectifs –

À partir des données de l’étude Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance), le premier objectif de ce travail était de décrire, sur un large échantillon représentatif des naissances en France métropolitaine en 2011, la durée totale de l’allaitement (durée pendant laquelle l’enfant reçoit du lait maternel quels que soient les autres aliments ou boissons associés), puis de distinguer celle de l’allaitement prédominant (le seul lait reçu par l’enfant est le lait maternel). Le second était d’identifier les facteurs socioculturels, démographiques et économiques associés à la durée d’allaitement.

Méthodes –

L’étude Elfe suit plus de 18 000 enfants nés en 2011 dans 320 maternités françaises sélectionnées de manière aléatoire. Les données sur l’alimentation de l’enfant ont été recueillies par entretien à la naissance, par téléphone à 2 mois et à 1 an, et par auto-questionnaire mensuel entre 3 et 10 mois. Des régressions linéaires bivariées, réalisées sur les enfants ayant été allaités (n=12 657), ont permis de tester les associations entre la durée d’allaitement et les facteurs socioculturels, démographiques et économiques.

Résultats –

Parmi les 70% de mères ayant initié un allaitement, la médiane de la durée totale d’allaitement était de 17 semaines et celle de l’allaitement prédominant était de 7 semaines. Seuls 19% des enfants recevaient encore du lait maternel à 6 mois. La durée totale d’allaitement était plus courte chez les mères âgées de moins de 30 ans, vivant seules, ayant un faible niveau d’études ou ayant repris le travail moins de 10 semaines après l’accouchement. En revanche, l’allaitement était plus long chez les mères cadres (par rapport aux mères employées), en congé parental (par rapport à celles qui avaient un emploi) ainsi que chez celles ayant suivi des séances de préparation à la naissance. L’allaitement était également plus long lorsque les pères avaient assisté à l’accouchement. Les facteurs associés à la durée totale d’allaitement et à celle de l’allaitement prédominant étaient similaires, à l’exception du pays de naissance des parents et de la situation professionnelle du père.

Conclusion –

La durée d’allaitement en France est loin des 6 mois d’allaitement exclusif recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (enfants recevant uniquement du lait maternel à l’exclusion de toute autre boisson, y compris de l’eau). Cette première analyse suggère que les limites à l’allaitement prolongé sont associées à la fois à la situation familiale, à la situation vis-à-vis de l’emploi et à des facteurs liés à l’éducation et à la culture.

Abstract

Objectives –

Based on the data from the ELFE Study (French longitudinal study from infancy) and on a large sample of births in France in 2011, the first objective of this work was to describe the total breastfeeding duration (infants consuming breast-milk along with whatever others foods and drinks associated), and distinguish predominant breastfeeding duration (breastmilk is the only milk consumed by infants). The second objective was to determine which factors were associated to breastfeeding duration.

Methods –

The ELFE Study follows up more than 18,000 infants born in 2011 in 320 French randomly selected maternity wards. Data relative to infant feeding were collected by interview at birth, by phone at 2 months and 1 year, and by monthly self-reported questionnaire between 3 and 10 months. Bivariate regression analyses, performed on breastfed infants (n=12,657), were used to assess relationships between breastfeeding duration and sociocultural, economic and demographic factors.

Results –

Among the 70% of mothers, which initiated breastfeeding, the median duration was 17 weeks for any breastfeeding and 7 weeks for predominant breastfeeding. Only 19% of infants still received breastmilk at 6 months. Any breastfeeding duration was shorter in mothers younger than 30 years old, single, with a low education level or returning to work before 10 weeks after delivery. By contrast, breastfeeding duration was longer for upper-class mothers (compared to employees), in parental leave (compared to those who were active), and for those who attended courses to be prepared for birth. Breastfeeding was also longer when fathers were present at delivery. Factors associated with any breastfeeding duration or predominant breastfeeding duration were overall consistent, except for parental country of birth, and the father’s professional status.

Conclusion –

Breastfeeding duration in France is far from the 6 months of exclusive breastfeeding recommended by World Health Organization (infants receiving only breast-milk without any other drinks, not even water). This first analysis suggests that barriers to longer breastfeeding are related to familial situation, employment status, and also factors linked with education level, and culture.

