Étude des expositions non professionnelles à des facteurs de risque de mésothéliome dans l’étude pilote
DO-Mésothéliome 2013-2015

// Study on non occupational exposures to risk factors of mesothelioma
in the DO-Mésothéliome pilot study 2013-2015

Laurence Guldner1 (laurence.guldner@santepubliquefrance.fr), Dorothée Grange1, Sabyne Audignon2, Delphine Jezewski-Serra1, Annabel Rigou1, Agnès Guillet1, Marine Sabastia1, Joëlle Le Moal1, Laurence Chérié-Challine1, Mélina Le Barbier1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Université de Bordeaux, BPH Inserm U1219, EpiCEnE-Essat, Bordeaux, France
Soumis le 09/12/2019 // Date of submission: 12/09/2019
Mots-clés : Mésothéliome | Déclaration obligatoire | Enquêtes d’exposition | Expositions extraprofessionnelles
Keywords: Mesothelioma | Mandatory notification | Exposure survey | Non-occupational exposures

Résumé

Introduction –

Près de 20% des mésothéliomes de la plèvre chez l’homme et 60% chez la femme surviennent chez des personnes qui n’ont jamais été exposées professionnellement à l’amiante. Chez ces sujets, comme chez ceux atteints de mésothéliome non pleuraux, la recherche de sources extraprofessionnelles d’exposition à l’amiante et d’expositions à d’autres facteurs de risque de mésothéliome que l’amiante est importante. L’objectif de cette étude est de décrire les expositions non professionnelles potentielles à différents facteurs de risque de mésothéliome de sujets atteints de mésothéliomes et ayant une exposition professionnelle à l’amiante nulle ou possible.

Matériel et méthode –

Dans le cadre de l’étude pilote DO-Mésothéliome, mise en œuvre dans huit régions françaises, 78 sujets ayant une exposition professionnelle à l’amiante nulle ou possible ont été inclus. Le diagnostic de mésothéliome (toutes localisations) avait été posé entre 2013 et 2015 et notifié via la déclaration obligatoire (DO). Les expositions potentielles à l’amiante, ainsi qu’à d’autres facteurs de risque de mésothéliome suggérés dans la littérature, ont été évaluées par expertise des questionnaires et un système d’information géographique. Pour ces 78 sujets, sont décrites les expositions extraprofessionnelles liées à la promiscuité avec l’entourage exposé professionnellement (expositions para-professionnelles), aux activités de bricolage, aux logements en eux-mêmes, à la proximité de sources environnementales, aux expositions professionnelles possibles, ainsi que les antécédents médicaux et thérapeutiques.

Résultats –

Parmi les 78 sujets, 53% avaient pu être exposés du fait de la proximité de leurs lieux de vie avec des sources environnementales (<2 km), 46% par des expositions para-professionnelles, 22% par des expositions professionnelles possibles à l’amiante, 17% par des expositions au domicile et 17% par des expositions via le bricolage. Par ailleurs, 20% avaient un risque d’exposition extraprofessionnelle aux laines minérales. Au final, 90% des sujets de l’étude présentaient au moins un facteur de risque d’exposition extraprofessionnelle à l’amiante et/ou à des laines minérales, 10% des sujets n’ayant aucune exposition connue à des fibres. Le pourcentage de cas concernés par des expositions para-professionnelles était plus élevé chez les femmes que chez les hommes, alors que les expositions professionnelles possibles ou liées à une activité de bricolage étaient plus fréquentes chez les hommes. Un sujet sur 10 avait été exposé à des radiations ionisantes, professionnellement ou à visée médicale.

Conclusion –

Cette étude pilote a permis d’évaluer les expositions non professionnelles à l’amiante et aux autres facteurs de risque de mésothéliome dans le cadre du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) et de la DO. La méthode développée va pouvoir être utilisée sur un plus grand nombre de sujets du PNSM et, à terme, dans le Dispositif national de surveillance du mésothéliome (DNSM). Elle a permis de conforter l’hypothèse du rôle possible des expositions para-professionnelles, du bricolage ou de la proximité résidentielle avec des sources potentielles d’émissions environnementales d’amiante, chez des sujets atteints de mésothéliome (pleural comme hors plèvre) pour lesquels l’exposition professionnelle était nulle ou possible.

