Mortalité des personnes souffrant de troubles mentaux. Analyse en causes multiples des certificats de décès en France, 2000-2013

// Mortality in people with mental disorders. Multiple cause-of-death analysis in France, 2000-2013

Catherine Ha (catherine.ha@santepubliquefrance.fr), Elsa Decool, Christine Chan Chee
Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 19.06.2017 // Date of submission: 06.19.2017
Mots-clés : Mortalité | Causes de décès | Troubles mentaux | France
Keywords: Mortality | Causes of death | Mental disorders | France

Résumé

Introduction –

L’objectif était de décrire la mortalité associée à l’existence de troubles mentaux (TM) en France.

Méthodes –

Notre analyse, dite en causes multiples, porte à la fois sur les causes initiales (CI) et sur les causes associées des décès survenus en France de 2000 à 2013, extraits de la base nationale du CépiDc-Inserm. L’ensemble des TM du chapitre F de la Classification internationale des maladies (CIM-10, codes F00 à F99) ainsi que des sous-groupes ont été considérés.

Résultats –

De 2000 à 2013, 783 403 décès avec mention de TM ont été enregistrés, représentant en moyenne 55 957 décès annuels et 10,3% de l’ensemble des décès survenus sur cette période. Les taux de décès avec TM standardisés sur l’âge ont baissé globalement (-15,1%) sur l’ensemble de la période. Pour les hommes comme pour les femmes, l’âge moyen au décès était particulièrement bas pour la schizophrénie (respectivement 55,9 ans et 67,6 ans) et pour les TM liés à l’alcool (respectivement 59,4 et 60,7 ans). Les CI de décès se répartissaient ainsi : pour les décès avec mention de TM, le suicide (11,1%) se situait en 3e position, derrière les causes cardiovasculaires (27,3%) et les cancers (18,1%), alors que pour les décès sans mention de TM, le suicide (1,3%) se plaçait loin derrière les cancers (31,0%) et le cardiovasculaire (28,9%).

Conclusion –

Ce travail souligne l’importance de prendre soin aussi bien de la santé mentale que physique des personnes souffrant de TM, ainsi que de la nécessité de développer auprès d’elles des actions de prévention, notamment du suicide mais portant aussi sur les facteurs de risque cardiovasculaire, respiratoire et métabolique.

Abstract

Introduction –

The aim of this study was to describe the mortality in people with mental disorders (MD) in France.

Methods –

Our multiple cause-of-death analysis related both to the underlying cause and to the associated causes of death in France. Data from 2000 to 2013 were extracted from the national mortality database of CépiDc-Inserm. All mental disorders in Chapter F of the International Disease Classification (ICD-10, codes F00 to F99) and subgroups were considered.

Results –

From 2000 to 2013, 783,403 deaths with MD were reported, representing an average of 55,957 annual deaths and 10.3% of all deaths occurring during this period. Age-standardized death rates with MD decreased overall (-15.1%) over the entire period. For both men and women, the mean age at death was particularly low for schizophrenia (55.9 years and 67.6 years, respectively) and mental disorders due to alcohol abuse or misuse (59.4 and 60.7 years). Underlying causes of death were distributed as follows: for deaths with MD, suicide (11.1%) came third after cardiovascular causes (27.3%) and cancers (18.1%), whereas for deaths without mention of MD, suicide (1.3%) was far behind cancers (31.0%) and cardiovascular causes (28.9%).

Conclusion –

This work highlights the importance of taking care of mental as well as physical health in people suffering from MD, the need to develop preventive actions, especially for suicide, but also in relation to cardiovascular, respiratory and metabolic risk factors.

Introduction

De nombreuses études ont mis en évidence une surmortalité des personnes souffrant de troubles mentaux (TM), quelle que soit la nature de ces troubles. Cette surmortalité serait le fait de causes externes (suicide et accidents), les TM apparaissant en effet comme les premiers facteurs de risque pour la mortalité par suicide, mais aussi et surtout de causes dites « naturelles », principalement du fait de maladies cardiovasculaires et respiratoires 1,2. De nombreuses études ont montré un risque de mortalité prématurée liée à la schizophrénie, plus grand encore que pour d’autres pathologies psychiatriques 3.

