Paludisme et orpaillage illégal en Guyane : un enjeu majeur de santé publique

// Malaria and illegal gold mining in French Guiana: A major public health challenge

Maylis Douine1,2 (maylis.douine@ch-cayenne.fr), Lise Musset3, Florine Corlin1, Stéphane Pelleau3, Yassamine Lazrek3, Louise Mutricy1, Antoine Adenis1,2, Emilie Mosnier2,4, Felix Djossou5, Magalie Demar2,6, Mathieu Nacher1,2
1 Centre d’investigation clinique Antilles-Guyane (Inserm 1424), Centre hospitalier (CH) de Cayenne, Guyane, France
2 Épidémiologie des parasitoses tropicales, EA 3593, Université de Guyane, Cayenne, Guyane, France
3 Laboratoire de parasitologie, Centre collaborateur OMS pour la surveillance des résistances aux antipaludiques, Centre national de référence du paludisme, Institut Pasteur de la Guyane, Cayenne, Guyane, France
4 Centres délocalisés de prévention et de soins, CH de Cayenne, Guyane, France
5 Service des maladies infectieuses et tropicales, CH de Cayenne, Guyane, France
6 Laboratoire hospitalo-universitaire de parasitologie-mycologie, CH de Cayenne, Guyane, France
Soumis le 03.10.2016 // Date of submission: 10.03.2016
Mots-clés : Paludisme | Orpaillage | Guyane | Prévalence | Artémisinine
Keywords: Malaria | Gold mining | French Guiana | Prevalence | Artemisinin

Résumé

Introduction –

Le nombre d’accès palustres diminue globalement en Guyane, alors que les orpailleurs travaillant sur les sites illégaux semblent particulièrement touchés par cette pathologie. Les objectifs de cette étude étaient de déterminer la prévalence du paludisme dans cette population, les comportements associés ainsi que le niveau de résistance des parasites vis-à-vis des dérivés de l’artémisinine.

Matériel et méthodes –

Les inclusions ont eu lieu sur les sites de repli fréquentés par les orpailleurs le long du fleuve Maroni. Ont été effectués : un test de diagnostic rapide du paludisme, un questionnaire, un prélèvement sanguin pour PCR et un génotypage du gène pfK13 pour les PCR positives à Plasmodium falciparum.

Résultats –

De janvier à juin 2015, 421 orpailleurs ont été inclus, majoritairement des hommes (70,6%) brésiliens (93,8%). La prévalence du portage de plasmodies déterminée par PCR était en moyenne de 22,3% (IC95%: [18,3-26,3]), à 84% asymptomatiques. Les espèces identifiées étaient principalement P. falciparum (47,9%) puis P. vivax (37,2%), plus 10,6% de co-infections. Lors du dernier accès palustre, 52,4% des orpailleurs avaient eu recours à l’automédication, majoritairement avec des dérivés de l’artémisinine (93,8%) avec une mauvaise observance (37,8%). L’analyse du gène pfK13 n’a pas mis en évidence de mutations associées à la résistance à P. falciparum

Discussion –

La prévalence élevée de porteurs asymptomatiques de plasmodies constitue un réservoir important de transmission dans la région. L’utilisation massive de dérivés de l’artémisinine associée à une mauvaise observance des traitements sont des facteurs de risque d’émergence de résistance imposant des mesures rapides.

Abstract

Introduction –

Although official data show a global decrease of malaria in French Guiana, gold miners working on illegal sites seem particularly affected by this disease. The objectives of this study were to evaluate malaria prevalence and related behaviors in this population, and to measure the artemisinin resistance level in parasites.

Material and methods –

Inclusions took place at the gold miners resting sites, spread along the Maroni River. A rapid malaria test was performed, a questionnaire and a blood sample were taken for PCR and PfK13 genotyping for Plasmodium falciparum PCR positive.

Results –

From January to June 2015, 421 gold miners were included, mainly men (70.6%), Brazilian nationals (93.8%). Plasmodium prevalence using PCR averaged 22.3% (CI95%: 18.3-26.3), of whom 84% were asymptomatic. Species were mainly P. falciparum (47.9%) and P. vivax (37.2%), more than 10.6% of co-infections. During the last malaria attack, 52.4% used self-medication with artemisinin derivatives (93.8%) and a poor treatment adherence (37.8%). PfK13 genotyping did not reveal any mutation associated with P. falciparum resistance.

Discussion –

The high prevalence of asymptomatic carriers constitutes a huge reservoir for malaria transmission in the region. Massive use of artemisinin derivatives associated with poor treatment adherence are factors that may contribute to the emergence of artemisinin resistance. Actions are urgently needed to limit this risk.

