L’approche holistique des patients consultant pour borréliose de Lyme présumée aboutit à 9,6% de confirmation diagnostique*

// The holistic approach of patients consulting for suspected Lyme borreliosis results in 9.6% diagnostic confirmation

Elie Haddad1 (elie.haddad@aphp.fr), Kahina Chabane2, Stéphane Jaureguiberry1,2, Gentiane Monsel1, Valérie Pourcher1,3, Éric Caumes1,2
1 Sorbonne Université, AP-HP Hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière – Charles Foix, service de Maladies infectieuses et tropicales, Paris, France
2 Sorbonne Université, Inserm, Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique (IPLESP), Paris, France
3 Laboratoire Inserm U1135 ’HIV Pathogenesis and Immune Aging’, Immunity and Infectious Diseases Research Center, Paris, France

Adaptation en français d’un article original paru dans la revue Clinical Infectious Diseases le 18 septembre 2018 : Haddad E, Chabane K, Jaureguiberry S, Monsel G, Pourcher V, Caumes E. Holistic approach in patients with presumed Lyme borreliosis leads to less than 10% of confirmation and more than 80% of antibiotics failure. Clin Infect Dis. 2018. doi:10.1093/cid/ciy799.
Soumis le : 28.01.2019 // Date of submission: 01.28.2019
Mots-clés : Borréliose de Lyme | Diagnostic différentiel | Traitement préventif | Approche holistique
Keywords: Lyme borreliosis | Differential diagnosis | Presumptive treatment | Holistic approach

Résumé

Introduction –

Savoir si les patients présentant des symptômes chroniques attribués à la borréliose de Lyme (BL) ont une BL ou une autre maladie est une question récurrente depuis les années 1990.

Méthodes –

Nous avons évalué les patients symptomatiques consultant dans un hôpital universitaire parisien de janvier 2014 à décembre 2017 pour une BL présumée avec une approche holistique, incluant le traitement présomptif. Ces patients ont été classés comme BL confirmée s’ils répondaient à quatre critères (sauf en cas d’érythème migrant ou un seul suffisait) et BL possible en présence de trois critères incluant une réponse clinique au traitement présomptif. Les patients atteints de BL confirmée ont été comparés à ceux diagnostiqués avec d’autres maladies.

Résultats –

Parmi les 301 patients inclus (183 hommes, 118 femmes, âge médian 50 ans), 275 (91%) ont été exposés à des morsures de tiques et 165 (54%) piqués par une tique. À la consultation initiale, 151 (50%) avaient déjà été traités avec une médiane d’1 (1-22) cure d’anti-infectieux, pendant 34 (28-730) jours. Le nombre médian d’organes symptomatiques était de 3 par patient (1-12) avec une durée médiane des symptômes de 16 (1-68) mois. Le nombre médian de signes était de 0 (0-2). La sérologie ELISA était positive chez 84/295 (28%) patients pour les IgM et 86/295 (29%) pour les IgG ; le Western Blot était positif chez 21/191 (11%) patients pour les IgM et chez 50/191 (26%) pour les IgG. Le traitement présomptif après la présentation initiale a échoué chez 46/88 patients (52%). Globalement, le traitement présomptif a échoué chez 181/223 (81%) patients. Le diagnostic de BL a été confirmé chez 29 patients (10%) et s’est avéré possible chez 9 (3%). Parmi les 243 patients présentant un diagnostic autre qu’une BL, les principales maladies étaient d’origine psychologique, rhumatologique, neurologique ou autre, respectivement chez 76 (31%), 48 (20%), 37 (15%) et 82 (34%) individus. Les patients souffrant d’autres maladies que la BL étaient significativement plus jeunes, avaient plus de symptômes, une plus longue durée d’évolution, moins de signes cliniques objectifs et moins fréquemment de sérologies positives pour la BL.

Conclusion –

Les phénomènes de sur-diagnostic et de sur-traitement de la BL sont importants dans notre étude, concordant avec deux autres études françaises. Les autorités sanitaires de notre pays devraient se pencher sur ce problème préoccupant, à l’heure du bon usage des antibiotiques.

Abstract

Introduction –

Whether patients with chronic symptoms attributed to Lyme borreliosis (LB) have LB or another illness is a recurring issue since the 1990s.