Les personnes souffrant de TM sont davantage à risque d’avoir des habitudes de vie délétères pour la santé (tabagisme important, consommation d’alcool et de drogues, mauvaise alimentation, sédentarité…) et sont moins susceptibles d’avoir accès à la même qualité de suivi ou de prise en charge médicale que la population ne souffrant pas de TM, à pathologies physiques équivalentes 4,5,6. Il semblerait également qu’elles soient moins atteintes par les actions en santé. Par exemple, bien qu’il y ait plus de fumeurs parmi les personnes souffrant de TM qu’en population générale, ces dernières bénéficieraient moins des programmes d’incitation et d’aide au sevrage 2.

En France, les données de mortalité sont issues à la fois du certificat médical de décès, rempli par un médecin à l’occasion de chaque décès survenu sur le territoire, et du bulletin de décès complété par l’officier d’état-civil de la mairie. Ces deux documents permettent de disposer d’un ensemble de caractéristiques de la personne décédée telles que le sexe, les dates de naissance et de décès, le lieu du décès (domicile, hôpital, etc.), les communes et départements de naissance, de domicile et de décès.

Sur le certificat médical de décès, deux parties distinctes permettent au médecin d’en documenter les causes. La première partie rapporte la ou les maladie(s) ou affection(s) morbide(s) ayant directement provoqué le décès, dont la cause initiale, définie comme la maladie ou le traumatisme à l’origine du processus morbide ayant conduit au décès, ou les circonstances de l’accident ou de la violence qui ont entraîné le traumatisme mortel. La seconde partie permet de signaler les états morbides ayant pu contribuer au décès 7.

Les causes mentionnées autrement qu’en cause initiale (que ce soit en première ou seconde partie) seront désignées ci-après « causes associées ».

Prendre en compte la seule cause initiale (CI) des décès peut conduire à sous-estimer de façon importante le poids de maladies ou d’états morbides dans la mortalité, notamment dans le cas des pathologies chroniques 8,9. L’analyse dite en causes multiples (CM) de l’ensemble des causes (initiale et associées) mentionnées sur les certificats de décès permet de repérer les décès liés directement ou indirectement aux pathologies étudiées et de mieux appréhender ainsi leur poids dans la mortalité. Elle peut contribuer également à mieux définir les stratégies de prise en charge des patients 10.

Ce travail présente les résultats de l’analyse en CM de la mortalité des personnes souffrant de TM pour la période 2000-2013. Au cours de cette période, toutes les causes de décès ont été codées selon la 10e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10), qui catégorise les maladies et définit les règles de sélection de la CI de décès.

Ce travail a pour objectif d’étudier la mortalité associée à l’existence de TM en France (métropole et DOM), et plus particulièrement de décrire :

les caractéristiques des sujets décédés avec mention de TM (sexe, âge, nature des TM) ;

les taux de mortalité avec TM, leur évolution temporelle et leur distribution régionale ;

la distribution des principales CI de décès des sujets dont le certificat mentionne un TM en cause associée, en comparaison à celle observée chez ceux dont le certificat de décès ne mentionne aucun des TM considérés.

Population et méthodes

Notre analyse en CM porte donc à la fois sur les causes initiales et associées des décès survenus entre 2000 et 2013 en France (DOM inclus, excepté Mayotte), extraits de la base nationale du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (CépiDc-Inserm). Le département de Mayotte n’a pas été inclus dans ce travail, les décès n’y étant pas encore suffisamment bien dénombrés sur la période d’étude (1).

Les indicateurs utilisés sont les effectifs de décès, le pourcentage de décès par cause, les taux de décès exprimés pour 100 000 habitants, standardisés sur l’âge. Cette standardisation (méthode directe) consiste à pondérer les taux observés par âge par une structure d’âge d’une population de référence, ici la population européenne (Eurostat 2010).

La répartition des CI de décès des personnes dont le certificat mentionne un TM en cause associée a été comparée à celles des personnes sans mention de TM.

