Pic de crises d’asthme survenu à la suite d’un orage en période d’émission de pollen, Nantes, juin 2013

// Peak of asthma attacks following a storm during pollen emission, Nantes (France), June 2013

Noémie Fortin1 (noemie.fortin@santepubliquefrance.fr), Patrick Guérin2, Marie-Christine Delmas3, Bruno Hubert1
1 Santé publique France, Cellule d’intervention en région (Cire) Pays de la Loire, Nantes, France
2 Association SOS Médecins Nantes, France
3 Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 16.03.2018 // Date of submission: 03.16.2018
Mots-clés : Asthme | Orage | Pollen | SOS Médecins | Surveillance syndromique
Keywords: Asthma | Storm | Pollen | SOS Médecins | Syndromic surveillance

Résumé

Introduction –

Des augmentations de crises d’asthme ont été épisodiquement décrites pendant des périodes d’émission de pollen, en particulier suite à un orage. Ces phénomènes sont peu documentés en France. L’objectif de cet article est de décrire un épisode survenu à Nantes en juin 2013.

Méthodes –

Les crises d’asthme sont surveillées dans l’agglomération nantaise à partir des recours à SOS Médecins. Deux systèmes (Réseau national de surveillance aérobiologique et Pollinarium Sentinelle) fournissent des informations sur l’émission de pollens, avec une précision à un niveau local. Les données de Météo-France et d’Air Pays de la Loire ont permis de décrire les conditions météorologiques et environnementales sur la ville de Nantes.

Résultats –

Le 7 juin 2013, une augmentation brutale des appels à SOS Médecins Nantes pour crises d’asthme a été observée à partir de 21 heures. Du 7 au 10 juin, 152 appels pour crises d’asthme ont été enregistrés versus 27 les quatre jours précédents. Le Pollinarium Sentinelle de Nantes avait notifié un début de pollinisation du ray-grass le jour même. Dans les deux heures précédant le début des appels, un orage a éclaté, accompagné d’une augmentation de la vitesse moyenne du vent et de deux pics de précipitations.

Discussion –

Ce phénomène est lié à un mécanisme d’éclatement des grains de pollens en particules polliniques, avec une diffusion intense et rapide provoquée par les rafales de vent. La micronisation des grains de pollen permet une pénétration plus profonde dans l’arbre respiratoire. Lors d’épisodes similaires à Londres en 1994 et Melbourne en 2016, les patients avaient majoritairement des antécédents de rhinite allergique. Même si ce phénomène reste peu fréquent en France, les recommandations destinées aux personnes allergiques aux pollens devraient insister sur la nécessité de rester à l’intérieur des maisons avec les fenêtres fermées à l’approche d’un orage pendant les périodes d’émission de pollen.

Abstract

Introduction –

Increases in asthma attacks have been episodically described during periods of pollen release, especially after thunderstorms. These phenomena are poorly documented in France. The purpose of this article is to describe an episode that occurred in Nantes (France) in June 2013.

Methods –

Asthma attacks are monitored in the agglomeration of Nantes from the SOS Médecins activity. Two systems (National Network for Aerobiological Surveillance and Pollinarium Sentinelle) provide information on pollen emission with precision at a local level. Data from Météo-France and Air Pays de la Loire described weather and environmental conditions in the city of Nantes.

Results –

On 7 June 2013, a sharp increase in calls to SOS Médecins Nantes for asthma attacks was observed as of 9:00 pm. From 7 to 10 June, 152 calls for asthma attacks were recorded versus 27 on the four preceding days. The Pollinarium Sentinelle in Nantes had notified the start of pollination of ryegrass the same day. In the two hours preceding the start of the calls, a storm erupted, accompanied by an increase in the average wind speed and two peaks of precipitation.

Discussion –

This phenomenon is related to a mechanism of bursting of pollen grains into pollen particles with an intense and rapid diffusion caused by wind gusts. Micronization of pollen grains allows deeper penetration into the respiratory tree. In similar episodes in London in 1994 and Melbourne in 2016, the majority of patients had a history of allergic rhinitis. Although this phenomenon is rare in France, the recommendations for people allergic to pollen should insist on the need to stay indoors with windows closed when a thunderstorm is approaching during pollen release periods.

Introduction

Les pollens jouent un rôle important dans l’étiologie des rhinites allergiques, provoquées par une réponse immunitaire locale au niveau de la muqueuse nasale 1. Les pollens de graminées (famille des Poaceae), en particulier celui du ray-grass anglais (Lolium perenne, ivraie vivace), ont le potentiel allergénique le plus élevé dans nos régions 1,2.

L’incidence des symptômes de rhinite allergique augmente au printemps, en lien avec des sources successives d’exposition à divers types de pollen. Ces périodes de « rhume des foins » ne s’accompagnent pas d’augmentation significative des consultations pour crises d’asthme ; cependant, la survenue concomitante d’orages constitue une circonstance favorisante 1.