Introduction

Le lait maternel couvre à lui seul les besoins nutritionnels du nourrisson pendant les 6 premiers mois de la vie 1. L’allaitement aurait également des effets bénéfiques sur la santé du nourrisson ainsi que sur celle de sa mère 2. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un allaitement maternel exclusif (de tout autre aliment ou boisson) jusqu’à l’âge de 6 mois, suivi d’un allaitement partiel jusqu’à l’âge de 2 ans 3. En France, le Programme national nutrition santé (PNNS) préconise un allaitement exclusif si possible jusqu’à 6 mois, et au moins jusqu’à 4 mois. La durée de l’allaitement en France est mal connue, mais les rares estimations disponibles la situent bien en-deçà des recommandations de l’OMS. Elle serait même l’une des plus faibles d’Europe 4. La plupart des travaux fournissant des données sur la durée d’allaitement ont été menés à l’échelle régionale 5 ou locale 6,7,8. Dans les années 1990, la médiane de la durée totale d’allaitement était ainsi estimée entre 8 9 et 10 semaines 10. En 1999, en Savoie, la médiane de la durée totale d’allaitement était évaluée à 13 semaines 6, tandis qu’en 2007, dans la région des Pays de la Loire, elle était de 15,6 semaines 5. Une étude réalisée en région parisienne en 2002 a montré que 89% des enfants allaités à la sortie de la maternité l’étaient encore à 1 mois, mais que seuls 26% l’étaient de manière exclusive. Parmi les enfants nourris au sein à 1 mois, la prévalence de l’allaitement chutait à 37% à 6 mois 7. Dans l’étude Eden (Étude des déterminants pré et postnatals du développement et de la santé de l’enfant), réalisée entre 2003 et 2006 à Poitiers et Nancy, 42% des enfants étaient encore allaités à 4 mois et 20% de manière exclusive 8. Menée en 2012, l’étude Epifane (Épidémiologie en France de l’alimentation et de l’état nutritionnel des enfants pendant leur première année de vie) a été la première à fournir des chiffres sur la durée d’allaitement à l’échelle nationale. À partir d’un effectif de 3 365 couples mères/enfants, la médiane de la durée totale de l’allaitement était estimée à 15 semaines dans cette étude, 3 semaines et demie pour l’allaitement exclusif 11.

La promotion d’un allaitement plus long nécessite de mieux connaître les facteurs sanitaires, sociaux, démographiques ou encore culturels liés à la durée d’allaitement. Il a été montré que la durée d’allaitement était plus courte chez les mères âgées de moins de 30 ans ou occupant une profession autre que celle de cadre 5. Les mères en surpoids et obèses allaitaient également moins longtemps par rapport aux mères normo-pondérales 12,13. La durée d’allaitement était également réduite chez les mères ayant fumé durant la grossesse ou ayant repris le travail avant le quatrième mois de leur enfant 8. En revanche, les mères d’origine étrangère 8,14, celles dont les revenus familiaux étaient faibles 8, celles ayant un niveau d’études élevé 7,8,14 ou ayant reçu des informations sur l’allaitement durant la grossesse 7 étaient plus enclines à poursuivre un allaitement.

Cette étude, réalisée à partir des données de la cohorte Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) a pour objectifs, d’une part, d’étudier la durée de l’allaitement maternel sur un large échantillon représentatif des naissances en France métropolitaine en 2011 (plus de 18 000 enfants), en s’intéressant à la durée totale d’allaitement et en distinguant la durée d’allaitement prédominant (le seul lait reçu par l’enfant est du lait maternel) et, d’autre part, d’identifier les facteurs sociodémographiques, culturels et économiques associés aux durées de chacun de ces types d’allaitement. La distinction entre ces deux types d’allaitement est rarement présente dans la littérature 8.

