Niveau tensionnel moyen et risque d’hypertension chez les riverains des aéroports en France

// Mean blood pressure level and risk of hypertension in the population living near airports in France

Marie Lefèvre1, Patricia Champelovier2, Jacques Lambert2, Bernard Laumon3, Anne-Sophie Evrard1 (anne-sophie.evrard@ifsttar.fr)
1 Université Claude Bernard Lyon1, Ifsttar, Umrestte, UMR T_9405, Bron, France
2 Ifsttar, Département aménagement, mobilités et environnement, Laboratoire transports et environnement (LTE), Bron, France
3 Ifsttar, Département transport santé et sécurité, Bron, France
Soumis le 16.01.2018 // Date of submission: 01.16.2018
Mots-clés : Épidémiologie | Bruit des avions | Pression artérielle | Hypertension | Genre
Keywords: Epidemiology | Aircraft noise exposure | Blood pressure | Hypertension | Gender

Résumé

Objectif –

En 2009, une méta-analyse a mis en évidence une augmentation du risque d’hypertension artérielle (HTA) avec l’exposition au bruit des avions. Un des objectifs de l’étude Debats (Discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé), réalisée en 2013, était de décrire la prévalence de l’HTA et de rechercher l’existence d’une association entre l’exposition au bruit des avions et le risque d’HTA chez les riverains des aéroports en France.

Méthodes –

La pression artérielle a été mesurée chez 1 244 riverains des aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle, Lyon-Saint-Exupéry et Toulouse-Blagnac. Des informations relatives aux facteurs de risque potentiels d’HTA ont été recueillies, soit via un questionnaire administré en face-à-face par un enquêteur, soit grâce à des mesures objectives réalisées par cet enquêteur. L’exposition au bruit des avions au domicile des participants a été estimée à partir de cartes de bruit produites par les aéroports. Les facteurs de risque potentiels de l’HTA ont été inclus dans des modèles de régression logistique comme facteurs de confusion.

Résultats –

La prévalence de l’HTA est significativement plus élevée chez les hommes (37,0%) que chez les femmes (30,5%). Une augmentation significative du risque d’HTA est observée chez les hommes (ORa=1,34, IC95%: [1,00-1,97]), mais pas chez les femmes (ORa=0,90 [0,66-1,22]) pour une augmentation de 10 dB(A) de l’exposition au bruit des avions pendant la nuit.

Conclusion –

Ces résultats confirment ceux de la plupart des études antérieures, qui suggèrent que l’exposition au bruit des avions pendant la nuit augmenterait le risque d’HTA chez les hommes.

Abstract

Objective –

In 2009, a meta-analysis reported an increased risk of hypertension (HTA) related to long-term aircraft noise exposure. One of the objectives of the Debats (Discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé) study was to assess the prevalence of HTA and to investigate the relationship between aircraft noise exposure and the risk of HTA among people living near airports in France.

Methods –

Blood pressure was measured for 1,244 participants living near three French airports: Paris-Charles-de-Gaulle, Lyon-Saint-Exupéry, and Toulouse-Blagnac. Information about major risk factors for HTA was collected by means of a face-to-face questionnaire or by means of objective measures performed by an interviewer. Aircraft noise exposure was estimated for each participant’s home address using noise maps produced by the airports. The major risk factors for HTA were included in logistic regression models as confounding factors.

Results –

The prevalence of HTA was significantly higher in men (37.0%) than in women (30.5%). A significant relationship was evidenced between the risk of HTA and aircraft noise exposure at night for men, not for women. A 10 dB(A) increase in Lnight was associated with an ORa of 1.34 (95%CI: [1.00-1.97]) for men, and of 0.90 [0.66‑1.22] for women.

Conclusion –

These findings contribute to the overall evidence suggesting that aircraft noise exposure may increase the risk of HTA in men.

