L’exposition à la fumée de tabac dans les lieux à usage collectif et les lieux de convivialité en France en 2014

// Secondhand smoke exposure in public places and conviviality places in France in 2014

Anne Pasquereau1 (anne.pasquereau@santepubliquefrance.fr), Romain Guignard1, Raphaël Andler1, Jean-Baptiste Richard1, Pierre Arwidson1, François Beck², Viêt Nguyen-Thanh1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, France
Soumis le 03.03.2016 // Date of submission: 03.03.2016
Mots-clés : Tabac | Tabagisme passif | Exposition à la fumée de tabac | Interdiction de fumer
Keywords: Tobacco | Passive smoking | Secondhand smoke exposure | Smoking bans

Résumé

Introduction –

Le nombre de décès liés au tabagisme passif en France a été estimé à 1 100 chaque année. L’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif et les lieux de convivialité a été instaurée en France en 2007 et 2008. Il est important d’en suivre les conséquences sur l’exposition des Français à la fumée de tabac.

Méthodes –

En 2014, des questions sur l’exposition à la fumée de tabac des autres sur le lieu de travail, les lieux d’enseignement et dans les lieux de convivialité ont été ajoutées au Baromètre santé, enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de la population française de 15 à 75 ans.

Résultats-discussion –

Les résultats sont présentés pour chaque lieu.

1) Les lieux de travail (intérieur des locaux) ne sont pas totalement non-fumeurs : 15% des actifs occupés déclaraient avoir été exposés à la fumée de tabac des autres au moins une fois au cours des 30 derniers jours.

2) Près des trois quarts des élèves et étudiants de plus de 15 ans déclaraient avoir été exposés à la fumée de tabac des autres « à l’école, au lycée, à l’université », sans précision sur le lieu exact (intérieur ou extérieur). Les expositions aux abords des établissements ont été probablement en partie comptabilisées ici ; ce résultat reste néanmoins préoccupant.

3) Parmi les 15-75 ans qui ont fréquenté ces lieux au cours des 30 derniers jours, 9% ont déclaré avoir été exposés à la fumée de tabac au moins une fois au restaurant, 30% dans les cafés, bars, pubs, et 40% dans les discothèques. Ces données pour les lieux de convivialité, à la hausse par rapport à celles relevées dans le cadre de l’enquête International Tobacco Control (ITC) de fin 2012, semblent suggérer un recul de l’application de la législation. Cette interprétation est cependant à prendre avec précaution, les questions n’étant pas identiques.

Abstract

Background –

The annual estimated number of deaths due to secondhand smoke exposure is 1,100 in France. Smoking bans in public places were introduced in France in 2007 and 2008, and it is important to measure their impact on secondhand smoke exposure.

Methods –

In 2014, questions about secondhand smoke exposure in the workplaces, educational institutions, restaurants and bars were added to the Health Barometer, a cross-sectional survey conducted among a representative sample of the French population aged 15-75 years.

Results-discussion –

The results are presented for each place.

1) Indoor workplaces are not totally smoke-free, as 15% of employees reported that they had been exposed to secondhand smoke at least once over the last 30 days.

2) Nearly three-quarters of pupils and students over 15 years old reported that they had been exposed to secondhand smoke «at school, at high school, at university», without specification of the exact location (inside or outside). Although this estimation probably partially includes exposure near the institutions, it remains worrying.

3) Among the 15-75 year-olds who attended those places, 9% reported they had been exposed to tobacco smoke at least once inside restaurants over the last 30 days, 30% in cafes, bars, pubs, and 40% in nightclubs. Those proportions for restaurants and bars are higher than those of the International Tobacco Control (ITC) survey in 2012, which may suggest a significant regress in the application of the legislative ban. Yet, this finding is to be taken with caution as questions differ between surveys.

Introduction

Le tabagisme passif est le fait d’inhaler involontairement la fumée dégagée par un ou plusieurs fumeurs. Des études épidémiologiques ont montré que le tabagisme passif comporte des risques pour la santé : il est susceptible d’aggraver des pathologies existantes et d’en causer de nouvelles 1,2, ces risques variant avec la durée et l’intensité de l’exposition. Le tabagisme passif augmente notamment de 27% le risque de cardiopathie ischémique 1 et d’environ 25% celui de cancer du poumon chez les non-fumeurs 3,4. Chez les enfants exposés, les risques d’infections respiratoires et d’asthme augmentent respectivement de 55% et 32%, et le risque de mort subite du nourrisson est multiplié par 2,1 5,6. Le nombre de décès lié à l’exposition à la fumée de tabac a été estimé, en France, à 1 100 chaque année 7.

