Les noyades au cours de l’été : de la surveillance épidémiologique à la prévention. Résultats de l’enquête NOYADES 2015

// Drowning in summer: from epidemiological surveillance to prevention. Results of the 2015 Drowning Survey in France

Linda Lasbeur1 (linda.lasbeur@santepubliquefrance.fr), Emmanuelle Szego-Zguem1, Étienne Cassagne2, Marie-Thérèse Guillam2, Bertrand Thélot1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Sépia-Santé, Baud, France
Soumis le 27.10.2016 // Date of submission: 10.27.2016
Mots-clés : Noyade | Accident de la vie courante | Enquête | Épidémiologie | Prévention
Keywords: Drowning | Home and leisure injury | Survey | Epidemiology | Prevention

Résumé

En France, les noyades constituent un problème important de santé publique car elles sont responsables de près de 500 décès accidentels chaque été et, parfois, de graves séquelles. L’enquête NOYADES 2015 a été réalisée entre juin et septembre de la même année par l’Institut de veille sanitaire et la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur. Elle a recensé toutes les victimes de noyades, accidentelles ou non, suivies d’une hospitalisation ou d’un décès. L’objectif était de décrire les caractéristiques et les facteurs de risque des noyades accidentelles pour contribuer à leur prévention.

L’enquête NOYADES 2015 a dénombré 1 266 noyades accidentelles, dont 436 (34%) suivies d’un décès. Parmi ces noyades, 18% concernaient des enfants de moins de 6 ans (226 noyades dont 29 décès) et 46% des adultes de plus de 45 ans (568, dont 260 décès). Les caractéristiques démographiques des victimes et les circonstances de la noyade dépendaient du lieu : 241 noyades se sont produites en piscine privée (68 décès), 62 en piscine publique d’accès payant (6 décès), 157 en cours d’eau (115 décès), 132 dans un plan d’eau (65 décès), 637 en mer (167 décès) et 37 en d’autres lieux (15 décès). En piscine privée, les enfants de moins de 6 ans se sont noyés surtout à cause d’un manque de surveillance d’un adulte et de leur inaptitude à nager. Dans les cours d’eau et plans d’eau, les noyades sont souvent survenues après une chute, lors d’activités solitaires ou après une consommation d’alcool. En mer, les noyés étaient souvent des personnes résidant dans le département de la noyade, âgées de plus de 45 ans, ou des personnes ayant un problème de santé.

Ces résultats sont à la base de messages de prévention spécifiques tels que : assurer une surveillance rapprochée des jeunes enfants par un adulte, leur apprendre à nager le plus tôt possible, nager dans des zones de baignade surveillée, ne pas surestimer ses capacités physiques, se renseigner sur l’état de la mer et les conditions météorologiques.

Abstract

In France, drowning is a major public health problem, as it is responsible for almost 500 accidental deaths each summer, and sometimes for serious sequelae. The NOYADES 2015 survey was conducted between June and September 2015 by the French Institute for Public Health Surveillance and the General Directorate for Civil Security and Crisis Management of the French Home Office. This survey recorded all the victims of drowning followed by hospitalization or death. The objective was to describe the characteristics and risk factors of unintentional drowning, to help prevent them.

The NOYADES 2015 survey reported 1,266 drowning cases, of which 436 (34%) were followed by death, including 18% of children under 6 years of age (226 drowning cases, including 29 deaths), 46% of adults aged above 45 years (568, including 260 deaths). The demographic characteristics of victims and the circumstances of drowning depended on the location: 241 persons drowned in private swimming pools (68 deaths), 62 in public swimming pools (6 deaths), 157 in streams (115 deaths), 132 in water points (65 deaths), 637 at sea (167 deaths) and 37 in other places (15 deaths). In private swimming pools, children under 6 years old drowned mainly due to a lack of adult surveillance and to their inability to swim. In rivers and water points, drowning often occurred after a fall during solitary activities, or after consuming alcohol. At sea, drowned people were often inhabitants of the area aged over 45 years, or people with a health problem.

These results are the basis of specific prevention messages such as: careful surveillance of young children, learning to swim as soon as possible, swimming in supervised areas, not overestimating one’s physical capabilities, inquiring about the state of the sea and the meteorological conditions.

