Déterminants de la mortalité des personnes diabétiques de type 2. Cohortes Entred, France, 2002-2013

// Determinants of mortality in people with type 2 diabetes. ENTRED cohorts, France, 2002-2013

Clara Piffaretti1 (clara.piffaretti@gmail.com), Anne Fagot-Campagna2, Grégoire Rey3, Juliana Antero-Jacquemin4, Aurélien Latouche5, Laurence Mandereau-Bruno1, Sandrine Fosse-Edorh1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS), Paris, France
3 Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (Inserm-CépiDc), Le Kremlin-Bicêtre, France
4 Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport/ Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Irmes/Insep), Paris
5 Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Paris, France
Soumis le 08.07.2016 // Date of submission: 07.08.2016
Mots-clés : Diabète de type 2 | Mortalité | Études de cohorte | Facteurs de risque | Analyse de survie
Keywords: Diabetes Type 2 | Mortality | Cohort studies | Risk factors | Survival analysis

Résumé

Introduction –

La mortalité des personnes diabétiques reste élevée en France, de même que leur surmortalité par rapport à la population générale. Dans ce contexte, la compréhension des déterminants de la mortalité des personnes diabétiques, peu étudiés en France, est essentielle. L’objectif de notre étude était d’étudier les déterminants de la mortalité des personnes diabétiques de type 2.

Méthodes –

La population d’étude était composée des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à un auto-questionnaire dans le cadre des enquêtes Entred 2001 ou Entred 2007. Les participants ont été suivis jusqu’en février 2013. Les analyses de survie ont été réalisées à partir d’un modèle de Cox utilisant l’âge comme échelle de temps. Une analyse de sous-groupe a été réalisée sur les personnes dont le médecin avait répondu à un questionnaire.

Résultats –

Parmi les 7 218 personnes incluses, les âges moyens à l’inclusion et au décès étaient respectivement de 65 et 72 ans. La proportion de décès était de 21%.

En analyse multivariée, les déterminants de la mortalité étaient : l’obésité non morbide (RR=1,21, IC95%: [1,02-1,43]) et l’obésité morbide (RR=1,76 [1,43-2,18]), le diagnostic de diabète posé suite à des symptômes (RR=1,19 [1,03-1,37]) plutôt que suite à un dépistage et la consommation de tabac (RR=1,49 [1,26-1,77]), ainsi que le sexe masculin (RR=1,76 [1,53-2,02]), l’appartenance à la cohorte Entred 2007 par rapport à Entred 2001 (RR=0,84 [0,74-0,95]), le niveau socioéconomique (avec un sur-risque notamment chez les ouvriers (RR=1,36 [1,11-1,67]) par rapport aux cadres), le fait de bénéficier d’une affection longue durée (RR=1,29 [1,08-1,54]), le traitement par insuline seule (RR=1,45 [1,21-1,74]) ou par insuline associée à un ou des antidiabétiques oraux (RR=1,37 [1,12-1,68]) par rapport à un traitement par un seul antidiabétique oral et les complications podologiques ou rénales graves (RR=1,97 [1,68-2,31]) et coronaires (RR=1,39 [1,22-1,59]).

Conclusion –

Certains déterminants mis en évidence sont largement modifiables. Ces résultats rappellent l’importance de la prévention, qui doit passer par une éducation thérapeutique adaptée, afin de modifier le mode de vie des personnes diabétiques de type 2 et d’améliorer la prise en charge des complications. Cette prévention doit être adaptée au profil socioéconomique de la personne diabétique afin de réduire les inégalités sociales observées dans la mortalité liée au diabète.

Abstract

Introduction –

Mortality of people with diabetes is still high in France, as is their excess mortality compared with the general population. In this context, it is essential to understand the determinants of mortality in people with diabetes. The objective of this study was to examine the determinants of mortality in people with type 2 diabetes.

Methods –

The study population consisted in people with type 2 diabetes that replied to a self-administered questionnaire from the ENTRED 2001 and the ENTRED 2007 surveys. Participants were followed up until February 2013. Survival analyses were performed with a Cox model using age as a time scale. A subgroup analysis was conducted among participants for whom physicians had replied to a questionnaire.

Results –

Among the 7,218 participants, median age at inclusion and death were 65 and 72 years, respectively. The proportion of deaths was 21%.