Les lois pour un environnement sans tabac ont montré leur efficacité à travers le monde pour réduire les risques liés au tabagisme passif. Elles ont permis de diminuer significativement l’incidence de pathologies cardiovasculaires et la mortalité par pathologies attribuables au tabagisme 8, même si un tel effet n’a pas pu être mesuré en France, où la Loi Évin avait restreint, dès 1991, la possibilité de fumer dans les lieux publics 9. L’article 8 de la convention-cadre de lutte anti-tabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ratifiée par la France en 2004, insiste ainsi sur la nécessité de protection contre l’exposition à la fumée du tabac et de mise en œuvre de mesures d’interdiction du tabac dans les lieux publics 10.

En France, l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif a été instaurée en deux temps 11,12 : en février 2007 pour les lieux de travail, les lieux fermés et couverts qui accueillent du public (aéroports, gares, centres commerciaux, hôpitaux, universités…), les moyens de transports collectifs, et tous les espaces (couverts et non couverts) des écoles, collèges et lycées puis, en janvier 2008, pour les restaurants, cafés, bars, casinos, hôtels et discothèques. Entre 2004 et 2006, des campagnes de sensibilisation de la population aux risques du tabagisme passif ont été diffusées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) (1), messages également diffusés par le monde associatif.

Il est très important de pouvoir mesurer l’acceptabilité et le respect de telles mesures restrictives, notamment par le biais d’enquêtes en population. Le projet « International Tobacco Control » (ITC) a pour objectif d’évaluer les politiques de lutte antitabac par le suivi de cohortes dans plus de 20 pays. Le volet français de cette enquête est porté depuis 2006 par l’Inpes et l’Institut national du cancer (INCa). Trois vagues d’enquête ont déjà eu lieu : avant la mise en place de l’interdiction de fumer dans les lieux publics (fin 2006-début 2007), juste après (fin 2008) et presque 5 ans après (fin 2012). Elles ont montré que les lois antitabac ont permis de réduire considérablement le tabagisme passif sur les lieux de travail et dans les lieux de convivialité, même si un des enjeux est d’installer ces habitudes dans la durée, une légère augmentation ayant été constatée entre 2008 et 2012 dans les bars 13.

Depuis le début des années 1990, l’Inpes mène également une série d’enquêtes par questionnaire appelées « Baromètres santé », qui explorent différents comportements et attitudes de santé des Français, notamment leur consommation de tabac 14. En 2014, des questions sur l’exposition à la fumée de tabac sur le lieu de travail ou d’études et dans les lieux de convivialité ont été ajoutées. Nous proposons une analyse de ces données avec un double objectif : évaluer la proportion de Français exposés à la fumée de tabac d’une part, en distinguant les fumeurs des non-fumeurs, et documenter le respect de l’interdiction de fumer dans les lieux publics d’autre part.

Méthodes

L’échantillon des Baromètres santé est constitué par un sondage aléatoire à deux degrés (ménage puis individu). Les participants sont interviewés par téléphone. Les enquêteurs sont guidés par un système de Collecte assistée par téléphone et informatique (Cati). Le terrain du Baromètre santé 2014, confié à l’Institut Ipsos, s’est déroulé par téléphone du 11 décembre 2013 au 31 mai 2014 auprès d’un échantillon représentatif de la population des personnes âgées de 15 à 75 ans, résidant en France métropolitaine et parlant le français. Les numéros de téléphone ont été générés aléatoirement, l’individu étant également sélectionné au hasard au sein des membres éligibles du ménage. En cas d’indisponibilité, un rendez-vous téléphonique était proposé et, en cas de refus de participation, le ménage n’était pas remplacé. Quarante appels étaient effectués avant d’abandonner un numéro de téléphone.

En 2014, du fait de l’utilisation préférentielle du téléphone mobile par une partie de la population, y compris parmi ceux disposant d’une ligne fixe, deux échantillons « chevauchants » ont été constitués : l’un interrogé sur ligne fixe, l’autre sur téléphone mobile, sans filtre sur l’équipement téléphonique du ménage. L’échantillon comprenait au total 15 635 individus (7 577 sur téléphone fixe et 8 058 sur mobile). Le taux de participation a été de 61% pour l’échantillon des fixes et de 52% pour celui des mobiles. La passation du questionnaire a duré en moyenne 33 minutes.