Après la description d’un épisode de pic d’asthme suite à un orage survenu à Londres en 1994 3,4, les publications se sont multipliées et rapportent des évènements d’ampleur majeure comme celui survenu récemment à Melbourne (Australie) au cours du printemps austral de 2016, où neuf personnes sont décédées 5,6.

Ces phénomènes sont peu documentés en France. L’objectif de cet article est de décrire un épisode survenu à Nantes en juin 2013 ainsi que les facteurs environnementaux associés.

Méthodes

Surveillance des crises d’asthme

L’association SOS Médecins Nantes couvre 92% de la population de l’agglomération nantaise. Dans le cadre du dispositif SurSaUD®, le relevé systématique des diagnostics posés par les médecins permet de surveiller quotidiennement les consultations pour crises d’asthme et de recueillir des informations sur le jour et l’heure d’appel, l’âge et le recours à une hospitalisation.

Surveillance des pollens

Deux sources indépendantes et complémentaires fournissent des informations sur l’émission des pollens à un niveau local. Le Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA) mesure, au moyen de capteurs, la concentration quotidienne dans l’air de particules biologiques allergisantes (pollens et moisissures) (http://www.pollens.fr/accueil.php).

Le « Pollinarium Sentinelle » de Nantes est un espace dans lequel sont réunies les principales espèces allergisantes de l’Ouest (plantes, arbustes et arbres sauvages). L’objectif est de les observer quotidiennement afin de définir les périodes d’émission de pollen de chaque espèce et d’assurer une information sur la situation pollinique auprès des personnes allergiques (http://www.airpl.org/Pollens/pollinariums-sentinelles).

Conditions climatiques

La station météorologique de Nantes-Bouguenais, située dans l’agglomération nantaise, fournit des informations horaires sur la hauteur de précipitations (en millimètres) et sur la vitesse moyenne du vent (en mètres/seconde).

L’indice Atmo produit par Air Pays de la Loire (http://www.airpl.org/) est un indicateur de qualité de l’air, caractérisant la pollution atmosphérique d’une agglomération urbaine. Cet indice, gradué de 1 (très bon) à 10 (très mauvais), a été fourni pour l’agglomération nantaise.

Période d’étude et méthode d’analyse

L’étude a porté sur la période de mai à juin 2013. Une analyse rétrospective et descriptive a été réalisée à partir des données quotidiennes de SOS Médecins Nantes, complétée par des données environnementales (pollens, conditions climatiques et qualité de l’air). Les patients ont été caractérisés en termes d’âge et de taux d’hospitalisation.

Résultats

Appels pour crise d’asthme

Le vendredi 7 juin 2013, une augmentation brutale des appels à SOS Médecins Nantes pour crises d’asthme a été observée à partir de 21 heures, suivie d’un pic à minuit (figures 1 et 2).

Figure 1 : Répartition du nombre quotidien d’appels à SOS Médecins Nantes pour crises d’asthme, Nantes, 1er mai-30 juin 2013
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Figure 2 : Répartition temporelle de la hauteur des précipitations (en mm), de la vitesse moyenne du vent (en m/s) et des appels SOS Médecins pour crises d’asthme, relevés par heure, Nantes, 7 et 8 juin 2013
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Du 7 au 10 juin, 152 appels pour crises d’asthme ont été enregistrés (versus 27 les quatre jours précédents), soit 38 patients en moyenne par jour contre 6 au cours du mois de mai 2013. Parmi ces cas, 59% concernaient des personnes âgées entre 10 et 39 ans versus 25% (p<0,001) sur la période de mai à juin 2013, pendant laquelle les enfants âgés de moins de 10 ans prédominaient, en dehors de ces quatre jours. Deux des 152 appels ont été suivis d’une hospitalisation le 8 juin.

Situation pollinique, météorologique et environnementale

Le 1er juin 2013, la concentration de pollen de graminées (sans distinction de l’espèce) a commencé à augmenter sur la ville de Nantes, pour atteindre un pic le 6 juin avec 250 grains par m3. L’émission du pollen de ray-grass anglais a débuté le 7 juin, selon les observations du Pollinarium Sentinelle de la ville de Nantes. Au cours de cette même semaine, cinq autres espèces de graminées étaient également en émission (fromental élevé, vulpin des prés, flouve odorante, dactyle aggloméré et houlque laineuse).

Un orage a éclaté sur la ville de Nantes en début de soirée du 7 juin. Il a été accompagné d’une augmentation de la vitesse moyenne du vent avec un pic à 7 m/s à 21 heures et également le lendemain après-midi (figure 2). Par comparaison, au cours du mois de juin 2013 (en dehors de la période du 7 au 10 juin), la vitesse moyenne horaire du vent était de 3,3 m/s sur la ville de Nantes.

Un premier pic de précipitations (2 mm en 1 heure) a été observé le 7 juin à 19 heures, suivi d’un second pic (3 mm en 1 heure) 3 heures plus tard, à 22 heures. Les appels pour crises d’asthme ont connu une évolution en deux temps, avec un début à 21 heures et un pic à minuit (figure 2). Un délai de 2 heures a ainsi été enregistré entre le pic de précipitations et le pic des appels.