In multivariate analysis, determinants of mortality were: non-morbid obesity (RR=1.21, 95%CI: [1.02-1.43]) and morbid obesity (RR=1.76 [1.43-2.18]), diagnosis of diabetes established after symptoms (RR=1.19 [1.03-1.37]) rather than after a screening and tobacco consumption (RR=1.49 [1.26-1.77]), along with the fact of being a man (RR=1.76 [1.53-2.02]), participation in the 2007 ENTRED cohort vs. 2001 ENTRED cohort (RR=0.84 [0.74-0.95]), socio-economic category (with an excess risk in blue-collar workers (RR=1.36 [1.11-1.67]) compared to executives), registration for long term illness exemption (RR=1.29 [1.08-1.54]), treatment by insulin alone (RR=1.45 [1.21-1.74]) or by insulin and one or more oral antidiabetic drugs (RR=1.37 [1.12-1.68]) compared to a treatment based on one oral antidiabetic drug only, foot or renal complications (RR=1.97 [1.68-2.31]) and coronary complications (RR=1.39 [1.22-1.59]).

Conclusion –

Some determinants identified are widely modifiable. These results highlight the importance of prevention, which must involve appropriate therapeutic education in order to change lifestyles of people with type 2 diabetes, and improve the management of complications. This prevention must be adapted to the socio-economic profile of people with diabetes to reduce social inequalities observed in mortality linked with diabetes.

Introduction

Le diabète est une maladie chronique qui touchait plus de 420 millions d’adultes en 2014 dans le monde 1. En 2012, 1,5 million de décès étaient directement dus au diabète 1. En France, en 2009, plus de 34 000 certificats de décès mentionnaient un diabète parmi les causes multiples de décès (environ 6% des décès) 2. Cependant, le diabète est largement sous déclaré dans les certificats de décès. Dans le suivi à cinq ans de la cohorte Entred 2001 (Échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques), le diagnostic de diabète n’était ainsi mentionné que dans 47% des certificats de personnes diabétiques pharmacologiquement traitées mentionnant des complications directement liées au diabète 3. Cette forte sous-déclaration est également décrite dans la littérature internationale 4.

La mortalité des personnes diabétiques reste élevée en France, malgré une diminution observée des taux de décès standardisés sur l’âge de 26% chez les hommes et 11% chez les femmes, entre deux périodes de suivi des cohortes Entred (janvier 2002-décembre 2006 et août 2007-juillet 2012) 5. Par rapport à la population générale, la surmortalité des personnes diabétiques est importante dans la littérature internationale 6,7 comme en France où la surmortalité à cinq ans est estimée à 30% chez les hommes et 50% chez les femmes 5.

Dans ce contexte, la compréhension des déterminants de la mortalité des personnes diabétiques est essentielle. Or, ces déterminants ont été peu étudiés en France. Un suivi sur cinq ans de la cohorte française Entred 2001 avait permis une première analyse, avec une puissance limitée par le nombre de décès observés (n=361) 3,8.

L’objectif de l’étude présentée ici était d’étudier les déterminants de la mortalité de personnes diabétiques de type 2 à partir du suivi de 2002 à 2013 de l’ensemble des deux cohortes Entred 2001 et Entred 2007.

Population et méthodes

Les études Entred

Entred 2001 et Entred 2007 sont deux cohortes indépendantes, comprenant respectivement 10 000 et 8 950 personnes, tirées au sort en 2001 et 2007 à partir des bases de consommation médicale de l’Assurance maladie parmi les personnes traitées pharmacologiquement pour diabète. La méthodologie précise de ces études a été détaillée dans des publications antérieures 3,8,9,10,11.

Notre population d’étude (N=7 218) correspond à l’ensemble des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire des études Entred 2001 (n=3 324) et Entred 2007 (n=3 894).

La période de suivi s’étend de la date d’envoi des questionnaires (janvier 2002 pour Entred 2001 et octobre 2007 pour Entred 2007) à la date de recherche du statut vital (février 2013). Le statut vital a été recherché dans le répertoire national d’identification des personnes physiques (Insee) et a pu être déterminé dans 97,5% des cas. Lorsque le statut vital n’a pas été retrouvé (n=181), le participant a été considéré comme perdu de vue et la durée de son suivi a été arrêtée à la date de réception de son auto-questionnaire.

Les données

Les données recueillies proviennent de plusieurs sources complémentaires : des données médico-administratives (consommation médicale, statut vital) et des questionnaires (auto-questionnaire patient et questionnaire médecin-soignant).

L’âge, le sexe, le fait de bénéficier d’une affection de longue durée (ALD) et le traitement antidiabétique proviennent des bases de consommation médicale de l’Assurance maladie.

