Programme national de surveillance du mésothéliome
pleural (PNSM) : vingt années de surveillance des cas,
de leurs expositions et de leur reconnaissance médico-sociale (France, 1998-2017)

// National Pleural Mesothelioma Surveillance Program (PNSM): Twenty years of monitoring cases, exposures and medico-social compensation (France,
1998-2017)

Anabelle Gilg Soit Ilg1 (anabelle.gilgsoitilg@santepubliquefrance.fr), Stéphane Ducamp2,3, Dorothée Grange1, Sabyne Audignon2,3, Céline Gramond2,3, Soizick Chamming’s4, Nolwenn Le Stang5, Catherine Frenay6,
Françoise Galateau-Sallé5, Jean-Claude Pairon4,7, Philippe Astoul6, Patrick Brochard2,3, Laurence Chérié-Challine1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Santé publique France, équipe associée environnement santé travail (Essat), Bordeaux, France
3 Équipe épidémiologie, cancer et environnement, Inserm U1219, équipe associée environnement santé travail (EpiCEnE-Essat), Bordeaux, France
4 Institut interuniversitaire de médecine du travail de Paris Île-de-France (IIMTPIF), Institut santé travail Paris-Est (IST-PE), Créteil, France
5 Centre Léon Bérard, pôle anatomie pathologique, Mesopath (Réseau national de référence anatomopathologie
des mésothéliomes), Caen, Lyon, France
6 Hôpital Nord, service d’oncologie thoracique, Maladie de la plèvre et pneumologie interventionnelle, Aix-Marseille Université, Marseille, France
7 Centre hospitalier intercommunal, service de pneumologie et pathologie professionnelle, Créteil, France
Soumis le 17.12.2019 // Date of submission: 12.17.2019
Mots-clés : Mésothéliome pleural | Surveillance épidémiologique | Exposition à l’amiante | Risque professionnel | Risque extraprofessionnel | Reconnaissance médico-sociale
Keywords: Pleural mesothelioma | Epidemiological surveillance | Asbestos exposure | Occupational risk | Non-occupational risk | Medico-social compensation

Résumé

Objectifs –

Mis en place en 1998, le Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) fonctionne depuis vingt ans. Cet article dresse un bilan de l’évolution de la situation épidémiologique des mésothéliomes pleuraux malins entre 1998 et 2017, en France, en termes d’incidence, de survie, d’exposition des patients atteints et de leur recours aux dispositifs d’indemnisation médico-sociale.

Méthodes –

Dans les 21 départements couverts par le programme, une procédure standardisée de recueil actif et de confirmation anatomopathologique et clinique des tumeurs primitives de la plèvre est mise en œuvre. Les expositions vie entière, professionnelles et extra-professionnelles, à l’amiante et aux autres facteurs étudiés sont recueillies. Les recours des personnes atteintes de mésothéliome aux dispositifs d’indemnisation (maladie professionnelle et Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – Fiva) sont recueillis et analysés.

Résultats –

Parmi les 5 625 nouveaux cas recueillis sur la période 1998-2017, les procédures de certification diagnostique (anatomopathologique puis clinique) ont permis de certifier 82% des cas et d’en exclure 6%, 12% demeurant incertains. On observe une augmentation du nombre annuel de cas estimé sur l’ensemble de la période, passant de 800 à 1 112 cas entre les périodes 1998-2002 et 2013-2016. Alors qu’une exposition professionnelle à l’amiante est encore retrouvée chez plus de 90% des hommes, elle n’est que de 40% chez les femmes, et pour 25% d’entre elles aucune exposition n’a été retrouvée. Le recours aux dispositifs d’indemnisation est encore insuffisant, avec 27% des patients relevant du régime général de Sécurité sociale (RGSS) ne faisant aucune démarche et 53% de ceux hors RGSS n’ayant pas recours au Fiva.

Conclusion –

Il est essentiel de renforcer les actions de prévention ciblées sur les expositions contemporaines à l’amiante, tant auprès des travailleurs et des jeunes en formation que de la population générale et des professionnels de santé. Il importe également d’accroître les actions d’information, auprès des professionnels de santé et des patients, sur les possibilités de recours aux dispositifs de reconnaissance médico-sociale.

La mise en œuvre en 2021 du Dispositif national de surveillance des mésothéliomes (DNSM) intégrant le PNSM et la déclaration obligatoire (DO) permettra de moderniser et optimiser la surveillance de tous les mésothéliomes (plèvre et autres localisations) sur le territoire national, de l’adapter aux nouveaux enjeux (dont les expositions environnementales), de parfaire le dispositif national d’enquêtes d’expositions et de renforcer l’articulation avec les travaux de recherche.

