Vers une évolution des pratiques de détection et de prise en charge du cancer de la prostate chez les hommes de 40 ans et plus en France (2009-2014) ?

// Towards an evolution of prostate cancer detection and management practices among men aged 40 years old and more in France (2009-2014)?

Philippe Tuppin1 (philippe.tuppin@cnamts.fr), Claire Leboucher1, Solène Samson1, Gabrielle Peyre-Lanquar1, Pierre Gabach1, Xavier Rebillard2
1 Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), Paris, France
2 Clinique Beau Soleil, Montpellier et Association française d’urologie (AFU), France
Soumis le 01.12.2015 // Date of submission: 12.01.2015
Mots-clés : Cancer de la prostate | dosage du PSA | biopsie de la prostate
Keywords: Prostate cancer | PSA testing | prostate biopsy

Résumé

Objectifs –

Décrire l’évolution annuelle, entre 2009 et 2014, de la fréquence des hommes indemnes de cancer de la prostate (CaP) ayant au moins un dosage du prostate-specific antigen (PSA), une biopsie de la prostate, un CaP incident ou certaines prises en charge du CaP.

Méthodes –

Les hommes âgés de 40 ans et plus couverts par le régime général d’Assurance maladie (soit 73% de la population masculine de cet âge, 11 millions d’hommes) ont été inclus. Les informations provenaient du système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram).

Résultats –

La proportion d’hommes de 40 ans et plus ayant réalisé un test du PSA était de 30% en 2009 et 27% en 2014. Sur la même période, une diminution du nombre de biopsies (passant de 0,6% à 0,4%, soit de 60 000 à 40 000 hommes) et une stabilité de l’incidence du CaP (0,4%) étaient observées. Parmi les hommes ayant réalisé un test du PSA, la proportion de biopsies diminuait (2,2% à 1,9%), ainsi que celle de CaP découverts après le dosage du PSA (1,0% à 0,9%). En revanche, la proportion des patients avec un CaP après une biopsie augmentait (47% vs. 50%). Alors que chez les hommes sans test du PSA, la fréquence d’IRM de l’abdomen et du petit bassin était stable entre 2012 et 2014, parmi ceux avec un test du PSA, la fréquence d’IRM avec injection intraveineuse de produit de contraste a augmenté de 45% entre 2012 et 2014 et de 153% pour les IRM avec 6 séquences et plus. Parmi les hommes avec une biopsie, ces augmentations étaient respectivement de 47% et 46%. Par ailleurs, la proportion d’hommes de 55 ans et plus avec un CaP incident sans traitements actifs les deux années suivantes augmentait, passant de 21% en 2009 à 27% en 2012.

Discussion-conclusion –

Ces résultats sont en faveur d’une faible évolution du niveau de dépistage du CaP, qui demeure élevé malgré les recommandations de la Haute Autorité de santé, mais d’une diminution plus prononcée de différents modes de diagnostic et de prise en charge, confirmée par ailleurs par la chute, en 2012, du nombre de prostatectomies et d’affections longue durée (ALD) pour CaP incident. La place des IRM doit encore être mieux évaluée.

Abstract

Objectives –

To describe the annual increase of the proportion of men free from prostate cancer (PCa) between 2009 and 2014 in whom at least one prostate-specific antigen (PSA) or prostate biopsy was performed, presenting an incident PCa or receiving specific healthcare for PCa.

Methods –

Men aged 40 years and older covered by the National Health Insurance General Scheme (representing 73% of the population of this age or 11 million men) were included in the study. Data were derived from the Système National d’Information Inter-régimes de l’Assurance Maladie (Sniiram) [French National Inter-Scheme Health Insurance Information System] database.

Results –

The proportion of men aged 40 years and older in whom a PSA assay had been performed was 30% in 2009 and 27% in 2014. A decreasing number of biopsies (from 0.6% to 0.4%, representing 60,000 to 40,000 men) and a stable incidence of PCa (0.4%) were observed over the same period. Among men who had performed a PSA assay, the biopsy rate decreased (2.2% to 1.9%), as well as the rate of PCa diagnosed after a PSA essay (1.0% to 0.9%), while the proportion of all men with PCa after biopsy increased (47% vs 50%). Although the rate of abdomen and pelvis MRI in men without a PSA assay remained stable between 2012 and 2014, the rate of contrast-enhanced MRI increased by 45% and the rate of MRI with 6 or more sequences increased by 153% between 2012 and 2014 among men who had performed a PSA assay. Among men with a biopsy, these rates increased by 47% and 46%, respectively. Furthermore, the proportion of men aged 55 years and older with incident PCa without active treatment during the following two years increased from 21% in 2009 to 27% in 2012.