L’ancienneté du diabète, la profession et la catégorie socioprofessionnelle (PCS), les facteurs de risque vasculaire (hypertension artérielle, dyslipidémie, tabagisme et surpoids – indice de masse corporelle (IMC) compris entre 25 et 29 kg/m2 – obésité non morbide – IMC compris entre 30 et 34 kg/m2 – et morbide – IMC ≥35 kg/m2), les antécédents de complications coronaires (infarctus du myocarde, angor, revascularisation coronaire) et podologiques (mal perforant plantaire, amputation) ou rénales (dialyse, greffe rénale) sont issus des auto-questionnaires patients.

Les autres facteurs de risque vasculaire (consommation d’alcool, niveaux de contrôle du LDL-cholestérol, de la tension artérielle et de l’hémoglobine glyquée) et les autres complications (accident vasculaire cérébral, non perception du monofilament) sont issus des questionnaires médecin-soignant.

Le type de diabète a été défini par un algorithme épidémiologique classant les personnes comme diabétiques de type 1 ou de type 2, hors type de diabète particulier mentionné par le médecin. Ont été considérés comme diabétiques de type 1 les participants dont le diabète a été diagnostiqué avant 45 ans et dont l’insulinothérapie a été débutée dans les deux ans suivant la découverte du diabète. Les analyses ont été restreintes aux personnes diabétiques de type 2.

Analyses statistiques

Après avoir étudié la distribution des caractéristiques des personnes diabétiques de type 2, nous avons calculé des taux de mortalité pour 1 000 personnes-années (PA), selon les variables décrites comme déterminants de la mortalité des personnes diabétiques de type 2 dans la littérature. Lorsque la fréquence des données manquantes des variables qualitatives dépassait 10%, une catégorie « Données manquantes » a été créée et analysée en tant que telle.

L’estimation de la survie a été effectuée en utilisant l’âge comme échelle de temps, dans les analyses bivariées (tests du Log-rank) et multivariées (modèle de Cox), afin de tenir compte du fait que seules les personnes ayant survécu jusqu’à la date d’inclusion contribuaient à l’estimation 12,13. Les modèles à risques proportionnels de Cox ont été construits en incluant les variables significatives (p<0,05) lors des analyses bivariées. Les variables qui n’étaient plus significatives en multivarié étaient exclues par la suite.

Certaines variables non significatives en bivarié ont été conservées dans le modèle (variables forcées) au vu de leur importance dans la littérature : l’ancienneté du diabète déclarée et la déclaration d’une hypertension artérielle. Le volet d’enquête, c’est-à-dire l’appartenance à la cohorte Entred 2001 ou Entred 2007, a également été forcé dans le modèle afin de prendre en compte un éventuel biais méthodologique lié à la mise en commun de données issues de deux volets d’enquête distincts. L’hypothèse de proportionnalité des risques a été vérifiée à l’aide de l’étude des résidus de Schoenfeld. Les interactions entre les covariables ont été testées.

Une analyse en sous-groupe a été réalisée à partir des participants pour lesquels l’auto-questionnaire patient et le questionnaire médecin-soignant étaient remplis.

Les analyses ont été réalisées avec les logiciels SAS Entreprise Guide® (v7.1) pour la gestion des données, les analyses descriptives et multivariées, et R (v 3.1) pour les analyses bivariées et l’étude de l’hypothèse de proportionnalité des risques.

