Évaluation du dépistage de la tuberculose-maladie chez les étrangers en situation précaire dans un centre de santé de Médecins du Monde à Paris en 2012

// Evaluation of tuberculosis screening among precarious migrants in a medical center of Médecins du Monde in Paris (France) in 2012

Guillaume Rieutord1 (rieutordg@gmail.com) Hélène de Champs Léger1, Isabelle Caubarrere2, Emmanuelle Corp2, Jacques Blacher1
1 Hôtel-Dieu, AP-HP, Paris, France
2 Médecins du Monde, Caso de Paris, France
Soumis le 17.03.2015 // Date of submission: 03.17.2015
Mots-clés : Tuberculose | Dépistage | Migrants | Précarité
Keywords: Tuberculosis | Screening | Transients and migrants | Precariousness

Résumé

Introduction –

Plus de la moitié des cas (56%) de tuberculose déclarée en France concerne des personnes nées à l’étranger. Notre étude a évalué le dépistage de la tuberculose-maladie (TM) chez les migrants en situation de précarité consultant dans un centre de soins primaires de Médecins du Monde.

Matériel et méthodes –

Nous avons constitué une série rétrospective systématique de cas incluant l’ensemble des nouveaux patients ayant consulté dans le Centre d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) de Médecins du Monde à Paris, du 1er janvier au 31 décembre 2012. Les dossiers médicaux ont été analysés pour déterminer si le dépistage de la TM avait été réalisé, quel en était le résultat et quelle attitude avait été adoptée en fonction de ce dernier. Un questionnaire a été soumis aux praticiens du centre afin d’évaluer leur connaissance et leur motivation vis-à-vis du dépistage. L’analyse principale a porté sur la réalisation ou non du dépistage de la TM par radiographie de thorax.

Résultats –

Sur la période d’étude, 2 904 nouveaux patients ont consulté au Caso de Paris. Une radiographie de thorax leur était proposée soit quand la symptomatologie clinique était évocatrice de TM, soit à titre systématique, quel que soit le motif de consultation. Elle a ainsi été proposée à 37% des nouveaux patients et 31% l’ont réalisée. Elle a été considérée comme anormale chez 55 patients (6%). Parmi ceux-ci, 24 ont été perdus de vue (44%). Un traitement antituberculeux a été instauré pour 5 patients (9%), une surveillance active a été réalisée pour 6 patients (11%) et une abstention thérapeutique pour 20 patients (36%). La prévalence de la TM a été évaluée à 172/100 000 dans cette population.

Conclusion –

Cette étude décrit les modalités de dépistage de la tuberculose au Caso de Paris, une des rares structures de soins accessible aux étrangers exclus du système de santé. Elle souligne la forte prévalence de la TM dans cette population. Les imperfections dans l’organisation du dépistage sont analysées et des pistes d’amélioration sont proposées.

Abstract

Introduction –

More than half of tuberculosis cases reported in France (56%) affect people born abroad. Our study assesses the screening of tuberculosis disease among foreigners in precariousness consulting in a primary care medical center of Médecins du Monde.

Material and methods –

We carried out a retrospective and systematic review of cases including all new patients who consulted in the medical Center (CASO) of Médecins du Monde in Paris from 1 January to 31 December 2012. We analysed the medical records to determine if TB disease screening was done, what the result was and what were the subsequent decisions taken. A questionnaire was submitted to the practitioners in order to assess their knowledge and their motivation toward screening. The primary analysis focused on the conduct or not of TB disease screening by chest x-rays.

Results –

2,904 new patients were examined in the Paris CASO during the study period. A chest x-ray was proposed when the symptomatology suggested tuberculosis or systematically whatever the purpose of the consultation was. It was therefore proposed to 37% of patients, of whom 31% did it. It was considered as abnormal for 55 patients (6%). Among them, 24 were lost to follow-up (44%). Anti-tuberculosis treatment was set up for 5 patients (9%). Decision of active surveillance was taken for 6 patients (11%) and abstention for 20 of them (36%). The prevalence of tuberculosis disease was 172/100,000 in this population.

Conclusion –

This study describes the procedure of tuberculosis screening in the CASO of Paris, one of the rare medical structures accessible to foreigners excluded from the healthcare system. It emphasizes the high prevalence of tuberculosis in this population. Screening imperfections and ways for improvement are analysed.