Abstract

Introduction –

Around 20% of pleural mesotheliomas in men and 60% in women occur among people who have never been occupationally exposed to asbestos. Among these subjects, as among those with non-pleural mesothelioma, it is important to search for extra-occupational sources of asbestos exposure and exposure to other risk factors for mesothelioma than asbestos. The objective of this study is to describe potential non-​occupational exposures to different risk factors for mesothelioma among subjects suffering from mesothelioma and without no occupational exposure to asbestos (or with very low probability).

Material and method –

As part of the DO-Mésothéliome pilot study, conducted in eight French regions, 78 subjects without (or with very low probability of) occupational exposure to asbestos were included. The diagnosis of mesothelioma (all locations) was made between 2013 and 2015 and notified via mandatory notification (MN). Asbestos exposures, as well as other risk factors for mesothelioma suggested in the literature, were assessed by questionnaires expertise and a geographic information system (GIS). For these 78 subjects, non-occupational exposures related to the proximity with occupationally exposed co-residents (para-​occupational exposures), DIY activities, home itself, proximity to environmental sources, possible occupational exposures as well as medical and therapeutic history are described.

Results –

Among these 78 subjects, 53% had potentially been exposed due to the proximity of their living areas to environmental sources (<2 km), 46% by para-occupational exposures, 22% by possible occupational exposures to asbestos, 17% through home and 17% through DIY activities. In addition, 20% had a risk of non-occupational exposure to mineral wool. In the end, 90% of the subjects had at least one risk factor for non-occupational exposure to asbestos and/or mineral wool, 10% of subjects having no known exposure to fibers. The percentage of cases affected by para-occupational exposures was higher in women than in men, while possible occupational exposures or those linked to a DIY activities were more frequent in men. One in 10 subjects had been exposed to ionizing radiation, occupationally or for medical purposes.

Conclusion –

In this pilot study, non-occupational exposures to asbestos and other risk factors for mesothelioma were assessed among subjects included in the National Surveillance Program of Mesothelioma (PNSM) and MN. The method will be further used on a larger number of PNSM subjects and in the National Mesothelioma Surveillance System (DNSM). It emphasis the hypothesis of the possible role of para-occupational exposures, DIY activities or residential proximity to potential sources of environmental asbestos emissions, among subjects suffering from mesothelioma (pleural and non-pleural) without known occupational exposure.

Introduction

La proportion de cas de mésothéliomes attribuables à une exposition à l’amiante dépend de plusieurs facteurs (genre, localisation anatomique, type de fibre, etc.) 1. Plus de 80% des mésothéliomes de la plèvre qui surviennent chez l’homme sont attribuables à des expositions professionnelles à l’amiante. Une part non négligeable des mésothéliomes surviennent toutefois chez des sujets qui n’ont jamais été exposés professionnellement à l’amiante (près de 20% chez l’homme et 60% chez la femme 2), probablement plus encore pour les mésothéliomes non pleuraux 3,4,5. D’autres sources d’exposition à l’amiante, extraprofessionnelles (notamment environnementales), de même que des facteurs de risque autres que l’amiante, sont ainsi à rechercher.

Les autres facteurs de risque 1,4,6, bien qu’encore discutés, incluent notamment d’autres particules minérales allongées (PMA) : fragments de clivage, fibres minérales autres que l’amiante, qu’elles soient naturelles ou artificielles. Plusieurs études montrent par ailleurs une association entre le risque de mésothéliome et l’exposition à des radiations ionisantes d’origine médicale ou professionnelle. Des facteurs de risque chimique sont aussi évoqués chez l’animal (nitrosamines, bromates). Le virus simien SV40, suspecté d’avoir contaminé certains vaccins contre la poliomyélite dans les années 1950, a également été évoqué comme cofacteur de survenue de mésothéliome. On évoque également des interactions gène-environnement (mutation génétique héréditaire BAP-1/BRCA1 associated protein-1) dans moins de 1% des cas. Enfin, l’inflammation chronique des séreuses (tuberculose, empyèmes chroniques, péritonites récurrentes, maladie de Crohn, endométriose) a également été évoquée comme facteur de risque 1,7,8. Aujourd’hui, on suppose cependant que la majeure partie des mésothéliomes survenant chez des sujets non exposés à l’amiante serait d’origine idiopathique.