Résultats

Parmi les 7 218 personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire, l’âge moyen à l’inclusion était de 65 ans (identique pour chacune des deux cohortes) et l’âge moyen au décès de 72 ans. Dans les cohortes Entred 2001 et Entred 2007, les temps de suivi médian étaient respectivement de 11 ans et 1 mois et de 5 ans et 4 mois, et les nombres de personnes décédées étaient respectivement de 1 002 et 522, soit au total 1 524 décès (21%). Les principales caractéristiques de l’ensemble des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire soit en 2001, soit en 2007, sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques à l’inclusion des cohortes Entred 2001 et Entred 2007 et taux de mortalité des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire patient (N=7 218), France
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Dans l’analyse multivariée (figure 1, modèle « patient »), par ordre décroissant de risque, une association statistiquement significative avec la mortalité des personnes diabétiques de type 2 était mise en évidence chez celles ayant une complication podologique ou rénale (risque relatif, RR=1,97, IC95%: [1,68-2,31]) et chez les personnes ayant une obésité morbide (RR=1,76 [1,43-2,18]) ou non morbide (RR=1,21 [1,02-1,43]). Le risque de décès était significativement plus élevé chez les hommes (RR=1,76 [1,53-2,02]) et chez les personnes ayant déclaré fumer (RR=1,49 [1,26-1,77]). Le risque de décès était également plus élevé chez les personnes traitées par insuline seule (RR=1,45 [1,21-1,74]) ou insuline associée à un ou des antidiabétiques oraux (ADO) (RR=1,37 [1,12-1,68]) par rapport à celles traitées par seulement un ADO, ainsi que chez les personnes ayant une complication coronaire (RR=1,39 [1,22-1,59]). Le risque de décès était également significativement plus élevé chez les ouvriers (RR=1,36 [1,11-1,67]) et chez les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (RR=1,30 [1,02-1,65]) que chez les cadres, ainsi que chez les personnes prises en charge pour ALD (RR=1,29 [1,08-1,54]). Enfin, les personnes dont le diabète avait été découvert à la suite de symptômes (RR=1,19 [1,03-1,37]) avaient un risque relatif plus élevé par rapport à celles dont le diagnostic de diabète avait été posé suite à un dépistage.

Le risque de décès était significativement moins élevé chez les personnes ayant déclaré une dyslipidémie (RR=0,80 [0,71-0,9]). Les associations entre l’hypertension artérielle, l’ancienneté du diabète, le fait d’avoir déclaré au moins 3 hypoglycémies sévères au cours des trois derniers mois et la mortalité n’étaient pas significatives.

Concernant les deux enquêtes Entred, le risque de décès était significativement moins élevé chez les participants à l’enquête Entred 2007. Aucune interaction significative n'a été observée entre les variables prises en compte dans l’analyse multivariée.

Figure 1 : Déterminants de la mortalité des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire patient d’une des deux cohortes Entred (France) : modèle « patient » § (n=6 010)
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Dans le sous-groupe des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire et pour lesquelles le médecin a aussi répondu à un questionnaire (n=3 785), 705 personnes (soit 19%) étaient décédées pendant la période de suivi. Les âges moyens à l’inclusion et au décès étaient identiques à ceux de la population totale de notre étude. Les principales caractéristiques de ce sous-groupe de personnes diabétiques de type 2 sont présentées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Caractéristiques à l’inclusion des cohortes Entred 2001 et Entred 2007 (France) et taux de mortalité des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire patient et dont le médecin a répondu au questionnaire médecin-soignant (n=3 785)
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Dans l’analyse multivariée effectuée dans ce sous-groupe (figure 2, modèle « médecin »), parmi les déterminants auto-déclarés de la mortalité, le volet d’enquête, la modalité de traitement, l’IMC, la consommation de tabac, la dyslipidémie ainsi que les complications coronaire et podologique ou rénale restaient significativement associées au risque de décès. Parmi les caractéristiques déclarées par le médecin, le risque de décès des personnes diabétiques de type 2 était significativement plus élevé chez les personnes consommant de l’alcool (RR=1,47 [1,17-1,86]) par rapport à celles n’en consommant pas et chez les personnes ayant un antécédent d’accident vasculaire cérébral (RR=1,48 [1,09-2,01]). Les niveaux de contrôle du LDL-cholestérol, de la tension artérielle et de l’hémoglobine glyquée n’étaient pas associés significativement au risque de décès en multivarié.

Figure 2 : Déterminants de la mortalité des personnes diabétiques de type 2 ayant répondu à l’auto-questionnaire patient et dont le médecin a répondu au questionnaire médecin-soignant d’une des deux cohortes Entred (France) : modèle « médecin » § (n=3 072)
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Discussion

Les cohortes Entred 2001 et Entred 2007 permettent d’étudier un suivi de la mortalité des personnes diabétiques et de ses déterminants en France sur une période allant de 2002 à 2013.

Notre étude a permis de mettre en évidence une association entre la mortalité des personnes diabétiques de type 2 et certains déterminants modifiables. L’effet néfaste du tabac et de la consommation d’alcool sur la mortalité est fortement confirmé par notre étude chez les personnes diabétiques de type 2 14,15. Toutefois, l’information concernant la consommation d’alcool est déclarée par le médecin et donc potentiellement soumise à un biais de déclaration important. L’obésité, et plus encore l’obésité morbide, sont également d’importants déterminants de la mortalité 15. De nombreuses études internationales indiquent un risque de décès plus élevé chez les personnes diabétiques de type 2 obèses, notamment en cas d’obésité abdominale et en cas de prise de poids 15,16,17. Le retard au diagnostic est également associé à un plus fort risque de décès lorsque le diagnostic de diabète est posé à la suite de symptômes et non lors d’un dépistage.