Introduction

Le bruit est un agent stressant qui peut affecter le système nerveux autonome et le système endocrinien. L’exposition au bruit sur le long terme peut ainsi conduire à des effets délétères sur le système cardiovasculaire 1. En 2009, Babisch et Van Kamp ont réalisé une méta-analyse des résultats de cinq études concernant les effets de l’exposition au bruit des avions sur le risque d’hypertension artérielle (HTA) 2. Ils ont mis en évidence une augmentation du risque d’HTA avec un odds ratio (OR) de 1,13 (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,00-1,28]) pour une augmentation de 10 dB(A) du niveau d’exposition au bruit.

Bien que peu nombreuses, la plupart des études portant sur la question du genre ont montré une association entre le risque d’HTA et l’exposition au bruit des avions ou du trafic routier uniquement chez les hommes 3,4,5,6. La littérature n’est cependant pas unanime sur le sujet 3,7,8.

Un des objectifs de l’étude Debats (Discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé), menée en 2013, était de décrire la prévalence de l’HTA et de rechercher s’il existe une association entre l’exposition au bruit des avions et le risque d’HTA chez les riverains des aéroports en France 9.

Méthodes

Population d’étude

La population d’étude était constituée des habitants, âgés de 18 ans et plus, riverains de quatre zones de bruit délimitées autour de trois aéroports français : Paris-Charles-de-Gaulle, Lyon Saint-Exupéry et Toulouse-Blagnac 10. L’objectif était de recruter approximativement 300 riverains dans quatre zones de bruit, définies à partir des cartes de bruit produites par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) en termes de Lden (indicateur correspondant au niveau de bruit moyen pondéré sur une journée entière) : <50 dB(A), 50-54 dB(A), 55-59 dB(A) et 60 dB(A) et plus. Un échantillon de 23 350 adresses, situées dans l’une des 161 communes de la zone d’étude définie à partir de ces cartes, a ainsi été tiré au sort dans l’annuaire téléphonique universel. Lorsqu’un contact était établi, la sélection du répondant était effectuée par tirage au sort au sein des membres éligibles du foyer. La méthodologie adoptée pour le recrutement des participants a fait l’objet d’un rapport détaillé 11.

Finalement, 1 244 personnes (549 hommes et 695 femmes) ont participé à l’étude Debats. Près de 40% des personnes contactées ayant refusé de participer ont répondu à un questionnaire de refus renseignant leurs caractéristiques démographiques et socioéconomiques. Les profils démographiques et socioéconomiques des participants ont ainsi pu être comparés à ceux des personnes qui ont répondu au questionnaire de refus (non-participants), ainsi qu’à ceux de la population d’étude, caractérisés à partir des données du recensement 1999 (redressées en 2007) de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques).

Constitution des variables

La pression artérielle a été mesurée trois fois sur le bras gauche par un enquêteur au domicile des participants avec un tensiomètre Omron® M6 Comfort. La première mesure a eu lieu en début d’interview, après cinq minutes de repos. La deuxième est intervenue une minute après la première. Enfin, au terme de l’entretien (environ une heure plus tard), une troisième mesure a été effectuée. La moyenne des deux premières mesures a été utilisée dans les analyses, la troisième servant de mesure de contrôle.

Un participant était classé comme hypertendu s’il avait une pression artérielle systolique (PAS) ≥140 mmHg ou une pression artérielle diastolique (PAD) ≥90 mmHg (définition de l’HTA par l’Organisation mondiale de la santé, OMS), ou s’il déclarait qu’un médecin lui avait diagnostiqué une HTA au cours des 12 derniers mois en conjonction avec la prise d’un médicament à action antihypertensive.

Les facteurs de risque connus d’HTA ont été recueillis soit par questionnaire, soit via des mesures objectives réalisées par les enquêteurs.