Les données ont été pondérées par le nombre d’individus éligibles et de lignes téléphoniques au sein de chaque ménage, et calées sur les données de référence nationales de l’Insee les plus récentes, disponibles au moment de la préparation de la base de données, à savoir celles de l’Enquête Emploi 2012. Ce calage sur marges tient compte du sexe croisé avec la tranche d’âge, de la région de résidence, de la taille d’agglomération, du niveau de diplôme et du fait de vivre seul ou non.

La méthodologie détaillée de l’enquête et la présentation des évolutions méthodologiques sont disponibles par ailleurs 15.

Les questions portant sur le tabagisme passif dans les lieux publics permettent de faire un état des lieux sur l’exposition à la fumée de tabac déclarée au cours des 30 derniers jours au lycée/à l’université/à l’école, à l’intérieur des locaux pour le travail et, pour ceux qui les fréquentent, à l’intérieur des cafés/bars/pubs, des restaurants et des discothèques 16 (encadré 1).

Encadré 1 :
Questions du Baromètre santé 2014

Aux élèves et étudiants : Au cours des 30 derniers jours, avez-vous été exposé(e) à la fumée de tabac des autres, au lycée, à l’université, à l’école ?

Aux actifs occupés : Au cours des 30 derniers jours, avez-vous été exposé(e) à la fumée de tabac des autres, sur votre lieu de travail, à l’intérieur des locaux ?

Pour les cafés et pour les restaurants, à ceux qui les ont fréquentés au moins une fois au cours des 30 derniers jours : Lors d’une de ces visites, avez-vous été exposé(e) à la fumée de tabac des autres, à l’intérieur de l’établissement ? Cela inclut les terrasses à la fois couvertes et fermées.

À ceux qui ont fréquenté une discothèque au moins une fois au cours des 30 derniers jours : Lors d’une de ces visites, avez-vous été exposé(e) à la fumée de tabac des autres, à l’intérieur de l’établissement ?

Les analyses descriptives ont été menées pour étudier les liens entre variables (tests du Chi2). Des régressions logistiques ont été réalisées pour modéliser l’exposition à la fumée chez les fumeurs puis chez les non-fumeurs. Une personne était considérée comme exposée au cours des 30 derniers jours si elle l’était « De temps en temps » ou « Régulièrement » au travail ou à l’école, et si elle l’avait été au moins une fois lors d’au moins une visite dans les lieux de convivialité. Pour ces derniers, une fréquence d’exposition a été calculée en fonction de la fréquence de fréquentation des lieux et de l’exposition. Les variables explicatives suivantes ont été utilisées : sexe, âge, diplôme, revenus par unité de consommation (UC), situation professionnelle, profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS) de l’individu ou du chef de famille, type de foyer, taille d’agglomération. Le même modèle ayant été réalisé chez les fumeurs et les non-fumeurs, les différences entre les deux groupes sont décrites dans le texte. Pour l’exposition dans les cafés, bars, pubs, les restaurants et les discothèques, les modèles ont été réalisés parmi les personnes qui fréquentent ces lieux, pour ne pas mesurer les liens entre les caractéristiques individuelles et la fréquentation, mais bien uniquement avec l’exposition à la fumée.

Résultats

Tabagisme passif à l’école, au lycée, à l’université

En 2014, plus des trois quarts (76,8%) des lycéens et étudiants de plus de 15 ans ont déclaré avoir été exposés à la fumée de tabac des autres à l’école, au lycée, à l’université, au cours des 30 derniers jours, sans précision du lieu exact (à l’intérieur ou aux abords des établissements) (tableau 1). Plus de la moitié était exposée régulièrement (53,2%) et près d’un quart de temps en temps (23,6%).

Les fumeurs étaient plus souvent exposés (88,1%) que les non-fumeurs (70,1%). Cette exposition plus importante chez les fumeurs peut s’expliquer par un phénomène de groupe, les fumeurs sont amenés à se rassembler à l’intercours et sont ainsi exposés à la fumée des autres fumeurs du groupe. Davantage de jeunes femmes se disaient exposées à la fumée de tabac, alors qu’elles ne sont pas plus nombreuses à fumer que les hommes. Parmi les fumeurs, 79,0% des femmes déclaraient être exposées à la fumée régulièrement, contre 67,4% des hommes. Parmi les non-fumeurs, 46,8% des femmes déclaraient subir un tabagisme passif régulièrement contre 35,1% des hommes.