Introduction

Le paludisme est endémique en Guyane, département français d’outre-mer situé sur le Plateau des Guyanes, entre le Suriname et le Brésil. Si le littoral, regroupant la majorité de la population guyanaise, est épargné par cette pathologie, il n’en va pas de même pour les populations autochtones vivant sur les fleuves frontières de l’Oyapock et du Maroni. Ces zones situées au cœur de la forêt amazonienne sont habitées majoritairement par des Amérindiens et des Noirs Marrons, qui sont les plus touchés par le paludisme. Grâce, entre autres, à la généralisation des combinaisons thérapeutiques à base de dérivés de l’artémisinine (ACT) et à la distribution massive de moustiquaires, le nombre de cas déclarés de paludisme a chuté ces dix dernières années, passant de 4 479 cas en 2005 à 434 en 2015, dont 80% de Plasmodium vivax et 20% de P. falciparum1. Cependant, une population isolée semble particulièrement touchée par le paludisme en Guyane : les orpailleurs en situation irrégulière. Le sol guyanais, riche en or, attire les orpailleurs, notamment depuis la flambée du cours de l’or dans les années 1980. Majoritairement Brésiliens, ils vivent et travaillent clandestinement au cœur de la forêt. De nombreux cas de paludisme sont notifiés chez des militaires intervenant sur ces sites lors des opérations de lutte contre l’orpaillage clandestin, malgré les mesures prophylactiques 2. Les cas notifiés à la plateforme de veille sanitaire de l’Agence régionale de santé ont souvent pour origine probable de contamination la « forêt ». Cependant, en cas de suspicion de paludisme, tous les orpailleurs ne consultent pas dans le système de soins guyanais et ne sont donc pas recensés par le système de surveillance.

L’offre de soins en Guyane regroupe trois hôpitaux dans les villes du littoral ainsi que des Centres délocalisés de prévention et de soins (CDPS) dans les villages de l’intérieur de la Guyane, situés en majeure partie au niveau des fleuves frontières Maroni et Oyapock. Or, l’éloignement des sites d’orpaillage (jusqu’à 3 ou 4 jours de marche ou de pirogue) ainsi que la peur des forces de l’ordre limitent l’accès aux soins pour les orpailleurs en situation irrégulière. Par ailleurs, des antipaludiques, notamment des ACT, sont vendus au marché noir sur ces sites illégaux 3. La généralisation des ACT à l’échelle mondiale depuis 2006, du fait de leur bonne efficacité, a ravivé les espoirs d’élimination du paludisme. Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé a ébauché une nouvelle stratégie de lutte mondiale contre le paludisme pour 2016-2030 4 et, plus localement, les pays du Plateau des Guyanes visent à l’élimination du paludisme à Plasmodium falciparum le plus rapidement possible, ceci pour éviter l’apparition et la dispersion de parasites résistants aux dérivés de l’artémisinine et plus globalement aux ACT. En effet, de tels parasites ont déjà émergé en Asie du Sud-Est et il est très difficile de limiter leur dispersion 5. Pour être efficaces et performants, les programmes de lutte contre le paludisme dans la région du plateau des Guyanes doivent s’appuyer sur des données épidémiologiques précises. Les objectifs de cette étude étaient :

d’évaluer l’importance du paludisme dans la population des orpailleurs en situation irrégulière travaillant clandestinement en Guyane, à l’aide d’indicateurs épidémiologiques standard : prévalence du portage de plasmodies, déterminée par PCR (Polymerase Chain Reaction), répartition des espèces plasmodiales et proportion de porteurs asymptomatique ;

d’évaluer les comportements en cas d’accès palustre ;

d’étudier les marqueurs de résistance à l’artémisinine chez P. falciparum.

Matériels et méthodes

L’accès aux sites mêmes d’orpaillage illégal n’étant pas possible pour des raisons logistiques et sécuritaires, les orpailleurs ont été inclus au niveau de leurs zones de repli. Ces lieux de passage transfrontaliers, constitués de baraquements en bois sur pilotis, tiennent lieu de commerces et de bars, et permettent l’achat du matériel logistique, le repos et la vente de l’or. L’étude a été réalisée le long du fleuve Maroni, à la frontière entre la Guyane et le Suriname. En raison de contraintes financières et réglementaires, l’étude n’a pu avoir lieu à la frontière avec le Brésil.