Abstract

Objectives –

 Established in 1998, the National Program for Mesothelioma Surveillance (PNSM) has been operating for twenty years. This article reviews the evolution of the epidemiological situation of malignant pleural mesothelioma between 1998 and 2017 in France, in terms of incidence, survival, patients’ exposure and their recourse to medico-social compensation schemes.

Methods –

In 21 French departments covered by the programme, a standardised procedure for active collection and anatomopathological and clinical confirmation of primary pleural tumours is implemented Lifetime exposure to asbestos and to other factors is reconstructed. The data of the use of compensation schemes (recognition as an occupational disease and Fund for compensation of asbestos victims – Fiva) by patient with pleural mesothelioma are collected and analysed.

Results –

Among the 5,625 new incident cases collected over the period 1998-2017, the procedures of pathological and clinical ascertainment of diagnosis confirmed the initial diagnosis in 82% of cases and ruled it out in 6%, 12% remaining uncertain There has been an increase in the estimated annual number of cases over the whole period, from 800 to 1,112 between 1998-2002 and 2013-2016 periods. While occupational exposure to asbestos is still found in more than 90% of male cases, it is only 40% in female cases, and for 25% of women no exposure has been found. Recourse to compensation schemes is still insufficient, as 27% of the patients affiliated to the General National Health Insurance (RGSS) did not undertake any claim and 57% of the ones not affiliated to the RGSS did not claim to compensation by the Fiva.

Conclusion –

It is essential to strengthen preventive actions targeted at current asbestos exposures, both for workers and trainees, as well as among the general population and health professionals and at the same time, it is fundamental to actively inform both the health professionals and patients of the existing medico-social compensation schemes.

The implementation in 2021 of the National Mesothelioma Surveillance System (DNSM) integrating the PNSM and mandatory notification will soon be effective. It will modernize and optimize the surveillance of mesothelioma of all locations (pleura and other locations.) on the French territory, adapting it to new challenges (such as environmental asbestos exposures), improving the National system of exposures surveys and strengthening the link with research work.

Introduction

L’amiante étant le seul facteur de risque avéré de survenue d’un mésothéliome pleural malin, le Programme national de surveillance du mésothéliome pleural (PNSM) peut être considéré comme un dispositif sentinelle des effets de l’amiante sur la santé de la population. Ce programme a été mis en place en 1998 par l’Institut de veille sanitaire (InVS), devenu Santé publique France depuis le 1er mai 2016, à la demande des ministères chargés du Travail et de la Santé. Il est mené en partenariat avec plusieurs équipes d’experts aux compétences complémentaires (anatomopathologie, expositions, reconnaissance médico-sociale).

Les attendus de ce programme de surveillance épidémiologique étaient initialement de suivre l’incidence de ces cancers en France et les caractéristiques professionnelles des cas (professions, secteurs d’activité, expositions). Ses objectifs ont été élargis en 1999 à la reconnaissance médico-sociale des patients atteints de mésothéliomes. Ce programme de surveillance est étroitement articulé aux travaux de recherche, menés par les équipes partenaires.

À ce jour, le PNSM fonctionne depuis 20 ans et il était essentiel de dresser un bilan de l’évolution de la situation épidémiologique entre 1998 et 2017, en France, en termes d’incidence et de survie des mésothéliomes, d’expositions des patients atteints et de leur reconnaissance médico-sociale.

Le présent travail actualise les principaux résultats précédemment publiés 1,2,3,4. L’ensemble des résultats détaillés est disponible dans un rapport et une synthèse 5,6.

Méthodes

Le PNSM repose sur l’enregistrement exhaustif, depuis le 1er janvier 1998, des nouveaux cas de mésothéliomes pleuraux malins dans un nombre limité de départements. La couverture géographique actuelle est de 21 départements (17 en 1998) représentant environ 18 millions de personnes, soit 30% de la population française (figure 1). La population couverte par le programme est représentative de la population française en termes d’âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle et secteur d’activité du dernier emploi occupé 3.

Figure 1 : Couverture géographique du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM)
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Dans chacun des 10 centres locaux en charge de l’enregistrement des cas, une procédure active de recueil est mise en place auprès de l’ensemble des structures médicales spécialisées, afin de garantir un recueil exhaustif des mésothéliomes pleuraux malins.

