Durée de l’allaitement maternel en France
(Épifane 2012-2013)

// Breastfeeding duration in France (Epifane 2012-2013)

Benoît Salanave (benoit.salanave@univ-paris13.fr), Catherine de Launay, Julie Boudet-Berquier, Katia Castetbon
Unité de surveillance périnatale et nutritionnelle (Uspen), Institut de veille sanitaire, Université Paris 13, Bobigny, France
Soumis le 27.06.2014 // Date of submission: 06.27.2014
Mots-clés : Allaitement maternel | Cohorte | Nourrisson | Nutrition
Keywords: Breastfeeding | Cohort | Infant | Nutrition

Résumé

Objectifs –

À partir des données de l’étude Épifane sur l’alimentation des enfants au cours de leur première année de vie, la durée de l’allaitement maternel (AM), son degré d’exclusivité et les taux d’AM à 3, 6 et 12 mois ont été estimés pour la première fois au niveau national en France.

Méthodes –

L’étude a porté sur un échantillon aléatoire d’enfants nés au premier trimestre 2012 dans 136 maternités tirées au sort en France métropolitaine. Les données sur l’alimentation des enfants ont été recueillies par interrogatoire à la maternité et à 1, 4, 8 et 12 mois. Les définitions de l’AM exclusif et prédominant de l’Organisation mondiale de la santé ont été utilisées. Des courbes de Kaplan-Meier ont permis de décrire l’évolution de l’AM entre la naissance et le premier anniversaire en prenant en compte les perdus de vue.

Résultats –

Parmi les 3 365 enfants inclus dans les analyses, 2 806 (83%) ont été suivis jusqu’à 12 mois. À 3 mois, 39% des enfants étaient encore allaités : 10% de façon exclusive, 11% de façon prédominante et 18% recevant aussi des préparations pour nourrissons (PN) du commerce. À 6 mois, seul un enfant sur quatre était encore allaité et plus de la moitié d'entre eux consommaient des PN en complément. À un an, seuls 9% des enfants recevaient encore du lait maternel. Parmi les enfants allaités à la naissance (74%), la moitié l’étaient encore à 15 semaines, la médiane de l’AM exclusif ou prédominant étant, quant à elle, estimée à 3 semaines et demie.

Conclusion –

Les résultats de cette étude montrent que, au regard des recommandations actuelles, les mères qui ont choisi d’allaiter devraient être encouragées à maintenir un AM si possible jusqu’à 6 mois. La poursuite des analyses permettra d’identifier les facteurs associés à la durée de l’AM et d’aider ainsi au ciblage des interventions pour se rapprocher de ces recommandations.

Abstract

Objectives –

Data from the French survey EPIFANE on infant feeding during their first year of life were used to estimate, for the first time at the national level in France, breastfeeding duration, its degree of exclusivity and breastfeeding rates at 3, 6 and 12 months.

Methods –

The survey was based on a random sample of infants born during the first quarter of 2012 in 136 maternity wards randomly selected in mainland France. Data on infant feeding were collected by interviews during the maternity stay and at 1, 4, 8 and 12 months. Predominant and exclusive breastfeeding was defined according to the World Health Organization‘s definitions. Kaplan-Meier curves were used to describe the evolution of breastfeeding rates from birth to 12 months taking into account lost to follow-up participants.

Results –

Among 3,365 infants included in these analyses, the 12-month questionnaire was completed for 2,806 (83%) of them. At 3 months, 39% of infants were still breastfed: 10% exclusively, 11% predominantly and 18% also receiving infant formula. At 6 months, only one infant over four was still breastfed and half of them received complementary formula. At one year of age, 9% of the children were still receiving breast milk. Among breastfed infants at birth (74%), half of them were still breastfed at 105 days. The median duration for exclusive or predominant breastfeeding was 24 days.

Conclusion –

The results show that, according to current recommendations, it is necessary to support mothers who have decided to breastfeed to maintain breastfeeding up to 6 months if possible. Further analyses will allow identifying factors associated with breastfeeding duration and further targeting interventions to come closer to these recommendations.

Introduction

Le nourrisson devrait bénéficier, au cours de ses premiers mois de vie, d’une alimentation composée exclusivement de lait maternel ou de préparations pour nourrissons du commerce. Cette alimentation est essentielle pour sa croissance, son développement et sa santé à court, moyen et long termes 1. En raison de ses avantages pour la santé de l’enfant, mais également pour celle de sa mère 2,3, les recommandations internationales préconisent l’allaitement maternel de façon exclusive jusqu’à 6 mois 4. En France, le Programme national nutrition santé (PNNS) recommande l‘allaitement maternel (AM) « de façon exclusive jusqu’à 6 mois, et au moins jusqu’à 4 mois pour un bénéfice santé » 5. En plus de l’augmentation du taux d’initiation de l’AM à la maternité, le PNNS préconise d’augmenter sa durée en poursuivant si possible l’AM après 6 mois, y compris pendant la diversification alimentaire, période au cours de laquelle sont introduits les aliments et boissons autres que le lait.