Tableau 1 : Exposition à la fumée de tabac des autres au cours des 30 derniers jours, parmi l’ensemble des 15-75 ans et selon le statut tabagique en 2014, France
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Tabagisme passif sur le lieu de travail

Parmi les personnes qui travaillaient en 2014, 15,5% ont déclaré avoir été exposées à la fumée de tabac des autres sur leur lieu de travail à l’intérieur des locaux au cours des 30 derniers jours, 7,9% de temps en temps et 7,6% régulièrement. Il n’y a pas de différence de déclaration entre fumeurs et non-fumeurs (tableau 1).

Les taux d’exposition au tabagisme passif sur le lieu de travail diffèrent selon la catégorie socioprofessionnelle (figure 1). Les ouvriers étaient les plus concernés (28,2%), tandis que les professions intermédiaires, les employés, et les agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise étaient exposés pour 11 à 16% et les cadres pour 7,1% d’entre eux.

Figure 1 : Exposition à la fumée de tabac des autres sur le lieu de travail, à l’intérieur des locaux, pour chaque catégorie socioprofessionnelle en 2014 (n=8 897), France
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En contrôlant par les caractéristiques de structure de la population, certains facteurs apparaissent associés au tabagisme passif sur le lieu de travail (tableau 2). Parmi les non-fumeurs, le tabagisme passif était moins fréquent chez les femmes (11,8%) que chez les hommes (19,0%). Il diminuait avec l’âge, passant de 30,2% chez les 15-24 ans à 13,5% chez les 55-64 ans. L’association avec la catégorie socioprofessionnelle est confirmée toutes choses égales par ailleurs. Parmi les non-fumeurs, 9,7% des diplômés d’un niveau supérieur au baccalauréat étaient exposés contre 17,7% des détenteurs du baccalauréat, et 19,4% des personnes sans diplôme ou ayant un diplôme inférieur au bac. Une augmentation du revenu par UC était également liée à une plus faible exposition : 21,9% des personnes faisant partie du tiers des revenus les moins élevés étaient exposées, contre 10,7% pour le tiers de la population avec les revenus les plus élevés. Le fait de résider dans l’agglomération parisienne était lié à une exposition légèrement plus élevée que dans les autres villes ou les zones rurales.

Chez les fumeurs, comme chez les non-fumeurs, l’exposition était plus élevée parmi les hommes, et diminuait avec l’âge. Les fumeurs détenteurs d’un diplôme supérieur au bac étaient moins souvent exposés que les titulaires d’un bac ou d’un diplôme inférieur. Un revenu plus important était également lié à une plus faible exposition.

Tableau 2 : Facteurs associés à l’exposition à la fumée de tabac des autres sur le lieu de travail à l’intérieur des locaux (pourcentages d’exposition et régressions logistiques). France, 2014
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Tabagisme passif dans les lieux de convivialité (2)

Afin de mesurer le tabagisme passif dans les lieux de convivialité à l’intérieur des établissements, la part des personnes exposées à la fumée de tabac des autres a été calculée parmi celles qui fréquentent les différents lieux (tableau 1). Cet indicateur permet de mesurer le respect de l’interdiction de fumer dans les lieux de convivialité, six ans après sa mise en place. En 2014, parmi les personnes qui se sont rendues dans un restaurant au cours des 30 jours précédant l’interview, soit 69,5% de la population, 8,7% ont été exposées à la fumée de tabac à l’intérieur de l’établissement, proportion plus élevée chez les fumeurs (11,0%) que chez les non-fumeurs (7,6%). Une exposition moins de 3 fois au cours des 30 derniers jours a été déclarée par 4,5% des personnes interrogées et 4,2% ont déclaré avoir été exposées 3 fois ou plus. Parmi les personnes qui sont allées dans un café, un bar ou un pub, soit 47,2% de la population, 3 sur 10 ont été exposées à la fumée en intérieur, 34,4% parmi les fumeurs et 27,2% parmi les non-fumeurs. Une exposition moins de 3 fois au cours des 30 derniers jours a été déclarée par 13,9% des enquêtés et 16,3% ont déclaré avoir été exposés 3 fois ou plus. Le tabagisme passif à l’intérieur des discothèques concernait 4 personnes sur 10, parmi les 9,4% de la population qui les ont fréquentées, avec une exposition plus forte chez les fumeurs (47,5%) que chez les non-fumeurs (30,6%). L’exposition à la fumée de tabac des autres diminuait avec l’âge pour chacun des trois lieux. Chez les non-fumeurs, elle est passée par exemple de 43,5% parmi les 15-24 ans à 14,6% parmi les 65-75 ans dans les cafés, bars, pubs (figures 2a et 2b). Malgré les lois d’interdiction de fumer dans les lieux publics entrées en vigueur en France en 2008, 6 ans après, ces taux d’exposition élevés suggèrent une certaine fragilité quant au respect des interdictions de fumer dans les lieux publics.