Discussion-conclusion –

These results indicate a low evolution rate of PCa screening, which nevertheless remains high despite the guidelines from the French National Authority for Health, but a more marked reduction of the various modes of diagnosis and management, also confirmed by the decreasing number of prostatectomies and ALD (full reimbursement for chronic disease) status for incident PCa in 2012. The place of MRI still needs to be more clearly evaluated.

Introduction

Depuis la diffusion du dosage sérique du prostate-specific antigen (PSA), qui sert à la détection et au suivi du cancer de la prostate (CaP) diagnostiqué, en surveillance et/ou traité, l’incidence annuelle du CaP en France a évolué de 20 000 cas au début des années 1990 à 64 457 en 2005 et 53 917 cas en 2011 (97,7/100 000 hommes-années) 1. Le taux de mortalité a diminué de 18,1/100 000 hommes-années en 1990 à 10,5/100 000 (8 893 hommes) en 2011 2. Les explications avancées sont les progrès thérapeutiques et la large utilisation du PSA, laquelle a engendré une augmentation du nombre de diagnostics de CaP et, parmi eux, la proportion des CaP de petit volume, bien différenciés et latents et, par conséquent, à moindre risque létal 3. Néanmoins, deux récents essais contrôlés randomisés sur le dépistage et la mortalité aux résultats contradictoires (21% de gain de survie pour l’European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC) à 9 et 11 ans, pas de gain significatif pour le Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian Cancer Screening Trial (PLCO)), ainsi que les complications liées aux traitements du CaP alimentent un débat autour du sur-diagnostic et du sur-traitement de ce cancer 4,5,6,7. La Haute Autorité de santé (HAS) a confirmé en 2010 que le bénéfice, en termes de réduction de mortalité globale, d’un dépistage systématique par le dosage du PSA sérique n’était pas démontré, et que les résultats disponibles ne permettaient pas de conclure sur l’opportunité d’un dépistage individuel 7. Malgré ces recommandations, un premier travail a mis en évidence des fréquences élevées et relativement stables chez les hommes de 40 ans et plus, indemnes de CaP, d’au moins un dosage annuel du PSA (30,4% en 2011, dont 46% chez des hommes âgés de 80 à 84 ans) 8. Par ailleurs, les modalités de réalisation des biopsies ont évolué, passant de 6 prélèvements en sextants à 10-12 sous contrôle échographique, et l’évolution récente des techniques d’imagerie par résonance magnétique (IRM) multiparamétrique avant la biopsie permettrait de mieux localiser les zones suspectes, autorisant un prélèvement ciblé par fusion d’images et aussi orienter l’indication et le suivi d’une surveillance active du CaP 9,10.

Cette étude avait pour objectif de décrire l’évolution, entre 2009 et 2014, de la fréquence du CaP chez des hommes âgés de 40 ans et plus avec au moins un dosage annuel du PSA, une biopsie de la prostate, un CaP nouvellement pris en charge, une IRM ou une surveillance active.

Matériel et méthode

Source de données

Le Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) rassemble, au niveau individuel, des informations sur les prescriptions et prestations remboursées aux assurés des différents régimes et, à l’aide d’un chaînage, celles concernant leurs éventuelles hospitalisations fournies par le PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information). Ainsi, il est possible de repérer la survenue de certaines maladies par les diagnostics codés (1) lors d’éventuels séjours hospitaliers, mais aussi par la prise en charge spécifique pour celles concernées par le statut d’affection de longue durée (ALD) 11. Le Sniiram contient aussi des référentiels et des tables de nomenclatures spécifiques qui permettent de repérer les actes médico-chirurgicaux, les dosages biologiques, les médicaments remboursés…

Mode de sélection des patients et informations utilisées

La population cible de l’étude était celle des assurés âgés de 40 ans et plus du régime général hors sections locales mutualistes entre 2009 et 2014, soit environ 73% des hommes de cette classe d’âge : 10,5 millions en 2009 et 11,6 millions en 2014. Cette restriction sur le champ est due à l’incomplétude du statut vital dans le Sniiram pour les autres régimes. L’année 2008 a aussi été utilisée pour la recherche d’information antérieure à l’étude (CaP connu…).