Plusieurs catégories de TM ont été prises en compte :

l’ensemble des TM correspondant au chapitre F de la CIM-10 (codes F00 à F99) ;

des sous-ensembles :

les TM organiques, soit F00-F09, constitués pour l’essentiel de démences. À noter que le code F00 (« Démence de la maladie d’Alzheimer ») n’est en pratique pas utilisé pour coder la maladie d’Alzheimer. C’est le code G30, non inclus ici, qui l’est ;

les TM non-organiques, c’est-à-dire l’ensemble du chapitre F à l’exception des TM organiques et des retards mentaux (codés en F70-F79), soit les codes F10-F69 et F80-F99 ;

les TM et du comportement liés à l’usage de substances psychoactives, soit F10-F19, et plus particulièrement ceux dus à l’alcool (F10) ;

la schizophrénie (F20) et autres troubles délirants, soit F20-F29 ;

les troubles de l’humeur, soit F30-F39 ;

les troubles névrotiques, soit F40-F48.

Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel SAS Enterprise Guide®, version 7.1.

Résultats

Caractéristiques des sujets décédés avec mention de troubles mentaux

Durant la période étudiée (2000-2013), 258 449 et 783 403 décès avec TM ont été enregistrés, respectivement en CI et en CM. Ces certificats de décès renseignaient en moyenne 3,03 causes de décès.

Les 783 403 décès avec un TM en CM représentaient en moyenne 55 957 décès annuels et 10,3% de l’ensemble des décès survenus sur cette période (n=7 637 707). Ils se répartissaient en 407 717 décès chez les hommes (soit 10,4% des décès masculins) et 375 686 décès chez les femmes (10,1% des décès féminins). En comparaison, l’analyse en CI n’a retrouvé des TM que dans 3,4% des décès (2,8% chez les hommes et 4,0% chez les femmes).

La proportion d’hommes était plus élevée parmi les décès avec TM (52,0% vs 51,0% parmi les décès sans TM), à l’inverse par conséquent de ce que l’on observait chez les femmes (48,0% vs 49,0%).

Le décès, chez les hommes, était globalement plus précoce lorsqu’un TM était mentionné que lorsqu’il ne l’était pas, respectivement à 68,9 et 72,4 ans en moyenne (tableau 1). Chez les femmes, le décès avec mention d’un TM était, à l’inverse, en moyenne plus tardif, respectivement à 81,6 et 80,2 ans. Chez les hommes, l’âge au décès avec TM se situait plus souvent entre 25 et 64 ans (38,6% vs 23,8% pour les décès sans TM), la différence n’étant pas aussi marquée chez les femmes (13,6% vs 12,0%).

Tableau 1 : Âge moyen au décès selon la nature des troubles mentaux (TM) et selon le sexe, France, 2000-2013
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L’âge moyen au décès variait selon la nature des TM mentionnés. Le décès avec mention de TM organiques était en moyenne beaucoup plus tardif, comparé à celui avec TM non-organiques (à 83,9 ans vs 62,7 ans chez les hommes et 88,2 ans vs 72,0 chez les femmes). L’âge particulièrement élevé au décès chez les femmes avec TM organiques tire vers le haut la moyenne d’âge au décès avec TM, et explique probablement le fait qu’elle soit supérieure pour les décès avec TM, tous types confondus, comparée aux décès sans mention de TM. Dans le groupe des TM non-organiques, l’âge moyen au décès était particulièrement bas lorsqu’il s’agissait de schizophrénie (respectivement 55,9 ans et 67,6 ans) ou de TM dus à l’alcool (respectivement 59,4 et 60,7 ans), chez les hommes comme chez les femmes.