En France, la surveillance des mésothéliomes est assurée via le Programme national de surveillance des mésothéliomes pleuraux (PNSM), mis en place en 1998 et couvrant actuellement 21 départements (environ 30% de la population française) ainsi que la déclaration obligatoire des mésothéliomes (DO). Cette DO, mise en place en 2012 9, vise deux objectifs appuyés par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) :

renforcer la surveillance des mésothéliomes : toutes localisations, sur l’ensemble du territoire national ;

améliorer les connaissances sur les expositions, notamment environnementales, dans trois populations ciblées : les femmes ayant un mésothéliome, quelle que soit la localisation, les hommes de moins de 50 ans ayant un mésothéliome de la plèvre et tous les sujets atteints de mésothéliomes non pleuraux.

Pour répondre à ce deuxième objectif, une étude pilote a été initiée en 2014 afin de tester la faisabilité et la pertinence de réaliser des enquêtes d’exposition auprès des sujets de ces trois populations cibles 10.

Nous présentons ici les résultats issus de ce pilote, concernant la description des facteurs risque de mésothéliome chez des sujets atteints de mésothéliome et ayant une exposition professionnelle à l’amiante nulle ou possible.

Matériel et méthode

À partir de janvier 2014, des enquêtes ont été réalisées dans huit régions volontaires par les centres locaux du PNSM en Alsace, Aquitaine, Basse-Normandie, Franche-Comté (régions couvertes par le PNSM 2) et par les Cellules régionales de Santé publique France en Bretagne, Picardie, Limousin et Poitou-Charentes (non couvertes par le PNSM). Les cas étaient des sujets diagnostiqués pour un mésothéliome entre 2013 et 2015, appartenant aux trois populations ciblées par les enquêtes DO-Méso (dont la pathologie était plus probablement liée à des expositions non professionnelles), identifiés à partir des formulaires de notification (DO) reçus par les Agences régionales de santé.

Un questionnaire, portant sur le parcours professionnel, résidentiel et scolaire du patient ainsi que ses activités professionnelles ou extraprofessionnelles potentiellement exposantes (à l’amiante, à d’autres fibres ou à des rayonnements ionisants), a été administré au sujet par un enquêteur en face à face. Ce questionnaire était identique dans les zones couvertes ou non par le PNSM, à l’exception de questions sur la radiothérapie et des questions libres sur les expositions domestiques à des produits contenant de l’amiante (uniquement en zone hors PNSM). Les questions portaient sur :

les expositions professionnelles pour chaque emploi exercé ;

les expositions extraprofessionnelles (non environnementales), comprenant les expositions para-professionnelles (exposition à des fibres importées du milieu professionnel par l’entourage), les expositions via des activités de bricolage (rénovation de bâtiments, entretien automobile…) et les expositions « domestiques » (manipulation d’objets contenant de l’amiante au domicile ou fréquentation de lieux dont les matériaux de construction contenaient de l’amiante). Pour les zones non couvertes par le PNSM, les expositions « domestiques » étaient recueillies par une question précise, illustrée par des photos ;

les expositions environnementales, liées au fait de résider, étudier ou travailler à proximité de sites potentiellement exposants à l’amiante (SPEA).

Les expositions professionnelles et extraprofessionnelles (non environnementales) aux fibres ont été évaluées selon une probabilité, intensité, fréquence et durée d’exposition, par expertise des informations recueillies dans le questionnaire (calendrier professionnel du sujet et des proches, activité dans l’emploi, réalisation d’activités potentiellement exposantes). L’exposition aux rayonnements ionisants était exprimée en possible ou non.

Les expositions environnementales potentielles ont été déterminées à l’aide d’un système d’information géographique (SIG sous ArcGIS®). Les adresses de tous les lieux de vie (domiciles, écoles, emplois) fréquentés durant au moins six mois par les sujets depuis leur naissance ont été géocodées et couplées avec une base de données géographiques de SPEA naturels ou industriels 11. La présence d’une source potentielle dans un rayon de 500 m, 2 km et 5 km autour de chaque lieu de vie a ensuite été recherchée, avec croisement des périodes d’activité du site et de résidence des sujets 12. En l’absence de consensus concernant la distance des lieux de vie à ces SPEA, nous avons considéré 13,14 une distance de 2 km comme associée à une forte probabilité d’exposition et de 2 à 5 km comme associée à une faible probabilité d’exposition (de probabilité inconnue au-delà de 5 km). Les conditions météorologiques et climatiques n’ont pas été prises en compte dans ce pilote. La base de données des SPEA comprenait 1 739 sites (1 709 sites industriels, dont environ deux tiers de chantiers navals et 30 sites naturels) (figure 1). Parmi les 78 sujets, 1 098 adresses ont été recensées (en moyenne 14 par sujet, 7 domiciles, 3 écoles et 4 emplois) (figure 2).