Peu de données sont disponibles, en France, au niveau national, sur la durée de l’AM. Des études anciennes (dans les années 1990) ou localisées 6,7,8,9,10 ont établi la médiane de cette durée entre 8 et 15 semaines parmi les enfants ayant été allaités. Dans une étude réalisée en 2002 dans une maternité de la région parisienne, 33% des enfants allaités à la sortie de la maternité l’étaient toujours à 6 mois 11. Dans l’étude Eden, en 2003-2006, cela était le cas de 27% des enfants allaités 12. En Europe, les taux d’enfants allaités à 6 mois variaient de 33% aux Pays-Bas en 2003 13 à 82% en Norvège en 2007 14. Au Danemark, également en 2007, la durée médiane d’AM chez les enfants allaités était estimée à 18 semaines environ 15.

L’étude Épifane (Épidémiologie en France de l’alimentation et de l’état nutritionnel des enfants pendant leur première année de vie) a été réalisée pour décrire, sur un échantillon aléatoire national, l’alimentation des nourrissons et en particulier les pratiques et la durée de l’AM. Les objectifs sont ici d’estimer la durée de l’AM, son degré d’exclusivité et les taux d’AM à 3, 6 et 12 mois au niveau national.

Méthodes

L’étude Épifane portait sur un échantillon aléatoire de nourrissons, nés entre mi-janvier et début avril 2012, dont les mères ont été interrogées par questionnaires à la maternité ainsi qu’à 1 mois, 4 mois, 8 mois et 12 mois.

Le plan de sondage était à deux degrés : tirage au sort stratifié de 136 maternités, puis sélection de 25 mères par maternité. Le sondage aléatoire des maternités a été réalisé proportionnellement au nombre d’accouchements enregistrés dans la base de la Statistique annuelle des établissements de santé (SAE) de 2009. La stratification portait sur le statut de l’établissement (privé, public), le type d’autorisation (niveau I, II ou III) et la région (5 regroupements de régions administratives).

Les mères ayant accouché durant une période précise propre à chaque maternité sélectionnée étaient sollicitées par une sage-femme à J1 ou J2 après l’accouchement. Les mères devaient être majeures, résider en France métropolitaine et maîtriser suffisamment le français. Les enfants devaient être nés à 33 semaines d’aménorrhée ou plus et ne pas présenter une pathologie lourde ayant nécessité une chirurgie, une prise en charge particulière ou un transfert. Deux questionnaires étaient alors remplis : l’un par la mère, portant sur ses caractéristiques socio-économiques et ses choix en matière d’alimentation de son enfant ; l’autre par la sage-femme, sur les conditions de l’accouchement issues du dossier médical. Des éléments plus détaillés sur les inclusions ont été décrits dans une précédente publication 16.

Les informations sur les modalités d’alimentation de l’enfant au cours des suivis à 1, 4, 8 et 12 mois ont été recueillies par entretiens téléphoniques et auto-questionnaires (Internet ou courrier). Au cours des entretiens téléphoniques, il était notamment demandé à la mère de préciser le type d’alimentation lactée (AM ou préparations pour nourrissons du commerce), les nombres quotidiens moyens de biberons et de tétées pris par le nourrisson pour chaque semaine depuis sa naissance ou le dernier suivi, ainsi que son âge en jours au moment de l’éventuel arrêt de l'AM. Les éléments liés à la diversification étaient également recueillis, tels que l’âge au moment de faire goûter ou d’introduire régulièrement dans l’alimentation de l’enfant des aliments et des boissons autres que le lait maternel ou les préparations pour nourrissons du commerce (PN), y compris l’eau, l’eau sucrée, les tisanes et les jus de fruit.

Les PN regroupent les denrées alimentaires destinées à l'alimentation particulière des nourrissons et pouvant :

  • soit répondre à elles seules aux besoins nutritionnels des nourrissons pendant les quatre à six premiers mois de leur vie (préparations 1er âge ou 2e âge) ;
  • soit constituer le principal élément liquide d’une alimentation progressivement diversifiée entre quatre et douze mois (préparations de suite).

Le taux d’AM à la maternité a été défini en tenant compte de toute tentative d’AM, quelle que soit sa durée. Les informations rétrospectives fournies lors des suivis successifs jusqu’à 12 mois sur les nombres de tétées et de biberons consommés par l’enfant ont été utilisées pour confirmer les déclarations des mères à la maternité. Elles ont permis également de déterminer l’évolution de l’alimentation lactée de chaque enfant au cours de sa première année de vie. Le degré d’exclusivité de l’AM a été défini conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 4.