Le tableau 2 présente la répartition (non exclusive) des TM parmi les 783 403 décès avec mention : 46% relevaient de TM organiques (n=359 511) et 56% de TM non-organiques (n=438 510), ce qui correspond respectivement à 4,7% et 5,7% de l’ensemble des décès enregistrés sur la même période. Des TM non-organiques, ceux liés à l’usage de substances psychoactives, occupaient la première place (59%), suivis par les troubles de l’humeur (28%, principalement des troubles dépressifs). En moyenne, le TM était déclaré en CI du décès dans un tiers seulement des décès avec mention de TM, plus souvent pour les TM organiques (49%) que pour les TM non-organiques (18%). Parmi ces derniers, c’est pour les TM dus à l’alcool et pour la schizophrénie que la proportion de déclarations en CI était la plus élevée (25% et 24%).

Tableau 2 : Distribution des troubles mentaux (TM) parmi les décès avec mention de TM, France, 2000-2013 (causes non exclusives)
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La distribution des TM différait particulièrement entre hommes et femmes pour deux catégories : ceux liés aux substances psychoactives représentaient 50,5% des décès masculins et 13,6% des décès féminins ; les TM organiques représentaient, quant à eux, 62,4% des décès féminins et 30,7% des décès masculins (figure 1). Ces derniers, comme nous l’avons mentionné plus haut, ne comptabilisent pas la démence d’Alzheimer et étaient pour l’essentiel constitués de démences non spécifiées (82%, code F03 de la CIM-10).

Figure 1 : Distribution des troubles mentaux (TM) parmi les décès avec TM, selon le sexe, France, 2000-2013 (causes non exclusives)
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Taux de mortalité et évolution temporelle 2000-2013

Pour la période 2000-2013, le taux standardisé de mortalité avec mention de TM était de 100,5 pour 100 000 habitants et celui des TM non-organiques de 55,2 pour 100 000 (tableau 3).

Tableau 3 : Taux de mortalité standardisés sur l’âge (/100 000 habitants), selon la nature des troubles mentaux (TM) et le sexe, France, 2000-2013
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Alors que le ratio de mortalité hommes/femmes était le plus élevé pour les TM liés à l’usage de substances psychoactives (4,9, avec un taux de 57,4 pour les hommes et de 11,8 pour les femmes), il se rapprochait de l’unité pour les troubles psychotiques (1,3, avec des taux respectifs de 5,2 et 4,1), les troubles de l’humeur (1,3, avec des taux de 17,8 et 13,3) et les troubles névrotiques (1,2, avec des taux de 3,2 et 2,7) (tableau 3).

Entre 2000 et 2013, les taux de décès standardisés sur l’âge ont baissé globalement (-15,1% sur l’ensemble de la période étudiée), de façon plus marquée chez les hommes (-15,9% vs -12,6% chez les femmes), avec toutefois un léger pic de mortalité observé en 2003 pour les deux sexes (figure 2), qui concernait surtout les âges les plus avancés (65-84 ans et 85 ans et plus).

Figure 2 : Taux standardisés sur l’âge (/100 000) de décès avec mention de troubles mentaux, France, 2000-2013
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Distribution régionale

Le taux national standardisé de mortalité avec mention de TM était de 131,4/100 000 chez les hommes et 75,2/100 000 chez les femmes (tableau 3). Sept régions de France métropolitaine se situaient au-dessus de ce taux moyen, aussi bien pour les hommes que pour les femmes (figure 3).

Le taux masculin le plus élevé (207/100 000) et l’écart le plus important avec celui des femmes (plus de 3 fois supérieur) s’observait à La Réunion. L’écart entre les deux sexes était également marqué dans les autres DOM étudiés (Guadeloupe, Martinique, Guyane).

Figure 3 : Distribution régionale de la mortalité avec troubles mentaux, France, 2000-2013
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Causes de décès

Distribution des causes initiales de décès

Parmi les décès avec mention de TM, le suicide (11,1%) se situait en 3e position, derrière les causes cardiovasculaires (27,3%) et les cancers (18,1%), alors que parmi ceux sans mention de TM, les cancers (31,0%) étaient la première cause de mortalité, suivis de près par les pathologies cardiovasculaires (28,9%), le suicide se plaçant loin derrière (1,3%) (tableau 4).