Figure 2 : Exposition à la fumée de tabac des autres à l’intérieur des cafés/bars/pubs (n=7 672), des restaurants (n=11 454) et des discothèques (n=1 392), selon l’âge, parmi les fumeurs (2a) et parmi les non-fumeurs (2b), parmi les personnes de 15-75 ans qui ont fréquenté chaque lieu en 2014, France
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Parmi les personnes qui fréquentaient les lieux de convivialité, et après ajustement sur les principales caractéristiques de la population, certains facteurs sont associés à l’exposition au tabagisme passif (tableau 3). Parmi les non-fumeurs qui vont au restaurant, dans des bars, cafés et en discothèque, on observe une baisse de l’exposition avec l’âge, toutes choses égales par ailleurs. Il ne s’agit pas seulement d’une baisse de fréquentation mais aussi d’une différence dans les lieux fréquentés et les comportements, les plus jeunes ne fréquentant certainement pas les mêmes lieux que leurs aînés. Le tabagisme passif dans les bars et restaurants (mais pas en discothèque) était plus élevé dans les grandes agglomérations. Dans les cafés, bars, pubs, 19,5% des non-fumeurs vivant dans des communes rurales ou de moins de 20 000 habitants étaient exposés à la fumée, 24,5% pour ceux vivant dans les communes de 20 000 à moins de 100 000 habitants, 32,5% pour ceux vivant dans des villes de plus de 200 000 habitants et enfin 35,8% dans l’agglomération parisienne. Cette différence entre grandes villes et milieu rural peut laisser penser que la norme sociale est plus favorable au tabagisme dans les lieux de convivialité des grandes villes ; cette hypothèse reste à vérifier.

Tableau 3 : Facteurs associés à l’exposition à la fumée de tabac des autres dans les lieux publics parmi les personnes qui les fréquentent (pourcentages d’exposition et régressions logistiques), France, 2014
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Chez les fumeurs, comme chez les non-fumeurs, plus l’âge est élevé, plus l’exposition à la fumée de tabac des autres dans tous les lieux de convivialité est faible. L’exposition dans les cafés et restaurants était également associée à la taille de l’agglomération : dans les cafés, la part de fumeurs exposés à la fumée des autres passe de 27,3% dans les communes rurales ou petites communes, à 39,8% pour les villes de 200 000 habitants ou plus et 43,7% pour Paris. Parmi les fumeurs, le niveau de diplôme était associé à l’exposition à la fumée dans les cafés, bars, pubs, avec une exposition plus importante pour les détenteurs du baccalauréat. Par ailleurs, parmi les fumeurs allant au restaurant, un revenu plus élevé était associé à une exposition à la fumée plus fréquente.

Afin de mesurer le niveau d’exposition à la fumée de tabac à l’échelle de la population française, la proportion de personnes exposées a été calculée parmi l’ensemble des 15-75 ans, les personnes qui ne se rendent pas dans les lieux de convivialité étant ainsi considérées comme non exposées. En 2014, 6,0% des 15-75 ans ont déclaré avoir été exposés à la fumée de tabac des autres à l’intérieur des restaurants, au moins une fois au cours des 30 derniers jours. Cette proportion s’élevait à 7,3% pour les fumeurs et 5,4% pour les non-fumeurs (tableau 1). Concernant les cafés, bars, pubs, 14,2% de la population déclaraient avoir été exposés à la fumée de tabac des autres à l’intérieur des établissements au cours des 30 derniers jours (19,2% des fumeurs et 11,6% des non-fumeurs). En 2014, 3,8% des Français déclaraient une exposition à la fumée de tabac des autres à l’intérieur des discothèques au cours des 30 derniers jours, 7,0% des fumeurs et 2,0% des non-fumeurs.