Introduction

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la noyade comme « une insuffisance respiratoire résultant de la submersion ou de l’immersion en milieu liquide ». Cette définition englobe tous les cas de noyade, qu’ils soient mortels ou non 1. Selon l’OMS, chaque année au niveau mondial, les noyades sont responsables de 372 000 décès, soit 1 000 par jour, dont 90% dans les pays à faible revenu (low income countries) 2. En France, les noyades, accidentelles à près de 90%, sont responsables chaque été d’environ 4 décès par jour en moyenne, ce qui représente entre 400 et 500 décès 3 au cours de cette période.

En France, les populations et les facteurs de risque sont aujourd’hui mieux connus grâce aux enquêtes NOYADES menées depuis plus de 10 ans par l’Institut de veille sanitaire (1) et la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur. Une première enquête a été réalisée en 2001 dans plusieurs départements volontaires. À partir de 2002, le recueil a été généralisé à tous les départements de France métropolitaine et d’outre-mer. En 2003, 2004, 2006, 2009, 2012 et 2015, l’enquête a été renouvelée et a porté sur toutes les noyades suivies d’une hospitalisation ou d’un décès. Les enquêtes NOYADES ont pour objectifs de recenser les noyades selon le lieu et les circonstances (accident, suicide, agression) dans lesquels elles se sont produites, de décrire les caractéristiques des victimes, renseigner leur devenir et la gravité de la noyade. Les évolutions peuvent être mesurées grâce à la répétition des enquêtes. Les messages des campagnes de prévention reposent, depuis une dizaine d’années, directement sur leurs résultats. Cet article présente les résultats de l’enquête NOYADES 2015.

Matériel et méthodes

NOYADES 2015 a été réalisée entre le 1er juin et le 30 septembre 2015 en France (2). Elle a été accompagnée d’une note administrative du ministère de l’Intérieur à destination des préfets des départements portant sur la « Campagne annuelle de prévention des risques liés à la baignade ». L’enquête reposait sur un questionnaire que devaient remplir les secours organisés intervenant auprès des noyés (sapeurs-pompiers, Samu-Smur, maîtres-nageurs sauveteurs, gendarmerie, Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage et autres secours organisés). Les questions portaient sur la personne accidentée, le lieu de la noyade, la sécurité des lieux de baignade, les conditions de survenue de la noyade, les activités pratiquées, les circonstances, le stade de la noyade, les équipements de protection individuelle chez les enfants, la consommation d’alcool et le devenir de la victime. Toutes les noyades suivies d’une hospitalisation ou d’un décès devaient être incluses, dès lors qu’elles avaient nécessité l’intervention des secours.

Le stade de la noyade était renseigné pour en distinguer la gravité : « anoxie » lorsque la personne est en arrêt cardio-respiratoire, en cours d’installation ou avéré, et dans un coma aréactif ; « grande noyade » lorsque la personne est en état de détresse respiratoire aiguë, d’obnubilation ou de coma ; « petite noyade » lorsqu’il y a un encombrement liquidien broncho-pulmonaire, cyanose des extrémités, hypothermie ; « aquastress » lorsqu’il n’y a pas d’inhalation liquidienne, mais que l’on observe angoisse, hyperventilation, tachycardie et tremblements 3. L’exhaustivité a été assurée et contrôlée par les relances auprès des services de secours et la consultation de la presse régionale. Les données des années précédentes ont pu servir de référence pour repérer les défauts de réponse. Le devenir des victimes hospitalisées a été renseigné par contact avec les services hospitaliers, 30 jours après la noyade. Les données des enquêtes NOYADES sont de bonne qualité puisqu’il y a peu de données manquantes : aucune pour les variables concernant le lieu de noyade et le devenir du noyé ; moins de 1% pour les variables sexe, âge et stade de la noyade ; 8% pour les circonstances et 10% pour l’activité.

Résultats

Parmi les 1 441 noyades collectées (dont 555 décès) au cours des quatre mois d’été 2015 (juin-septembre) en France, 1 266 étaient accidentelles (88%, dont 436 décès), 165 (11,5%, dont 110 décès) étaient intentionnelles et 10 (1%, dont 9 décès) étaient d’intention inconnue. Les analyses qui suivent portent uniquement sur les noyades accidentelles.