Introduction

La tuberculose est un enjeu majeur de santé publique à l’échelle mondiale (9 millions de nouveaux cas et 1 million de décès chaque année) 1. Aujourd’hui, l’incidence de la tuberculose en France est faible, de l’ordre de 7,5 cas pour 100 000 habitants en 2013. Elle a diminué dans la population dans son ensemble, mais reste stable dans la population née à l’étranger 2,3. En Île-de-France, qui concentre la majorité des cas déclarés (incidence annuelle à Paris : 23,4 nouveaux cas/100 000 habitants), 2/3 des cas surviennent chez des personnes nées à l’étranger, dont 1/3 en Afrique subsaharienne 3,4. Il est souhaitable de favoriser le dépistage de la maladie chez les migrants récents.

Le dépistage de la tuberculose-maladie (TM) est radiographique. Il doit s’intégrer dans une démarche globale associant interrogatoire et examen clinique à la recherche de facteurs de risque, de signes fonctionnels et d’anomalies de l’examen clinique. Il est recommandé de proposer ce dépistage radiographique systématiquement aux migrants en provenance d’un pays à forte incidence et présents depuis moins de deux ans sur le territoire français. Devant des images radiologiques évocatrices de lésions tuberculeuses, un traitement antituberculeux est recommandé 5. Le dépistage est systématique chez les étrangers primo-arrivants souhaitant bénéficier d’un titre de séjour de plus de trois mois ; il est réalisé par l’Office français de l’immigration et de le l’intégration (OFII). En revanche, il n’existe aucun programme organisé pour les étrangers en situation irrégulière.

Cet article présente une évaluation des pratiques de dépistage de la tuberculose-maladie dans un Centre d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) de Médecins du Monde à Paris, qui reçoit une grande majorité de patients étrangers, sans couverture maladie, en situation d’isolement et de précarité 6. L’objectif principal était d’estimer le taux de réalisation du dépistage au sein de la population migrante primo-arrivante. Les objectifs secondaires étaient d’analyser l’aboutissement du processus de dépistage (traitement, abstention thérapeutique, surveillance, perdus de vue), de déterminer son efficacité (proportion de sujets traités parmi les sujets dépistés) et d’évaluer les connaissances et les pratiques des médecins.

Matériel et méthode

Population

Les sujets inclus étaient les patients adultes vus en consultation médicale pour la première fois au Caso de Paris du 1er janvier au 31 décembre 2012 inclus.

Schéma d’étude

Notre enquête a consisté en une évaluation de pratique (audit de pratiques de soins) par analyse rétrospective des dossiers des sujets éligibles au dépistage de la TM et par un questionnaire soumis aux praticiens réalisant le dépistage.

Déroulement de l’étude

La figure 1 résume le parcours de soins du patient consultant au Caso en ce qui concerne le dépistage de la TM.

Figure 1 : Parcours de soins du patient après proposition de dépistage de la tuberculose, Caso de Médecins du Monde, Paris, 2012
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Le recueil des données s’est appuyé sur plusieurs sources :

  • une base de données développée par Médecins du Monde sous le logiciel Sphinx® (logiciel d’analyses de données) dans laquelle tous les patients du centre sont répertoriés. Elle a permis d’extraire les informations sur les caractéristiques sociodémographiques de la population de l’étude et le nombre de radiographies prescrites. En pratique courante au Caso, la population des consultants étant de grande taille et le recueil de données se heurtant à des limites de moyens (il est réalisé par des bénévoles), la saisie des données complètes du dossier médical n’est réalisée que pour 1 patient sur 4, de manière aléatoire et anonyme. À partir de la population source, nous avons donc obtenu une population par échantillonnage aléatoire simple (méthode probabiliste). Cet échantillon était de taille suffisante pour permettre l’estimation des proportions, avec une précision de plus ou moins 10%. Nous avons donc pu extrapoler ces résultats à l’ensemble de la population de l’étude 7 ;
  • les registres de l’association relatifs aux résultats des examens d’imagerie, d’où ont été extraits le nombre de radiographies de thorax réalisées et le nombre de radiographies anormales ;
  • les dossiers médicaux du Caso des patients dont la radiographie de thorax était considérée comme anormale et les dossiers médicaux hospitaliers des patients adressés en milieu hospitalier. Ces dossiers ont permis d’extraire les informations suivantes : nombre de sujets adressés en milieu spécialisé et différents lieux d’adressages ; nombre de sujets ayant suivi les étapes du parcours de soins jusqu’à son terme ; nombre de sujets finalement traités.