Methods –

we evaluated symptomatic patients from January 2014 to December 2017 consulting in a University hospital in Paris for suspected LB using a holistic approach including presumptive treatment. Patients were classified as confirmed LB when they met 4 criteria (except in the case of erythema migrans when only one was enough), and possible LB if 3 criteria were present including a positive clinical response to presumptive treatment. Patients with confirmed Lb were compared with those diagnosed with other diseases.

Results –

Of the 301 patients (183 men, 118 women, median age 50 years old), 275 (91%) had been exposed to tick bites, and 165 (54%) were bitten by a tick. At the initial consultation, 151 patients (50%) had already been treated with a median of 1 (1-22) course of antimicrobials, during 34 (28-730) days. The median number of symptomatic organs was 3 (1-12) with symptoms having a median duration of 16 (1-68) months. The median number of signs was 0 (0-2). ELISA was positive in 84/295 (28%) for IgM and 86/295 (29%) for IgG, and immunoblot was positive in 21/191 (11%) for IgM and 50/191 (26%) for IgG. Presumptive treatment after presentation failed in 46/88 patients (52%). Overall presumptive antibiotic treatment failed in 181/223 (81%) patients. Diagnosis of LB was confirmed in 29 patients (10%), and possible in 9 (3%). Of the 243 patients with non-LB diagnosis, diseases were psychological, musculoskeletal, neurological or of other origin in 76 (31%), 48 (20%), 37 (15%) and 82 (34%) patients respectively. Patients with diseases other than LB were significantly younger, had more symptoms, longer duration of symptoms, less signs and less frequent LB positive serologies.

Conclusion –

Overdiagnosis and overtreatment of LB is a real cause of concern in our study as well as in two other French studies. The French health authorities should investigate this phenomenon, in an era of controlling the excessive use of antibiotics.

Introduction

Les recommandations nationales sur la borréliose de Lyme (BL) ont fait l’objet de nombreux débats dans différents pays 1,2,3. Le large consensus sur la prise en charge des manifestations précoces de la BL contraste avec les controverses sur la prise en charge des patients présentant des symptômes chroniques attribués à la BL. L’approche des patients souffrant de fatigue chronique et d’autres symptômes persistants attribués à une éventuelle BL est controversée. Certains médecins contestent les recommandations nationales, amplifiant ainsi les controverses existantes. En conséquence, les patients sont perdus entre les différentes approches 4,5.

Il existe effectivement un grand nombre de patients présentant des symptômes prolongés inexpliqués (fatigue, troubles de la mémoire ou de la concentration, céphalées, arthralgies, myalgies), chez lesquels certains médecins suspectent une BL persistante ou chronique. Il en résulte une sur-utilisation des services de santé, un risque de maladies non diagnostiquées et non traitées, aboutissant à une invalidité et une détresse substantielles 6,7. Ces patients consultent ainsi différents médecins, subissent de nombreux examens et peuvent recevoir plusieurs traitements inutiles. Les erreurs de diagnostic et les traitements inappropriés de BL alléguées mais non confirmées sont associés à un coût social et financier 5. Le coût moyen de traitement des symptômes persistants attribués à la BL a récemment été estimé aux Pays-Bas à environ 5 700 euros par patient 8. Par ailleurs, l’utilisation à long terme d’antibiotiques peut causer des altérations du microbiote intestinal et peut avoir un impact majeur sur l’immunité 9,10,11. Toutefois, l’importance du sur-diagnostic et du sur-traitement de la BL n’est pas bien connue en France.

Ces patients présentant des symptômes chroniques, qu’ils soient associés ou pas à la BL, ne peuvent pas être laissés sans une évaluation raisonnable 12. Une prise en charge clinique appropriée nécessite tout d’abord un diagnostic étiologique solide 13. Néanmoins, et de manière similaire à que ce qui a été observé dans le syndrome de fatigue chronique, ces patients sont souvent perçus par les médecins comme étant trop exigeants et source de consultations trop chronophages 14. Une approche holistique est susceptible de surmonter ces limites. Elle a été utilisée dans d’autres domaines de la médecine 15. Appliquée à la BL, elle peut être définie comme une approche centrée sur le patient, prenant en compte toutes ses plaintes, et incluant un traitement présomptif en l’absence d’autre diagnostic évident.