Caractéristiques sociodémographiques des victimes de noyades accidentelles

Sur les 1 266 noyades accidentelles recensées, 436 (34%) ont été suivies de décès. L’âge médian était de 39 ans pour l’ensemble des noyades et de 52 ans pour celles suivies de décès. Les enfants de moins de 6 ans représentaient 18% des noyades (226 victimes), alors qu’ils ne constituaient que 7% de la population en 2015 ; en revanche, ils étaient concernés par 7% (29/436) des décès. Les adultes de 45 ans et plus ont représenté 60% des décès (260), alors qu’ils constituaient 44% de la population (figure 1). Les taux d’incidence ont été estimés pour les résidents français (population au 1er janvier 2015, source Insee) à 1,9/100 000 pour l’ensemble des noyades accidentelles et à 0,7/100 000 pour les noyades accidentelles suivies de décès. Les taux d’incidence les plus élevés, tous types de noyades confondus, étaient observés chez les moins de 6 ans (4,7/100 000), les 65 ans ou plus (2,8/100 000) et les 13-19 ans (2,1/100 000). Les taux de mortalité les plus élevés étaient relevés chez les 65 ans ou plus (1,3/100 000) suivis, à niveau équivalent, des 0-5 ans, 13-24 ans et 45-64 ans (0,6/100 000). Les victimes étaient des hommes dans 65% des cas, soit un sex-ratio hommes/femmes de 1,9. Pour les décès, ce ratio était de 3, avec 326 décès chez les hommes versus 109 chez les femmes.

Figure 1 : Répartition des noyades accidentelles, selon l’âge, en France, 1er juin-30 septembre 2015
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Parmi les 1 266 personnes victimes de noyade accidentelle, 353 sont décédées sur place (81% des 436 décès) ; parmi les 913 (72%) qui ont été hospitalisées, 83 sont décédées. Le devenir des noyés était moins favorable lorsque l’état clinique initial était grave. Sur les 315 victimes hospitalisées après une noyade de stade « grande noyade » ou « anoxie », un quart (81) est décédé à l’hôpital et 8% (28) ont conservé des séquelles. À l’inverse, parmi les 593 personnes hospitalisées suite à un « aquastress » ou à une « petite noyade », 2 sont décédées et 15 (2,5%) ont conservé des séquelles.

Circonstances et activités au moment de la noyade

Les circonstances des noyades étaient fortement différenciées selon l’âge :

chez les enfants de moins de 13 ans, un manque de surveillance a été signalé dans 55% (n=185) des cas, avant le fait de ne pas savoir nager, 47% (n=160) ; ces deux circonstances simultanées ont été retrouvées dans 30% des noyades (n=102). Une chute a été mentionnée dans 26% des cas ;

chez les 13-24 ans, la noyade est survenue le plus souvent en raison des courants (26%) ou d’un épuisement (23% des noyades). Dans 20% des cas (38 sur 189), au moins un des trois problèmes de santé suivants – épilepsie, malaise, malaise cardiaque – ont été signalés. Des hydrocutions (7 cas), un malaise vagal (1 cas) et un problème de digestion (1 cas) ont aussi été mentionnés ;

chez les personnes de 25 à 44 ans, la noyade est survenue en raison d’une chute dans 28% des cas ; un épuisement et les courants ont été cités respectivement dans 16% et 12% des cas et au moins un problème de santé (épilepsie, malaise, malaise cardiaque) a été signalé dans 25% des cas (43 sur 170) ;

chez les 45 ans et plus, 48% (275/568) des noyades ont fait l’objet d’au moins un signalement de problème de santé (épilepsie/malaise/malaise cardiaque), avant les chutes (21%) ou l’épuisement (13%).

Certaines circonstances se sont avérées particulièrement meurtrières : malaise cardiaque : 78% de décès (65 cas sur 83), en particulier 60 sur 73 (82%) chez les 45 ans et plus ; hydrocution : 77% de décès (20 sur 26) ; chute : 43% de décès (123 sur 288) ; consommation d’alcool : 41% de décès (41 sur 100).