Tableau 4 : Causes initiales de décès pour le cas où le trouble mental est mentionné autrement qu’en cause initiale, France, 2000-2013
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Parmi les décès avec mention de TM figuraient ensuite les causes digestives, respiratoires et les causes externes autres que le suicide (accidents, agressions…), proportionnellement plus fréquentes (respectivement 8,6%, 8,6% et 7,7%) que parmi les décès sans mention de TM (respectivement 4,2%, 6,4% et 5,3%).

Focus sur les décès par suicide

Parmi les 148 514 décès par suicide de la période étudiée (soit 10 608 cas en moyenne par an), 39,3% (n=58 380) portaient mention de TM.

La part des femmes était plus importante parmi les suicides avec mention de TM (32,1%) que parmi les suicides sans mention de TM (22,4%).

Un TM était donc mentionné dans près de 40% des cas de suicide (36,2% chez les hommes et 48,2% chez les femmes) contre 9,7% des décès par autre cause. Les troubles de l’humeur étaient les plus souvent mentionnés (31,8% des décès par suicide), surtout la dépression (mentionnée dans 30,6% des décès par suicide contre 0,9% des décès par autre cause).

Le suicide était la CI du décès presque 9 fois plus souvent dans les cas de décès avec mention de TM (11,1% vs 1,3% des décès sans mention de TM) : 14 fois plus souvent chez les femmes (8,3% vs 0,6% des décès sans mention de TM) et 7 fois plus souvent chez les hommes (13,3% vs 2,0%). Le suicide était encore plus souvent la CI des décès avec mention de troubles de l’humeur (38,6% ; 53,5% des décès masculins et 24,7% des décès féminins) et de ceux avec mention de troubles anxieux (18,4% ; 30,4% des décès masculins et 10,2% des décès féminins).

Focus sur les décès avec TM dus à l’alcool

Au cours de la période étudiée, les décès avec mention de TM dus à l’alcool étaient au nombre de 12 000 en moyenne par an, soit 2,2% du total des décès et 21,5% des décès avec mention de TM. Ces troubles apparaissaient en CI de décès pour 25,3% des décès avec TM, soit pour environ 3 000 décès/an.

L’âge moyen au décès était de 59,4 ans chez les hommes et 60,7 ans chez les femmes, avec un décès avant 65 ans pour environ deux tiers des sujets, aussi bien hommes (65,8%) que femmes (62,4%).

Discussion

Ce travail, réalisé à partir des bases de données du CépiDc-Inserm, a permis de décrire la mortalité des personnes souffrant de TM (hors démence de la maladie d’Alzheimer) et son évolution sur 14 années (2000-2013) en France. Le choix d’inclure dans l’analyse le seul chapitre F de la CIM-10 a exclu de fait la démence de la maladie d’Alzheimer, le code F00 n’étant en pratique pas utilisé pour la coder. Sur cette même période, une maladie d’Alzheimer (code G30) était mentionnée dans 333 279 cas de décès (69,4% de femmes), soit presque autant que pour les décès avec TM organiques codés F (359 511 décès, parmi lesquels la part des femmes – 62,4% – était relativement moins importante). Ce choix a priori de s’en tenir au seul chapitre F a été effectué pour porter ensuite plus particulièrement notre attention sur les TM non-organiques.

Au cours de cette période on a dénombré 783 403 décès avec mention de TM, représentant 10,3% de l’ensemble des décès. Les hommes y sont proportionnellement plus nombreux que parmi les décès sans mention de TM (52,0% vs 51,0%).

Le TM figure en CI du décès dans un tiers des cas en moyenne, plus souvent pour les TM organiques (49,0%) que pour les TM non-organiques (18,3%). Parmi ces derniers, ce sont les TM dus à l’alcool et la schizophrénie qui figurent les plus souvent en CI du décès (respectivement dans 25,3% et 23,7% des cas). Le décès à un âge en moyenne plus jeune (60 ans) permet de penser que ces personnes présentent moins de comorbidités au moment du décès que celles décédées à un âge plus avancé, et que leurs TM ont été de ce fait davantage considérés comme à l’origine du processus qui a conduit au décès.