La qualité de l’air sur l’agglomération nantaise pendant ces deux jours (7 et 8 juin) a été considérée comme moyenne par Air Pays de la Loire (indice Atmo respectivement de 6 et 5).

Discussion

Cet épisode objective la relation temporelle entre l’augmentation de crises d’asthme et la survenue d’un orage en période de pollinisation de graminées. Au cours de la seule journée du 8 juin 2013 à Nantes, le nombre d’appels à SOS Médecins pour des crises d’asthme a connu un pic, avec 70 consultations touchant significativement plus fréquemment les adultes jeunes (10-39 ans).

En France, peu d’épisodes similaires ont été décrits (Île-de-France en juin et juillet 2006 7 et Hauts-de-France en juin 2016 [H. Prouvost, communication personnelle]). Les épisodes survenus dans des pays voisins (Royaume-Uni 3,4 et Italie 8) et en Australie 5,6 ont fait l’objet de descriptions détaillées, instructives pour comprendre les conditions et les mécanismes de ces phénomènes. Dans la plupart des cas, les personnes touchées pendant ces épisodes n’avaient pas d’antécédents connus d’asthme 7,9. Ainsi, au cours de l’épisode de Melbourne en 2016, 89% des patients avaient des antécédents de rhinite allergique et seuls 37% avaient des antécédents connus d’asthme ; parmi les patients sans antécédents connus de rhinite ou d’asthme, 54% avaient des symptômes évocateurs d’asthme (symptômes nocturnes ou symptômes à l’effort) 5,6. Dans notre étude, les antécédents allergiques ne sont pas mentionnés dans les informations recueillies par les médecins.

Une observation importante concerne la prédominance des cas chez des adultes jeunes. Celle-ci avait été notée lors de l’épisode anglais de 1994, au cours duquel 57% des cas étaient âgés de 21 à 40 ans et seulement 13% avaient moins de 16 ans. À notre connaissance, il n’existe pas de données françaises sur la prévalence par âge de la rhinite allergique. Cependant, cette répartition est concordante avec le gradient par âge de la sensibilisation aux aéro-allergènes observé aux États-Unis. Avec une exposition de même niveau chez les enfants et les adultes, cette prévalence était plus élevée chez les adultes jeunes (10 à 39 ans) 10.

Les facteurs météorologiques habituellement mis en cause combinent des pluies importantes 8,11, des charges électriques dans l’atmosphère liées à l’orage 8,12 et des rafales de vent. Ces épisodes ne sont pas accompagnés d’un niveau de pollution atmosphérique élevé 8. Les allergènes les plus fréquemment impliqués sont les pollens de ray-grass anglais. Le mécanisme met en jeu une micronisation des grains de pollen (d’une taille de 30 microns) par choc osmotique, possiblement majorée par les champs électriques, entraînant une libération de particules allergéniques de très petite taille (3 microns) 2,8,11. Les rafales de vents, avec des courants verticaux, contribuent à diffuser ces particules 1,12. Une vitesse minimale du vent de 2,5 m/s est requise pour assurer une diffusion des grains de pollen et des particules. Des expériences d’immersion dans de l’eau de pollens de différentes espèces ont montré que le taux de rupture des grains variait selon l’espèce et était très élevé pour le ray-grass anglais (72% dans un délai de seulement 5 minutes) 2. Des quantités importantes de particules allergéniques peuvent donc pénétrer dans l’arbre bronchique et entrainer un bronchospasme dans un délai de moins d’une heure 13. Comme au cours de l’épisode nantais, le pic de crises d’asthme observé en Australie en octobre 1997 est survenu 2 à 4 heures après un orage 14.

La brutalité de ce phénomène contribue à amplifier l’impact sur l’offre de soins. Lors du dernier épisode survenu à Melbourne 5,6, les hôpitaux ont très rapidement été saturés, avec un appel toutes les 4 secondes et un excès de 9 900 patients admis aux urgences pour crises d’asthme dans la nuit du 21 novembre 2016. Neuf personnes sont décédées.

Même si ce phénomène reste peu fréquent en France, les recommandations destinées aux personnes allergiques aux pollens devraient insister sur la nécessité de rester à l’intérieur des maisons avec les fenêtres fermées à l’approche d’un orage pendant les périodes d’émission de pollen 15. Les sites Internet des Pollinariums Sentinelles et du RNSA, qui diffusent les alertes polliniques, pourraient intégrer ce message dans leurs recommandations de prévention.

Remerciements

Nous remercions pour leur collaboration les institutions suivantes : Air Pays de la Loire, Pollinarium Sentinelle de Nantes, Réseau national de surveillance aérobiologique, Météo-France.

Référencesss

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Citer cet article

Fortin N, Guérin P, Delmas MC, Hubert B. Pic de crises d’asthme survenu à la suite d’un orage en période d’émission de pollen, Nantes, juin 2013. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(18):360-3. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/18/2018_18_1.html