Les facteurs de confusion suivants ont été inclus dans les analyses multivariées finales : l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC), la pratique régulière d’une activité physique, l’exercice d’une activité professionnelle et la consommation d’alcool. Quatre catégories de buveurs ont été définies selon le nombre moyen de verres d’alcool (vin, bière, apéritifs/digestifs) consommés au cours de la dernière semaine et déclaré par les participants : non buveur, petit buveur (moins de 2 verres/jour pour les hommes et moins d’un verre/jour pour les femmes), buveur moyen (entre 2 et 4 verres/jour pour les hommes et entre 1 et 3 verres/jour pour les femmes) et gros buveur (4 verres et plus par jour pour les hommes et 3 verres et plus par jour pour les femmes). D’autres facteurs ont été inclus dans les modèles initiaux : le pays de naissance du sujet (approximation de l’appartenance ethnique), la présence d’éventuelles difficultés financières ou de stress liées au travail, la survenue d’évènements personnels et familiaux importants, le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle, le revenu du foyer, la gêne due au bruit des avions, la sensibilité au bruit, le nombre moyen de réveils nocturnes, les caractéristiques du logement (isolation du toit, des fenêtres et pratiques d’ouverture/fermeture notamment), la consommation de tabac et la présence de diabète ou d’hypercholestérolémie sur les 12 derniers mois. L’inclusion de ces variables ne modifiant pas la relation entre bruit et HTA, elles n’ont pas été conservées dans les modèles finaux.

L’exposition au bruit des avions au domicile des participants a été estimée à partir des cartes de bruit produites par la DGAC 12. Pour les analyses statistiques, trois indicateurs acoustiques ont été utilisés : le Lden (également utilisé pour la sélection des participants), le niveau de bruit moyen sur la période 6h-22h (LAeq,16h) et le niveau de bruit moyen sur la période 22h-6h (Lnight).

Méthodes statistiques

La prévalence de l’HTA ajustée sur l’âge a été estimée chez les hommes et chez les femmes en utilisant la structure d’âge de la population française. La prévalence a également été ajustée sur la structure par âge et sexe de la population européenne afin de la comparer à celle d’autres pays européens.

Des modèles de régression logistique et des modèles de régression linéaire ont été estimés afin d’étudier la relation entre l’exposition au bruit des avions et le risque d’HTA d’une part, et le niveau de la PAS et de la PAD d’autre part.

L’ensemble des analyses a été réalisé avec le logiciel SAS® 9.4.

Éthique

Cette étude a été approuvée par deux autorités nationales en France : le Comité consultatif sur le traitement des données en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS) et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Résultats

Le taux de participation était de 30% (1 244 participants/4 202 personnes éligibles) mais différait selon les aéroports : 26% à Paris-Charles de Gaulle, 39% à Lyon Saint-Exupéry et 34% à Toulouse-Blagnac. En revanche, il était similaire dans les quatre classes d’exposition au bruit. Les profils démographiques, socioéconomiques et d’exposition au bruit des avions étaient relativement similaires chez les participants et chez les personnes ayant répondu au questionnaire de refus (non-participants) (tableau 1). La proportion de cadres et de professions intermédiaires était plus élevée chez les participants que chez les non-participants (respectivement 36% et 17%) et celle de retraités moins élevée (27% et 38%). Les individus de 18-34 ans et ceux de plus de 75 ans étaient moins nombreux parmi les participants (respectivement 18% et 5%) que dans la population d’étude (26% et 10%). La proportion de cadres était plus élevée chez les participants (18%) que dans la population d’étude (9%) et celle des ouvriers et des inactifs moins élevée (respectivement 6% et 6% chez les participants, 13% et 17% dans la population d’étude).

Tableau 1 : Comparaison des profils démographiques et socioéconomiques des participants, des non-participants et de la population d’étude. Étude Debats, France, 2013
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Sur les 1 244 participants à Debats, 1 230 sujets ont été inclus dans les analyses, dont 687 femmes et 543 hommes (14 exclusions dues à des refus ou à des problèmes techniques intervenus lors des mesures).