L’étude était présentée aux orpailleurs, avec l’aide d’un médiateur brésilien, au niveau des lieux d’installation des hamacs, principalement sous les baraquements sur pilotis ou dans des hangars. Les inclusions étaient réalisées ensuite sur les terrasses des commerçants, après installation d’une bâche pour la confidentialité. L’équipe s’est rendue sur 10 sites de repli lors de 12 missions entre janvier et juin 2015.

Les critères d’inclusion étaient : être majeur, travailler sur un site d’orpaillage clandestin en Guyane, être sur le site de repli depuis moins de 7 jours, de manière à refléter le portage parasitaire lié au séjour sur le site d’orpaillage et non sur la zone de repli, et accepter de participer à l’étude. Sur place, en plus du test de diagnostic rapide (SD Bioline® Pf/Pan) réalisé dans l’objectif de traiter immédiatement les patients selon les recommandations nationales, un prélèvement sanguin, destiné au diagnostic par examen microscopique et biologie moléculaire, était réalisé. La PCR nichée ciblant l’ADN ribosomal 18S a été utilisée 6. Enfin, le gène pfK13 a été analysé, à la recherche des mutations décrites comme associées à la résistance aux artémisinines en Asie du Sud-Est 7. Un questionnaire sur les comportements, attitudes et pratiques était administré par un médiateur parlant brésilien. Toutes les personnes incluses recevaient une moustiquaire imprégnée spécial hamac, une note d’information sur le paludisme en portugais ainsi que des préservatifs.

Le critère de jugement principal était la prévalence du portage de Plasmodium spp par PCR. Un porteur asymptomatique était défini comme une personne ayant une PCR positive et ne déclarant pas de fièvre dans les 48 heures précédant l’inclusion. L’observance était évaluée par la question : « Vous restait-il des comprimés lorsque vous avez arrêté le traitement contre le paludisme ? » Cette même question avait été utilisée lors d’une étude anthropologique réalisée au Suriname. En effet, la posologie des ACTs utilisés en Guyane (Riamet®), au Suriname (Coartem®) et au marché noir (Artecom®) impose de prendre la totalité des comprimés d’une boîte de traitement.

Avec l’hypothèse d’une prévalence de portage de 50% et une marge d’erreur de 5%, le nombre de sujets à inclure était de 387 personnes. Du fait de l’absence d’informations précises sur la population étudiée, le mode d’échantillonnage choisi était opportuniste et par effet « boule de neige » 8.

L’étude a été approuvée par le Comité d’évaluation éthique de l’Inserm (CEEI), Process n° 14-187 (IRB00003888 FWA00005831). La base de données a été anonymisée et déclarée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). La majorité des échantillons ayant été collectés sur la rive surinamaise du fleuve Maroni, une autorisation d’importation de produits biologiques humains a été obtenue du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Process n° IE-2014-758), et le ministère de la Santé surinamais a donné son accord.

Les données ont été analysées à l’aide du logiciel Stata12®. Le test du Chi2 a été utilisé pour les comparaisons de variables qualitatives. Des analyses multivariées ont recherché les facteurs associés à l’automédication et à la mauvaise observance. Ont été incluses dans ces modèles les variables ayant une p-value <0,20 en analyse univariée. La validité du modèle multivarié a été évaluée par le test de Hosmer et Lemeshow.

Résultats

Au cours de l’étude, 421 orpailleurs ont été inclus. L’âge médian était de 37 ans [intervalle interquartile IIQ=30-45] et le sexe ratio homme/femme de 2,4. Les orpailleurs étaient nés, en grande majorité, au Brésil (93,8%), puis au Suriname (3,6%), en France (1,6%) ou ailleurs (1%). Le taux de participation était de 90,5%. La plupart d’entre eux ont accepté de participer à l’étude pour « bénéficier d’un test gratuit » (79,5%) ou « par curiosité » (6,9%). Seuls 8,5% « se sentaient malades ». D’autres souhaitaient « aider la recherche », « avoir une moustiquaire » ou encore remercier les acteurs de s’intéresser à leurs problèmes de santé.

Dix-huit tests de diagnostic rapide (TDR) et 17 examens microscopiques étaient positifs à Plasmodium (tableau 1). La prévalence du portage de parasites par PCR était de 22,3% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [18,3-26,3]) (94/421). Les espèces identifiées dans les mono-infections étaient P. falciparum (47,9%), puis P. vivax (37,2%) et P. malariae (3,2%). Les co-infections étaient fréquentes : 10,6% P. falciparum + P. vivax et 1,1% P. vivax + P. malariae. La proportion de porteurs asymptomatiques était de 84% (79/94), parmi lesquels seulement 16,5% (13/79) avaient pris un traitement antipaludique le mois précédent. Les caractéristiques sociodémographiques ne différaient pas selon la symptomatologie.