Enfin, un questionnaire anonyme a été soumis aux praticiens du Caso, visant à évaluer leur implication vis-à-vis du dépistage de la TM.

Dans le cadre de notre audit, nous avons mesuré les critères suivants :

  • en analyse principale, la réalisation du dépistage par radiographie de thorax ;
  • en analyses secondaires, les décisions ultérieures (traitement, surveillance ou abstention thérapeutique) et l’efficacité du dépistage (proportion de TM décelées et de sujets traités parmi les sujets dépistés).

Résultats

Réalisation du dépistage

Au cours de l’année 2012, 2 904 nouveaux patients adultes ont eu une consultation médicale au Caso de Paris. Les données recueillies dans la base de données Sphinx® concernaient 646 d’entre eux. Les caractéristiques de ces patients sont présentées dans le tableau 1. Il s’agissait d’une population jeune (âge moyen : 38 ans), composée en quasi-totalité d’étrangers, dont une majorité originaire d’Afrique (64%). Le délai moyen d’arrivée en France était de 2 ans (64% en France depuis moins de 1 an). Les conditions de vie étaient le plus souvent précaires : seuls 6,7% avaient un titre de séjour, 78% n’avaient aucune couverture-maladie, alors que certains avaient des droits potentiels. Le logement était instable ou précaire dans 75% des cas et 67% des patients n’avaient aucun revenu, déclaré ou non.

Tableau 1 : Caractéristiques des patients de l’étude. Caso de Médecins du Monde, Paris, 2012
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Parmi les 646 patients de la base de données Sphinx®, 128 ont eu une prescription de radiographie de thorax (19,8%), dans le cadre du dépistage ou pour une autre raison. Pour cette donnée, l’information n’était disponible que pour 343 (53%) des 646 patients. En ne considérant que ces 343 dossiers correctement renseignés pour cette donnée, le taux de prescription a été de 37% (IC95%:[32-42]) (figure 2).

D’après les registres d’examens d’imagerie, 915 des 2 904 patients primo-consultants de notre étude (31%) ont eu une radiographie de thorax. Ce chiffre englobe les radiographies de dépistage ainsi que les radiographies réalisées dans un autre contexte. Dans certains cas, un seul patient avait eu plusieurs radiographies.

Figure 2 : Prescription et réalisation d’une radiographie de thorax, Caso de Médecins du Monde, Paris, 2012
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Résultats du dépistage

Sur les 915 radiographies de thorax analysées, 55 avaient été considérées comme anormales (6%). Il s’agissait en majorité de nodules (65%), d’adénopathies (20%), de lésions pleurales (7%) et d’infiltrats (4%) et 51 patients avaient été adressés en milieu hospitalier, le plus souvent vers les services de Pass (Permanence d’accès aux soins de santé) des hôpitaux parisiens, qui reçoivent gratuitement les patients sans couverture-maladie (figure 3). Les explorations menées sont décrites dans le tableau 2. Il s’agissait le plus souvent d’examens d’imagerie (tomodensitométrie thoracique, radiographie de thorax de contrôle) et microbiologiques (BK crachats et fibroscopie bronchique pour analyse du lavage broncho-alvéolaire). Un avis spécialisé (pneumologue ou infectiologue) avait parfois été demandé.

Figure 3 : Diagramme de flux de prise en charge des patients avec radiographie de thorax anormale, Caso de Médecins du Monde, Paris, 2012
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Tableau 2 : Examens complémentaires réalisés chez les patients avec radiographie de thorax anormale, Caso de Médecins du Monde, Paris, 2012
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Décisions prises

Au terme des explorations, les équipes hospitalières ont instauré un traitement antituberculeux pour 5 patients (9%). Il s’agissait de 3 tuberculoses pulmonaires, 1 tuberculose ganglionnaire et 1 spondylodiscite tuberculeuse. Dans les autres cas, la décision finale a été l’abstention pour 20 patients (36%) et une surveillance pour 6 patients (11%) ; 24 personnes ont été perdues de vue au cours des explorations (44%). Les causes d’abstention thérapeutique sont détaillées dans la figure 4.