Nous avons évalué les patients consultant pour une BL présumée avec une approche holistique afin de confirmer la suspicion de la BL ou de déterminer l’étiologie en cas d’exclusion du diagnostic de BL. Les patients atteints de BL confirmée ont été comparés avec ceux diagnostiqués avec une maladie différente pour déterminer les facteurs associés à la BL dans ce contexte. Ces résultats ont déjà été rapportés 16. Une version plus élaborée des résultats et de la discussion est proposée.

Méthodes

Nous avons inclus tous les patients symptomatiques qui ont consulté un médecin référent avec un diagnostic présumé de BL du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2017 dans le département des maladies infectieuses d’un hôpital universitaire à Paris (France). Les patients ont été sélectionnés à partir de la base de données du secrétariat du service (chaque patient faisant l’objet d’un courrier) et de la liste du médecin référent. Le diagnostic de BL avait été présumé soit par le patient lui-même, soit par un tiers, soit par son médecin généraliste, soit par un spécialiste. Le seul critère d’inclusion consistait à consulter pour une BL présumée avec des symptômes d’une durée d’au moins quatre semaines. Les critères d’exclusion étaient des dossiers médicaux incomplets, l’absence de tout symptôme ou signe clinique, l’absence de tests sérologiques pour la BL, sauf en cas d’érythème migrant (EM) en cours, et aucune estimation possible du résultat du traitement présomptif. L’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a été obtenue. Aucun formulaire de consentement n’a été recueilli car notre étude était descriptive et rétrospective.

L’approche holistique a été définie par une approche globale du patient, évaluant l’histoire des symptômes présumés de BL, les antécédents médicaux personnels, les traitements anti-infectieux antérieurs, tous les symptômes et signes, les résultats des tests de laboratoire (dont les tests sérologiques de BL) et tout autre examen d’imagerie (radiographie standard, IRM, scanner) réalisé par le patient. Le traitement présomptif incluait un mois d’antibiotiques efficaces sur la BL, sauf preuve d’un autre diagnostic ou échec d’un traitement antibiotique antérieur bien mené. Tous les patients ont été suivis jusqu’à l’établissement d’un diagnostic ferme ou bien référés à un spécialiste en médecine interne en l’absence de diagnostic établi.

Les variables suivantes ont été évaluées : âge, sexe, antécédents liés à la BL (exposition aux tiques, morsures de tiques, érythème migrant), antécédents personnels, signes et symptômes (durée, nombre, signes neurologiques, rhumatologiques, cutanés et autres), traitement anti-infectieux antérieur (nombre d’antimicrobiens, durée du traitement), résultats des tests sérologiques de BL (ELISA et immunoblot), ainsi que d’autres examens paramédicaux effectués en fonction des signes et des symptômes. Les symptômes étaient parfois tellement nombreux qu’ils ont été regroupés par organe d’où le terme inhabituel d’« organe symptomatique ».

Tous les traitements antimicrobiens antérieurs ont été évalués. La doxycycline (200 mg par jour), la ceftriaxone (2 g par jour), le céfuroxime (500 mg par jour), l’amoxicilline (50 mg/kg/jour) ont été considérés efficaces contre la BL, en fonction de la forme clinique et de la durée de traitement recommandée, selon les recommandations nationales 1,2,3. Le sur-traitement a été défini par un traitement qui dépasse la durée ou la dose recommandée et le sous-traitement par une durée ou une dose moindre que celle recommandée. Les patients consultant pour des symptômes persistants malgré au moins quatre semaines d’un de ces traitements ont donc été considérés comme en échec et ont fait l’objet d’une recherche pour d’autres maladies. Les patients qui n’avaient pas reçu de traitement antibiotique efficace et sans diagnostic évident ont été traités de façon présomptive pour la BL pendant au moins 28 jours (sauf en cas d’érythème migrant où la durée était de 15 jours). L’antibiotique prescrit était de l’amoxicilline (50 mg/kg/j) en cas de signe cutané, de la ceftriaxone (2 g par jour) en cas de signe neurologique, ou de la doxycycline (200 mg par jour) dans les autres cas et en cas d’intolérance aux Beta-lactamines.