Chaque nouveau cas recueilli fait l’objet d’une procédure standardisée de confirmation du diagnostic. En première intention, une expertise anatomopathologique des prélèvements est réalisée par les pathologistes du Réseau national de référence en anatomopathologie des mésothéliomes (groupe Mesopath). En l’absence de certification (ou de prélèvement), une expertise clinique collégiale du dossier du patient est réalisée par trois médecins spécialistes (radiologue, pneumo-oncologue, chirurgien thoracique).

Parallèlement et dès son enregistrement, une enquête d’exposition est réalisée auprès de chaque patient en face à face, à l’aide d’un questionnaire standardisé. Ce questionnaire renseigne l’ensemble des adresses des domiciles occupés et des établissements scolaires fréquentés, ainsi que les calendriers professionnels et, plus précisément, les tâches réalisées au cours de chaque emploi ou formation technique. Il renseigne également les autres situations d’exposition potentielle à l’amiante telles que lors d’activités de bricolage, d’autres facteurs étiologiques ainsi que les antécédents médicaux du patient 7. Des hygiénistes industriels réalisent l’évaluation semi-quantitative des expositions professionnelles et extra-professionnelles pour chacune des nuisances suivantes : amiante, laines minérales, fibres céramiques réfractaires, fibres de carbone et de kevlar, radiations ionisantes. Les paramètres d’exposition évalués sont : le type d’exposition, la probabilité (possible, probable et très probable), l’intensité d’exposition et sa fréquence.

Enfin, une étude est menée sur le recours des cas aux deux dispositifs complémentaires et non exclusifs d’indemnisation médico-sociale que sont la reconnaissance en maladie professionnelle (MP) et le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva). Pour rappel, la demande de reconnaissance en MP est accessible à toute personne atteinte de mésothéliome, affiliée au régime général ou agricole de Sécurité sociale et ayant été exposée professionnellement à l’amiante. Par ailleurs, le recours auprès du Fiva est possible pour tous les patients, quel que soit leur régime de protection sociale, sans avoir à faire la preuve d’une exposition à l’amiante. Les données sont collectées directement auprès, respectivement, des services de l’Assurance maladie (services AT-MP des Caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM) ou des services médicaux de l’Assurance maladie) et du Fiva.

Estimation de l’incidence nationale et infranationale du mésothéliome pleural

L’estimation de l’incidence nationale et régionale du mésothéliome pleural malin est réalisée annuellement à partir des données du PNSM dans les zones couvertes, en utilisant d’une part les données nationales de mortalité pour la période 1998-2014 et, d’autre part, les données nationales du Programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI) 2006-2016 (années disponibles au moment des analyses).

Les données de mortalité sont obtenues auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Les estimations reposent sur le calcul des ratios moyens par classe d’âge et sexe sur l’ensemble des départements du PNSM de :

l’incidence observée sur le nombre de décès codés en CIM-9 (Classification internationale des maladies, 9e révision) jusqu’à 1999 « tumeur maligne de la plèvre » (code 163), puis en CIM-10 (CIM, 10e révision) depuis 2000 « mésothéliome pleural » (C45.0) et « mésothéliome de localisation indéterminée » (C45.9) ;

l’incidence observée sur le nombre de premières hospitalisations pour lesquelles l’un des motifs renseignés est « mésothéliome pleural » (CIM-10, C45.0). Un chaînage des séjours hospitaliers est réalisé sur les données du PMSI des années 2004 à 2016 afin de pouvoir identifier les cas incidents à partir de 2006.

L’incidence observée est définie comme le nombre de nouveaux cas enregistrés dans le PNSM et non exclus par la procédure d’expertise diagnostique (anatomopathologique et/ou clinique). Ces ratios sont ensuite appliqués aux données France entière ou régionales.

Les taux bruts et les taux ajustés par âge sont calculés en considérant comme population de référence la population française pour l’année 2010 (source : Insee).

Survie

L’estimation de la survie est réalisée pour les seuls cas dont le diagnostic de mésothéliome pleural malin est certifié par l’expertise anatomopathologique de Mesopath. Les cas certifiés uniquement par l’expertise clinique ont été exclus de cette analyse. Le recueil de la date des dernières nouvelles et du statut vital des patients est assuré par les chargés d’étude des centres de recueil auprès des médecins traitants. La date de point du recueil du statut vital a été fixée au 1er décembre 2017.