Figure 4 : Causes d’abstention thérapeutique chez les patients avec radiographie de thorax anormale, Caso de Médecins du Monde, Paris, 2012
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Efficacité du processus de dépistage

Sur les 2 904 patients de notre étude, 1 969 n’ont pas été dépistés (69%) : le dépistage n’a pas été proposé pour 1 821 d’entre eux (63%) et proposé mais non réalisé pour 168 (6%).

Le dépistage a abouti au traitement de 5 TM, soit une efficacité estimée à 0,5% (1 patient traité pour 200 patients dépistés). La prévalence estimée de la TM dans la population de l’étude était de 172/100 000. Parmi les patients venant d’un pays à forte incidence de la tuberculose (>100/100 000 habitants), le dépistage semble particulièrement efficace : 40 des 55 patients avec dépistage radiographique positif venaient de l’un de ces pays (73%) et, quand un scanner thoracique était réalisé, il montrait des anomalies dans 75% des cas. Tous les cas de TM diagnostiqués dans notre étude sont survenus chez des sujets originaires de pays à forte incidence.

Questionnaire aux médecins (tableau 3)

Le questionnaire a été soumis aux 29 praticiens réalisant le dépistage dans le Caso et rempli par 28 d’entre eux (taux de réponse : 97%).

Tous se sentaient concernés par le dépistage et le considéraient comme utile et efficace, et 96% considéraient que la tuberculose est un enjeu de santé publique.

Concernant la connaissance des zones de forte endémie tuberculeuse et des facteurs de risque de la maladie, les taux de réponses correctes étaient respectivement de 58% et 45%.

Parmi les critères influençant la prescription ou non d’une radiographie de dépistage, on retrouve le pays d’origine dans 22 cas (79%) et la durée de séjour en France dans 8 cas (29%).

Parmi les obstacles rencontrés dans la réalisation du dépistage, les soignants citaient principalement la mauvaise compréhension du patient (29%) et les consultations dédiées à d’autres problèmes (25%).

Devant une image évocatrice de tuberculose sur la radiographie de thorax, 19 (68%) pensaient qu’il était recommandé de réaliser des explorations complémentaires pour prendre une décision de traitement, 6 (21%) pensaient qu’il fallait instaurer un traitement et 3 (11%) pensaient qu’il ne fallait traiter qu’en cas de symptomatologie clinique évocatrice de tuberculose.

Tableau 3 : Connaissances et pratiques des médecins en matière de dépistage de la tuberculose au Caso de Médecins du Monde, Paris, 2012
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Discussion

Cette étude apporte des renseignements sur l’efficacité du dépistage : il a été positif pour 6% des sujets dépistés et, à terme, il a abouti à 5 traitements, soit une « rentabilité » de 0,5%. Ce chiffre, apparemment bas, témoigne pourtant d’une incidence élevée de TM dans la population de notre étude, de l’ordre de 170/100 000, largement supérieure à celle observée en France. Il est d’ailleurs probablement sous-estimé car des cas de TM chez les perdus de vue ont pu échapper aux investigateurs et on a pu mettre en évidence dans notre travail que certains patients n’ont pas été explorés ou traités, ce qui est non conforme aux recommandations. De plus, la période sur laquelle s’est déroulée notre étude correspond à une année où le nombre de cas de tuberculose a été plus faible que les années précédentes et que celles qui ont suivi (données internes à Médecins du Monde, issues des registres d’observation) : en 2011, 847 radiographies de thorax ont été réalisées (soit chez 25% des patients primo-consultants) et 6 TM ont été diagnostiquées (efficacité de 0,7%). En 2013, 741 radiographies ont été effectuées pour 2 624 primoconsultants (28,3%), dont 40 se sont révélées anormales, et 11 TM ont été diagnostiquées (efficacité de 1,5%). Une étude réalisée par le Comede (Comité médical pour les exilés) entre 2009 et 2011 aboutit à des chiffres comparables 8.

Un des résultats majeurs de ce travail est aussi le faible taux de réalisation du dépistage, censé ici être proposé systématiquement. Dans les faits, il est prescrit à seulement 37,3% des patients. Sous l’hypothèse d’une bonne représentativité des échantillons de dossiers analysés, cela permet, en ramenant cette proportion à la population d’étude, d’évaluer à 1 084 le nombre de patients ayant eu une prescription. Sachant que 915 radiographies ont été effectuées au total dans la population d’étude, on aboutit à un taux de réalisation des radiographies de l’ordre de 84%, amenant au final à estimer à 31,5% le taux global de réalisation du dépistage. Ce constat est marquant car, si le taux de réalisation du dépistage est insuffisant, l’intérêt de ce dernier peut être remis en question.