Les patients ont été classés comme BL confirmée lorsqu’ils répondaient à quatre critères : épidémiologiques (exposition à la tique ou morsure), cliniques (signes caractéristiques), biologiques (tests sérologiques IgM ou IgG positifs, ELISA et/ou Western Blot) et évolutifs (guérison après antibiotique). Les patients ont été classés comme BL possible lorsqu’ils remplissaient trois de ces critères, incluant la guérison après un traitement présomptif. Les personnes présentant un érythème migrant ont été classées comme BL confirmée sans tenir compte des résultats des tests sérologiques.

Les signes cliniques étaient considérés comme caractéristiques de la BL quand ils étaient mentionnés dans les recommandations nationales 1,2,3. La classification européenne a été utilisée 2. Les symptômes prolongés inexpliqués tels que fatigue, troubles de la mémoire ou de la concentration, céphalées, arthralgies et myalgies n’étaient pas considérés comme caractéristiques de la BL.

Sur le plan sérologique, les tests ELISA et Western Blot disponibles, qu’il s’agisse d’IgM ou d’IgG, étaient considérés positifs s’ils dépassaient le seuil pour le premier et s’ils présentaient au moins trois bandes positives pour le second. Une approche en deux temps a été faite, sauf chez les patients dont seul le test ELISA ou le Western Blot était disponible lors de la présentation.

La guérison a été définie comme la disparition de tous les signes et symptômes dans les trois mois suivant un traitement adéquat. L’échec a été défini comme la persistance des signes et des symptômes après trois mois d’un traitement adéquat.

Les patients sans BL confirmée ou possible ont été évalués pour un autre diagnostic en fonction de leurs antécédents médicaux personnels, des symptômes et des signes au moment de leur présentation, ainsi que des résultats des examens biologiques, sérologiques et radiologiques prescrits par l’infectiologue ou par le médecin traitant. Sauf si un diagnostic a été posé après la première consultation, tous les patients ont été revus au moins une fois après avoir reçu un traitement antibiotique présomptif efficace contre la BL, pour évaluer les résultats du test thérapeutique et discuter les autres options diagnostiques. Les patients diagnostiqués avec une maladie autre que la BL étaient orientés vers les spécialistes appropriés (neurologue, rhumatologue, interniste, oto-rhino-laryngologiste) ou un psychologue (lorsque le médecin l’avait jugé nécessaire). Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux V a été utilisé pour identifier ces troubles 17.

Les caractéristiques des patients ont été évaluées sous forme de nombres ou de pourcentages pour les variables qualitatives, et de médianes (avec un intervalle de confiance à 90%) pour les variables continues. Les analyses ont été effectuées avec Microsoft Excel 2010® et le logiciel Epi Info 7. Les variables ont été comparées entre les patients atteints de BL et ceux atteints d’autres maladies en utilisant le test exact de Fisher pour les variables qualitatives et le test de Wilcoxon-Mann-Whitney pour les variables continues. Les différences entre les groupes étaient considérées comme significatives si la valeur p≤0,05.

Résultats

Parmi les 333 patients, 32 ont été exclus (dossiers incomplets, données manquantes, perdus de vue) (figure). Parmi les 301 patients inclus (183 hommes, 118 femmes, âge médian de 50 ans (12-85 ans)), 275 (91%) ont été exposés à des morsures de tiques, 165 (54%) mordus par une tique et 44 (14,6%) avait une histoire présumée d’érythème migrant. Sur les 296 patients pour lesquels cette donnée était disponible, 228 (77%) travaillaient et vivaient en Île-de-France et 68 (33%) hors d’Île-de-France (tableau 1).

Figure : Organigramme de l’inclusion de 333 patients consultant à Paris jusqu’au diagnostic final de la borréliose de Lyme ou d’autres maladies
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Tableau 1 : Caractéristiques épidémiologiques, cliniques et sérologiques chez 301 patients consultant pour une borréliose de Lyme présumée à Paris
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À la présentation initiale, 151 patients (50%) avaient déjà été traités parmi lesquels 135 (89,5%) avaient reçu un traitement approprié pour une BL, voire avaient été sur-traités. Le nombre médian de traitements antimicrobiens avant la consultation était de 1 (1-22), avec une durée médiane de traitement de 34 jours (28-730 jours). Les traitements antimicrobiens comprenaient des antibiotiques efficaces contre la BL (doxycycline, ceftriaxone, céfuroxime, amoxicilline), mais aussi des antiparasitaires (métronidazole, ivermectine, albendazole, atovaquone/proguanil, lumefantrine/artéméter), et parfois des antiviraux (valacyclovir) voire des antibiotiques inefficaces sur la BL (ciprofloxacine, triméthoprime/sulfamethoxazole, disulone). Après la première évaluation, 78 patients référés pour une BL sans traitement préalable ont été diagnostiqués avec une affection autre que la BL. Dans ce cas, le traitement présomptif a été considéré comme inutile. Quatre-vingt-huit patients (dont 16 sous-traités) ont reçu un traitement présomptif qui a échoué chez 46 d’entre eux (52%). Au total les traitements présomptifs prescrits avant (n=135) et après la première consultation (n=88) ont échoué chez 181 (81%) des 223 patients traités.