L’analyse de la survie brute, c’est-à-dire la proportion de patients survivants après le diagnostic, a été réalisée à 1, 2 et 5 ans, par période de diagnostic, par sexe et par type histologique (épithélioïde, biphasique et sarcomatoïde). Le délai de survie est défini comme la période entre la date du premier prélèvement anatomopathologique pleural et la date des dernières nouvelles, ou la date de point si le patient était en vie après celle-ci. Les courbes de survie ont été calculées selon la méthode univariée de Kaplan-Meier et comparées à l’aide du test du log-rank.

Résultats

Caractéristiques des cas enregistrés dans le programme

Sur la période 1998-2017, 5 625 cas de mésothéliomes ont été recueillis et inclus dans le PNSM sur les critères anatomopathologiques et/ou cliniques.

Les principales caractéristiques des cas ont fortement évolué depuis 1998. On observe en particulier une augmentation de la proportion de femmes de 20 à 25%, une augmentation de l’âge au diagnostic de 70 à plus de 75 ans, chez les hommes comme chez les femmes, et, en parallèle, une diminution de la proportion des cas « jeunes » (<60 ans) passant de 16% à 6%. On constate également une augmentation des taux bruts d’incidence de 2,1 à 3 pour 100 000 chez les hommes et de 0,5 à 0,9 pour 100 000 chez les femmes.

Par ailleurs, on note de très fortes disparités géographiques selon le département de résidence des cas au moment du diagnostic. Ainsi, le sex-ratio varie de 1,9 à 5,1 cas masculins pour un cas féminin, l’âge au diagnostic varie de 66 ans à plus de 77 ans chez les femmes et de 69 ans à 76 ans chez les hommes, et les taux bruts d’incidence de 1,2 à 5,1 pour 100 000 hommes et de 0,3 à 1,6 pour 100 000 femmes.

Certification diagnostique anatomopathologique

La proportion des diagnostics certifiés par les pathologistes du groupe Mesopath a fortement augmenté, passant de 74% en 1998-2002 à 90% en 2013-2017. Parallèlement, la proportion des expertises anatomopathologiques non réalisables pour cause de matériel insuffisant a fortement diminué, passant de 8% en 1998-2002 à 2% en 2013-2017.

L’expertise clinique pour les cas n’ayant pas eu de certification anatomopathologique de leur diagnostic a permis de statuer sur le diagnostic de 16% de ceux enregistrés dans le PNSM (916 cas). Ces sujets sont en moyenne plus âgés (76,3 ans versus 74,1 ans). Le diagnostic de mésothéliome pleural malin a été confirmé par l’expertise clinique pour 45% des dossiers expertisés, infirmé pour 12% et est demeuré incertain pour 20% (23% des expertises ayant été impossible à réaliser). Depuis 1998, la proportion des dossiers avec un diagnostic confirmé cliniquement est en augmentation, passant de 39% en 1998-2002 à 47% en 2013-2017. Parallèlement, la proportion des dossiers n’ayant pu être expertisés cliniquement est passée de 26% en 1998-2002 à 16% en 2013-2017.

Globalement, les procédures d’expertises diagnostiques (anatomopathologique et/ou clinique) ont permis la certification de 82% des diagnostics initiaux, proportion en augmentation depuis 1998 (de 74% à 90%) et l’exclusion de 6% des diagnostics initiaux sur l’ensemble de la période, proportion très nettement en baisse (de 8% à 2%).

Estimation de l’incidence nationale et régionale du mésothéliome

L’estimation de l’incidence nationale annuelle du mésothéliome sur la période la plus récente (2015-2016) est d’environ 800 cas masculins (taux standardisé sur l’âge de 2,46 cas pour 100 000) et 310 cas féminins (taux standardisé sur l’âge de 0,92 cas pour 100 000).

Depuis 1998, on observe une très forte augmentation de l’incidence chez les femmes (figure 2) avec un doublement du nombre de cas, soit une augmentation de plus de 50% hors effets démographiques (augmentation et vieillissement de la population).

Figure 2 : Estimation du nombre annuel de cas incidents de mésothéliome pleural malin chez les hommes et chez les femmes, France entière, et taux standardisés par âge (pour 100 000), selon les deux méthodes : données de mortalité (1998-2014) et données du PMSI (2006-2016)
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Sur l’ensemble de la période 1998-2016, les taux bruts par âge augmentent très nettement pour les classes d’âge les plus élevées (70 ans et plus chez les femmes et 75 ans et plus chez les hommes).

On observe une très forte hétérogénéité géographique des estimations de l’incidence régionale (figure 3). Ces estimations sont particulièrement élevées dans les régions du nord et nord-ouest (Hauts-de-France et Normandie) et du sud-est (PACA).