Figure 1 : Répartition géographique des sites industriels, chantiers navals et sites naturels considérés dans l’étude
pilote DO-Mésothéliome. France, 2013-2015
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Figure 2 : Répartition géographique des lieux de vie des sujets atteints de mésothéliome (n=78) dans l’étude
pilote DO-Mésothéliome. France, 2013-2015
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Enfin, les antécédents médicaux personnels (maladies respiratoires, affections chroniques, cancers) et familiaux (cancers), ainsi que les antécédents thérapeutiques (talcages, chimiothérapies, radiothérapies) déclarés dans le questionnaire ont été étudiés.

De plus amples détails sur la méthode d’évaluation sont disponibles par ailleurs 10.

La description de ces différentes expositions a été effectuée avec le logiciel SAS Entreprise Guide®.

Résultats

Dans les huit régions pilotes, 229 cas de mésothéliome appartenant aux trois populations ciblées ont été diagnostiqués entre 2013 et 2015 et repérés par la DO (38% des cas notifiés dans ces régions sur cette période). Parmi ceux-ci, 103 personnes ont pu être enquêtées (45%), le principal motif d’absence d’enquête étant le décès du patient. Pour l’analyse, seuls les 78 sujets parmi ces 103 cas enquêtés pour lesquels aucune exposition professionnelle à l’amiante n’a été retrouvée ou évaluée possible (76%) ont été conservés (tableau 1). Il s’agissait de 67 femmes et 11 hommes.

Tableau 1 : Répartition des cas de mésothéliome diagnostiqués entre 2013 et 2015,
appartenant aux trois populations ciblées par l’étude pilote DO-Mésothéliome, selon la probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante
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Les mésothéliomes de ces 78 sujets étaient localisés au niveau de la plèvre (n=59), du péritoine (n=18) et à la fois de la plèvre et du péritoine (n=1). Pour ces personnes, la moyenne d’âge au diagnostic était respectivement de 73, 58 et 74 ans. Parmi les 78 sujets, 9 avaient moins de 50 ans au diagnostic, le plus jeune étant un homme de 18 ans atteint d’un mésothéliome du péritoine.

Les différentes expositions aux fibres d’amiante ou aux laines minérales (tableau 2)

Expositions professionnelles possibles à l’amiante ou aux laines minérales

Parmi les 78 sujets, 61 (78%) n’avait aucune exposition professionnelle retrouvée à l’amiante et 17 (22%, 36% des hommes et 19% des femmes) avaient une exposition possible. Hormis 2 sujets parmi ces 17 (1 commerçante en textiles avec des activités de repassage et 1 employé de voirie) possiblement exposés de manière directe, les 15 autres étaient exposés de manière indirecte ou passive (manipulation par un tiers de matériaux contenant de l’amiante à proximité du poste de travail ou présence dans les installations ou bâtis), majoritairement avec une fréquence occasionnelle, une durée inférieure à 5 ans et une intensité faible. Les expositions professionnelles aux laines minérales (9% des cas, 27% des hommes et 6% des femmes), évaluées comme possibles, probables ou très probables, majoritairement indirectes, étaient retrouvées chez des sujets présents lors de la réalisation de travaux d’isolation sur leur lieu de travail.

Tableau 2 : Description des différents risques d’exposition professionnelle et extraprofessionnelle à l’amiante et aux laines minérales (LM). Étude pilote DO-Mésothéliome, France, 2013-2015
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Risques d’expositions extraprofessionnelles non environnementales

Les expositions para-professionnelles à l’amiante ou aux laines minérales ont été retrouvées respectivement chez 36 et 2 des 78 sujets (46% et 3%) et concernaient quasi exclusivement des femmes. Dans plus de 80% des cas, ces expositions étaient directes (contact avec des vêtements empoussiérés lors du lavage), d’intensité faible, de fréquence occasionnelle, mais de longue durée (15 ans en moyenne, jusqu’à 40 ans).