Plusieurs éléments permettent d’expliquer cette insuffisance de dépistage :

  • des consultations longues, complexes, chez des patients qui consultent souvent pour un autre problème de santé. Dans ce contexte, le dépistage est difficilement apprécié comme prioritaire par les médecins prescripteurs. Il est proposé en fin de consultation, s’il reste du temps pour cela ;
  • un processus de dépistage insuffisamment systématisé : absence de standardisation de la démarche, manque de connaissances des praticiens sur l’épidémiologie de la maladie et ses modalités de dépistage, méconnaissance de l’efficacité du dépistage ;
  • des difficultés à surmonter certains obstacles inhérents aux populations rencontrées : barrière de la langue, problèmes de compréhension, démarche perçue comme intrusive.

Un autre élément significatif ressortant de cette étude est la proportion considérable de perdus de vue parmi les patients avec dépistage positif : 43,6%, dont une majorité qui l’est entre le diagnostic radiologique et la prise en charge hospitalière. Cela s’explique en partie par l’instabilité résidentielle de ces patients, la difficulté à les joindre, à les retrouver. Certains ont pu simplement abandonner leur suivi médical. D’autres peuvent ne pas avoir compris le diagnostic, l’importance de la maladie et la suite de la prise en charge. Cette dernière, parfois compliquée (hôpital, délai des consultations ou des examens…), peut aussi être un facteur démotivant 9,10. Cela ouvre un champ de travail important pour le futur.

Limites de l’étude

L’étude ne concerne qu’un seul centre de soins primaires dédié à la population d’étrangers en situation précaire et l’analyse des pratiques du Caso de Paris ne peut pas être généralisable aux autres centres exerçant une activité similaire.

De même, le caractère rétrospectif de l’étude, la petite taille de l’échantillon, la courte période couverte et le recueil parfois partiel de données constituent d’autres limites de notre travail.

Perspectives

Notre travail s’est intéressé au dépistage de la TM dans une population d’étrangers en situation précaire, population très peu étudiée jusqu’à présent et qui « échappe » au dépistage organisé par l’OFII. Nos résultats incitent à une réflexion sur le parcours de soins dans le dépistage de la TM pour ces migrants. Le faible taux de prescription de radiographies de thorax et le nombre importants de perdus de vue doivent faire revoir les modalités du dépistage au Caso de Paris. Une simplification et une homogénéisation doit être envisagée à chaque temps du processus. Nous proposons ainsi :

  • une meilleure sensibilisation des médecins à l’importance du dépistage de la TM ;
  • une meilleure sensibilisation des populations concernées : s’appuyer sur des campagnes d’information et insister auprès des patients sur la nécessité du dépistage (risque de contagiosité, bénéfice d’un éventuel traitement…) ;
  • l’amélioration et la systématisation des recueils de données, dont l’exploitation permet de suivre les tendances épidémiologiques, d’évaluer les pratiques de dépistage et ainsi de fournir des solutions adaptées à la situation observée ;
  • la simplification de certaines procédures administratives, en utilisant par exemple une fiche d’information standardisée pour la prescription de la radiographie de thorax, ses résultats et les décisions prises ;
  • le recours à une unité mobile de radiologie, qui apparaît comme une démarche très facilitatrice : c’est celle mise en place au Caso de Saint-Denis (93) grâce à un partenariat avec le Conseil général de Seine-Saint-Denis. Recommandée par le CSHPF 5, elle simplifie l’étape de réalisation et de lecture du cliché et permet ainsi de réduire le nombre de perdus de vue. Selon l’exemple du Caso de Saint-Denis, ce fonctionnement est très efficace puisqu’en 2012, pour 43 interventions avec l’unité mobile radiologique, 1 078 personnes ont été dépistées et 10 TM ont été diagnostiquées. Cela représente une prévalence de 927/100 000, nettement supérieure à celle de notre étude ;
  • l’établissement d’un partenariat avec un centre référent unique, assurant :
    • l’obtention simplifiée des examens nécessaires, radiologiques et/ou bactériologiques ;
    • leur lecture par une équipe multidisciplinaire (cliniciens, radiologues, bactériologistes) ;
    • un avis décisionnel concernant la prise en charge ultérieure et les choix thérapeutiques.