La contribution à la mortalité avec TM est, chez les femmes, la plus forte pour la mortalité avec mention de TM organiques ; chez les hommes, elle est la plus élevée pour la mortalité avec mention de TM dus à l’alcool. Cette dernière concerne un nombre moyen de 12 000 décès par an, et figure en CI de décès pour environ 3 000 décès/an (2 450 décès masculins et 600 décès féminins).

Les causes cardiovasculaires (27,3%), les cancers (18,1%) et le suicide (11,1%) occupent les trois premières places dans la mortalité avec mention de TM, pour laquelle on observe également une part plus importante de maladies digestives, respiratoires et de causes externes.

Une tendance à la baisse de la mortalité avec mention de TM a été observée sur la période étudiée, plus marquée chez les hommes. Le léger pic de mortalité observé en 2003, chez les hommes comme chez les femmes, est probablement lié à l’épisode caniculaire auquel les personnes les plus vulnérables ont été les personnes peu autonomes, les personnes âgées, et celles souffrant d’un handicap physique ou d’une maladie mentale 11. On retrouve cette diminution assez régulière de la mortalité au cours de la période étudiée dans tous les groupes de pathologies considérés, mais elle semble être surtout le fait de celle que l’on observe chez les hommes avec TM liés à l’usage de substances psychoactives, pour lesquels par ailleurs on ne décèle pas de pic en 2003. Ces premiers résultats incitent à penser que la tendance à la baisse de la mortalité qui se poursuit après 2003 n’est pas liée au pic observé cette année-là.

Les disparités régionales observées dans notre étude pourraient s’expliquer en partie par des différences de déclaration des TM dans les certificats de décès et doivent, de ce fait, être interprétées avec précaution. Néanmoins, il a été montré que les disparités géographiques en termes de mortalité générale sont importantes en France, avec des niveaux élevés sur un croissant allant de la Bretagne au Nord-Pas-de-Calais, puis descendant vers l’Alsace et sur une diagonale reliant la Champagne à l’Auvergne, mais aussi dans les DOM, et des zones de sous-mortalité au Sud (Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes et Corse) ou en Île-de-France 12. La distribution observée ici est assez comparable. Aouba et coll. ont montré, en outre, que ces disparités pouvaient varier selon les causes de décès, les plus marquées ayant trait aux cancers des voies aérodigestives supérieures, aux accidents de transports, aux suicides et aux maladies du foie 12.

Un taux particulièrement élevé de mortalité avec mention de TM a été observé à La Réunion chez les hommes (207/100 000). Pour les trois quarts de ces décès, il s’agissait de TM liés à l’usage de substances psychoactives (codés F10-F19).

Concernant la mortalité par suicide, les régions du nord-ouest et du centre de la France sont classiquement plus touchées 13,14. Il a été mis en évidence, sur la période 2010-2012, des taux de mortalité par suicide trois fois plus élevés en Bretagne qu’en Île-de-France, les deux régions extrêmes pour cette cause de mortalité 13. Le nombre de décès par suicide est estimé dans notre étude à 10 608 en moyenne par an sur la période 2000-2013. Une enquête du CépiDc-Inserm sur les données de l’année 2006, au cours de laquelle 10 423 décès par suicide ont été enregistrés en France métropolitaine, évaluait la sous-estimation moyenne du nombre de ces décès à 9,4%, la sous-estimation la plus importante étant observée en Île-de-France (47,8%) et la plus faible en Bretagne (0,3%) 13,15.

Dans notre étude, un trouble mental est signalé dans presque quatre cas de décès par suicide sur dix, plus souvent chez les femmes (48%) que chez les hommes (36%). En particulier, le suicide figure en CI dans 39% des décès avec mention de troubles de l’humeur (54% chez les hommes et 25% chez les femmes) et dans 18% des décès avec mention de troubles anxieux (30% chez les hommes et 10% chez les femmes). Le ratio hommes/femmes de mortalité par suicide avec mention de TM est plus défavorable aux femmes (1,6) que celui que l’on observe pour les décès par suicide sans mention de TM (3,3).