Pression artérielle mesurée au cours de l’étude

Les valeurs de pression artérielle mesurées pendant l’étude sont présentées dans le tableau 2. La PAS moyenne était égale à 122,9 mmHg [121,9-123,9]) et la PAD moyenne s’élevait à 79,9 [79,3-80,6] mmHg. La PAS et la PAD étaient significativement plus élevées chez les hommes (129,5 et 81,7 mmHg) que chez les femmes (117,6 et 78,6 mmHg ; p<0,0001).

Tableau 2 : Pression artérielle, hypertension, traitement et contrôle. Étude Debats, France, 2013
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Prévalence de l’HTA

Parmi les sujets de l’étude, 426 (35%) ont été classés hypertendus : 203 femmes (48%) et 223 hommes (52%). La prévalence de l’HTA ajustée sur la structure d’âge de la population française était de 37% chez les hommes et 31% chez les femmes. La prévalence ajustée sur la structure par âge et sexe de la population européenne était de 43% chez les sujets âgés de 45 à 70 ans.

Seuls 53% des sujets classés comme hypertendus dans l’étude déclaraient avoir été diagnostiqués comme tels par un médecin au cours des 12 derniers mois. Cette proportion est plus importante chez les femmes que chez les hommes (59% et 47% ; p=0,02).

Traitement et contrôle de l’hypertension

Parmi les 426 sujets classés comme hypertendus, 203 (48%) déclaraient avoir été sous traitement antihypertenseur au cours des 12 derniers mois. Cette proportion atteignait 91% parmi les sujets ayant connaissance de leur HTA (diagnostic établi au cours des 12 derniers mois).

Parmi les sujets classés hypertendus et traités, seuls 55% présentaient des mesures de pression artérielle satisfaisantes (PAS<140 mmHg et PAD<90 mmHg) au cours de l’étude. Le contrôle de l’HTA était meilleur chez les femmes que chez les hommes (63% et 46% ; p<0,0001).

Caractéristiques des participants : facteurs de risque cardiovasculaire

Le tableau 3 montre la répartition des participants selon l’ensemble des facteurs de risque cardiovasculaire autres que l’HTA. Les hommes étaient en moyenne un peu plus âgés que les femmes (52 ans et 50 ans ; p=0,02). Près de 53% des participants déclaraient pratiquer régulièrement une activité sportive (pas de différence hommes-femmes ; p=0,63). La prévalence du tabagisme actif (fumeurs occasionnels ou quotidiens) s’élevait à 23% sans différence hommes-femmes (p=0,47). En revanche, le pourcentage de participants n’ayant jamais fumé était significativement plus élevé chez les femmes que chez les hommes (54% et 45% ; p=0,0007). Environ 28% des participants affirmaient ne jamais consommer d’alcool, proportion plus importante chez les femmes que chez les hommes (35% et 19% ; p<0,0001). Selon leurs déclarations, la proportion de personnes ayant eu une hypercholestérolémie au cours des 12 mois précédents s’élevait à 21%, davantage chez les hommes que chez les femmes (25% et 17% ; p=0,0009). Et 6% des personnes déclaraient avoir eu du diabète au cours des 12 mois précédents, proportion plus élevée chez les hommes que chez les femmes (8% et 5% ; p=0,01). La prévalence du surpoids était de 34%, plus prononcée chez les hommes que chez les femmes (43% et 27% ; p<0,0001). La prévalence de l’obésité était de 20% (pas de différence hommes-femmes ; p=0,13).

Tableau 3 : Caractéristiques des participants : facteurs de risque cardiovasculaire. Étude Debats, France, 2013
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Bruit et HTA

Les résultats du modèle logistique incluant l’ensemble des facteurs de confusion potentiels sont présentés dans le tableau 4. Ils montrent le rôle de l’âge et de l’IMC sur le risque d’HTA, tant chez les hommes que chez les femmes. La consommation d’alcool et l’exercice d’une activité professionnelle n’étaient significatifs que chez les hommes.