L’identification des assurés avec un CaP défini comme pris en charge, c’est à dire « diagnostiqué et/ou traité » entre 2008 et 2014, était fondée sur la présence d’au moins un des critères suivants :

  • la présence d’un code CIM-10 de CaP (C61), de CaP in situ (D07.5) ou de tumeur à évolution imprévisible ou inconnue de la prostate (D40.0) pour l’ALD ou lors d’un séjour hospitalier en diagnostic principal ou associé significatif ;
  • l’existence de traitements tels qu’un acte de vésiculo-prostatectomie, de pulpectomie testiculaire, de curiethérapie spécifique, une séance de chimiothérapie ou de radiothérapie avec un CaP codé en diagnostic relié, ou d’un remboursement de médicament spécifique au traitement du CaP (GnRH, antiandrogènes, œstrogènes, estramustine).

Le dosage ambulatoire du PSA total ou libre a été identifié par son code spécifique d’acte, tout comme la biopsie de prostate, ainsi que les IRM de l’abdomen et du petit bassin avec ou sans injection intraveineuse de produit de contraste (ZCQJ004 et ZCQJ005 vs. ZCQN001 et ZCQN002) ou celles avec 6 séquences et plus (ZZQN001).

Méthode d’analyses

Les fréquences annuelles des hommes avec au moins un dosage annuel du PSA ou une biopsie, hors CaP au moment des actes, ou un CaP nouvellement pris en charge, ont été calculées. Un focus sur les hommes de 50-69 ans, cibles du dépistage dans l’ERSPC et de la chirurgie, a été effectué.

L’identification des nouveaux patients diagnostiqués ou traités pour CaP était fondée sur l’absence d’informations retenues pour l’identification de CaP les années précédentes.

Les taux départementaux en 2014 ont été standardisés sur l’âge de la population des assurés du régime général.

Le chaînage entre le dosage du PSA, la biopsie et une nouvelle prise en charge d’un CaP a été étudié chez les hommes sans CaP connu et au cours de l’année suivant leur premier dosage du PSA en 2009 ou en 2013.

L’analyse de la fréquence des hommes ayant réalisé au moins une IRM a porté sur tous les hommes sans CaP pris en charge et sur ceux avec un dosage du PSA ou une biopsie, antérieurement à la date de prise en charge pour CaP. Les hommes avec un CaP nouvellement pris en charge, vivants à 2 ans et sans aucun des traitements spécifiques détaillés ci-dessus au cours de ces deux années, donc susceptibles d’être en surveillance, ont été isolés. Ces cas ont été repérés par l’existence d’une l’hospitalisation et/ou d’une mise sous ALD avec un diagnostic spécifique de CaP. L’exploitation des données du Sniiram par la Cnamts, menée dans le cadre de cette étude, a été approuvée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Les analyses ont été effectuées à l’aide du logiciel SAS® Entreprise Guide 4.3, SAS Institute Inc Cary, NC.

Résultats

Évolutions

La fréquence des hommes de 40 ans et plus avec au moins un dosage de PSA dans l’année, après avoir connu une relative stabilité autour de 30% entre 2009 et 2011, a diminué à 28,7% en 2012 puis à 26,9% en 2014 (tableau 1). Cette diminution s’observait dans la majorité des classes d’âge. Néanmoins, ce constat était plus marqué pour les hommes de 50 à 69 ans, avec une fréquence qui atteignait presque 40% entre 2009 et 2011 et chutait à 34% en 2014.

Tableau 1 : Nombres et proportions des hommes indemnes de cancer de la prostate traité ou pris en charge et ayant au moins un dosage du PSA dans l’année, France, 2009-2014
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La fréquence des hommes avec au moins une biopsie de la prostate a diminué de 0,57% en 2009 à 0,38% en 2014, leur nombre passant de 60 356 à 44 355 (tableau 2). Chez les hommes de 50-69 ans, cette proportion a diminué de 0,78% à 0,51% et leur nombre de 39 495 à 28 812. Néanmoins, la fréquence des hommes avec un CaP incident nouvellement pris en charge demeurait relativement stable, autour de 0,4% chaque année. L’augmentation du nombre de cas était surtout observée chez les hommes de 80 ans et plus, même si les fréquences restaient relativement stables (tableau 3).