Tableau 1 : Résultats des différents tests de diagnostic du paludisme chez les sujets inclus (N=421) dans l’étude sur les orpailleurs en situation irrégulière en Guyane, 2015
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Les sujets de l’étude travaillaient sur 68 sites différents d’orpaillage illégal. Pour l’analyse, ces sites ont été regroupés en 10 zones, selon leur proximité géographique. Ainsi, les taux de prévalence variaient entre 3,8% et 46,4%. La région où les prévalences étaient les plus élevées se situait entre Maripasoula et Saül (figure).

Figure : Hétérogénéité de la prévalence du portage de Plasmodium déterminé par PCR sur les sites d’orpaillage illégal en Guyane, 2015
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Quarante-cinq personnes (10,7%) déclaraient n’avoir jamais eu le paludisme. Sur les 376 autres, 66,2% déclaraient avoir eu plus de 7 accès. Le dernier épisode avait eu lieu, en médiane, deux ans auparavant [IIQ: 6 mois-6 ans]. Lors de celui-ci, 45,5% (171/376) avaient reçu une prise en charge médicale et 53,7% (202/376) déclaraient avoir utilisé un traitement en automédication. Dans 93,8% des cas, des ACT avaient été utilisés, en particulier de l’Artecom® (combinaison de dihydroartémisinine, pipéraquine, triméthoprime avec une dose de primaquine). Trois personnes déclaraient avoir utilisé des plantes. Les personnes avaient davantage eu recours à l’automédication si l’accès avait eu lieu en Guyane (66%, odds ratio ajusté, ORa=22,1 [7,39-66,04]) que s’il avait eu lieu au Suriname (28%) ou au Brésil (7%) (tableau 2).

Tableau 2 : Facteurs associés à l’automédication chez les orpailleurs en situation irrégulière en Guyane, 2015
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Lorsque l’accès palustre était survenu en Guyane, la majorité des personnes (47,7%) s’étaient rendues au Suriname pour être prises en charge médicalement. Un tiers (37,2%) s’étaient adressées à une structure de soins en Guyane et 12,8% s’étaient rendues au Brésil. Les personnes ayant des antécédents de paludisme déclaraient avoir pris l’intégralité du traitement dans 91,6% des cas (154/168) lorsque celui-ci était délivré par un professionnel de santé, et dans 62,2% des cas (120/193) lorsque celui-ci était utilisé en automédication (p<0,001). Après analyse multivariée, l’automédication était fortement liée à une mauvaise observance thérapeutique (ORa=6 [3,15-11,54]) (tableau 3).

Tableau 3 : Facteurs associés à la mauvaise observance chez les orpailleurs en situation irrégulière en Guyane, 2015
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Sur les 55 échantillons positifs à P. falciparum, le gène pfk13 a pu être analysé pour seulement 32 d’entre eux en raison des faibles parasitémies. Aucune mutation n’a été identifiée dans la région propeller décrite comme liée à la résistance aux dérivés de l’artémisinine en Asie du Sud-Est.

Discussion

Cette étude montre une prévalence du portage de plasmodies très élevée (22,3%) dans la population des orpailleurs en situation irrégulière de Guyane. Ce portage est généralement associé à P. falciparum (58,5%), et très souvent asymptomatique (84%). Ces résultats, également publiés dans le Malaria Journal9 et proches de ceux retrouvés sur le site d’Eau-Claire 10, montrent que P. falciparum est prédominant chez les orpailleurs alors que P. vivax prédomine dans la population guyanaise, chez les militaires intervenant sur les sites et en Amérique du Sud en général. Plusieurs hypothèses peuvent être évoquées pour expliquer ce contraste : la prophylaxie par doxycycline utilisée par les militaires protège des accès palustres aigus mais pas des reviviscences de P. vivax11,12, ce qui pourrait changer le rapport Pf/Pv ; dans la population locale, la proportion élevée de P. vivax pourrait être liée à des reviviscences de P. vivax liées aux difficultés d’accès au traitement curatif par primaquine 13 ; bien que les militaires puissent également être infectés par des helminthes 14, les orpailleurs sont souvent multiparasités (ankylostomes) 15 et carencés, ce qui réduit le nombre de réticulocytes qui sont les cellules infectées par P. vivax ; les ankylostomiases sont également associées à une augmentation de l’incidence de P. falciparum16 ; enfin, une différence de statut immunitaire pourrait être une hypothèse complémentaire. Au vu des données présentées, il n’est pas possible de trancher entre ces différentes hypothèses non mutuellement exclusives pour expliquer cette observation singulière.