Tableau 4 : Odds ratio (OR) du risque d’hypertension artérielle pour les principaux facteurs de confusion. Étude Debats, France, 2013
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Une augmentation significative du risque d’HTA avec l’exposition au bruit des avions sur une journée entière (Lden) ou pendant la nuit (Lnight) a été mise en évidence chez les hommes uniquement (tableau 5). Chez les femmes, aucune relation n’a été observée, quel que soit l’indicateur acoustique. Un modèle incluant un terme d’interaction entre le genre et l’exposition au bruit confirme ces résultats. Une augmentation significative de la PAS et de la PAD avec le niveau de bruit des avions a également été observée chez les hommes pour les trois indicateurs acoustiques. Chez les femmes, seule une augmentation de la PAS a été trouvée pour les indicateurs Lden et LAeq,16h.

Tableau 5 : Odds ratio du risque d’HTA et augmentation des niveaux de PAS et de PAD pour une augmentation du niveau de bruit de 10 dB(A). Étude Debats, France, 2013
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Discussion

Le taux de participation dans cette étude (30%) est similaire à ceux retrouvés pour l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni dans l’étude HYENA (Hypertension and Exposure to Noise near Airports) menée autour de six grands aéroports européens 3. La prévalence de l’HTA ajustée sur la structure par âge de la population française (34%) est similaire à celle observée dans l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) en 2006-2007 (31%) 13, avec une prévalence significativement plus élevée chez les hommes que chez les femmes dans les deux études (Debats : 37% et 31% ; p<0,0001 ; ENNS : 34% et 28% ; p=0,02). La prévalence ajustée sur l’âge et le sexe de la population européenne est légèrement inférieure (43%) à celles retrouvées dans l’étude HYENA : 49% au Royaume-Uni, 55% en Allemagne, 52% aux Pays-Bas, Suède et Italie, et 57% en Grèce 3.

Les conclusions de Debats rejoignent également celles de l’étude ENNS : bien qu’elle soit un facteur de risque majeur de nombreuses maladies cardiovasculaires, l’HTA est encore insuffisamment détectée, traitée et contrôlée en France. En effet, près de la moitié des sujets (47%) classés comme hypertendus dans l’étude n’avaient pas connaissance de leur HTA. Seuls 55% des sujets hypertendus sous traitement présentaient des mesures de pression artérielle satisfaisantes (PAS<140 mmHg et PAD<90 mmHg) au cours de l’étude.

Les résultats de Debats suggèrent une augmentation du risque d’HTA avec l’exposition au bruit des avions, notamment pendant la nuit, chez les hommes mais pas chez les femmes. Des associations significatives sont également observées chez les hommes entre le bruit des avions et la PAS d’une part et la PAD d’autre part. Ces résultats confirment ceux des études antérieures 2,14,15,16. D’autres études ont également retrouvé la différence hommes-femmes 5,6. En Suède, Eriksson et coll. ont trouvé un risque relatif (RR) de 1,21 [1,05-1,39]), significatif chez les hommes mais pas chez les femmes (RR=0,97 [0,83-1,13]). L’étude HYENA n’a, quant à elle, montré aucune différence pour le bruit des avions. En revanche, elle en a trouvé une pour le bruit routier. Des recherches récentes ont mis l’accent sur des caractéristiques physiologiques différentes chez les hommes et les femmes, conduisant à des différences dans la pathogénèse des maladies cardiovasculaires, ce qui pourrait expliquer les résultats obtenus 17,18. Ces différences seraient notamment dues à l’interaction des hormones féminines avec les systèmes de régulation. Mais l’abondante littérature portant sur l’HTA est très parcimonieuse sur les différences liées au sexe. Les mécanismes les expliquant ne sont que partiellement élucidés en raison de la complexité des interactions entre les gènes d’une part et les gènes et l’environnement d’autre part.