Le diagnostic de BL a été confirmé chez 29 des 301 patients (9,6%) et considéré comme possible chez 9 patients (3%). Parmi les 29 patients atteints de BL confirmée, 10 avaient un érythème migrant, 8 une neuroborréliose (sérologie positive dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) ou leucocytes >5 éléments dans le LCR), 7 une arthrite et 4 une autre forme cutanée (tableau 2).

Tableau 2 : Diagnostic final chez 301 patients consultant à Paris pour une borréliose de Lyme présumée
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Parmi les 301 patients, 243 (80,7%) ont été diagnostiqués avec une autre maladie alors que pour 20 patients (6,6%) aucun diagnostic n’a été posé. Parmi les 301 patients, 76 personnes (25%) montraient un trouble psychologique, 48 (16%) une maladie ostéo-articulaire, 37 (12%) une maladie neurologique et 15 (5%) un syndrome d’apnée du sommeil.

Les 51 patients (17%) avec d’autres pathologies présentaient une maladie infectieuse (n=10), des problèmes de thyroïde (n=6), une fibromyalgie (n=5), une cardiomyopathie (n=3), une maladie inflammatoire (n=3) et diverses autres maladies (n=24). Enfin, 16 (5,3 %) présentaient plus d’une pathologie (tableau 2).

Nous avons comparé les 29 patients avec BL confirmée et les 243 avec un autre diagnostic définitif. Nous avons donc exclu de l’analyse les 9 patients avec une possible BL et les 20 sans diagnostic précis. Les patients atteints d’une maladie autre que la BL étaient significativement plus jeunes et présentaient plus de symptômes, une plus longue durée d’évolution, moins de signes cliniques et moins fréquemment des sérologies positives pour la BL (tableau 3).

Tableau 3 : Comparaison entre les patients consultant à Paris avec une maladie de Lyme confirmée (n=29) et les patients avec un autre diagnostic confirmé (n=243)
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Discussion

Chez 301 patients consultant avec une BL présumée, le diagnostic a été confirmé pour moins de 10% d’entre eux. Le traitement présomptif administré avant et/ou après la consultation a échoué dans plus de 80% des cas. Et 80% de nos patients ont été diagnostiqués avec une autre maladie.

Dans cette série de patients consultant pour une BL présumée, nous avons identifié des facteurs associés au diagnostic de maladies autres que la BL : un plus jeune âge, un plus grand nombre de symptômes, moins de signes cliniques et moins de sérologies positives pour la BL (tableau 3). Au mieux de notre connaissance, de tels facteurs n’ont pas encore été mis en évidence. Néanmoins le déséquilibre entre le nombre plus élevé de symptômes et le nombre plus faible de signes physiques peut voir son explication dans l’importance des troubles psychologiques (25%) parmi les diagnostics autres que la BL.

Le fait que 80% de nos patients aient été diagnostiqués avec une autre maladie que la BL est frappant mais pas si nouveau. Dans deux autres études françaises récentes, le diagnostic de BL était confirmé chez 12% des patients à Besançon 18 et 15% à Nancy 19, comparé à 9,6% dans notre étude 16. Ces résultats témoignent du phénomène de sur-diagnostic de la BL.

Ce sur-diagnostic semble s’être amplifié depuis les études réalisées aux États-Unis il y a plus de 20 ans. Vers la fin des années 1990, 57% des 788 patients consultant pour une BL présumée dans une clinique à Boston ont été diagnostiqués avec d’autres maladies que la BL 6. En 1994-1995, parmi 209 patients américains référés de manière similaire dans une clinique dans le Connecticut, 60% ne présentaient aucun signe de BL actuelle ou passée, tandis que 21% satisfaisaient aux critères de BL comparativement à 9,6% dans notre étude 16.