Le suicide est presque six fois plus souvent la CI du décès lorsqu’il est fait mention d’un TM, notamment de troubles dépressifs. Précisons que les règles de la CIM de l’OMS conduisent à privilégier la sélection du suicide en tant que CI, même si le médecin certificateur a indiqué un autre enchaînement causal 7, et qu’en cas de suicide, la recherche d’antécédents dépressifs par le médecin, appelé en urgence pour certifier le décès d’une personne que souvent il ne connaît pas, est a priori plus systématique que pour les autres causes de décès, pour lesquelles il existerait un risque plus élevé de sous-déclaration des troubles dépressifs.

Forces et limites

L’analyse en causes multiples des certificats de décès permet de mieux appréhender le poids des TM et la part des différents types de troubles dans la mortalité. Dans notre étude, les TM apparaissent en CI du décès en moyenne dans un tiers des cas. Ainsi, environ la moitié des TM organiques, constitués pour l’essentiel de démences, qui figurent sur les certificats médicaux de décès, et les quatre cinquièmes des TM non-organiques ne sont pas considérés comme CI du décès. Sur la période 1993-1999 (codage en CIM9), Goldacre et coll. (2006) retrouvaient des ratios CI/CM assez proches des nôtres pour les démences (42%), les troubles bipolaires (15%) et dépressifs (13%), mais plus bas pour la schizophrénie (10%) 16.

Même si la qualité des données de mortalité n’a et n’aura de cesse de s’améliorer, grâce notamment à la certification électronique, permettant entre autres de meilleures analyses en causes multiples 17, la sensibilité des certificats de décès à rendre compte des comorbidités psychiatriques est incontestablement un facteur limitant de plus pour appréhender le poids des TM dans la mortalité. Ces résultats incitent en effet à penser qu’il existe une sous-déclaration des TM. Par exemple, un TM est ici signalé dans 40% des cas de décès par suicide, quand une méta-analyse des études par autopsie psychologique montre que le taux de troubles psychiatriques atteindrait presque 90% des cas 18. Une étude de sensibilité sur un échantillon de sujets dont les TM sont connus, explorant la proportion de sujets souffrant d’un TM et dont le certificat de décès mentionne effectivement ce trouble, permettrait d’évaluer la sous-déclaration des TM.

Il n’a pas été possible de calculer des taux spécifiques de mortalité, la prévalence des TM en population générale étant peu connue et difficile à évaluer (difficultés méthodologiques, diversité et définition des troubles, choix des outils psychométriques…). La fréquence des troubles dépressifs, bien que la plus étudiée (par exemple via les Baromètres santé sur des données déclaratives), reste encore insuffisamment connue. Pour certains troubles, tels que les troubles sévères de l’humeur ou les troubles psychotiques, elle peut être approchée par la prévalence de leur prise en charge hospitalière (incluant la prise en charge ambulatoire), estimée à partir des bases de données médico-administratives 19,20.

Conclusion

Ces résultats soulignent toute l’importance, chez les personnes souffrant de TM, de prendre soin de leur santé aussi bien mentale que physique, ainsi que de la nécessité de développer auprès d’elles des actions de prévention, en particulier du suicide mais portant aussi sur les facteurs de risque notamment cardiovasculaire, respiratoire et métabolique (tabac, alcool et autres addictions, sédentarité, facteurs nutritionnels, etc.).

Rappelons enfin que l’OMS considère qu’en termes d’invalidité, six des 20 pathologies les plus préoccupantes du XXIe siècle relèvent de maladies mentales 21.

Références

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2 Kisely S. Excess mortality from chronic physical disease in psychiatric patients – the forgotten problem. Can J Psychiatry. 2010;55(12):749-51.
3 Saha S, Chant D, McGrath J. A systematic review of mortality in schizophrenia: is the differential mortality gap worsening over time? Arch Gen Psychiatry. 2007;64(10):1123-31.
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Citer cet article

Ha C, Decool E, Chan Chee C. Mortalité des personnes souffrant de troubles mentaux. Analyse en causes multiples des certificats de décès en France, 2000-2013. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(23):500-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/23/2017_23_2.html