Figure 3 : Taux d’incidence de mésothéliome standardisés sur l’âge, estimés chez les hommes et chez les femmes par région. France, Programme national de surveillance du mésothéliome, 2013-2016
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Survie des patients atteints de mésothéliome pleural malin

Globalement, la survie médiane estimée est de 12 mois chez les hommes et de 13 mois chez les femmes. Les cas de mésothéliome pleural malin de type épithélioïde présentent une meilleure survie à 1, 2 et 5 ans, avec une médiane de survie de 14 mois par rapport aux formes biphasique et sarcomatoïde, dont la médiane est respectivement de 8 et 5 mois.

Par ailleurs, on constate une amélioration de la survie pour les cas diagnostiqués après 2002 (13 mois vs 11 mois) qui pourrait être due à une détection plus précoce avec en particulier la mise en place du suivi post-professionnel 8 et une meilleure prise en charge thérapeutique (figure 4).

Figure 4 : Survie brute à 5 ans des patients atteints de mésothéliome pleural malin par période d’incidence. Programme national de surveillance du mésothéliome, France, 1998-2012
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Expositions à l’amiante et aux autres facteurs étudiés

Sur l’ensemble des cas enregistrés, 3 067 ont pu être enquêtés (59% des hommes et 57% des femmes).

Le taux d’enquête est fortement lié à l’âge et à l’état de santé des patients. Le principal motif de non réalisation de cette enquête sur les expositions est le décès du patient.

Une exposition professionnelle à l’amiante largement prédominante chez les hommes

Sur l’ensemble de la période 1998-2017, une exposition professionnelle à l’amiante a été retrouvée pour plus de 90% des hommes, sans aucune évolution notable de cette proportion depuis 1998 (figure 5). Dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’une exposition probable à très probable (91% des hommes) et directe (85%). La durée moyenne d’exposition est de 27 ans et l’âge moyen à la première exposition est de 21 ans.

Figure 5 : Évolution des expositions à l’amiante chez les hommes (N=2 289) et les femmes (N=685) selon l’année d’incidence. Programme national de surveillance du mésothéliome. France, 1998-2017
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Une exposition extra-professionnelle à l’amiante sans exposition professionnelle a été retrouvée pour 3% des hommes, essentiellement liée à des activités de bricolage.

Les professions les plus exposantes à l’amiante parmi les professions les plus représentées chez les hommes sont les tuyauteurs industriels qualifiés (98% d’hommes exposés), les chaudronniers tôliers industriels qualifiés (98%) et les plombiers et chauffagistes qualifiés (97%).

Les secteurs d’activité les plus exposants à l’amiante parmi les secteurs les plus représentés chez les hommes sont la réparation navale (99% d’hommes exposés), la construction de matériel ferroviaire roulant (99%) et l’installation d’eau et de gaz (98%).

Une exposition professionnelle aux laines minérales a été retrouvée pour 61% des hommes et la quasi-totalité d’entre eux avaient également été exposés à l’amiante au cours de leur carrière.

Les expositions professionnelles aux fibres céramiques réfractaires et aux radiations ionisantes étaient beaucoup plus rares (4% et 7% des hommes respectivement).

Des circonstances d’expositions à l’amiante plus diverses chez les femmes

Sur l’ensemble de la période 1998-2017, une exposition professionnelle à l’amiante a été retrouvée pour près de 40% des femmes, avec une faible diminution de la proportion depuis 1998 (45% sur la période 1998-2002 versus 39% sur la période 2013-2017) (figure 5).

Dans la majorité des cas, il s’agit d’une exposition possible (53% des femmes) et directe (50%), avec une augmentation de la proportion d’exposition directe (30% sur la période 1998-2002 versus 59% sur la période 2013-2017).

La durée moyenne d’exposition est plus faible que celle des hommes (14 ans) et l’âge moyen à la première exposition plus tardif (26 ans).

Les professions les plus exposantes à l’amiante parmi les professions les plus représentées chez les femmes étaient les conductrices qualifiées de machines du textile et de la tannerie-mégisserie (53,3% de femmes exposées) et les ouvrières non qualifiées de l’électricité et de l’électronique (50,0%).

Les secteurs d’activité les plus exposants à l’amiante parmi les secteurs les plus représentés chez les femmes étaient la fabrication de produits minéraux divers (100% de femmes exposées), les services personnels (29,0%), l’industrie chimique (27,3%), la construction d’ouvrage de bâtiment ou de génie civil (20%) et l’enseignement secondaire (17,5%).

Les expositions professionnelles aux laines minérales, radiations ionisantes et fibres céramiques réfractaires étaient nettement plus rares (respectivement 10%, 1% et <1%).