Tableau 2 : Nombres et proportions des hommes indemnes de cancer de la prostate traité ou pris en charge ayant au moins une biopsie de la prostate dans l’année, France, 2009-2014
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Tableau 3 : Nombres et proportions des hommes avec un cancer incident de la prostate nouvellement pris en charge, France, 2009-2014
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Parmi les hommes avec un dosage du PSA en 2009 ou en 2012, on observe une diminution de la proportion d’hommes avec ce dosage suivi d’une biopsie (2,18% vs. 1,86%), mais aussi de celle des hommes avec un CaP après le dosage du PSA (1,03% vs. 0,93%) (tableau 4). En revanche, le taux de positivité des biopsies augmentait légèrement (47,2% vs. 50,3%) sur cette période. Entre 55 et 74 ans, la diminution de la fréquence des hommes avec une biopsie après un dosage du PSA était plus marquée, alors que la proportion des hommes avec un CaP après une biopsie augmentait légèrement.

Tableau 4 : Effectifs d’hommes, indemnes de cancer de la prostate traité ou pris en charge l’année suivant un dosage du PSA en 2009 ou en 2013, selon la succession d’une biopsie de la prostate et d’un cancer de la prostate pris en charge, France
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Utilisation de l’IRM

De 2012 à 2014 et comparativement aux hommes sans dosage du PSA, les fréquences de remboursement d’IRM de l’abdomen et du petit bassin avec injection intraveineuse de produit de contraste étaient plus élevées chez les hommes avec au moins un dosage du PSA, et surtout chez ceux avec au moins une biopsie ou un cancer incident (tableau 5).

Tableau 5 : Effectifs d’hommes indemnes de cancer de la prostate traité ou pris en charge avec au moins une IRM, selon l’existence ou non d’un dosage du PSA dans l’année, d’une biopsie ou d’un cancer incident de la prostate, France, 2012-2014
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Pour les hommes sans dosage du PSA, ces fréquences demeuraient stables, alors que parmi les hommes avec au moins un dosage du PSA, la fréquence augmentait de 45% pour les IRM avec injection intraveineuse de produit de contraste (41 000 IRM en 2014), de 153% pour celles avec 6 séquences et plus (8 900 en 2014) et de 22% pour celles sans injection (9 655 en 2014). Concernant les hommes avec au moins une biopsie de la prostate, ces variations étaient respectivement de 47%, 46% et 8% ; elles étaient de 23%, 32%, et -18% pour ceux avec un CaP.

La surveillance

La proportion d’hommes de 55 ans et plus avec un CaP diagnostiqué, mais non traité par les traitements spécifiques du CaP au cours des 2 ans suivant le diagnostic, a augmenté de 20,8% en 2009 à 26,9% en 2012 (tableau 6). Cette augmentation était plus marquée pour les hommes de 70 à 79 ans, alors que ces fréquences demeuraient élevées, autour de 30% comme en 2009, pour les hommes de 80 ans et plus.

Tableau 6 : Parmi les hommes de 55 ans et plus avec un cancer de la prostate nouvellement traité ou pris en charge en 2009 ou 2012, proportion par classe d’âges de ceux sans traitement de ce cancer dans les deux ans suivants mais identifiés par une hospitalisation (avec ou sans ALD) ou une ALD isolée
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Discussion

La fréquence des hommes de 40 ans et plus du régime général de l’Assurance maladie, sans CaP pris en charge ou traité identifiable dans le Sniiram, avec au moins un dosage annuel du PSA, reste toujours importante en France. Néanmoins, depuis 2012, des évolutions sont constatées : diminution des fréquences des hommes avec un dosage du PSA et de ceux avec au moins une biopsie de la prostate, alors que celle des hommes avec un CaP incident pris en charge demeure stable. La fréquence des hommes avec un CaP diagnostiqué dans l’année qui suit un dosage du PSA et une biopsie diminue entre 2009 et 2013. Néanmoins, la proportion de CaP incidents diagnostiqués après une biopsie augmente. Parmi les hommes avec une biopsie, une augmentation des IRM avec injection de produit de contraste est observée entre 2012 et 2014. C’est aussi le cas pour la proportion d’hommes avec un CaP incident et sans traitement actif lors des deux années suivantes.