D’autres déterminants étaient associés au risque de décès, comme le sexe masculin et le niveau socioéconomique : un risque de décès plus important est observé chez les ouvriers et dans la catégorie des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, par rapport aux cadres. Ces déterminants sont retrouvés dans l’analyse de la mortalité du suivi sur cinq ans de la cohorte française Entred 2001 3 et dans la littérature internationale 14,15. Un lien a déjà été mis en évidence, à partir d’Entred 2007, entre les inégalités sociales de santé et l’état de santé des personnes diabétiques de type 2 (facteurs de risque vasculaire, complications), ainsi qu’avec le retard au diagnostic, la prise en charge et le contrôle du diabète 18. Par ailleurs, une intensification du traitement antidiabétique 3,19 est associée à un plus fort risque de décès. Enfin, avoir des antécédents de complications 20 et une prise en charge pour ALD sont significativement associés à un plus fort risque de décès.

L’âge n’est pas mentionné ici comme déterminant de la mortalité car son effet a été pris en compte par son utilisation comme échelle de temps dans l’estimation de la survie.

Notre étude a également mis en évidence une association négative entre mortalité et dyslipidémie auto-déclarée, déjà retrouvée dans la littérature 14. L’explication de cet effet pourrait provenir de la nature déclarative de la variable. L’absence de déclaration proviendrait de personnes non dyslipidémiques, mais aussi de personnes dyslipidémiques non traitées, voire non diagnostiquées, ce qui correspondrait à un moins bon pronostic. Toutefois, l’absence de significativité de l’association entre le niveau de contrôle de LDL-cholestérol et la mortalité ne conforte pas cette dernière hypothèse. Cette association nécessite d’autres investigations.

L’ancienneté du diabète est liée à la gravité de la maladie 15,21 et cette association est retrouvée en analyse bivariée. Cependant, l’ancienneté du diabète dans le modèle multivarié n’est pas associée significativement à la mortalité, ce qui pourrait s’expliquer par une forte colinéarité avec d’autres variables (notamment les modalités du traitement antidiabétique et l’existence de complications). Néanmoins, au vu de son importance dans l’état de santé des personnes diabétiques, l’ancienneté du diabète a été conservée dans le modèle multivarié.

Avoir déclaré au moins trois hypoglycémies sévères au cours des trois derniers mois n’était pas associé significativement à la mortalité. Toutefois, cette absence de significativité est à mettre en regard du manque de fiabilité de cette information, dû à la difficulté de son recueil.

D’autres déterminants de la mortalité sont retrouvés dans la littérature internationale, mais n’ont pas pu être étudiés, notamment le niveau d’albuminurie. L’albuminurie est un marqueur de l’atteinte rénale, mais est peu dosée en France : seulement 20 à 30% des personnes diabétiques traitées pharmacologiquement avaient bénéficié d’au moins un dosage recommandé d’albuminurie dans les enquêtes Entred 2001 et Entred 2007 22. L’association de l’atteinte rénale et de la mortalité est retrouvée ici grâce à l’étude de la déclaration d’antécédents de complications podologique ou rénale.

Lors de l’analyse multivariée, dans le sous-groupe des personnes pour lesquelles le médecin a répondu au questionnaire, l’absence d’association significative entre la mortalité et certains déterminants est possiblement davantage liée à un manque de puissance statistique qu’à une absence d’association, notamment pour le niveau de contrôle lipidique et d’hémoglobine glyquée.

Par ailleurs, le risque de décès était significativement moins élevé chez les participants à l’enquête Entred 2007 que chez les participants à l’enquête Entred 2001. Cette association est cohérente avec les résultats mis en évidence par L. Mandereau et coll. 5 sur la diminution de la mortalité entre les deux périodes d’étude des cohortes Entred. En parallèle, la comparaison des enquêtes Entred 2001 et Entred 2007 23 a mis en évidence, chez les personnes diabétiques de type 2, une amélioration de certains facteurs de risque vasculaire (hypertension artérielle, niveau de contrôle de LDL-cholestérol et d’hémoglobine glyquée) et, à l’inverse, une dégradation d’autres facteurs (augmentation de la fréquence de l’obésité, tabagisme restant fréquent chez les jeunes) ainsi qu’une légère augmentation de la fréquence des complications. Néanmoins, l’absence d’interaction entre le volet d’enquête et les déterminants étudiés n’a pas permis de mettre en évidence une évolution de l’impact de ces déterminants sur la mortalité entre les deux périodes de suivi des cohortes Entred. Plus spécifiquement, l’absence d’interaction entre le volet d’enquête et le niveau socioéconomique n’a pas permis de mettre en évidence une réduction des inégalités sociales des personnes diabétiques face à la mortalité.