Les différences entre les taux de diagnostic de la BL à Paris, Nancy et Besançon (9-15%) pourraient s’expliquer par les fortes disparités entre les taux d’incidence observés dans ces régions. En effet, l’incidence annuelle de la BL est très faible en Île-de-France (29-65 cas pour 100 000 habitants en 2016) comparée à celle du Limousin (617 cas pour 100 000 habitants en 2016), de l’Alsace (281 cas/100 000 habitants en 2016) et de Rhône-Alpes (164 cas/100 000 habitants en 2013) 20. Pourtant, le taux de sur-diagnostic semblait encore plus élevé dans une étude réalisée en Alsace-Lorraine, où les tests sérologiques étaient positifs chez 8% des 128 patients consultant pour une suspicion de BL et où le diagnostic final de BL était porté par l’infectiologue chez seulement 3,6% des patients 21.

Le sur-traitement de la BL présumée a concerné 50% de nos 301 patients, 51% des 788 patients référés à Boston 6 et plus de 75% des 209 patients dans le Connecticut 7. La raison pour laquelle de tels patients peuvent être sur-traités dépasse le cadre de cette étude. Toutefois cela a été discuté de manière exhaustive il y a plus de 20 ans 5. Étonnamment, les dix raisons données par l’auteur pour expliquer ce phénomène semblent être plus ou moins identiques aujourd’hui. Nous pouvons même ajouter depuis d’autres limites au sur-traitement. Ce phénomène de sur-traitement n’est pas étayé par les résultats des essais randomisés évaluant une durée prolongée de traitements pour BL supposée 22,23,24. Il a aussi été montré que la prescription d’antibiotiques pendant une courte durée devrait être préférée dans le traitement de la BL, pour tenir compte de la résistance croissante aux antibiotiques due à leur utilisation non contrôlée 9. Ainsi, notre rôle de médecins durant cette étude a plus souvent consisté à mettre fin au traitement antibiotique inutile plutôt qu’à le prescrire ou le prolonger.

L’étiologie principale (31% des 243 diagnostics différentiels) était des troubles psychologiques (tableau 2). Les troubles psychologiques représentaient 25% des diagnostics chez nos 301 patients 22, contre 13% à Besançon et probablement moins de 5% à Nancy 18,19. Comme plus de 80% de ces patients se plaignent d’arthralgies, de myalgies et d’asthénie, sans signes cliniques objectifs, nous avons soulevé l’hypothèse que ce sous-groupe de patients aurait pu être classé en troubles psychologiques dans notre étude à Paris et en indéterminé (ou éventuellement en un autre groupe tel que la rhumatologie) à Besançon et à Nancy. En effet, le chevauchement des troubles psychologiques avec la fibromyalgie est très probable 22. À Paris, l’approche holistique utilisée a conduit, pour un certain nombre de patients, au diagnostic de syndromes de stress post-traumatique ou d’épuisement professionnel, de harcèlement moral ou sexuel, et classés en troubles psychologiques 22. De tels syndromes, ainsi que la dépression, partagent des signes communs qui empruntent à la neurologie et à la rhumatologie 25,26,27. Ainsi, notre étude montre que les médecins consultés par ces patients devraient tenir compte de tous ces troubles, les évaluer comme proposé ici et les orienter vers les spécialistes concernés.

Cette étude montre également le large spectre des maladies trouvées chez ces patients, notamment de multiples maladies neurologiques, rhumatologiques ou musculo-squelettiques, certaines maladies inflammatoires et le syndrome d’apnée du sommeil. Les parts respectives occupées par les maladies neurologiques, rhumatologiques et les troubles psychologiques sont proches de celles observées dans les deux autres études françaises récentes 17,18. Une telle variété n’est pas surprenante car toutes ces maladies peuvent être discutées avec les formes cliniques correspondantes de BL 2. Celles-ci étaient également dans la gamme des maladies diagnostiquées chez les patients américains comparables dans les années 1990 5,6. Ainsi, des médecins peuvent encore traiter une BL présumée alors qu’il existe d’autres diagnostics alternatifs, parfois évidents. En outre, des médecins ont manqué le diagnostic de BL dans une douzaine de nos 29 cas confirmés de BL, l’autre moitié des patients atteints de BL active ayant été référés par leur médecin traitant pour BL. Par conséquent, ces patients sont confrontés à un double problème : ils sont sur-traités par certains médecins, mais négligés par d’autres.