Pour près d’un tiers des femmes (32,7%), une exposition extra-professionnelle à l’amiante a été identifiée sans exposition professionnelle. Il s’agit principalement d’une exposition para-professionnelle par l’intermédiaire d’un proche exposé professionnellement (20,7% des femmes).

Pour plus d’un quart des femmes, aucune exposition à l’amiante n’a été retrouvée à partir des données du questionnaire.

Recours aux processus de reconnaissance médico-sociale

Sur l’ensemble de la période 2005-2016, parmi les cas relevant du RGSS, 58% des patients ont effectué une demande de reconnaissance en maladie professionnelle, 58% ont fait une demande d’indemnisation auprès du Fiva et 27% n’ont fait aucune démarche (figure 6).

Figure 6 : Demandes au Fiva et/ou de MP selon le sexe et la classe d’âge. Cas du RGSS avec diagnostic de mésothéliome pleural confirmé. Programme national de surveillance du mésothéliome, France, 2005-2016
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Sur cette même période, seulement 43% des cas ne relevant pas du RGSS (artisans, indépendants…) ont effectué un recours auprès du Fiva.

Les facteurs associés au recours à l’indemnisation sont variables selon le type de recours. Pour la demande de reconnaissance en maladie professionnelle, les facteurs sont le sexe, l’âge, le statut ouvrier (1), la vie en couple1 et une exposition professionnelle à l’amiante retrouvée.

Concernant le recours au Fiva, les facteurs associés sont l’âge, la vie en couple, une exposition professionnelle à l’amiante identifiée et l’appartenance au RGSS.

Quel que soit le recours, on note d’importantes disparités géographiques selon le département de résidence des cas.

Discussion

Après 20 années de fonctionnement, le PNSM a permis de dresser un bilan essentiel de l’évolution de la situation épidémiologique des mésothéliomes pleuraux malins en France en termes d’incidence, de survie, d’expositions des patients atteints et de leur recours aux dispositifs d’indemnisation médico-sociale.

Malgré l’interdiction de l’usage de l’amiante en 1997 et du fait de l’effet différé de 30 à 40 ans entre la première exposition et le diagnostic d’un mésothéliome, l’incidence du mésothéliome pleural malin continue à augmenter en France (1 100 nouveaux cas annuels en 2015-2016) et cette augmentation est encore plus marquée chez les femmes avec un doublement du nombre de nouveaux cas annuel depuis 1998. Par ailleurs, on note une grande hétérogénéité géographique de l’incidence.

À ce jour, on ne peut exclure que l’incidence continuera à augmenter pendant au moins une ou deux décennies dans notre pays.

La certification anatomopathologique du diagnostic a très nettement progressé depuis 1998 : elle est passée de 74% sur la période 1998-2002 à 90% sur la période 2013-2017. Cette tendance s’explique par l’amélioration de la connaissance et des pratiques de diagnostic de cette maladie. Elle est notamment le reflet de l’apport, sur le plan clinique, de la chirurgie guidée par l’imagerie et de l’utilisation actuellement systématique d’anticorps dans le cadre de l’expertise anatomopathologique. Le développement de l’utilisation de l’analyse immunohistochimique complémentaire permet de différencier les mésothéliomes pleuraux des autres lésions cancéreuses (métastases, sarcomes…), réduisant les erreurs diagnostiques.

Par ailleurs, ce phénomène est plus prononcé chez les femmes, en particulier âgées, ce qui corrobore l’hypothèse avancée d’un sous-diagnostic des mésothéliomes de la plèvre chez les femmes à la fin des années 1990 au profit d’une tumeur secondaire de la plèvre 9.

Plus de 90% des hommes ont été exposés professionnellement à l’amiante au cours de leur carrière. Cette proportion reste stable depuis 1998, avec toutefois un déplacement de la problématique « amiante professionnelle » des métiers d’utilisation et de transformation de l’amiante vers les métiers d’intervention sur des matériaux contenant de l’amiante (secteur du BTP, désamiantage…). Ainsi, une étude réalisée parmi les cas masculins du PNSM montre que la proportion ayant exercé un emploi dans le secteur du BTP est en augmentation constante depuis 1998 pour atteindre 50% des cas diagnostiqués en 2016 5. Une exposition professionnelle à l’amiante probable ou très probable est retrouvée chez 97% d’entre eux, en outre ils ont été exposés plus jeunes et plus longtemps. Par ailleurs, une exposition professionnelle à l’amiante est retrouvée pour 84% des cas ayant exercé un emploi dans le BTP après le 1er janvier 1997, date d’interdiction d’utilisation de l’amiante.