Les expositions à l’amiante liées au bricolage (17% des cas, 36% des hommes et 13% des femmes) concernaient des interventions sur des toits en fibrociment, la présence lors de travaux de flocage ou d’isolation, ou bien le changement de freins ou plaquettes automobiles. Les expositions aux laines minérales via le bricolage (17% des cas également, 36% des hommes et 13% des femmes) concernaient des sujets ayant manipulé ou au contact de la laine minérale dans leur domicile, avec des expositions majoritairement directes ou passives, de fréquence occasionnelle, de durée inférieure à 5 ans et d’intensité faible.

Parmi les sujets interrogés sur d’éventuelles autres expositions extraprofessionnelles à l’amiante (50 sujets ayant répondu au questionnaire administré dans les régions non PNSM), 13 (26%) déclaraient avoir connaissance d’une exposition par la fréquentation de locaux floqués, la manipulation ou le contact avec des tables à repasser, radiateurs, grilles pain, diffuseurs ou maniques.

Risques d’expositions environnementales

Concernant les risques d’expositions environnementales à l’amiante, la proportion de sujets en fonction de la proximité des lieux de vie avec des SPEA (industriel ou chantier naval) est décrite dans la figure 3. Plus de 70% des sujets avaient fréquenté au moins un lieu situé à moins de 5 km d’un ou plusieurs SPEA (respectivement 50% et 19% pour des lieux distants de 2 km et 500 m de SPEA). Le nombre moyen de SPEA à moins de 2 km d’un lieu de vie était de 4,7 (0 à 42 sites) par sujet, dont 2,8 sites industriels (0 à 23) et 1,9 chantier naval (0 à 37). Aucun des 78 sujets n’avait résidé, étudié ou travaillé à moins de 5 km d’un site naturel.

Lorsqu’on considère le type de lieu de vie (domicile, école, travail), le pourcentage de sujets ayant fréquenté au moins un emploi, une école ou un domicile à moins de 2 km d’un ou plusieurs SPEA était respectivement de 43%, 21% et 43 %. Si les écoles semblaient donc moins concernées que les emplois ou les domiciles par la proximité (moins de 2 km) d’un SPEA, ce résultat est à rapprocher de ceux concernant la qualité du géocodage, de moins bonne qualité pour les écoles (plus souvent géolocalisées au centroïde de la ville par manque de précision sur l’adresse, comparativement aux domiciles et aux emplois).

Figure 3 : Proportion de sujets atteints de mésothéliome en fonction de la proximité des lieux de vie (école, emploi, domicile) avec des sites potentiellement exposants à l’amiante (n=78). Étude pilote DO-Mésothéliome, France,
2013-2015
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Autres expositions potentielles

Concernant les risques d’exposition aux radiations ionisantes, 3 sujets (2 hommes médecins et 1 auxiliaire de puériculture) avaient eu une exposition professionnelle possible, lors de la réalisation de radiographies diagnostiques ou la manipulation de radium thérapeutique. Aucun sujet n’avait été exposé aux rayonnements ionisants du fait de ses activités extraprofessionnelles. Chez les 50 sujets interrogés en région non PNSM, 4 femmes et un homme (10% des cas) avaient été traités par radiothérapie, 3 à 30 ans avant le diagnostic du mésothéliome, pour le traitement de cancers du sein, de l’ovaire ou de l’œsophage.

Après prise en compte de l’ensemble des sources d’expositions potentielles à l’amiante, 66 des 78 sujets (85%) présentaient une ou plusieurs expositions professionnelles à l’amiante possibles (17 cas), extra-professionnelles (51 cas) ou environnementales dans un rayon de 2 km autour d’au moins un des lieux de vie (41 cas). Parmi ces 66 sujets, 30% avaient également été exposés à des laines minérales. Chez les 12 sujets restants, 4 présentaient une exposition environnementale à l’amiante entre 2 et 5 km des lieux de vie. Ainsi, aucun risque d’exposition à l’amiante n’a été retrouvé pour 8 cas (10%). Aucune exposition aux laines minérales n’avait été identifiée par ailleurs chez ces sujets et une seule femme avait occupé un emploi potentiellement exposant aux radiations ionisantes. En revanche, 5 de ces 8 sujets (soit 62%, contre 22% chez l’ensemble des 78 sujets) avaient déjà eu un autre cancer (seins, utérus, colon, poumon, lymphome), traité par chimiothérapie seule (n=1), par radiothérapie seule (n=2), ou par chimio et radiothérapie (n=2). Aucun de ces sujets n’avait déclaré d’autre pathologie chronique possiblement en lien avec le mésothéliome. Enfin, 8 des 12 sujets déclaraient des antécédents de cancer dans la famille proche (cancers des organes digestifs, respiratoires, seins et organes génitaux féminins, mélanome et lymphome mais aucun antécédent de mésothéliome).