Méthodes

Population étudiée dans le cadre de la cohorte Elfe

L’étude Elfe constitue la première cohorte française de naissances, de grande envergure, recrutée à l’échelle nationale. Plus de 18 300 enfants ont été recrutés à partir d’un échantillon aléatoire de 320 maternités en France métropolitaine : 349 maternités ont été tirées au sort parmi les 544 recensées en France métropolitaine et 91,7% d’entre elles ont accepté de participer à l’étude. Ce tirage au sort a été issu d’un plan de sondage stratifié avec allocations proportionnelles à la taille des maternités. Les variables de stratification implicites sont le statut juridique, le niveau et la région. Le recrutement des enfants a été mené sur 25 jours, répartis sur l’année 2011 en quatre vagues saisonnières d’enquête. Les nourrissons étaient éligibles s’ils étaient nés à 33 semaines d’aménorrhée au moins, singletons ou jumeaux, et issus d’une mère majeure résidant en France métropolitaine. Parmi les mères éligibles approchées, 50,9% ont consenti au suivi. Les enfants nés hors des jours d’inclusion Elfe (n=71) et ceux dont les parents ont retiré leur consentement sous deux mois (n=38) ont été exclus de l’étude. Les nourrissons pour lesquels il n’a pas été possible de vérifier les critères d’éligibilité en raison de données manquantes ont également été exclus (n=352). Ainsi, 17 836 enfants de la cohorte Elfe étaient réellement éligibles. Afin d’éviter les grappes familiales liées à l’inclusion des jumeaux et de produire des résultats plus comparables avec les études françaises, nous avons sélectionné au hasard un seul jumeau en cas de grossesse gémellaire (n=274 exclusions).

Suivi de l’alimentation lactée du nourrisson au cours de la première année

Afin d’observer finement le moment d’arrêt de l’allaitement, le mode d’alimentation lactée du nourrisson a été suivi tout au long de sa première année de vie. À la maternité, un questionnaire a été réalisé auprès de la mère, en face-à-face, par le personnel médical. Des entretiens téléphoniques ont ensuite été effectués avec la mère, 2 mois et 1 an après l’accouchement. Lors de chaque entretien, le mode d’alimentation lactée du nourrisson était demandé : lait maternel exclusivement, préparations pour nourrissons uniquement, les deux ou autre lait. Si la mère avait cessé d’allaiter, l’âge exact de l’enfant lors de l’arrêt de l’allaitement (total ou prédominant) était demandé, de même que l’âge d’introduction des préparations pour nourrissons. L’alimentation du nourrisson, y compris les boissons et autres aliments, a été suivie mensuellement par questionnaires Internet ou papier entre 3 et 10 mois après l’accouchement. Le type d’alimentation lactée est ainsi connu chaque mois. Le suivi longitudinal des enfants a permis d’effectuer des corrections de concordance entre le mode d’alimentation déclaré de la naissance à 12 mois, et les âges d’arrêt de l’allaitement et d’introduction des préparations infantiles renseignés. À partir de l’ensemble de ces données (mode d’alimentation à chaque mois de recueil, âge d’arrêt de l’allaitement prédominant, âge d’arrêt total de l’allaitement, âge d’introduction des préparations pour nourrissons), nous avons pu calculer la durée d’allaitement. Lorsque les informations disponibles étaient insuffisantes pour calculer cette durée, nous avons attribué au participant la durée médiane des nourrissons ayant le même profil d’allaitement.

Définition des modalités de l’allaitement maternel

L’OMS distingue trois grands types d’allaitement qui sont exclusifs les uns des autres : exclusif (le seul aliment ou boisson reçu par l’enfant est le lait maternel), prédominant (le seul lait reçu par l’enfant est le lait maternel, il ne reçoit aucune préparation infantile, ni lait animal, ni aucune boisson végétale, mais peut recevoir d’autres boissons telles que de l’eau ou des jus de fruits), mixte (l’enfant reçoit du lait maternel et des préparations infantiles). Dans la mesure où nous n’avions pas d’information sur la consommation d’eau durant les deux premiers mois de vie, en plus de la durée totale de l’allaitement (toutes définitions confondues), nous avons choisi d’étudier la durée de l’allaitement prédominant (période où le seul lait reçu par l’enfant était le lait maternel. Il ne recevait aucune préparation infantile, ni lait animal, ni aucune boisson végétale. Il pouvait recevoir d’autres aliments ou boissons tels que de l’eau ou des jus de fruits). Cette définition regroupe les catégories « allaitement exclusif » et « allaitement prédominant » de l’OMS.