En plus du risque personnel de développer un accès palustre 17, les porteurs asymptomatiques contribuent à la transmission du paludisme, bien que les parasitémies soient faibles 18. Ceci est particulièrement à prendre en compte à l’heure où l’endémie palustre diminue dans la plupart des pays d’Amérique du Sud et centrale et où l’objectif actuel est l’élimination de P. falciparum dans la zone.

Le recours à l’automédication est particulièrement fréquent lorsque les orpailleurs sont en Guyane au moment de l’accès palustre. Ceci illustre la difficulté d’accès aux soins dans cette région pour cette population vivant sur des sites très éloignés des structures de soins. Au Suriname, depuis 2009, le programme « Looking for Gold, Finding Malaria » prend en compte les difficultés liées à ces activités en formant des personnes dédiées au diagnostic et au traitement du paludisme sur les sites d’orpaillage et structurées en unité de prise en charge du paludisme (« Malaria Service Delivery »). Ce programme a permis une nette diminution du nombre de cas de paludisme au Suriname, passé de plusieurs milliers de cas par an à moins de 100 en 2015 19. La législation française ne permet pas, à l’heure actuelle, de proposer la même stratégie en Guyane, un non-professionnel de santé ne pouvant pas délivrer de traitement.

L’utilisation massive d’ACT et une mauvaise observance de ces traitements dans une zone de transmission élevée de P. falciparum sont autant de facteurs réunis pouvant contribuer à l’émergence de résistances. Les précédentes résistances acquises par P. falciparum au cours de l’histoire se sont accompagnées d’une augmentation de la morbidité et de la mortalité liées au paludisme 20. L’émergence de la résistance aux ACT toucherait dans un premier temps les orpailleurs illégaux et les personnes directement en contact avec eux (populations autochtones et militaires), puis diffuserait rapidement aux pays limitrophes en raison de la mobilité des orpailleurs. Bien qu’aucune mutation dans le gène pfK13 n’ait été retrouvée, d’autres études dans la région montrent des signes d’alerte 21,22. Cette surveillance de l’émergence de résistance doit être maintenue, spécialement dans cette population à risque.

Incluant les orpailleurs présents sur les sites de repli, les personnes se déplaçant fréquemment ont pu être surreprésentées dans l’échantillon. Seuls 8,5% participaient à l’étude parce qu’« ils se sentaient malades », limitant ainsi le risque de surestimation de la prévalence du portage de Plasmodium.

Cette étude apporte des pistes pour définir des stratégies d’action innovantes et adaptées au contexte guyanais. La cartographie de la prévalence oriente sur les zones minières de l’Ouest guyanais à cibler prioritairement. Le taux de participation élevé montre que les orpailleurs sont soucieux de leur santé et que les sites de repli pourraient être des lieux stratégiques pour mener des actions. Des messages d’information associés à la distribution de moustiquaires permettraient de déconstruire les idées reçues et de promouvoir la prévention. Cette étude montre également, comme au Suriname, que l’observance au traitement est meilleure quand celui-ci est délivré suite à un test de dépistage du paludisme 3. Or, le principal frein au recours à une structure de soin est l’éloignement géographique. Une solution pourrait être de distribuer des kits d’autodiagnostic et d’autotraitement gratuits, accompagnés d’une formation sur leur utilisation et sur le paludisme en général, permettant donc de diminuer la transmission et le risque de développement de résistances aux traitements.

La problématique de l’orpaillage illégal en Guyane est complexe, avec des composantes sécuritaire, économique, écologique, judiciaire… Mais la composante sanitaire doit également être prise en considération, car ce réservoir mobile de Plasmodium est susceptible de compromettre les avancées de la lutte antipaludique dans les communes de Guyane et au-delà de nos frontières. De plus, l’émergence d’une résistance à l’artémisinine en Guyane serait rapidement un problème à l’échelle de l’Amérique du Sud. Des actions sont possibles, qu’il faudrait engager rapidement en partenariat avec les pays frontaliers.

Remerciements

Les auteurs remercient Antoine Addé pour la réalisation de la carte. L’étude a bénéficié d’un Financement européen pour le développement régional (Feder, n° Présage 32078) et du fonds Santé publique France dans le cadre du mandat CNR pour la réalisation des génotypages K13 et le financement du temps technique et scientifique dédié à ce projet.

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Citer cet article

Douine M, Musset L, Corlin F, Pelleau S, Lazrek Y, Mutricy L, et al. Paludisme et orpaillage illégal en Guyane : un enjeu majeur de santé publique. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(6):102-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/6/2017_6_1.html