Vingt de nos patients avec des plaintes non liées à la BL sont restés sans diagnostic. Malgré l’absence de signes caractéristiques, nous ne pouvons pas exclure la possibilité d’une infection par un autre agent microbien transmis par les tiques, tel qu’Anaplasma phagocytophilum, Candidatus Neoehrlichia mikurensis, Rickettsia helvetica, Rickettsia monacensis, Borrelia miyamotoi et plusieurs espèces de Babesia comme montré lors de co-infections avec la BL 28. Les tiques peuvent en effet transporter de tels agents microbiens. Toutefois, cette possibilité ne doit pas être surestimée. D’après les techniques de détection moléculaire, la probabilité d’infection par ces agents pathogènes transmis après une morsure de tique a été estimée à environ 2,4% aux Pays-Bas chez des patients asymptomatiques mais présentant des antécédents d’érythème migrant 29. En outre, et comme pour nos patients, aucune des personnes positives n’avait signalé de signes caractéristiques d’une de ces maladies pendant la période de suivi de trois mois 29,30. Dans le nord-est de la France, chez les travailleurs forestiers asymptomatiques, la séroprévalence estimée pour ces agents pathogènes était de 5,7% pour Francisella tularensis, de 2,3% pour le virus de l’encéphalite à tiques, de 1,7% pour Anaplasma phagocytophilum, de 1,7% pour Bartonella henselae ainsi que de 0,1% pour Babesia divergens et 2,5% pour Babesia microti alors que la séroprévalence pour BL était de 14,1% 30. De plus, ces patients ont été traités avec de la doxycycline qui n’était pas efficace bien que couvrant certains de ces agents microbiens.

Notre étude a des limites. Il s’agit d’une étude monocentrique faite dans un service de maladies infectieuses. Elle est basée sur l’expérience d’un seul médecin référent, car cette approche holistique est particulière et nécessite un intérêt pour la psychologie. La prise en charge de ces patients est aussi chronophage, comme le montre une autre étude française où la durée médiane de consultation pour une suspicion de BL a été estimée à 30 à 60 minutes (ce qui est conforme à notre expérience bien que non évaluée plus précisément ici) 21.

Une autre limitation est liée aux tests sérologiques qui n’ont pas été réalisés au centre national de référence et, par conséquent, peuvent avoir une sensibilité et une spécificité différentes 31,32. Cependant les tests disponibles en France sont validés avant commercialisation. En outre, la procédure de diagnostic a pris en compte les résultats du traitement présomptif rendant le diagnostic de BL plus rigoureux.

Conclusion

En conclusion, le sur-diagnostic et le surtraitement de la BL constituent un réel sujet de préoccupation et un phénomène s’aggravant. Beaucoup de patients ont été traités avec des antiinfectieux inutilement et pendant très longtemps. Cela comporte des risques iatrogènes pour le patient, dont certains commencent à être décrits 33. Les risques encourus par le patient sont ceux d’effets indésirables de traitements injustifiés, de mortalité liée à une maladie non diagnostiquée et de médicalisation d’une affection spontanément résolutive 34. Les raisons pour lesquelles ce phénomène s’amplifie, malgré le nombre croissant de raisons qui ne soutiennent pas une telle tendance, relèvent d’autres disciplines que la médecine.

Références

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3 Wormser GP, Dattwyler RJ, Shapiro ED, Halperin JJ, Steere AC, Klempner MS, et al. The clinical assessment, treatment, and prevention of Lyme disease, human granulocytic anaplasmosis, and babesiosis: clinical practice guidelines by the Infectious Diseases Society of America. Clin Infect Dis. 2006;43(9):1089-134.
4 Hansmann Y, Cazenave-Roblot F, Weinbreck P, Michelet C, Caumes E. Maladie de Lyme : où est la controverse ? Presse Med. 2015;44(7-8):697-9.
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Citer cet article

Haddad E, Chabane K, Jaureguiberry S, Monsel G, Pourcher V, Caumes E. L’approche holistique des patients consultant pour borréliose de Lyme présumée aboutit à 9,6% de confirmation diagnostique. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(14):248-55. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/14/2019_14_1.html