Caractéristiques sociodémographiques, culturelles et économiques

Les enquêtes réalisées à la naissance et à 2 mois ont également permis de collecter des informations sur le nourrisson et sur les caractéristiques sociodémographiques, culturelles et économiques des parents.

Des informations supplémentaires, telles que le mode d’accouchement, l’état de santé et le poids de l’enfant ont été extraites du dossier médical.

Analyses statistiques

Afin de fournir des statistiques descriptives représentatives des naissances de 2011 en France métropolitaine, les données descriptives (prévalence et durée) ont été pondérées pour tenir compte du plan de sondage stratifié et des biais liés au non-consentement. Cette pondération, calculée par l’équipe Elfe, est obtenue par ajustement à partir des variables communes aux mères consentantes et aux non-consentantes, puis par redressement à l’aide d’un calage sur les marges à partir des données de l’état civil et de l’Enquête nationale périnatale (ENP) 2010 sur plusieurs variables (âge, région, état matrimonial, statut d’immigré, niveau d’études et primiparité).

Pour les courbes de prévalence de l’allaitement, nous avons utilisé la méthode de Kaplan-Meier à partir des données de durées d’allaitement imputées en utilisant la pondération calculée par l’équipe Elfe. Des régressions linéaires bivariées ont permis de tester les relations brutes entre la durée totale d’allaitement, la durée d’allaitement prédominant et les caractéristiques de l’enfant, de sa naissance, de sa mère, de son père et du ménage (cftableaux 1, 2, 3 et 4 pour le détail des caractéristiques).

Les données descriptives d’évolution de la prévalence de l’allaitement ont porté sur les 17 562 enfants pour lesquels l’initiation de l’allaitement a pu être évaluée. L’étude des facteurs associés à la durée de l’allaitement a été réalisée sur les enfants ayant été allaités à la naissance (n=12 657).

Résultats

La figure présente la prévalence d’allaitement au cours de la première année pour l’ensemble des participants éligibles. La prévalence de l’allaitement chutait de 69,7% à la naissance à 53,8% à 1 mois, tandis que la prévalence de l’allaitement prédominant passait de 59,5% à la naissance à 43,2% à 1 mois. À 6 mois, 19,2% des mères allaitaient encore leurs enfants, dont 9,9% de manière prédominante. À 1 an, 5,3% des nourrissons étaient toujours allaités, 2,9% de manière prédominante. Chez les mères ayant initié un allaitement (n=12 657), la médiane de la durée totale de l’allaitement était de 17 semaines et celle de l’allaitement prédominant était de 7 semaines.

Figure : Prévalence de l’allaitement de la naissance à 12 mois, Étude Elfe 2011, France (n=17 562)
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La durée de l’allaitement était plus courte pour les enfants jumeaux, prématurés ou avec un petit poids de naissance (<2 500g). Il en était de même pour les nourrissons nés par césarienne ou pour ceux ayant été transférés en raison d’un état de santé précaire. Un rang élevé dans la fratrie était quant à lui associé à une durée plus longue d’allaitement (tableau 1)

Tableau 1 : Durée d’allaitement (en semaines) pour les mères ayant initié un allaitement à la maternité (n=12 657), selon les caractéristiques du nouveau-né et de la naissance dans l’Étude Elfe, France, 2011
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Les caractéristiques sociodémographiques et culturelles de la mère (tableau 2), ainsi que celles liées à sa santé et à son suivi pendant la grossesse (tableau 3) étaient également liées à la durée d’allaitement. Les mères de moins de 30 ans, vivant seules ou en couple sans être mariées, ainsi que celles ayant un niveau d’études intermédiaires (CAP/BEP, lycée) ont allaité moins longtemps. Les mères envisageant lors de l’enquête à 2 mois de reprendre le travail moins de 10 semaines après leur accouchement ont allaité moins longtemps leur enfant, tandis que les mères en congé parental ou souhaitant reprendre le travail plus de 18 semaines après leur accouchement ont allaité plus longtemps leur enfant. La participation à des séances de préparation à la naissance était associée à la poursuite de l’allaitement. Le surpoids et l’obésité maternels avant la grossesse, ainsi que le tabagisme pendant la grossesse, étaient liés à un arrêt plus rapide de l’allaitement. Enfin, le diabète gestationnel, les difficultés psychologiques pendant la grossesse ou encore le sexe de l’enfant n’étaient pas associés à la durée d’allaitement.