La baignade, définie comme toute activité où la personne est volontairement dans l’eau, est mentionnée dans 77% des noyades accidentelles (973 sur 1 266). La baignade est plus fréquente (p<0,01) dans certains lieux : elle est mentionnée dans 85% des noyades en piscine, 86% en mer et 74% en plan d’eau. Ce taux atteint les 100% pour les piscines collectives (privées ou publiques). À l’inverse, seulement 36% des noyades en cours d’eau étaient liées à une activité de baignade et 35% dans les autres lieux. La noyade a été plus souvent suivie d’un décès lors de certaines activités : 65% des noyades survenues lors de la pêche ont entraîné un décès, 57% lors de la pratique du canoë et 44% en bateau.

Parmi les noyades en cours d’eau, en plan d’eau ou en mer, respectivement 100%, 59% et 49,5% des noyades se sont produites dans un lieu de baignade non surveillé et 66%, 35% et 8% dans un lieu de baignade interdite. Pour l’ensemble de ces trois lieux, lorsque l’information était indiquée, la proportion de décès était plus importante lorsque la noyade avait eu lieu dans une zone de baignade non surveillée (49% versus 19%, p<0,01) ; cette proportion était également plus importante lorsque la noyade avait eu lieu dans une zone de baignade interdite (57% versus 35%, p<0,01).

Lieu de la noyade

Au cours de l’été 2015, la répartition par lieu montre que la majorité des cas de noyade ont eu lieu en mer : 637 noyades, soit 50% du total (figure 2). Venaient ensuite les noyades en piscine, qui représentaient 24% du total – dont 14% en piscine privée familiale, 5% en piscine privée à usage collectif (hôtels, campings, clubs de vacances, etc.) et 5% en piscine publique ou privée d’accès payant (piscines municipales, bases de loisirs, parcs d’attraction, etc.), puis les noyades en cours d’eau (12%), en plan d’eau (10%) et dans d’autres lieux (baignoires, bassins, piscines gonflables, etc., 3%). Le devenir et les caractéristiques des victimes différaient selon le lieu de la noyade (tableau).

Figure 2 : Répartition des noyades accidentelles selon le lieu en France, 1er juin-30 septembre 2015
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Tableau : Caractéristiques et devenir des victimes après la noyade selon le lieu, France, 1er juin-30 septembre 2015
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Les enquêtes NOYADES ont permis de construire des profils de victimes selon l’âge et le lieu de la noyade. En mer, la majorité des noyés étaient âgés de 45 ans et plus et un problème de santé était signalé dans près de la moitié des cas pour cette tranche d’âge. Les noyades en piscine concernaient majoritairement des enfants : en piscine privée familiale, plus de la moitié des victimes avaient moins de 6 ans et avaient échappé à la surveillance des adultes ; en piscine publique/privée d’accès payant, plus de la moitié des victimes avaient moins de 13 ans et la moitié ne savait pas nager. En plan d’eau et cours d’eau, la majorité était des adultes ayant fait une chute ; en plan d’eau, les noyades avaient souvent lieu dans une zone de baignade non surveillée ; en cours d’eau souvent dans une zone de baignade interdite. Dans les autres lieux (baignoires, bassins, piscines gonflables, etc.), les victimes étaient majoritairement des enfants de moins de 6 ans.

Répartition régionale des noyades

De grandes variations régionales ont été enregistrées (figure 3 et 4). Cinq régions (3) ayant une façade maritime ont concentré 60% des noyades et 47,5% des décès : la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (22,5% des noyades et 16% des décès), l’Aquitaine (12% des noyades et 8% des décès), le Languedoc-Roussillon (11,5% des noyades et 8% des décès), les Pays de la Loire (7,5% des noyades et 6,5% des décès) et la Bretagne (6,5% des noyades et 9% des décès). La proportion de décès était très variable d’une région à l’autre : ils représentaient 94% des noyades en Alsace (15/16), 59% en Lorraine (10/17) et 56% en région Centre (14/25). À l’opposé, les trois régions enregistrant le plus grand nombre de noyades étaient également celles où les taux de décès étaient les plus faibles : 25% en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 24,5% dans le Languedoc-Roussillon et 23,5% en Aquitaine.