Évolutions des PSA et des biopsies

Entre 2008 et 2011, années de publication des essais cliniques ERSPC et PLCO aux résultats contradictoires et de la confirmation des recommandations françaises de la HAS, il n’est pas observé de diminution de la fréquence des hommes sans CaP avec au moins un dosage annuel du PSA : cette fréquence est demeurée stable, entre 30% et 31% 4,5,7,8. Puis elle a connu une chute en 2012, suivie d’une légère diminution pour atteindre 26,9% en 2014. Dans une précédente étude menée entre 2009 et 2011 sur une population similaire, les fréquences des hommes avec au moins un dosage du PSA étaient plus élevées chez ceux traités pour une hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) 8. Le dosage du PSA dans le cadre d’une HBP traitée permet d’en estimer le volume et d’en suivre les évolutions. Néanmoins, seuls 11% des hommes de 40 ans et plus étaient traités pour une HBP. Les diminutions observées du nombre de dosage du PSA en 2012 peuvent s’expliquer par un début de changement des pratiques médicales, notamment des médecins généralistes, principaux prescripteurs des dosages du PSA, suite aux recommandations publiées en 2010 et à la diffusion des premiers chiffres sur la fréquence très élevée de dosage du PSA en France, mais aussi à la publication des résultats des deux essais ERSPC et PLCO, comme cela a été observé aux États-Unis et aux Pays-Bas 12,13.

Dans cette étude, la fréquence des hommes avec au moins une biopsie connaît aussi une diminution en 2012. Peu d’études ont rapporté l’évolution dans le temps du nombre de biopsies. Il est décrit une stabilité du taux d’hommes ayant réalisé une biopsie après la publication des recommandations de l’U.S. Preventive Services Task Force en 2012 et ce, dans les principaux groupes d’âge, aux États-Unis (2000-2012) comme au Canada (2008-2013) 14,15.

Utilisation de l’IRM

Depuis le début des années 2010, l’IRM a gagné en qualité et en capacité d’identification du CaP et d’évaluation de son extension locale. La qualité de sa réalisation et la présentation des résultats sous forme d’un scoring doivent être harmonisées. L’impact d’un résultat d’IRM normal sur la diminution de certaines indications de biopsies est discuté 15,16. L’IRM pourrait permettre de limiter l’indication des biopsies et surtout leur répétition, mais aussi de cibler les biopsies et mieux informer en amont sur le score de Gleason et l’extension locale du CaP pour établir le bilan pré-thérapeutique. Ceci peut expliquer l’augmentation de la fréquence de prescription de l’IRM avec injection de produit de contraste et d’IRM avec au moins 6 séquences chez les hommes avec une biopsie, et la diminution de la fréquence des hommes avec des biopsies. L’apport de ces IRM pourrait aussi faciliter la décision de proposer à des patients une surveillance active et limiter le recours aux biopsies pour leur suivi. Ce serait donc une des explications possibles quant à l’augmentation de la proportion des hommes sans traitement sur deux ans malgré un CaP identifié par une hospitalisation ou une mise sous ALD pour CaP. En effet, ils pourraient représenter la proportion de patients pris en charge dans le cadre d’une surveillance active, surtout au vu de l’augmentation plus importante chez les hommes de 70-79 ans. Néanmoins, ces résultats devraient être affinés et rendus plus spécifiques par l’identification, parmi ces patients, de ceux ayant des dosages réguliers du PSA ou des biopsies, comme recommandé dans cette surveillance. La place de l’IRM dans la démarche diagnostique et la prise en charge du CaP doit être précisée par de nouvelles études et validée par des recommandations. En termes de pratiques, ces évolutions doivent être confrontées à la diminution des prostatectomies sur l’ensemble de la population, retrouvée à l’aide du PMSI. Leur nombre total, de l’ordre de 25 000 par an entre 2009 et 2011, a chuté à 21 800 en 2012 pour atteindre 19 600 en 2014. Ceci a essentiellement concerné les prostatectomies par laparotomie (13 400 en 2009 ; 6 420 en 2014).