Tableau 2 : Durée d’allaitement (en semaines) pour les mères ayant initié un allaitement à la maternité (n=12 657), selon les caractéristiques sociodémographiques et culturelles de la mère, Étude Elfe, France, 2011
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Tableau 3 : Durée d’allaitement (en semaines) pour les mères ayant initié un allaitement à la maternité (n=12 657), selon les caractéristiques liées à la santé et au suivi de la mère pendant la grossesse, Étude Elfe, France, 2011
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Les caractéristiques du père et du ménage étaient associées à la durée d’allaitement (tableau 4). L’âge du père et sa présence lors de l’accouchement étaient positivement associés à la poursuite de l’allaitement. Un revenu élevé du foyer était également lié à une durée d’allaitement plus longue.

Tableau 4 : Durée d’allaitement (en semaines) pour les mères ayant initié un allaitement à la maternité (n=12 657), selon les caractéristiques du père et du ménage, Étude Elfe, France, 2011
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Si la majorité des facteurs étudiés étaient associés de manière similaire à la durée totale de l’allaitement et à celle de l’allaitement prédominant, certains facteurs étaient associés uniquement à la durée de l’allaitement prédominant (situation professionnelle du père) ou étaient associés différemment à la durée totale de l’allaitement et à la durée de l’allaitement prédominant (pays de naissance des parents). Ainsi, la durée totale de l’allaitement était plus longue pour les enfants dont l’un des parents au moins était né à l’étranger comparés à ceux dont les deux parents étaient nés en France métropolitaine, alors que l’inverse était observé pour la durée de l’allaitement prédominant.

Des disparités géographiques ont été observées. Les mères résidant dans le Nord ont allaité moins longtemps leur enfant. En revanche, les mères vivant dans les régions Sud-Ouest et Centre-Est ont allaité plus longtemps de manière prédominante que celles vivant dans les autres régions.

Discussion

Comparativement aux résultats des études locales menées dans les années 1990, qui estimaient entre 8 et 13 semaines la durée médiane de l’allaitement 6,9,10, une augmentation de la durée totale de l’allaitement a été mise en évidence dans les années 2000 dans certains territoires, comme les Pays de la Loire 5,8. Dans l’étude Epifane, menée à l’échelle nationale en 2012, la médiane de la durée totale de l’allaitement a été estimée à 15 semaines 11. Les résultats obtenus dans notre étude montrent qu’en 2011, la médiane de la durée totale de l’allaitement atteignait 17 semaines chez les nourrissons allaités. Les résultats de l’étude Elfe confirment ainsi l’augmentation de la durée de l’allaitement en France. Cet allongement pourrait en partie résulter des actions de promotion de l’allaitement initiées en France au début des années 2000 dans le cadre du PNNS 15. Néanmoins, la durée de l’allaitement reste très éloignée du niveau des recommandations préconisées par l’OMS (6 mois de manière exclusive) ou par le PNNS (au moins 4 mois). Dans l’étude Elfe, seuls 18,3% des nourrissons étaient encore allaités de manière prédominante à 4 mois. Ces chiffres restent en-deçà de la prévalence de l’allaitement enregistrée par certains de nos voisins européens, l’Allemagne et l’Italie, dont la prévalence de l’allaitement exclusif/prédominant à 3-4 mois avoisine les 50% 4. Nous observons, dans l’étude Elfe, un « décrochage » de la prévalence de l’allaitement prédominant à 1 mois et demi, qui pourrait correspondre à une anticipation de la reprise du travail. Néanmoins, cette hypothèse doit être étudiée de manière plus précise.