Discussion

Les expositions non professionnelles à l’amiante sont aujourd’hui reconnues comme susceptibles d’entraîner une augmentation de risque de pathologies, dont les mésothéliomes 15,16. L’étude pilote DO-Mésothéliome a permis de décrire les expositions professionnelles, extraprofessionnelles et environnementales à des facteurs de risque de mésothéliome dans un échantillon de sujets malades, avec l’appui d’une expertise en hygiène industrielle et d’un SIG.

Plus de la moitié des cas éligibles à l’étude (126/229) n’ont pas pu être interrogés car décédés au moment de l’enquête. Ceci a pu avoir une influence sur les résultats si ces sujets ont présenté des caractéristiques différentes des sujets interrogés (gravité du mésothéliome, survie, DO plus tardive, en lien avec des facteurs de risque particulier). Dans le futur Dispositif national de surveillance du mésothéliome (DNSM), les procédures ont été optimisées pour repérer et contacter plus rapidement les cas en vue de l’administration des questionnaires.

Trois quarts des cas initialement enquêtés (78/103) n’avaient pas d’exposition professionnelle retrouvée à l’amiante ou évaluée possible, montrant la pertinence de la sélection des trois populations cibles de ces enquêtes pour étudier les expositions extraprofessionnelles et environnementales. Les résultats des analyses descriptives sont de nature à conforter la suspicion du rôle important que pourraient avoir les expositions non professionnelles.

Dans cette étude, un grand nombre de facteurs de risque ont été investigués (jusqu’aux antécédents médicaux et thérapeutiques), avec notamment la reconstitution de l’historique résidentiel vie entière des sujets (domiciles, écoles, emplois). Le faible nombre de sujets n’a cependant pas permis de détailler les analyses, notamment en tenant compte de la localisation du mésothéliome, de l’âge des sujets ou de la région de résidence.

Parmi les 78 cas, un sur cinq présentait une exposition professionnelle possible à l’amiante qui, même majoritairement évaluée comme de faible intensité, fréquence et durée, n’est pas à exclure comme facteur étiologique des mésothéliomes survenus.

Les résultats montrent également, chez les cas dont l’exposition professionnelle était nulle ou possible, l’importance que pourraient avoir des expositions para-professionnelles à l’amiante chez les cas sans exposition professionnelle (ni possible), qui concernent près d’une femme sur 2 dans l’étude (un homme sur 5), alors qu’à l’inverse, les expositions potentielles à l’amiante via le bricolage concernent un homme sur 3 et une femme sur 7. Ces résultats sont cohérents avec ceux de précédentes études 14,17.

Malgré les indications détaillées et les questions guidées des enquêteurs avec l’appui de photos, les autres expositions extraprofessionnelles restent difficiles à évaluer rétrospectivement par manque de robustesse des éléments en la possession de l’expert. La manipulation d’objets ayant pu contenir de l’amiante ou le fait d’avoir fréquenté des locaux dont les matériaux de construction contenaient de l’amiante restent soumis à des biais de mémoire et de méconnaissance des sujets, compliquant l’analyse de ces sources potentielles d’exposition essentiellement déclaratives. Dans cette étude, ces expositions potentielles ont pu être recensées chez 1 homme ou 1 femme sur 6. Des travaux en cours au Centre scientifique et technique du bâtiment sur l’évaluation de l’exposition via le bâti, ainsi qu’aux ministères chargés du Travail et de la Santé (dématérialisation et création de bases de données nationales des plans de démolition, de retrait et d’encapsulage [PDRE] et des diagnostics techniques amiante [DTA]) devraient permettre d’améliorer la connaissance sur la présence d’amiante dans les bâtiments et sur la part de ces expositions chez les individus.

