Enquête sur les pratiques d’infirmiers libéraux de Seine-et-Marne en matière de prévention des risques liés aux soins réalisés à domicile en 2012
// Infection control practices of home care nurses in the department of Seine and Marne, France, 2012
Résumé
Le nombre d'infections associées aux soins et leur résistance croissante aux antibiotiques sont une préoccupation mondiale. L'environnement complexe du patient et l'autonomie de la pratique de soins à domicile représentent des défis particuliers pour le contrôle de ces infections au domicile du patient. L'objectif de cette étude était d’identifier les principaux risques associés aux pratiques de soins à domicile afin de faire des propositions pour en améliorer la qualité et la sécurité.
Un questionnaire postal, conçu pour évaluer la pratique actuelle, a été envoyé aux 883 infirmiers libéraux de Seine-et-Marne (région parisienne) en 2012. Deux cent six infirmiers (24%) y ont répondu.
Les résultats suggèrent que les infirmiers libéraux de Seine-et-Marne rencontrent des difficultés dans la mise en œuvre des recommandations de pratiques pour la prévention des infections liées aux soins à domicile. Seuls 8,7% d’entre eux observent toutes les exigences légales en matière de gestion des déchets d'activités de soins à risques infectieux (Dasri). La disponibilité des équipements de protection individuelle est limitée. Le manque de communication entre les services hospitaliers et les services de soins à domicile est une source majeure de risque pour le patient et pour la sécurité des professionnels.
Cette étude pourrait contribuer à l’élaboration, par les autorités de santé, d’une stratégie pour répondre aux difficultés rencontrées par les infirmières de soins à domicile, améliorant ainsi la sécurité des patients et des praticiens.
Abstract
The number of healthcare associated infections is of global concern, as is their increasing resistance to antibiotics. The complex patient environment and the autonomy of home care nursing practice pose a specific challenge for infection control practices in the patient’s home. The objective of this study was to identify key areas of concern in home care nursing practice with a view to improving patient safety and infection control practices.
After a review of current evidence for infection control practices and hygiene in home care settings, a postal questionnaire was designed to evaluate current practice and sent to 883 independent home care nurses in the Department of Seine and Marne (Paris region) in 2012. Two hundred and six (24%) of them responded.
The results suggest that independent home care nurses in the Paris region are experiencing difficulties in implementing standard infection control practices. Only 8.7% of the sample group complied with all the legal requirements for clinical waste management. Availability of personal protective equipment was limited. The lack of hospital liaison when patients are discharged to home care services is a major source of risk for patients and for professionals’ safety.
This study may enable heath authorities to define a strategy to respond to the difficulties encountered by home care nurses, thus improving patient and practitioners’safety.
Introduction
Le vieillissement de la population et la diminution des durées d’hospitalisation font que les patients, parfois fragilisés, sortent de l’hôpital ou sont pris en charge par des soins à domicile de plus en plus tôt. Dans le contexte actuel où la technicité des soins infirmiers à domicile est croissante et où les bactéries multirésistantes peuvent parfois franchir la barrière hôpital/ville 1, les infirmier(e)s à domicile disposent-ils de suffisamment de ressources, d’outils et de formation pour répondre aux difficultés rencontrées au domicile du patient ? Avec l’émergence des infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM) contractées lors de soins réalisés en ville 2, il apparaît comme une priorité de santé publique d’évaluer et de répondre aux risques et problèmes posés par ces soins complexes 3,4 et de mettre en œuvre des pratiques rigoureuses afin de prévenir et de réduire le risque infectieux.
Un "Guide de bonnes pratiques pour la prévention des infections liées aux soins réalisés en dehors des établissements de santé" 3 a été élaboré en 2006 par la Direction générale de la santé pour protéger les soignants et les patients.
En raison du manque de données et de connaissance sur les pratiques des infirmier(e)s libéraux(ales) concernant les accidents d’exposition au sang (AES), la couverture vaccinale, la gestion des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) ou encore les règles d’hygiène, l’Agence régionale de santé d’Île-de-France (ARSIDF) a souhaité évaluer les pratiques des infirmier(e)s libéraux(ales) en matière de prévention des infections associées aux soins à domicile et réaliser un premier état des lieux. Il s’agira à terme d’identifier les freins et les éventuelles pistes de travail pour l’amélioration des pratiques de soins, dans une double perspective d’amélioration de la sécurité des patients et des professionnels.