Discussion

En 2014, au sein de la population de France métropolitaine, une proportion importante d’individus a déclaré être exposée à la fumée de tabac au travail (15,5% des actifs occupés), dans les établissements scolaires ou de l’enseignement supérieur (76,8% des élèves, lycéens, étudiants de plus de 15 ans) ou dans les lieux de convivialité (6,0% des 15-75 ans en ce qui concerne les restaurants, 14,2% d’entre eux pour les bars, cafés et pubs). La population était particulièrement exposée au travail parmi les ouvriers, sur les lieux d’enseignement, et dans les cafés, bars, pubs.

Pourtant, d’après les enquêtes ITC réalisées en France avant et après l’interdiction, le soutien aux mesures est fort et a fortement augmenté depuis 2006, les fumeurs les soutenant presqu’autant que les non-fumeurs. L’interdiction de fumer dans les cafés était ainsi soutenue par 78% des fumeurs et 88% des non-fumeurs, et dans les restaurants par 87% des fumeurs et 94% des non-fumeurs 13. La majorité des fumeurs sont conscients des risques liés au tabagisme passif : plus de 90% déclarent savoir que le tabagisme passif cause le cancer du poumon chez les non-fumeurs et l’asthme chez l’enfant 17.

Étudier l’évolution des comportements et du niveau d’exposition des Français à la fumée n’est pas aisé car cela nécessite de comparer des chiffres obtenus grâce à des enquêtes aux méthodes et formulations de questions différentes.

Plus des trois quarts des élèves, lycéens et étudiants de plus de 15 ans déclarent avoir été exposés à la fumée des autres sur les lieux d’enseignement, l’exposition étant ainsi 5 fois plus élevée que sur les lieux de travail. Cet indicateur était disponible pour la première fois en 2014 et n’a donc pas permis d’étudier une évolution. La formulation de la question, sans précision sur le lieu exact de l’exposition (à l’intérieur ou à l’extérieur des établissements) conduit vraisemblablement les élèves interrogés à comptabiliser les expositions constatées aux abords de l’établissement, notamment lors des intercours. La formulation de la question ne permet pas non plus de faire la distinction entre une exposition dans les lieux où il est interdit de fumer (à l’intérieur et l’extérieur des locaux au sein des écoles et lycées, à l’intérieur des locaux des universités) et les lieux où fumer est autorisé (à l’extérieur des locaux au sein des universités, comme par exemple, les cours intérieures et les espaces verts). Malgré ces réserves, ce résultat reste préoccupant et appelle probablement une action concertée, voire conjointe, de la part des ministères chargés de la Santé et de l’Éducation nationale.

La part de la population des actifs occupés exposée au tabagisme passif sur le lieu de travail est équivalente selon les données du Baromètre santé 2014 et celles de l’enquête ITC de 2012, autour de 15%. Les questions sont similaires dans les deux enquêtes. L’exposition déclarée a nettement diminué depuis l’interdiction : elle s’élevait début 2007 à 48% chez les fumeurs et à 41% chez les non-fumeurs. Elle reste cependant élevée parmi les ouvriers avec 28,2% déclarant une exposition à la fumée sur le lieu de travail.

Concernant les lieux de convivialité, il est plus complexe de rendre compte des évolutions.

Pour les discothèques, les fumoirs installés à l’intérieur des établissements lors de la mise en œuvre de l’interdiction en janvier 2008 peuvent expliquer le chiffre élevé obtenu dans le cadre du Baromètre santé 2014 (40,1% de ceux qui ont fréquenté ces lieux ont déclaré y avoir été exposés à la fumée), la question précisant bien « à l’intérieur de l’établissement ».

Concernant les bars, cafés et restaurants, les enquêtes ITC réalisées en France avant et après l’interdiction avaient montré que la part de la population exposée au tabagisme passif avait fortement diminué entre 2006 et 2012. Pour ceux qui ont fréquenté café, bar, restaurant au cours des six derniers mois, la question des enquêtes ITC était la suivante : « La dernière fois que vous y êtes allé(e), les gens fumaient-ils à l’intérieur ? / Avez-vous fumé à l’intérieur ? ». En 2007, 97% des personnes interrogées déclaraient avoir vu fumer ou avoir fumé dans les cafés et les bars lors de leur dernière visite ; en 2012, cette proportion était de 6,4% chez les fumeurs et 7,9% chez les non-fumeurs. Dans les restaurants, en 2007, 70,8% des personnes interrogées avaient vu quelqu’un fumer ou avaient fumé lors de leur dernière visite ; en 2012, cette proportion était de 0,7% chez les fumeurs et 2,1% chez les non-fumeurs. Ces enquêtes montraient une légère hausse de l’exposition à la fumée de tabac dans les bars entre 2008, juste après l’interdiction, et 2012.