Figure 3 : Noyades accidentelles en France métropolitaine, 1er juin-30 septembre 2015
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Figure 4 : Décès par noyade accidentelle, France métropolitaine, 1er juin-30 septembre 2015
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Évolutions 2003-2015

En 2003, 2004, 2006, 2009 et 2012, ont été recensés respectivement 1 154, 1 163, 1 207, 1 366 et 1 238 cas de noyades accidentelles, dont respectivement 435 (38%), 368 (32%), 401 (33%), 462 (34%) et 497 (40%) suivis de décès (figure 5).

Figure 5 : Évolution de la proportion des décès à la suite d’une noyade estivale de 2003 à 2015, France
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Le nombre de décès d’enfants de moins de 6 ans en piscine privée, égal à 32 en 2000 selon une source du ministère de l’Intérieur, était de 25 en 2003, puis a décru jusqu’à 13 en 2015 (les années où il n’y a pas eu d’enquête, le nombre de décès a été communiqué par la Fédération des professionnels de la piscine) (figure 6). L’évolution du nombre de décès des moins de 6 ans doit être analysée en tenant compte de l’augmentation du parc de piscines privées en France, qui est passé sur cette période de 700 000 environ en 2000 à plus de 1 800 000 en 2015. Par ailleurs, une analyse portant sur la totalité des noyades ayant lieu en piscine privée, intégrant la température extérieure et un effet saisonnalité (vacances, week-ends, etc.), conclut à une baisse du taux de noyades entre 2003 et 2015, mais ces différences ne sont pas statistiquement significatives 3.

Figure 6 : Nombre de noyades suivies de décès d’enfants de moins de 6 ans en piscine privée, et nombre de piscines privées, France, années 2000 à 2015
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Discussion

L’enquête NOYADES 2015 a permis de fournir des résultats précis sur le nombre de noyades accidentelles survenues en France entre les mois de juin et septembre. Comme les années précédentes, l’ampleur des conséquences de ces accidents a été mise en évidence : 436 décès parmi 1 266 noyades accidentelles, soit près de 4 décès par jour au cours de l’été.

Les noyades accidentelles concernaient tous les âges et tous les lieux, le lieu de la noyade dépendant beaucoup de l’âge de la victime. Les hommes en étaient plus souvent victimes que les femmes. Dans 77% des cas, l’activité pratiquée au moment de la noyade était la baignade ; les autres activités connues étaient nautiques (bateau, pêche, canoë-kayak, etc.). Pour les noyades en cours d’eau, plan d’eau ou en mer, la proportion de décès était plus importante lorsque celles-ci avaient eu lieu dans une zone de baignade non surveillée ou interdite.

Les enquêtes NOYADES exhaustives, qui existent depuis 2002, ont rapporté un nombre de décès par noyade accidentelle pendant la période estivale de l’ordre de 400 en moyenne chaque année. L’exhaustivité des données des enquêtes NOYADES a été assurée grâce aux efforts faits, en amont de la collecte, par la diffusion de courriers d’information adressés aux services hospitaliers (Samu-Smur, urgences, réanimation, etc.) et d’une note administrative du ministère de l’Intérieur adressée aux préfets à destination de ses services (services départementaux d’incendie et de secours, police-gendarmerie, Société nationale de sauvetage en mer, associations de sauvetage et de secourisme). Durant l’enquête, des relances à tous les services départementaux d’incendie et de secours de France, aux hôpitaux ayant accueillis des noyés ont été faites, des vérifications avec des articles de la presse régionale et nationale ont été mises en œuvre. À la fin de la période d’inclusion, une mise en parallèle avec les résultats de 2015 et ceux des années antérieures a permis de vérifier la cohérence des effectifs. L’enquête renseigne a minima sur les circonstances de survenue de la noyade, permettant quand même d’établir des profils de victimes. Ces informations ne peuvent pas être plus détaillées, du fait des contraintes qui pèsent sur les intervenants auprès des noyés. Par ailleurs, aucune information sur l’environnement (type et date de construction de la piscine, force du courant, etc.) et sur la fréquentation des lieux de baignade (nombre de personnes, durée, etc.) n’est collectée, ce qui exclut les « analyses d’efficacité » de dispositifs réglementaires ou de prévention des noyades.