Méthode
Cette enquête est une étude descriptive. Elle a été menée auprès de l’ensemble des infirmiers(ères) libéraux(ales) (IDEL) de Seine-et-Marne, afin de s’assurer d’une bonne représentativité. La base de sondage a été constituée à partir de données de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et la population d’étude est celle des IDEL en exercice dans le département de Seine-et-Marne en 2012, soit 883 personnes. Il existe 19 associations offrant des soins infirmiers à domicile. Les infirmiers(ères) employés par des associations n’ont pas été inclus(e)s dans l’étude.
L’étude a été menée par voie postale au moyen d’un questionnaire, élaboré par l’ARSIDF, auquel était joint un courrier expliquant la démarche de l’enquête. Les questionnaires ont été envoyés mi-septembre 2012, avec une date limite de retour fixée au 31 octobre 2012. Une relance a été effectuée mi-novembre par le biais de l’Ordre des infirmiers et des syndicats infirmiers.
Le questionnaire a été élaboré sur la base des données de la littérature et en collaboration avec le référent régional ARSIDF pour les infections associées aux soins. Il a ensuite été testé par plusieurs infirmiers.
Pour optimiser le taux de réponse et inciter les personnes questionnées à répondre en toute transparence, le questionnaire a été rendu anonyme. Une enquête par voie électronique n’a pas été envisagée, car ni l’ARSIDF, ni l’Ordre des infirmiers, ni la Sécurité sociale ne disposent de bases de données regroupant les adresses électroniques des infirmiers.
Outre le recueil de données concernant le statut professionnel (modalités d’exercice, nombre d’années d’exercice), le questionnaire explorait le statut vaccinal des IDEL, leurs habitudes en termes de bonnes pratiques de prévention du risque infectieux (hygiène des mains, protection personnelle, accidents d’exposition au sang au cours de leur exercice, élimination et gestion des Dasri). La communication hôpital-ville (accès au compte-rendu d’hospitalisation, information sur la colonisation du patient par une bactérie multirésistante) a également été explorée. Enfin, des questions ouvertes portaient sur les freins éventuels à la mise en place et au respect des bonnes pratiques.
Les questionnaires retournés ont été saisis sur Google questionnaire® et analysés avec Excel®. Une analyse statistique univariée (test du Chi2) a été utilisée pour comparer certaines pratiques selon l’ancienneté professionnelle, avec un risque alpha de 5%.
Résultats
Au total, 206 questionnaires ont été retournés, soit un taux de réponse de 24% (206/883).
Les caractéristiques des IDEL de Seine-et-Marne ayant participé à l’étude, en termes de modalités d’exercice et d’ancienneté, sont détaillées dans le tableau 1 et le tableau 2.
Comme il n’existe pas de données départementales fiables sur le mode d’exercice des IDEL, il n’y a pas de comparaison possible pour vérifier si l’échantillon est représentatif.
Statut vaccinal
Parmi les IDEL interrogés, 54% (110/202) ont leurs vaccins à jour (DTP, coqueluche, rougeole, hépatite B). Si l’on compare le statut vaccinal des IDEL exerçant depuis moins de 5 ans à celui des IDEL exerçant depuis plus de 5 ans, on constate une différence significative entre les deux populations. Chez les premiers, 76% ont leurs vaccins à jour contre 42% chez les seconds (p<0,05).
Hygiène des mains
Concernant l’hygiène des mains, 45% (92/205) des IDEL déclarent se laver toujours les mains avant chaque visite à domicile. Si 82% (168/206) utilisent uniquement du gel hydro-alcoolique, 77% (129/168) veillent à ce que celui-ci soit virucide.
L’enquête révèle que 52% (106/205) satisfont aux recommandations d’avoir à la fois des ongles courts et sans vernis. À noter que 5 infirmières portent de faux ongles.
Dans cette étude, seulement 37% (76/206) des personnes interrogées déclarent ne porter aucun bijou.
L’enquête révèle également que le port des gants n’est pas systématique : seuls 29% (59/202) des IDEL portent toujours des gants lors des soins.
Au total, 7 IDEL sur 206 (3,4%) satisfont à l’ensemble des recommandations relatives à une bonne hygiène des mains.
Équipement de protection du soignant
Si la grande majorité des IDEL interrogés (98%) disposent en permanence de gants à usage unique dans leur sacoche (tableau 3), 23% possèdent des tabliers à usage unique et 64% des masques de protection.