La comparaison de la proportion d’individus fréquentant les lieux de convivialité et exposés à la fumée en 2012 (données ITC) et 2014 (données du Baromètre santé) fait apparaître une tendance à la hausse : de 6,9% à 30,2% dans les cafés et bars, de 1,5% à 8,7% dans les restaurants.

Rappelons cependant que les questions ne sont pas posées de la même façon, ni sur la même période, dans les deux enquêtes. De plus, la distinction, dans le cadre de la loi, entre les terrasses couvertes et fermées, où il est interdit de fumer, et les terrasses non couvertes ou comportant une façade ouverte, où il est autorisé de fumer, a conduit à préciser la question du Baromètre santé : « Cela inclut les terrasses couvertes et fermées » (encadré 2). Ceci peut avoir entraîné une confusion pour les personnes interrogées et conduit à une surestimation de l’exposition à la fumée de tabac dans les cafés et restaurants en 2014 : une partie des comportements tabagiques observés en terrasse ouverte ont ainsi pu être comptabilisés.

L’essor de la cigarette électronique en France depuis 2012 peut également avoir apporté un élément de confusion. Visuellement, la vapeur de la cigarette électronique ressemble à la fumée de cigarette, ce qui a pu entraîner une sur-déclaration de l’exposition et peut peut-être expliquer une partie de la hausse observée depuis ITC. Cependant, la question précisant bien « la fumée de tabac », reconnaissable par son odeur, la confusion est sans doute limitée.

Malgré cette probable surestimation, l’exposition à la fumée est élevée parmi les personnes qui fréquentent les lieux de convivialité, ce qui suggère un problème d’exposition de la population à la fumée, d’une part, et de non-respect de l’interdiction de fumer dans les lieux de convivialité, d’autre part. L’élargissement du nombre de corps de contrôle habilités inscrit dans la loi de modernisation du système de santé permettra probablement d’assurer un meilleur respect de la législation : celle-ci prévoit en effet l’habilitation des agents de Police municipale, des gardes champêtres, des agents de surveillance de Paris ainsi que des agents de la ville de Paris chargés d’un service de police mentionné à réaliser des contrôles 18. La poursuite de l’information du public sur les risques liés au tabagisme passif, ciblée sur les lieux de convivialité où la population est la plus exposée, pourrait également être utile : les enquêtes ITC, qui sont réalisées dans plusieurs pays, ont en effet permis de montrer que les fumeurs qui soutiennent l’interdiction, sont conscients des nuisances du tabagisme passif et ont une opinion générale négative sur le fait de fumer, fument moins dans les bars 19.

Encadré 2 :
Extraits des textes publiés au Journal officiel

Décret n°2006-1386 du 15 novembre 2006 modifié fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif 11

« Art. R. 3511-1. – L’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif mentionnée à l’article L. 3511-7 s’applique :

1-Dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail ;

2-Dans les moyens de transport collectif ;

3-Dans les espaces non couverts des écoles, collèges et lycées publics et privés, ainsi que des établissements destinés à l’accueil, à la formation ou à l’hébergement des mineurs.

4-Dans les aires de jeux telles que définies par le décret n°96-1136 du 18 décembre 1996 fixant les prescriptions de sécurité relatives aux aires collectives de jeux.

Art. R. 3511-2. L’interdiction de fumer ne s’applique pas dans les emplacements mis à la disposition des fumeurs au sein des lieux mentionnés à l’article R. 3511-1 et créés, le cas échéant, par la personne ou l’organisme responsable des lieux. Ces emplacements ne peuvent être aménagés au sein des établissements d’enseignement publics et privés, des centres de formation des apprentis, des établissements destinés à ou régulièrement utilisés pour l’accueil, la formation, l’hébergement ou la pratique sportive des mineurs, des aires collectives de jeux et des établissements de santé. »

Circulaire du 29 novembre 2006 relative à l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif 12

« Le 1° de l’article R. 3511-1 précise qu’il s’agit des lieux accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail. […]

S’agissant des locaux dits de convivialité tels que les cafés, les restaurants, les discothèques, les casinos, l’interdiction s’applique dans les lieux fermés et couverts, même si la façade est amovible. II sera donc permis de fumer sur les terrasses, dès lors qu’elles ne sont pas couvertes ou que la façade est ouverte. »

Remerciements

À Pierre-Yves Bello et Caroline Drouin de la Direction générale de la santé (DGS) pour leur relecture éclairée sur les aspects réglementaires.