Une politique efficace de promotion de l’allaitement nécessite de mieux connaître les facteurs influençant la durée d’allaitement. Comme les études précédentes l’ont montré 8,11,16, les caractéristiques sociodémographiques et culturelles de la mère, ainsi que celles liées à sa santé et son suivi pendant la grossesse, sont associées à la durée d’allaitement dans nos analyses bivariées. Bien que l’allaitement soit une solution « économique » par rapport aux préparations infantiles, les mères avec de faibles revenus allaitent moins longtemps. La majorité des facteurs mis en évidence sont similaires à ceux associés à l’initiation de l’allaitement dans l’étude Elfe 17, ainsi qu’à ceux identifiés par l’étude Épifane 11. Les résultats appuient donc la nécessité d’adapter les informations sur l’allaitement, de faire évoluer l’image de l’allaitement et d’apporter un soutien spécifique aux mères jeunes ou peu diplômées ou ayant un faible revenu. Il est également important d’apporter un soutien spécifique aux mères ayant un indice de masse corporelle élevé, qui ont une faible sécrétion de prolactine, hormone essentielle à la lactation. De plus, ces mères ont bien souvent une mauvaise image de leur corps 18,19. Des études ont montré que la durée de l’allaitement maternel serait en moyenne plus courte de 2 semaines pour les mères en surpoids et de 4 semaines pour les mères obèses relativement aux mères normo-pondérales 12,13. Notre travail indique que les mères en surpoids et obèses allaitent en médiane pendant 13 semaines, alors que les mères normo-pondérales allaitent durant 17 semaines. Cette différence de durée d’allaitement selon le statut pondéral des mères n’a pas été retrouvée dans l’étude Épifane. Il convient également de noter la différence de durée d’allaitement selon le statut conjugal des mères. Les mères seules et celles non mariées mais en couple allaitent moins longtemps que les mères mariées. La distinction entre mères mariées et non mariées mais en couple n’a pas été étudiée jusqu’à présent. Certaines études montrent un lien entre la qualité de la relation de couple des parents et le soutien du père en matière d’allaitement 20. Par ailleurs, il est possible que la situation conjugale de la mère soit corrélée avec d’autres variables liées à la durée d’allaitement. Par exemple, dans notre étude, les mères mariées avaient plus fréquemment un niveau d’études supérieures que les mères en couple non mariées ou que les mères seules. De même, les mères seules suivaient beaucoup moins souvent des séances de préparation à la naissance.

Le père est un acteur-clé du soutien de la femme allaitante 1. Il a été montré que sa perception ou ses préférences en matière d’allaitement ne sont pas sans effet sur la durée d’allaitement 11,21,22,23. Ainsi, l’étude Épifane a montré qu’une vision négative de l’allaitement par le conjoint mène à une durée d’allaitement plus courte 11. Alors que les caractéristiques socioéconomiques et culturelles du père n’ont été que très rarement prises en compte, l’étude Elfe a permis de mettre en évidence des associations entre la durée de l’allaitement et de nombreuses caractéristiques du père (âge, situation professionnelle, niveau études, catégorie socioprofessionnelle, pays de naissance, présence à l’accouchement). Le rapport « Plan d’action : allaitement maternel » 1 préconise d’associer davantage le père aux informations sur l’allaitement, en tenant compte de ses disponibilités, c’est-à-dire en dehors de ses horaires de travail, pour qu’il puisse également participer à ces activités.

Notre étude met en lumière l’importance de l’origine géographique des familles. Ainsi, les enfants dont l’un des parents au moins est né à l’étranger sont allaités plus longtemps que les enfants dont les deux parents sont nés en métropole. Cette observation rejoint les résultats de l’étude Eden 8. Des écarts de durées d’allaitement ont également été observées entre les mères d’origine étrangère et les autres aux États-Unis 23, en Espagne 24 et en Suède 25. Une étude internationale a montré que les mères chinoises immigrées en Australie initiaient davantage et allaitaient plus longtemps leurs enfants que les mères chinoises habitant en Chine 26. Ces auteurs mettent en avant un « effet migratoire sain ». Bien que les mêmes facteurs soient liés à la durée totale d’allaitement et à celle de l’allaitement prédominant, l’importance de l’aspect culturel joue un rôle particulier dans l’allaitement prédominant. Lorsqu’au moins un des parents est né à l’étranger, la durée totale d’allaitement est plus longue comparée à celle observée lorsque les deux parents sont nés en France, alors que l’inverse est observé pour l’allaitement prédominant. Cette discordance a déjà été évoquée dans la littérature 27 et pourrait s’expliquer par le fait que la pratique d’un allaitement mixte, associant allaitement maternel et préparations pour nourrissons, est fréquente dès la maternité dans certains pays. Il convient de souligner que ces résultats sont issus d’analyses bivariées et que des analyses multivariées seront menées pour déterminer le rôle propre de chacun des facteurs étudiés sur les durées d’allaitement.