Évolution des CaP

Les fréquences annuelles des CaP incidents diagnostiqués et pris en charge, incluant ceux découverts sur examen de pièces opératoires comme lors du traitement chirurgical de l’HBP, sont relativement stables. La diminution observée entre 2009 et 2013 des hommes pris en charge après un dosage du PSA peut s’expliquer par la diminution des dosages du PSA, mais aussi des biopsies, l’IRM permettant de mieux cibler les indications de biopsies et d’améliorer le rendement après les prélèvements. Ce dernier point peut être un facteur d’explication de la légère augmentation de CaP pris en charge après biopsie. Le taux de positivité des biopsies a augmenté (50,3% vs 47,2% en 2011). Ceci traduit la poursuite de l’évolution des pratiques des urologues, qui interprètent l’élévation du PSA et posent une indication de biopsie dans l’objectif de diagnostiquer des cancers à haut risque. Le taux de positivité des biopsies dans l’essai ERSPC est de 17% (seuil de PSA pour déclencher la biopsie défini à 3 ng/ml, pas de toucher rectal). D’après les données disponibles sur le site http://www.ameli.fr et parmi les hommes bénéficiaires du régime général ou d’une section locale mutualiste, le nombre annuel de ceux avec une nouvelle ALD pour CaP, légèrement supérieur à 40 000 depuis 2004, a chuté à 36 000 en 2012 et s’est stabilisée à 35 000 en 2013 et 2014.

Forces et limites

Les données analysées sont issues de bases de données médico-administratives, avec les limites classiques concernant leur recueil, leur codage et leur exhaustivité.

Il n’était pas possible de savoir si le dosage du PSA était prescrit dans une situation de dépistage avec ou sans facteurs de risque particuliers, d’aide au diagnostic en fonction de signes cliniques, ou encore dans un contexte de surveillance et de suivi de patients. Une sous-estimation de la fréquence de ces dosages est possible, car ceux réalisés en secteur hospitalier ne sont pas individualisables. Néanmoins, la proportion de dosages effectués à l’hôpital est probablement minime dans un contexte de dépistage.

D’après l’algorithme de sélection des patients, les nouveaux CaP non traités, qui n’auraient pas bénéficié d’ALD spécifique et n’auraient pas été hospitalisés entre 2008 et 2014 pour un problème en rapport avec ce CaP, n’ont pas été repérés.

Concernant l’IRM, il n’existe pas de code spécifique pour l’IRM de la prostate dans la Classification commune des actes médicaux, ce qui peut conduire à surestimer l’utilisation de cet examen codé comme « IRM de l’abdomen et du petit bassin » dans le cadre du diagnostic du cancer de la prostate.

Conclusion

En conclusion, les résultats de cette étude montrent que les fréquences annuelles de dosage du PSA restent encore élevées en France, en particulier chez les plus âgés, et ce malgré les recommandations d’absence d’intérêt du dépistage systématique émises par les autorités sanitaires. Néanmoins, une évolution des pratiques visant à limiter le sur-diagnostic et le sur-traitement semble amorcée : diminution des proportions de personnes ayant eu un dosage du PSA, une biopsie, une prostatectomie, augmentation de celles avec une IRM et du taux de positivité des biopsies. Cependant, l’utilisation et la place des IRM dans la démarche diagnostique et de prise en charge, en plein essor, et l’harmonisation de la qualité de leur réalisation doivent encore être évaluées. L’IRM ne devrait pas se rajouter au dosage du PSA dans un objectif de dépistage du CaP.

Remerciements

À Jean-Luc Descottes et Patrick Coloby de l’Association française d’urologie pour la relecture du manuscrit.

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Citer cet article

Tuppin P, Leboucher C, Samson S, Peyre-Lanquar G, Gabach P, Rebillard X. Vers une évolution des pratiques de détection et de prise en charge du cancer de la prostate chez les hommes de 40 ans et plus en France (2009-2014) ? Bull Epidémiol Hebd. 2016;(9):156-63. http://www.invs.sante.fr/beh/2016/9/2016_9_1.html

(1) Selon la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10).