Chez les femmes, la part des expositions professionnelles à l’amiante reste faible (environ 40%) et 35% d’entre elles ont été exposées en dehors du travail. Il s’agit le plus souvent d’expositions via le fait de résider avec des conjoints ou parents exposés professionnellement (20,7%), d’expositions domestiques ou via le bricolage. Pour 25% des femmes, on ne retrouve aucune de ces expositions. De nombreuses interrogations subsistent donc concernant les expositions et la survenue de mésothéliome pleural malin chez les femmes. Afin d’améliorer les connaissances sur les expositions non professionnelles à des facteurs de risque de mésothéliome, une étude pilote chez les cas sans exposition professionnelle avérée à l’amiante a été réalisée et est présentée dans ce numéro 10.

Le recours aux dispositifs d’indemnisation (reconnaissance en maladie professionnelle et Fiva) des personnes atteintes d’un mésothéliome pleural est encore insuffisant, avec 27% des cas du RGSS ne faisant aucune démarche (43% des femmes et 22% des hommes) et 53% des cas hors RGSS n’ayant pas recours au Fiva. Néanmoins, il a été noté que l’information apportée par les enquêteurs du PNSM auprès des cas sur leurs droits à indemnisation médico-sociale, et en particulier sur leurs droits à reconnaissance en maladie professionnelle s’ils ont été exposés professionnellement à l’amiante, semble avoir un impact sur le taux de reconnaissance en MP 5. Globalement sur la période 2008-2016, le taux de reconnaissance en MP est supérieur dans la zone couverte par le PNSM à celui estimé sur le reste du territoire : 72% vs 60% chez les hommes et 60% vs 50% chez les femmes.

Conclusion

L’ensemble de ces résultats plaide en faveur d’un renforcement nécessaire de la prévention sur le risque « amiante » et de l’information sur les possibilités de recours aux dispositifs de reconnaissance médico-sociale existants.

En effet, il est essentiel de mettre en place des actions d’information et de prévention ciblées sur les expositions contemporaines à l’amiante, tant auprès des travailleurs des secteurs identifiés comme les plus exposés (comme le secteur du BTP, où la perception du risque dans certaines professions est encore faible 11) et des jeunes en formation de ces secteurs, qu’auprès des professionnels de santé et de la population générale. Cette information doit porter sur le risque amiante et les moyens de protection, en particulier les risques liés au bricolage, les expositions à proximité de bâtiments vétustes, dégradés, sans négliger la dégradation des bâtiments agricoles. Il importe aussi de ne pas négliger les expositions extraprofessionnelles des personnes fréquentant des bâtiments contenant de l’amiante (lieux de travail, écoles…), en particulier en cas de dégradation ou encore la gestion des déchets amiantés.

Il est également essentiel de mettre en place des actions d’information sur les deux dispositifs complémentaires de reconnaissance médico-sociale (maladie professionnelle et Fiva) et les modalités de recours, tant auprès des professionnels de santé que des patients.