Les taux d’incidence estimés à partir de l’enquête NOYADES 2015 étaient de 1,9/100 000 pour l’ensemble des noyades accidentelles et de 0,7/100 000 pour celles suivies de décès. Ces enquêtes portent sur la seule période estivale, ce qui peut en constituer une des limites. Différentes études indiquent que la période estivale concentre environ 60% des décès par noyade accidentelle 4,5,6,7. Cependant, les profils de victimes de noyades hivernales et les activités pratiquées au moment de la noyade l’hiver sont différents de ceux de la saison estivale 8,9. La proportion de noyades de jeunes (5-24 ans) est plus importante l’été qu’aux autres saisons. La réalisation de l’enquête sur les quatre mois d’été, et tous les trois ans, est due au fait que l’organisation d’une collecte d’une telle ampleur, exhaustive, sur l’ensemble du territoire, est coûteuse en temps et en organisation et sollicite de très nombreux collecteurs de données. On peut considérer qu’il s’agit là d’une limite, non de l’enquête, mais des possibilités pratiques de sa réalisation. Au niveau international, les enquêtes nationales, exhaustives, répétées régulièrement sur l’ensemble des noyades (accidentelles ou intentionnelles), sont rares. Une enquête nationale sur une année a été menée au Danemark en 1995, mais elle n’a été réalisée qu’une seule fois 10. La littérature autour des noyades s’appuie principalement sur des enquêtes ou des études qui ont des approches locales/régionales, populationnelles (enfants, adolescents, hommes adultes, etc.), par lieu de noyade (piscines privées, mer, etc.) ou à partir de bases de données (rapports des coroners, services d’urgence, hospitalisations, décès, etc.) 8,11,12,13. Une enquête menée au Canada sur la période 2008-2012 a estimé le taux d’incidence annuel à 1,41 pour les noyades suivies de décès 8. En Australie 14 en 2013-2014, un rapport estimait le taux d’incidence annuel des noyades suivies de décès à 1,14/100 000 ; aux États-Unis 6, pour l’ensemble des noyades sur la période 2005-2009, le taux d’incidence annuel était de 1,9/100 000 et, pour les noyades suivies de décès, de 1,29/100 000. Ces taux d’incidence étant annuels, ils ne peuvent pas être directement comparés à ceux de l’enquête NOYADES 2015.

Les résultats 2015 ont confirmé et renforcé les messages de prévention des années précédentes concernant les noyades estivales, établis à partir des caractéristiques des victimes, selon les lieux et les circonstances de survenue. La connaissance des profils des victimes a permis d’orienter les messages 15. Il faut rappeler en particulier qu’une surveillance permanente et rapprochée des jeunes enfants doit être exercée par un adulte responsable en tout lieu de baignade. Cette obligation demeure entière même lorsqu’un dispositif de sécurité conforme aux normes et correctement utilisé est installé autour d’une piscine ou qu’un maître-nageur est présent. Les autres recommandations sont les suivantes : entreprendre l’apprentissage de la nage chez les enfants le plus tôt possible ; chez les adultes, ne pas être seul lors des activités de pêche ou de bateau ; se baigner dans les zones surveillées ; respecter les interdictions de baignade. L’aménagement et la signalisation aux abords des plans d’eau restent à développer pour informer des risques de baignade dans ces lieux naturels. Les conseils de prudence à suivre avant toute activité aquatique doivent être répétés : ne pas surestimer ses capacités physiques, tenir compte de son état de santé, s’informer sur l’état de la mer et sur les conditions météorologiques. Enfin, l’apprentissage des gestes de premiers secours reste à généraliser dans la population pour pouvoir intervenir avant l’arrivée des secours en cas d’accident.