Accidents d’exposition au sang
Au total, 30% (62/205) des IDEL ont déclaré avoir déjà eu un AES au cours de leur exercice ; seuls 24% (49/203) connaissent le référent hospitalier le plus proche. Par ailleurs, 27% (n=49) disposent d’un produit conforme pour le nettoyage de la plaie après AES, mesure faisant partie des précautions standard.
Déchets d’activités de soins à risques infectieux
L’étude révèle que 96% (195/203) des IDEL effectuent un tri des déchets piquants-coupants-tranchants (PCT). En revanche, 68% (138/203) n’effectuent pas le tri entre les déchets mous à risques infectieux et les déchets ménagers. Sur les 203 IDEL ayant répondu à cette question, 8 n’utilisent pas les collecteurs pour les déchets PCT générés au domicile du patient.
En matière de transport des Dasri, 65% (118/181) des IDEL n’utilisent pas de containers conçus à cet effet. Les conditions de conservation avant collecte ont également été étudiées. Ainsi, 57% (108/188) ont un local dédié à la conservation des Dasri en attendant leur collecte et 53% les stockent sur une durée égale ou supérieure à la durée réglementaire de 3 mois. Plus de deux tiers (72%) des IDEL interrogés éliminent les Dasri par contrat individuel avec une société spécialisée.
Si l’on exigeait qu’une convention soit signée pour l’élimination des déchets, que les déchets PCT et les déchets mous soient éliminés dans des containers spécifiques prévus à cet effet et qu’ils soient transportés dans des dispositifs spécialement conçus à cet effet, seuls 18 IDEL (8,7%) répondraient à l’ensemble des critères.
Par ailleurs, les IDEL jugent anormal le fait de devoir transporter les déchets mous dans leur véhicule personnel et jugent excessif le coût de traitement des Dasri. Ils souhaitent une responsabilité partagée et des solutions fiables pour le traitement des déchets des patients en automédication. Le changement récent de législation concernant des déchets de soins des patients en auto-traitement ne semble toutefois pas connu des IDEL qui ont participé à l’étude 5.
Communication hôpital-ville
Seul 1% des IDEL a systématiquement accès au compte rendu d’hospitalisation des patients. L’enquête révèle par ailleurs que 88% (176/201) ne sont pas informés lorsqu’un patient est porteur d’une bactérie multirésistante.
À la proposition "je ne soigne jamais sans disposer (ou chercher) de toutes les informations nécessaires pour évaluer les risques et planifier les soins", seuls 9% des IDEL se déclarent tout à fait d’accord.
Discussion
Cette étude est l’une des premières qui s’intéresse à la prévention du risque infectieux chez les infirmiers libéraux.
Le taux de réponse de 24% à l’enquête peut être considéré comme acceptable pour ce type d’investigation par questionnaire postal. En revanche, en l’absence d’informations sur les non-répondants ou sur les caractéristiques des IDEL de Seine-et-Marne (lieux d’exercice), il est difficile de juger de la représentativité de l’étude. En effet, nous pouvons considérer que les IDEL ayant répondu sont les plus motivés sur le sujet et ceux qui, par conséquent, ont les meilleures pratiques. Nous pouvons donc faire l’hypothèse que le pourcentage de bonnes pratiques est surestimé dans cette étude.
Le caractère déclaratif des données constitue aussi une limite à cette étude, laissant supposer une sous-déclaration de mauvaises pratiques. Certains IDEL n’ont pas répondu au questionnaire, jugeant certaines questions trop intrusives, notamment celles concernant l’entretien du véhicule.
Il existe peu de données sur les infections associées aux soins en dehors des établissements de santé. Toutefois, on sait que certains actes techniques présentent un risque élevé de contamination. Ces pratiques ont besoin d’être évaluées dans le cadre de la pratique à domicile et des risques spécifiques liés à cet environnement. En effet, dans un environnement moins structuré et moins contrôlé que l’hôpital, les installations et l’hygiène peuvent être insuffisantes ou inefficaces 6.
Cette enquête révèle que l’application des précautions standard est insuffisante, et de nombreux points considérés comme des obstacles à la maitrise du risque infectieux ont été évoqués à plusieurs reprises.
Le fait que le suivi médical de l’IDEL relève de sa propre initiative peut expliquer que la couverture vaccinale ne soit pas à jour pour une majorité d’entre eux. La différence significative observée selon l’ancienneté professionnelle des IDEL suggère que leur statut vaccinal est meilleur dans les années suivant immédiatement la pratique en milieu hospitalier et qu’au fil des années, la couverture vaccinale diminue en raison d’un manque d’attention des IDEL.