L’ensemble de ces résultats montrent que la surveillance des mésothéliomes reste le bon dispositif sentinelle de l’effet de l’amiante sur la santé. Le sujet de l’amiante est et restera encore pendant plusieurs décennies un sujet majeur de santé publique, de santé au travail et de santé environnementale. Aussi, la mise en place prochaine du dispositif national de surveillance des mésothéliomes (DNSM) intégrant le PNSM et la DO permettra de moderniser et optimiser la surveillance de tous les mésothéliomes (plèvre et autres localisations) sur le territoire national et de l’adapter aux nouveaux enjeux 12. Il permettra d’optimiser le dispositif national d’enquêtes d’exposition, afin notamment de mieux comprendre les expositions environnementales chez les femmes, chez les hommes jeunes et pour les autres localisations de mésothéliome que la plèvre. Il faudra enfin renforcer l’articulation avec les travaux de recherche, par l’ouverture du DNSM aux chercheurs dans des conditions autorisées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Gilg Soit Ilg A, Ducamp S, Gramond C, Audignon-Durand S, Chamming’s S, de Quillacq A, et al. Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM). Actualisation des principaux résultats. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(3-4):28-37. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-agents-physiques/amiante/documents/article/programme-national-de-surveillance-du-mesotheliome-pnsm-.-actualisation-des-principaux-resultats
2 Gilg Soit Ilg A, Goldberg M, Rolland P, Chamming’s S, Ducamps S, Gramond C, et al. Programme national de surveillance du mésothéliome. Principaux résultats 1998-2006. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2009. 24 p. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-agents-physiques/amiante/documents/rapport-synthese/programme-national-de-surveillance-du-mesotheliome.-principaux-resultats-1998-2006
3 Goldberg M, Imbernon E, Rolland P, Gilg Soit Ilg A, Savès M, de Quillac A, et al. The French national mesothelioma surveillance programm. Occup Environ Med. 2006;63:390-5.
4 Chamming’s S, Matrat M, Gilg Soit Ilg A, Astoul P, Audignon-Durand S, Ducamp S, et al. Suivi médico-social des mésothéliomes pleuraux inclus dans le Programme national de surveillance du mésothéliome entre 1999 et 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(3-4):37-46. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-agents-physiques/amiante/documents/article/suivi-medicosocial-des-mesotheliomes-pleuraux-inclus-dans-le-programme-national-de-surveillance-du-mesotheliome-entre-1999-et-2011
5 Gilg Soit Ilg A, Audignon S, Chamming’s S, Ducamp S, Galateau-Sallé F, Gramond C, et al. Programme national de surveillance du mésothéliome pleural (PNSM) : vingt années de surveillance (1998-2017) des cas de mésothéliome, de leurs expositions et des processus d’indemnisation. Saint-Maurice: Santé publique France, 2019. 103 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/mesotheliomes/documents/rapport-synthese/programme-national-de-surveillance-du-mesotheliome-pleural-pnsm-vingt-annees-de-surveillance-1998-2017-des-cas-de-mesotheliome-de-leurs-expo
6 Gilg Soit Ilg A, Audignon S. Chamming’s S, Ducamp S, Galateau-Sallé F, Gramond C, et al. Programme national de surveillance du mésothéliome pleural (PNSM) : vingt années de surveillance (1998-2017) des cas de mésothéliome, de leurs expositions et des processus d’indemnisation. Synthèse. Saint-Maurice: Santé publique France; 2019., 14 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/mesotheliomes/documents/rapport-synthese/programme-national-de-surveillance-du-mesotheliome-pleural-pnsm-vingt-annees-de-surveillance-1998-2017-des-cas-de-mesotheliome-de-leurs-expo
7 Rolland P, Gramond C, Lacourt A, Astoul P, Chamming’s S, Ducamp S, et al. Occupations and Industries in France at High Risk for Pleural Mesothelioma: A Population-Based Case-Control Study (1998-2002). Am J Ind Med. 2010; 53:1207-19.
8 Haute Autorité de santé. Suivi post-professionnel après exposition à l’amiante. Recommandations de bonne pratique. [Internet]. Saint-Denis: HAS; 2012. https://www.has-sante.fr/jcms/c_935546/fr/suivi-post-professionnel-apres-exposition-a-l-amiante
9 Le Stang N, Belot A, Gilg Soit Ilg A, Rolland P, Ducamp S, Astoul P, et al. Evolution of pleural cancers and malignant pleural mesothelioma incidence in France between 1980 and 2005. Int J Cancer. 2010;126(1):232-8.
10 Guldner L, Grange D, Audignon S, Jezewsy-Serra D, Rigou A, Guillet A, et al. Étude des expositions non professionnelles a des facteurs de risque de mésothéliome dans l’étude pilote DO-Mésothéliome 2013-2015. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(12):250-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/12/2020_12_3.html
11 Roméro A, Eypert-Blaison C. Amiante : un badge pour améliorer la perception du risque. Hygiène & Sécurité du travail. 2014;(234):46-50.
12 Chérié-Challine L, Gilg Soit Ilg A, Grange D, Bousquet PJ, Lafay L. Dispositif national de surveillance des mésothéliomes intégrant la surveillance de leurs expositions : état des lieux des systèmes, enjeux de surveillance et recommandations. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 185 p. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-agents-physiques/amiante/documents/rapport-synthese/dispositif-national-de-surveillance-des-mesotheliomes-integrant-la-surveillance-de-leurs-expositions.-etat-des-lieux-des-systemes-enjeux-de-survei

Citer cet article

Gilg Soit Ilg A, Ducamp S, Grange D, Audignon S, Gramond C, Chamming’s S, et al. Programme national de surveillance du mésothéliome pleural (PNSM) : vingt années de surveillance des cas, de leurs expositions et de leur reconnaissance médico-sociale (France, 1998-2017). Bull Epidémio Hebd. 2020;(12):234-43. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/12/2020_12_1.html

(1) Chez l’homme seulement.