Il est difficile de mesurer, à partir des seules enquêtes NOYADES, l’impact des campagnes de prévention et la mise en place de la loi obligeant les propriétaires de piscines à s’équiper d’un système de sécurité. En France, les campagnes de prévention menées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (4) n’ont jamais été évaluées. Par ailleurs, peu d’études d’évaluation des interventions efficaces pour la prévention des noyades ont été menées dans le monde 16,17. L’OMS recommande certaines interventions de prévention contre les noyades qui font consensus au niveau international 2. S’agissant de la réglementation, quelques hypothèses peuvent être avancées. Les enquêtes NOYADES ont montré que le nombre de décès d’enfants de moins de 6 ans a été divisé par 2 en dix ans, alors que le parc de piscines privées a doublé (source Fédération des professionnels de la piscine) sur la même période. Cette juxtaposition de résultats est plutôt en faveur d’une certaine efficacité des dispositifs de sécurité. On peut supposer que les dispositifs en place ont pu contribuer à garder la vie sauve à certains enfants. Ces conclusions doivent être considérées avec prudence, car elles reposent sur des données peu nombreuses et souvent incomplètes : dans plusieurs cas, on ne dispose pas d’information sur l’existence ou l’activation des dispositifs de sécurité et on ne peut donc rien dire de l’éventuelle protection qu’ils apportent. Des études internationales ont montré que les barrières de piscines entraînaient des baisses significatives du risque de noyade chez les enfants 12,18,19,20. Certaines font la différence entre les barrières à quatre côtés, isolant la piscine de la maison, et celles à trois côtés, incluant une des façades de la maison, moins efficaces que les premières.

Savoir nager semble a priori être un obstacle à la noyade. Il est difficile, à partir des enquêtes NOYADES, de confirmer le caractère protecteur de cette capacité, car la population soumise au risque de noyade selon sa capacité à nager reste inconnue. Il est recommandé, dans les messages de prévention, d’apprendre à nager aux enfants le plus tôt possible. Cependant, aucune étude n’a mis en évidence une relation significative entre l’apprentissage de la nage et les noyades chez les enfants 12,18,21. Des études ont montré que les enfants de moins de 4 ans n’étaient pas capables d’apprendre à « bien » nager. Le message encourageant l’apprentissage de la nage chez les enfants doit être intégré dans un message plus global de prévention, s’adressant aux adultes : surveillance rapprochée des enfants par un adulte lorsque ces derniers se baignent ou sont à proximité d’un point d’eau, et port d’un équipement de protection individuel (brassards chez les plus petits, gilet de sauvetage, etc.). Une étude menée à Washington en 1992, cherchant à évaluer une campagne de prévention fondée sur le port de gilet de sauvetage chez les enfants, a montré que les parents informés par la campagne de prévention ont changé leur comportement (davantage de port du gilet de sauvetage) versus les parents non informés (pas de changement de comportement) 22. Une autre étude, évaluant l’intervention pour réduire les noyades en mer quand celle-ci est agitée, a été menée en Australie. Elle a montré que les personnes informées des risques se baignaient moins en mer agitée que celles qui ne l’avaient pas été 23.

Conclusion

Compte tenu du nombre élevé des victimes, 3,6 décès par jour en moyenne entre juin et septembre 2015, le maintien et le renforcement d’une campagne annuelle de prévention des noyades doivent rester une priorité, ces décès étant en grande majorité évitables. Les stratégies de lutte contre les noyades doivent être globales, passant par la réglementation et les campagnes d’information : une seule action ne suffit généralement pas 4. L’évaluation comprenant la mesure de l’efficacité de ces actions de prévention est un élément essentiel de la lutte contre les noyades qu’il faut développer.

Des informations complémentaires seraient utiles pour affiner les analyses des noyades, de leurs facteurs de risque et de leur évolution : prise en compte d’éléments de météorologie marine et de fréquentation touristique ; précisions quant aux circonstances des noyades en piscine privée ; descriptif détaillé du dispositif de sécurité.

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Citer cet article

Lasbeur L, Szego-Zguem E, Cassagne E, Guillam MT, Thélot B. Les noyades au cours de l’été : de la surveillance épidémiologique à la prévention. Résultats de l’enquête NOYADES 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(10):185-93. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/10/2017_10_2.html

(1) Devenu Santé publique France depuis le 1er mai 2016.
(2) Pour plus d’informations sur les méthodes (définitions, questionnaires, collecte des données, circulaires et partenariats, etc.), se reporter au rapport de l’enquête NOYADES 2015 3 et/ou au portail Internet de Santé publique France : http://invs.santepubliquefrance.fr/
Dossiers-thematiques/Maladies-chroniques-et-traumatismes/Traumatismes/
Accidents/Noyades
(3) Il s’agit dans cet article des anciennes régions administratives. La loi sur la réforme territoriale a été promulguée le 7 août 2015, cependant l’organisation du territoire en 13 régions administratives a été effective en janvier 2016.
(4) Devenu Santé publique France depuis le 1er mai 2016.