Si la proximité des lieux de vie avec des sources environnementales potentielles d’exposition à l’amiante peut être utilisée comme un proxy de l’exposition, les résultats soulignent l’importance de poursuivre les travaux. En effet, un sujet sur deux a résidé, travaillé, ou étudié à moins de 2 km d’un ou plusieurs SPEA au cours de sa vie et plus de deux sur trois si on considère un rayon d’exposition de 5 km. Pour les sources industrielles et chantiers navals, malgré l’interdiction d’utilisation de l’amiante, la question des bâtis industriels, voire des friches industrielles et la possibilité qu’elles continuent à relarguer des fibres dans l’environnement reste d’actualité. Concernant les sources naturelles, elles restent un sujet de préoccupation de la part des riverains, notamment en Corse. Dans cette étude, aucun sujet n’avait résidé à moins de 5 km d’un site naturel. Toutefois, le nombre de cas dans cette étude était faible, soulignant l’intérêt d’étendre les enquêtes sur l’ensemble du territoire. Le SIG utilisé pour ce pilote est actuellement en cours de mise à jour, pour permettre de prendre en compte un plus vaste éventail de SPEA (mise à jour des sites industriels, chantiers navals, affleurements naturels mais aussi ajout des mines et carrières, décharges, sols naturellement riches en amiante) et leurs caractéristiques, ainsi que d’autres variables qui seraient jugées pertinentes (conditions météorologiques et climatiques, intensité d’émission de l’amiante).

Dans cette étude, les expositions non professionnelles évaluées étaient d’intensité, de fréquence et de durée généralement faibles, comparativement aux expositions professionnelles. On ne peut cependant exclure qu’un manque d’informations, de précisions dans le questionnaire ait conduit à une sous-estimation des expositions évaluées. Dans le cas de l’amiante, cancérigène sans seuil, on ne peut également exclure que ces expositions aient pu générer des mésothéliomes. Les expositions environnementales potentiellement liées à l’usage industriel d’amiante ou à la présence d’amiante naturelle dans l’environnement de vie des sujets pourraient concerner une forte proportion de sujets en France (jusqu’à 72% des cas). De nouvelles études comparant l’incidence des mésothéliomes, en lien avec la densité de SPEA, pourront être menées au sein du futur DNSM 18. La mise en œuvre de nouvelles études-cas témoins reste nécessaire.

Chez les 8 sujets de l’étude pour lesquels aucune exposition potentielle à des fibres n’a été retrouvée, des antécédents thérapeutiques ou médicaux suspectés en lien avec le mésothéliome ont été renseignés. On ne peut cependant exclure l’existence d’expositions non déclarées dans le questionnaire, en raison de sa construction, de biais de mémoire ou de méconnaissance des sujets quant à des situations potentiellement exposantes. La part des expositions non professionnelles ou professionnelles en relation avec des anomalies germinales de BAP1 n’a pas pu être évaluée ici. La recherche de cette association pourra faire partie des futurs projets dans le DNSM.

Conclusion

Cette étude pilote a permis de montrer l’importance d’étudier les expositions non professionnelles aux facteurs de risque de mésothéliome. Elle a montré que 90% des sujets ayant une exposition professionnelle non retrouvée ou possible à l’amiante ont eu d’autres circonstances potentielles d’exposition à des fibres et, pour 10% de ces sujets, à des radiations ionisantes. Si les hommes étaient plus concernés par des expositions professionnelles possibles ou via le bricolage et les femmes par les expositions para-professionnelles, les hommes comme les femmes étaient potentiellement exposés via leur environnement (1 sur 2 dans les 2 km ou 2 sur 3 dans les 5 km autour des lieux de vie).

Suite à ce pilote, un déploiement progressif des enquêtes d’exposition sur le territoire national a été recommandé, avec des critères de priorisation des régions (situation régionale par rapport à l’amiante, intérêt et moyens des structures pour réaliser les enquêtes). Ce déploiement s’effectuera à partir de 2021 dans le cadre du DNSM. Par ailleurs, la méthode mise en place dans le cadre de cette étude va être utilisée pour l’étude des expositions environnementales des sujets inclus dans le PNSM depuis 1998 (environ 1 000 sujets enquêtés dont l’exposition professionnelle est non retrouvée ou possible). Enfin, bien qu’une origine idiopathique d’une part des mésothéliomes ne puisse être exclue, l’investigation des risques de mésothéliomes liés aux expositions aux radiations ionisantes, notamment dans le cadre des traitements par radiothérapie, sera approfondie chez les sujets pour lesquels une exposition aux fibres n’a pas été mise en évidence.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Guldner L, Grange D, Audignon S, Jezewsy-Serra D, Rigou A, Guillet A, et al. Étude des expositions non professionnelles à des facteurs de risque de mésothéliome dans l’étude pilote DO-Mésothéliome 2013-2015.
Bull Epidémiol Hebd. 2020;(12):250-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/12/2020_12_3.html