Un tel partenariat est en cours d’établissement entre le Caso de Paris et la Pass de l’Hôtel-Dieu (AP-HP).

La décision thérapeutique n’est pas simple. En effet, les critères classiques d’évolutivité de la tuberculose (majoration des images radiologiques avec le temps) sont difficiles à surveiller du fait des caractéristiques mêmes de la population (précarité, nombreux perdus de vue) ; pourtant, le risque d’évolutivité doit être pris en considération. La question se pose d’un traitement antituberculeux systématique devant toute image de tuberculose présente, mais d’évolutivité imprécise. Dans cette étude, nos résultats laissent à penser que le traitement a été insuffisamment proposé. Cela témoigne de la réticence des médecins, mise en évidence dans notre questionnaire, à instaurer un traitement systématique. De plus, il peut être délicat d’initier un traitement sans preuve bactériologique ni antibiogramme, par crainte de se trouver face à une souche résistante au traitement classique (multidrugresistant tuberculosis, MDR-TB ou extensively drugresistant tuberculosis, XDR-TB), d’autant plus si le patient provient d’un pays à haute incidence de tuberculose multirésistante ou s’il a déjà reçu un traitement antituberculeux, incomplet ou arrêté précocement, ce qui n’est pas rare. Un traitement sur les bases d’une anomalie radiologique ne peut s’envisager que dans un cadre bien défini, après développement d’examens paracliniques répétés (imagerie, bactériologie) ayant abouti à une suspicion forte d’évolutivité (dans le cas de prélèvements microbiologiques négatifs) et avec la nécessité d’un suivi médical étroit. Il apparaît que les recommandations actuelles, qui ont le mérite de donner un cadre bien défini au dépistage, ne sont pas assez précises au sujet de la prise en charge pratique d’un patient avec radiographie de thorax évocatrice de tuberculose.

Les données de la littérature laissent penser que les enquêtes autour de cas de TM, particulièrement chez les étrangers, ont une meilleure efficacité (taux de dépistage positif de l’ordre de 7%) que le dépistage systématique des nouveaux arrivants 11. Pour autant, cette solution est peu réalisable au vu de la réalité du terrain : le travail d’enquête des Centres de lutte antituberculeuse (Clat) est plus difficile à mener chez les migrants en situation précaire. Dans cette population, le taux de sujets dépistés est faible (1 sujetontact sur 4 dépisté). Ceci s’explique par l’isolement social, l’absence de logement fixe, des réticences 8 et plaide également en faveur d’un dépistage systématique chez les migrants en situation précaire ou irrégulière.

Conclusion

Notre travail sur le dépistage de la tuberculose chez les étrangers en situation précaire souligne l’importance de centres tels que le Caso de Paris pour une population à forte prévalence. Bien qu’encore imparfait, ce dépistage apparaît particulièrement pertinent chez ces patients, et indispensable, tant dans un objectif d’éradication de la tuberculose en France que pour le bénéfice individuel des patients diagnostiqués. Nos propositions d’amélioration sont la réalisation du dépistage au sein même du Caso au moyen d’une unité mobile de radiologie et l’homogénéisation de la prise en charge des patients dépistés positivement par la mise en place d’un partenariat avec une structure hospitalière unique servant de centre de référence pour ces patients. L’évaluation des pratiques de dépistage devra être renouvelée, afin de suivre l’évolution de leur adéquation aux recommandations.

Remerciements

À l’équipe médicale et paramédicale du Caso de Paris.

Références

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6 Médecins du Monde. Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de la mission France. Rapport 2013. Paris: Médecins du Monde; 2014. 180 p. http://www.medecinsdumonde.org/Publications/Les-Rapports/En-France/Observatoire-2014-de-l-acces-aux-droits-et-aux-soins-telechargez-le-rapport
7 Lwanga SK, Lemeshow S. Détermination de la taille d’un échantillon dans les études sanométriques : manuel pratique. Genève: Organisation mondiale de la santé; 1991. 62 p. https://extranet.who.int/iris/restricted/handle/10665/36881
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Citer cet article

Rieutord G, de Champs Léger H, Caubarrere I, Corp E, Blacher J. Évaluation du dépistage de la tuberculose-maladie chez les étrangers en situation précaire dans un centre de santé de Médecins du Monde à Paris en 2012. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(29):533-41. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/29/2015_29_2.html