Références

1 U.S. Department of Health and Human Services. The health consequences of involuntary exposure to tobacco smoke: a report of the Surgeon General. Atlanta (GA): U.S. Department of Health and Human Services, Centers for Disease Control and Prevention, Coordinating Center for Health Promotion, National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion, Office on Smoking and Health; 2006. 727 p.
2 Sandler DP, Comstock GW, Helsing KJ, Shore DL. Deaths from all causes in non-smokers who lived with smokers. Am J Public Health. 1989;79(2):163-7.
3 Taylor R, Najafi F, Dobson A. Meta-analysis of studies of passive smoking and lung cancer: effects of study type and continent. Int J Epidemiol. 2007;36(5):1048-59.
4 Stayner L, Bena J, Sasco AJ, Smith R, Steenland K, Kreuzer M, et al. Lung cancer risk and workplace exposure to environmental tobacco smoke. Am J Public Health. 2007;97(3):545-51.
5 Oberg M, Jaakkola MS, Woodward A, Peruga A, Prüss-Ustün A. Worldwide burden of disease from exposure to second-hand smoke: a retrospective analysis of data from 192 countries. Lancet. 2011;377(9760):139-46.
6 Anderson HR, Cook DG. Passive smoking and sudden infant death syndrome: review of the epidemiological evidence. Thorax. 1997;52(11):1003-9.
7 Hill C. Les effets sur la santé du tabagisme passif. Bull Epidémiol Hebd. 2011;(20-21):233-5. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=9511
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9 Séguret F, Ferreira C, Cambou JP, Carrière I, Thomas D. Changes in hospitalization rates for acute coronary syndrome after a two-phase comprehensive smoking ban. Eur J Prev Cardiol. 2014;21(12):1575-82.
10 Organisation mondiale de la santé. Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac. Genève: OMS; 2003. 45 p. http://www.who.int/fctc/text_download/fr/
11 Ministère de la Santé et des Solidarités. Décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif. JO du 16 novembre 2006. https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000818309
12 Ministère de la Santé et des Solidarités. Circulaire du 29 novembre 2006 relative à l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif. JO du 5 décembre 2006. https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000642153
13 Fong GT, Craig LV, Guignard R, Nagelhout GE, Tait MK, Driezen P, et al. Evaluating the effectiveness of France’s indoor smoke-free law 1 year and 5 years after implementation: Findings from the ITC France Survey. PLoS One. 2013;8(6):e66692.
14 Guignard R, Beck F, Wilquin JL, Andler R, Nguyen-Thanh V, Richard JB, et al. La consommation de tabac en France et son évolution : résultats du Baromètre santé 2014. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(17-18):281-8. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12567
15 Richard JB, Gautier A, Guignard R, Léon C, Beck F. Méthode d’enquête du Baromètre santé 2014. Saint-Denis: Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (coll. Baromètres Santé); 2015. 24 p. http://www.inpes.sante.fr/CFESbases/catalogue/pdf/1613.pdf
16 Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Questionnaire du Baromètre santé 2014. Saint Denis: Inpes (coll. Baromètres Santé); 2014. 48 p. http://www.inpes.sante.fr/Barometres/barometre-sante-2014/pdf/Questionnaire2014_A4_BARO.pdf
17 University of Waterloo, Canada; French Institute for Health Promotion and Health Education (Inpes), French National Cancer Institute (INCa). International Tobacco Control Project. ITC France National Report. Findings from the wave 1 to 3 surveys (2006-2012). 2016 (In press).
18 Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. JO du 27 janvier 2016. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031912641&categorieLien=id
19 Nagelhout GE, Mons U, Allwright S, Guignard R, Beck F, Fong GT, et al. Prevalence and predictors of smoking in «smoke-free» bars. Findings from the International Tobacco Control (ITC) Europe Surveys. Soc Sci Med. 2011;72(10):1643-51.

Citer cet article

Pasquereau A, Guignard R, Andler R, Richard JB, Arwidson P, Beck F, et al. L’exposition à la fumée de tabac dans les lieux à usage collectif et les lieux de convivialité en France en 2014. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(15):253-63. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/15/2016_15_1.html

(1) Devenu Santé publique France depuis mai 2016.
(2) La question inclut les terrasses couvertes et fermées.