Il n’a pas été retrouvé d’association significative entre le pays de naissance des participants et la mortalité, et le taux de mortalité était plus faible chez les personnes nées à l’étranger dans les analyses bivariées. Toutefois, ces résultats sont à mettre en regard du manque de fiabilité connu 24 du statut vital des personnes nées à l’étranger. Une analyse de sensibilité a été réalisée dans notre étude en excluant les personnes nées à l’étranger et les résultats sont restés stables.

Une limite de notre étude concerne l’hétérogénéité entraînée par l’association des données de deux volets des enquêtes Entred. Ainsi, la définition des personnes diabétiques diffère légèrement entre les deux volets : au moins un remboursement de médicament antidiabétique oral et/ou d’insuline au cours du trimestre précédant le tirage au sort lors d’Entred 2001 et au moins trois remboursements de médicaments antidiabétiques oraux et/ou d’insuline au cours de l’année précédant le tirage au sort lors d’Entred 2007. En outre, Entred 2007 inclut des bénéficiaires du Régime social des indépendants (RSI) en plus des bénéficiaires du régime général de l’Assurance maladie, seuls inclus en 2001. Dans le cadre de l’étude des déterminants de la mortalité, l’hétérogénéité de ces deux populations à l’inclusion n’a qu’une faible influence sur l’interprétation de nos résultats en raison de la grande similitude des méthodologies des deux volets d’enquête et de l’ajustement des analyses multivariées sur la variable « volet d’enquête ».

La principale limite de notre étude est le biais de sélection dû à la réponse à l’auto-questionnaire patient (36% en 2001 et 48% en 2007) et au questionnaire médecin-soignant (respectivement 47% et 62%). Les biais de non-réponse ont toutefois été étudiés 11,25 : les non-répondants étaient plus âgés, plus souvent des hommes, leur recours aux soins (consultations de spécialistes libéraux, suivi biologique) était globalement moins fréquent et leur statut socioéconomique (bénéficiaire de la CMU) moins favorisé que celui des répondants. L’étude des déterminants de la mortalité des personnes diabétiques de type 2 est donc réalisée ici sur un échantillon plus favorisé et mieux pris en charge. De plus, la fréquence des données manquantes de certaines variables est non négligeable, induisant des biais potentiels. Afin de limiter ces biais, des catégories spécifiques ont alors été créées pour conserver ces données dans l’analyse.

Toutefois un point fort de l’étude concerne le large échantillon issu de l’association des données des deux cohortes Entred 2001 et Entred 2007, permettant une puissance statistique importante.

Enfin, une étude utilisant des méthodes de survie nette pourrait déterminer la part spécifique du diabète dans l’association entre la mortalité et ses déterminants chez les personnes diabétiques, en comparaison à la population générale.

En conclusion, cette étude met en évidence une association entre la mortalité chez les personnes diabétiques de type 2 et le sexe masculin, des marqueurs de gravité de la maladie (l’existence de complications, l’intensité du traitement et la prise en charge pour ALD), le niveau socioéconomique (avec un sur-risque chez les ouvriers et chez les artisans, commerçants et chefs d’entreprise), ainsi qu’avec des déterminants largement modifiables comme l’obésité, et notamment l’obésité morbide, la consommation de tabac et d’alcool et un retard au diagnostic. Ces résultats rappellent l’importance de la prévention, qui doit passer par une éducation thérapeutique adaptée, afin de modifier le mode de vie des personnes diabétiques de type 2 et d’améliorer la prise en charge des complications. Cette prévention doit être adaptée au profil socioéconomique de la personne diabétique afin de réduire les inégalités sociales observées dans la mortalité liée au diabète.

Références

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Citer cet article

Piffaretti C, Fagot-Campagna A, Rey G, Antero-Jacquemin J, Latouche A, Mandereau-Bruno L, et al. Déterminants de la mortalité des personnes diabétiques de type 2. Cohortes Entred, France, 2002-2013. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(37-38):681-90. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/37-38/2016_37-38_3.html