Optimisme et vigilance. Les nouvelles recommandations pour la prévention du paludisme du voyageur

// Optimism and vigilance. The new recommendations for the prevention of traveller’s malaria

Éric Caumes1 & Daniel Camus2
1 Président du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation du Haut Conseil de la santé publique
2 Vice-président du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation du Haut Conseil de la santé publique

Optimisme : dans son rapport 2015 sur la situation du paludisme dans le monde 1, la Directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne la réduction globale du nombre de cas et de décès de paludisme, indiquant même une réduction de 75% dans 55 pays. Si les nombres de cas (198 millions) et de décès imputables au paludisme (584 000) en 2013 restent impressionnants, il faut noter qu’ils ont chuté respectivement de 30% et 47% depuis l’année 2000.

Vigilance : en apparente contradiction avec la situation mondiale, l’année 2014 confirme la tendance à l’augmentation des cas de paludisme importés en France métropolitaine déjà observée en 2013, en lien avec les opérations militaires en cours sur le continent africain mais aussi en population générale (voir le chapitre 2 du présent numéro).

Comment traduire cette dualité de situations en termes de recommandations de prévention du paludisme pour les voyageurs, en évitant d’une part une surévaluation « sécuritaire » du risque pouvant aboutir à des prescriptions superflues pour le voyageur avec un risque d’exposition non justifié à des effets indésirables des antipaludiques, des dépenses inutiles et des conséquences au retour telles que l’exclusion à la participation au don du sang et, d’autre part, une sous-évaluation « laxiste » pouvant conduire à une perte de chance pour le voyageur ?

Le Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation (CMVI) s’est penché sur cette double problématique avec l’objectif d’apporter, sur une base scientifiquement établie, des renseignements et des recommandations prenant aussi en compte les disparités épidémiologiques régionales au sein d’un même pays (la majorité des pays d’Asie du sud-est ou d’Amérique centrale ne sont que partiellement touchés par le paludisme) et les nouveaux comportements des voyageurs qui s’exposent à de nouveaux risques (une expédition en zone forestière peut exposer à des espèces anophéliennes à activité diurne).

Les recommandations formulées dans ce numéro s’adressent spécifiquement aux voyageurs, non aux résidents, en soulignant que le prescripteur d’une chimioprophylaxie ou de mesures de protection personnelle anti-vectorielle (PPAV) peut être amené à les moduler en fonction de la durée et des modalités du séjour, du type d’activité, des antécédents médico-chirurgicaux et du budget du voyageur.

Parmi les règles rédactionnelles adoptées, il convient de remarquer que :

  • en l’absence de transmission de paludisme, aucune chimioprophylaxie antipaludique n’est recommandée, mais une PPAV peut cependant l’être si la région ou le pays considéré ne sont déclarés indemnes du paludisme que depuis moins de trois ans avec persistance des moustiques vecteurs du paludisme. Cette recommandation n’intègre pas les PPAV liées à la prévention d’autres maladies à transmission vectorielle ;
  • en termes de transmission, l’OMS définit des zones géographiques de forte transmission (>1 cas déclaré pour 1 000 habitants par an) et des zones de faible transmission (0-1 cas déclaré pour 1 000 habitants par an). Cette définition est cependant difficile à traduire en termes de risque, pour un voyageur, de contracter le paludisme car le risque effectif est aussi conditionné par la durée de séjour, le type d’activité, les modalités de séjour, le nombre de nuits passées en zone à risque et la période de l’année. En conséquence, les termes « risque majeur, minime, faible, modéré, négligeable, inexistant » ne sont pas utilisés. Il semble toutefois logique de garder, pour certaines situations, les termes de « risque élevé » et « risque faible » même s’ils comportent une part de subjectivité ;
  • dans un souci de cohérence avec les recommandations formulées par d’autres instances nationales ou internationales, la répartition des pays en trois groupes est supprimée et les chimioprophylaxies recommandées en fonction des résistances observées sont inscrites en toutes lettres pour chaque pays ;
  • la recommandation d’une protection « si soirées ou nuitée(s) dans les zones… » a été introduite pour certaines zones, globalement à faible risque, d’Asie et d’Amérique tropicale où, d’une part, la transmission est quasi nulle et, d’autre part, il n’existe pas d’espèces anophéliennes à activité diurne (certes rares mais pas inexistantes !) ;
  • il a été envisagé d’introduire une recommandation de prescription d’un traitement présomptif de réserve pour les séjours où le risque de contracter le paludisme apparaîtrait faible, à l’instar de ce que proposent d’autres autorités sanitaires. Cette disposition n’a pas été retenue mais elle ne remet pas en cause l’utilisation d’un traitement présomptif dans les conditions déjà définies par le Haut Conseil de la santé publique.

L’application des recommandations proposées nécessitera de la part des professionnels impliqués dans le conseil médical aux voyageurs (médecins généralistes, pédiatres, médecins du travail, médecins des Centres de vaccinations internationales (CVI), médecins infectiologues, agents de voyages…) une connaissance, une compréhension et une appropriation des nouvelles modalités. Des actions d’information sont envisagées en ce sens.

Référence

1 World Malaria Report 2014. Geneva: WHO, 2014. http://www.who.int/malaria/publications/world_malaria_report_2014/en/

Composition 2011-2015 du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation (CMVI)

Personnalités qualifiées
Thierry Ancelle, épidémiologiste
Daniel Camus, parasitologue, vice-président du CMVI
Éric Caumes, infectiologue, président du CMVI
Thierry Debord, infectiologue
Florence Fouque, entomologiste médicale
Laëtitia Gambotti, santé publique
Gaëtan Gavazzi, infectiologue
Catherine Goujon, vaccinations internationales
Philippe Minodier, pédiatre
Renaud Piarroux, entomologiste médical
Christophe Schmidt, vaccinations internationales
Didier Seyler, vaccinations internationales

Membres de droit
Claude Bachelard, ministère du Tourisme
Elsa Boher, ANSM
Thierry Comolet, DGS/RI1
Sandrine Houzé, CNR du paludisme, Hôpital Bichat-Claude Bernard
Sophie Ioos, InVS
Christine Jestin, Inpes
Isabelle Leparc-Goffart, CNR des arbovirus, Marseille
Rémy Michel, Cespa, antenne de Marseille
Isabelle Morer, ANSM
Daniel Parzy, CNR du paludisme, IRBA, antenne Marseille (IMTSSA), Marseille
Marc Thellier, CNR du paludisme, Université P. & M. Curie et CHU Pitié-Salpêtrière

Secrétariat général du Haut Conseil de la santé publique
Corinne Le Goaster, chargée de mission
Isabelle  Douard