Concernant l’hygiène des mains, les ongles longs ou artificiels 7,8 sont des facteurs de risque pour la colonisation des mains par des bactéries. Les bijoux constituent également un risque de contamination accrue 9,10. Le port des gants permet de protéger l’opérateur du risque lié au contact avec du sang ou d’autres liquides biologiques ; il permet aussi de protéger le patient lors de soins aseptiques. La faible proportion (3,4%) d’IDEL satisfaisant à l’ensemble des recommandations relatives à une bonne hygiène des mains peut s’expliquer par le fait que les infirmiers qui exercent en dehors des établissements de santé ont des difficultés à suivre l’évolution réglementaire de leur pratique. Une pratique isolée peut également conduire à de mauvaises habitudes 6.
Les précautions standard passent également par le port de matériel de protection individuel. Si les gants sont disponibles chez 98% des répondants, le manque d’utilisation des tabliers à usage unique est inquiétant au regard de la transmission croisée de Clostridium difficile 11. Les coûts élevés de ces équipements de protection et de la gestion des Dasri limitent également la mise en œuvre des bonnes pratiques.
Les AES en milieu libéral sont peu déclarés. Seul un quart des IDEL connaissent leur référent hospitalier. Les infirmiers libéraux ne sont pas couverts en cas d’accidents du travail et doivent souscrire une assurance volontaire, ce qui pourrait expliquer le peu de données sur les AES en milieu libéral.
Concernant la communication hôpital-ville, il y a un manque réel de transmission des informations essentielles, notamment lors de la sortie d’hospitalisation du patient. Les IDEL disposent rarement du compte-rendu d’hospitalisation et ne sont presque jamais informés lorsqu’un patient est porteur d’une bactérie multirésistante. Il serait intéressant de mettre en place des fiches de liaison entre professionnels de santé, pour identifier les patients porteurs de telles bactéries et permettre ainsi la mise en œuvre des mesures nécessaires pour prévenir leur transmission 12. Or, en France, il n’y a pas de partage systématique du dossier médical, ce qui peut être une gêne à la planification des soins pour les IDEL. La loi exige qu’un compte rendu d’hospitalisation soit envoyé au patient ou à son médecin traitant dans les 8 jours suivant sa sortie 13. Cependant, le patient n’a aucune obligation de partager les informations présentes dans ce compte rendu. En 2010, ce document a été envoyé pour seulement 40% des hospitalisations 14.
Conclusion
Cette étude a permis de faire un premier état des lieux des pratiques des infirmiers(ères) libérales(aux), malgré un faible taux de réponse et des résultats non représentatifs de l’ensemble des IDEL de Seine-et-Marne. Elle souligne de nombreux manquements aux recommandations en vigueur, notamment en ce qui concerne les précautions standard et la gestion des Dasri. Cette étude a permis d’identifier plusieurs problèmes qui limitent le respect des bonnes pratiques d’hygiène par les IDEL :
- une gestion souvent difficile de leur environnement de travail, les patients n’ayant pas souvent conscience de la nécessité d’un environnement adapté aux soins ;
- des équipements mal adaptés aux besoins des infirmières et au caractère ambulatoire des soins ;
- une communication hôpital-ville insuffisante qui ne permet pas aux infirmiers libéraux d’analyser les risques infectieux potentiels ;
- une rémunération jugée insuffisante au regard de l’investissement en temps et en équipements nécessaires au respect des bonnes pratiques.
Il apparaît par conséquent utile de proposer des mesures correctives et de rappeler les risques que représentent certaines pratiques par la mise en place d’outils d’information.
Les résultats de l’enquête mèneront à l’élaboration d’un projet transversal et territorial avec différents partenaires en vue de répondre aux difficultés rencontrées par les infirmiers exerçant à domicile. Le questionnaire utilisé dans cette enquête a été conçu comme un outil d’auto-évaluation pour les pratiques des IDEL dans leur environnement quotidien : il pourrait être intégré dans un programme d’évaluation en ligne, afin d’aider les infirmiers à identifier les risques et mettre à jour leurs connaissances.
De nouvelles études seront nécessaires pour comparer les pratiques des IDEL en fonction de leur environnement de travail (urbain ou rural, indépendant ou en structure).
Enfin, le problème de la gestion des Dasri va tendre à augmenter dans les années à venir et, par conséquent, les impacts sanitaires et environnementaux liés à une mauvaise gestion de ces déchets. Il relève d’une volonté institutionnelle et politique de proposer des solutions pour que ces déchets soient éliminés dans les meilleures conditions possibles.