Les enquêtes Elfe et Épifane sont les seules études à fournir des données sur la durée d’allaitement à l’échelle nationale française. Néanmoins, le consentement à un suivi longitudinal a pu sélectionner les répondantes 17, quoique de manière moindre pour l’enquête Épifane (1 an pour l’étude Épifane contre 20 ans annoncés pour l’étude Elfe). Les mères non scolarisées ou ayant un faible niveau d’études (école primaire, CAP/BEP) sont sous-représentées dans l’étude Elfe 28. Ce biais peut conduire à une surestimation de la durée d’allaitement, théoriquement contrôlé par l’application aux résultats d’une pondération calculée spécifiquement pour tenir compte des non-répondants. Nos résultats et ceux d’Épifane se rejoignent globalement, bien que les définitions ne soient pas exactement les mêmes. Notre définition de l’allaitement prédominant correspond aux définitions couplées des allaitements exclusif et prédominant dans l’étude Épifane. Ainsi, l’allaitement prédominant est nettement plus long dans Elfe (7 semaines) que l’allaitement prédominant/exclusif dans Épifane (3 semaines et demie). Cet écart pourrait également s’expliquer par des différences dans le mode de recueil des données ou dans le calcul des pondérations 29, mais globalement, les deux études permettent de conclure à une durée très faible de l’allaitement exclusif et/ou prédominant. L’étude Elfe présente trois principales forces : elle porte sur un large échantillon (plus de 18 000 enfants ont été recrutés), a une représentativité nationale et collecte un grand nombre de facteurs sociodémographiques, culturels et économiques des parents, notamment concernant le père. De plus, son caractère longitudinal permettra d’étudier les associations entre la durée d’allaitement et la santé de l’enfant.

Conclusion

Malgré son allongement depuis les années 1990, la durée de l’allaitement en France reste très éloignée des recommandations du PNNS et encore plus de celles de l’OMS. À partir d’un échantillon de grande taille, l’étude Elfe montre que les limites de l’allaitement prolongé sont associées, à la fois, à la situation familiale, à la situation vis-à-vis de l’emploi, ainsi qu’à des facteurs liés à l’éducation et à la culture. L’étude apporte ainsi de précieux éléments pour mieux cibler les mères qui cessent d’allaiter précocement, et qui pourront permettre in fine d’orienter les actions de promotion de l’allaitement.

Remerciements

Les auteurs remercient les familles qui ont participé à l’étude Elfe, ainsi que les membres de l’équipe Elfe pour leur travail de mise à disposition des données de l’étude.

L’enquête Elfe est une réalisation conjointe de l’Institut national d’études démographiques (Ined), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Établissement français du sang (EFS), de l’Institut de veille sanitaire (InVS), de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de la Direction générale de la santé (DGS, Ministère chargé de la Santé), de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR, Ministère chargé de l’Environnement), de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, Ministères en charge de la Santé et de l’Emploi) et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), avec le soutien du Ministère de la Recherche, du Comité de concertation pour les données en sciences humaines et sociales (CC DSHS) et du Ministère chargé de la Culture (Deps). Dans le cadre de la plateforme Reconai, elle bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’ANR au titre du Programme « Investissements d’avenir » portant la référence ANR-11-EQPX-0038.

Ce projet a bénéficié du financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du projet ANR SOFI (« Déterminants socioculturels des pratiques alimentaires durant la première année de vie ») : ANR -12-DSSA-0001.

Références

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Citer cet article

Wagner S, Kersuzan C, Gojard S, Tichit C, Nicklaus S, Geay B, et al. Durée de l’allaitement en France selon les caractéristiques des parents et de la naissance. Résultats de l’étude longitudinale française Elfe, 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(29):522-32. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/29/2015_29_1.html