Un biais de sélection ne peut pas être totalement exclu dans cette étude. Il concerne la représentativité des répondants. On constate notamment une différence de catégorie socioprofessionnelle entre participants et personnes ayant refusé de participer mais accepté de répondre à un questionnaire de refus. Cependant, ces dernières ne sont pas forcément représentatives de l’ensemble des personnes qui ont refusé de participer. La représentativité d’un échantillon tiré au sort dans l’annuaire téléphonique universel (situation socioéconomique certainement plus favorable par rapport à la population d’étude) est aussi contestable, mais ne peut être quantifiée ici. Il en est de même de la représentativité de la population d’étude vis-à-vis des riverains de l’ensemble des aéroports français, population pour laquelle nous ne disposons pas d’informations suffisantes pour la caractériser.

Un éventuel biais de sélection des participants, dû au fait que ces derniers se sentiraient davantage concernés et pourraient déclarer plus de problèmes de santé liés au bruit, ne peut non plus être totalement écarté. Cependant, comme les participants, les personnes qui ont répondu au questionnaire de refus sont équitablement réparties dans les quatre zones de bruit. Leurs profils démographiques et socioéconomiques sont également relativement similaires à ceux des participants. Par ailleurs, ceux-ci ne semblent pas déclarer davantage de problèmes de santé liés au bruit puisque la prévalence de l’HTA est similaire à celle retrouvée dans l’étude ENNS 13. En outre, ce biais semble peu probable car l’HTA est objectivée par la prise de tension ou le diagnostic par un médecin, avec la prescription d’un traitement. En revanche, un biais de sélection (biais de survie) est possible. En effet, l’HTA étant un facteur de risque de maladies cardiovasculaires (et donc de décès), si le lien entre exposition au bruit et HTA existe, le nombre d’hypertendus exposés pourrait être sous-estimé dans cet échantillon, conduisant ainsi à une sous-estimation du risque d’HTA associé à l’exposition au bruit dans cette étude.

Le bruit engendre la réduction des valeurs des biens immobiliers 17. Les logements à proximité des aéroports font ainsi l’objet d’une dépréciation immobilière par rapport à des logements situés plus au calme. La situation socioéconomique des habitants de ces logements exposés au bruit serait donc possiblement moins favorable que celle des habitants des logements sans nuisance sonore. Par ailleurs, un statut socioéconomique défavorable serait un facteur de risque d’HTA 18. Même s’il ne peut être exclu, un biais de confusion semble peu probable dans cette étude. En effet, la prise en compte du niveau de diplôme, de la catégorie socioprofessionnelle et du revenu du foyer ne modifie pas la relation entre bruit et HTA. En outre, les modèles finaux sont ajustés sur l’exercice d’une activité professionnelle. Enfin, le fait d’habiter à proximité d’un aéroport n’a pas été associé avec une situation socioéconomique défavorable dans notre étude 19.

Parmi les 426 participants classés hypertendus, 315 présentaient des mesures de PAS ou de PAD supérieures aux valeurs de l’OMS et 111 ont été considérés comme hypertendus car ils ont déclaré un diagnostic d’HTA par un médecin avec la prise d’un traitement antihypertenseur. Un biais de mémoire, et donc de classement, ne peut pas être exclu pour ces participants, mais il est vraisemblablement indépendant de l’exposition au bruit des avions. Le fait que les mesures de pression artérielle n’aient été prises qu’au cours d’une seule visite, qui plus est de jour, alors qu’une association avec l’exposition au bruit des avions la nuit a été trouvée, est une limite indiscutable de l’étude. Par ailleurs, il n’a pas été possible de prendre en compte une période de latence entre l’exposition au bruit des avions et la survenue de l’HTA. En effet, un grand nombre de participants n’avaient pas connaissance de leur HTA et la date du diagnostic n’a pas été recueillie pour ceux qui en déclaraient une.

Cependant, la richesse des informations recueillies par le questionnaire a permis d’ajuster les modèles sur un nombre important de facteurs de confusion potentiels. Les résultats demeurent inchangés lorsque les analyses sont restreintes aux 978 participants résidant dans leur logement depuis au moins quatre ans ou lorsque les 106 participants ayant cité au moins un nom de médicament pouvant avoir un effet sur les mesures de pression artérielle sont exclus des analyses. Un biais de mémoire, et donc de classement, ne peut pas être exclu en ce qui concerne la consommation d’alcool car la proportion de non buveurs (19% chez les hommes et 35% chez les femmes) est élevée au regard de ce qui est observé en population générale (11% chez les hommes et 16% chez les femmes dans le Baromètre santé 2014) 19. Cependant, on peut raisonnablement espérer que ce biais est indépendant de l’exposition au bruit des avions. Aucune information concernant des antécédents d’HTA dans la famille proche du participant n’a été recueillie. Néanmoins il est peu probable que la présence d’antécédent soit corrélée à l’exposition au bruit des avions et modifie par conséquent les associations trouvées.

Le risque d’HTA chez les hommes augmente significativement avec le niveau d’exposition au bruit des avions pendant la journée entière (Lden) et pendant la nuit (Lnight). L’association n’est pas significative avec l’exposition le jour (LAeq,16h). Ce résultat est similaire à celui de l’étude HYENA qui montre une association plus prononcée pour l’exposition la nuit. Ce sur-risque d’HTA chez les hommes pourrait ainsi passer par des troubles du sommeil. En effet, le sommeil est un modulateur important de la fonction cardiovasculaire. Des études observationnelles et expérimentales ont montré que l’exposition au bruit pendant la nuit modifie la structure du sommeil et provoque une augmentation de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, des niveaux des hormones de stress et du stress oxydatif, ce qui peut entraîner une dysfonction endothéliale et de l’HTA 20.

La question du choix de l’indicateur acoustique à privilégier a été peu étudiée. La plupart des travaux utilisent le niveau de bruit moyenné sur une journée entière, avec ou sans pondération (Lden ou Ldn respectivement), ou pendant la nuit (Lnight) 2. Peu d’études utilisent le niveau de bruit moyen sur une période particulière de la journée (LAeq,16h) 2. Il est par ailleurs pertinent de se demander si les indicateurs énergétiques tels que le Lden, le LAeq,16h ou le Lnight sont les indicateurs acoustiques les plus appropriés pour rendre compte des effets sur la santé. Il est actuellement recommandé d’inclure des indicateurs évènementiels comme le nombre d’évènements acoustiques totaux ou le nombre d’évènements dépassant un certain seuil de bruit défini par le LAmax21. Mais ces indicateurs ne sont pas disponibles en France 22. Ils le seront bientôt pour un sous-échantillon de 100 participants à l’étude Debats pour lesquels des mesures acoustiques détaillées ont été réalisées sur leur lieu de résidence pendant une semaine.

Conclusion

Debats est le premier programme de recherche à s’intéresser en France à la relation entre l’exposition au bruit des avions et le risque d’hypertension chez les riverains des aéroports. Les résultats confirment ceux d’études antérieures suggérant un effet délétère du bruit des avions sur le risque d’HTA chez les hommes, notamment la nuit. L’HTA étant un facteur de risque établi de maladie cardiovasculaire, cette association soutient ainsi l’hypothèse que le bruit des avions serait également un facteur de risque de maladies cardiovasculaires.

Remerciements

Les auteurs remercient l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) pour sa confiance. Ils sont reconnaissants à Aéroports de Paris et à la Direction générale de l’aviation civile pour la mise à disposition des cartes d’exposition au bruit.
Les auteurs remercient également tous les participants à Debats et les enquêteurs qui les ont interrogés.

Financements

La présente étude a été financée par des subventions du ministère chargé de la Santé, du ministère chargé de l’Environnement et de la Direction générale de l’aviation civile.

Références

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Citer cet article

Lefèvre M, Champelovier P, Lambert J, Laumon B, Evrard AS. Niveau tensionnel moyen et risque d’hypertension chez les riverains des aéroports en France. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(18):364-72. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/18/2018_18_2.html