Définitions des modalités de l'AM

AM sans diversification

  • AM exclusif : l’enfant reçoit du lait maternel, sans aucun apport d’autres liquides (eau, eau sucrée, tisane, jus de fruits), ni d’autres aliments. Seules les solutions de réhydratation orale (SRO), les médicaments ou vitamines et minéraux (sous forme de sirops, gouttes) sont autorisés ;
  • AM prédominant : l’enfant reçoit du lait maternel comme source alimentaire principale, d’autres liquides (eau, eau sucrée, tisane, jus de fruits), les SRO, les médicaments ou vitamines et minéraux (sous forme de sirops, gouttes) étant donnés. Les autres aliments ou liquides sont exclus, en particulier les PN du commerce ou les « liquides » à base d’aliments, type bouillies de céréales délayées ;
  • AM mixte : l’enfant reçoit du lait maternel et des PN, éventuellement des liquides (eau, eau sucrée, tisane, jus de fruits). Les aliments semi-solides ou solides, le lait de vache, les laits d’autres animaux et les « laits végétaux » sont exclus.

AM avec diversification

L’enfant reçoit du lait maternel, quel que soit le degré d’exclusivité (cf. ci-dessus), avec ou sans PN, et consomme régulièrement au moins un aliment semi-solide ou solide, du lait de vache, du lait d’autres animaux ou des « laits végétaux ». La notion de régularité, permettant de définir la diversification pour un groupe donné d’aliments, correspond à la consommation de l’un de ces aliments ne se limitant plus au simple fait d’avoir fait goûter ponctuellement cet aliment. Le groupe d’aliments est alors considéré comme étant introduit dans l’alimentation de l’enfant.

Analyses statistiques

Les analyses statistiques ont été réalisées sous le logiciel Stata® V12. Les données ont été pondérées par l’inverse des probabilités d’inclusion. Pour tenir compte du plan de sondage complexe, la variable de stratification a été déclarée à l’aide de la commande svyset et les commandes d’analyse spécifiques à ce type de sondage ont été utilisées pour l’ensemble des analyses. Enfin, pour corriger le biais de participation, les données ont été également pondérées par calage sur marge sur les variables suivantes, issues de l’Enquête nationale périnatale (ENP) de 2010 17 : l’âge (18-25 ans, 25-29 ans, 30-34 ans et 35 ans et plus), le statut matrimonial (mariée, non mariée), le niveau d’éducation (inférieur ou égal au baccalauréat, supérieur au baccalauréat), le type de grossesse (simple, multiple), le statut de l’établissement (privé, public) et son type d’autorisation (niveau I, II ou III). Des courbes de Kaplan-Meier ont été tracées pour représenter l’évolution des taux d’AM tout en tenant compte des informations disponibles pour les perdus de vue. Les tables de probabilités d’AM ont été établies selon les principes suivants :

  • les probabilités d’AM étaient déterminées par les durées de l’AM pour chaque type d’AM (exclusif, prédominant, mixte, ou avec diversification) ;
  • la date d’origine était la date de naissance ;
  • la date de point était fixée à 1 an, soit 365 jours ;
  • la date de dernière nouvelle était la date du dernier entretien téléphonique ou questionnaire recueilli ;
  • les données censurées correspondaient aux perdus de vue (enfants dont on ne savait pas à la date de point s’ils étaient allaités ou pas) et aux exclus-vivants (enfants encore allaités à la date de point).

Résultats

Entre le 16 janvier et le 5 avril 2012, dans les 136 maternités participantes, 81% des mères à qui l’étude Épifane a été proposée (n=4 152) ont accepté d'y participer. Outre les variables liées aux critères d’inclusion, les mères ayant accepté de participer étaient plus souvent en couple et employées à temps plein avant leur grossesse (données présentées dans un précédent article 16) que celles de l’ENP de 2010 17. Parmi les 3 368 couples mère-enfant inclus lors de leur séjour à la maternité, le type d’alimentation lactée à la maternité était inconnu pour trois d’entre eux. Sur les 3 365 enfants retenus pour ces analyses, 2 806 (83%) ont été suivis jusqu’à leurs 12 mois.

Chez les mères ayant essayé d’allaiter à la maternité (n=2 427, 74%), la durée médiane d’AM établie par les probabilités d’AM, c’est-à-dire l’âge auquel la moitié des enfants étaient encore allaités, était de 105 jours, soit 15 semaines ; celle de l’AM exclusif ou prédominant était de 24 jours, soit un peu plus de 3 semaines. À 3 mois, 39% des enfants étaient allaités, 10% de façon exclusive, 11% de façon prédominante et 18% en association avec, principalement, des PN (17%) ou d’autres aliments (1%) introduits de façon régulière dans le cadre de la diversification alimentaire. À 6 mois, 23% des enfants étaient encore allaités, dont seulement 1,5% de façon exclusive ou prédominante. À 12 mois, 9% des enfants bénéficiaient encore de l’AM, complémenté, pour tous, par d’autres aliments ou liquides. La figure montre l’évolution sur un an des probabilités d’AM selon les 4 modalités d’exclusivité précédemment définies.

Figure : Évolution des taux d’allaitement maternel (AM) de la naissance à 12 mois, Épifane 2012-2013, France
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Le tableau 1 décrit l’utilisation des PN en association ou non avec l’AM. Si 41% des enfants recevaient déjà des PN à la maternité, cette proportion atteignait 79% à 3 mois et près de 90% à 6 et 12 mois. Chez les enfants allaités, l’AM mixte, associant lait maternel et PN, concernait un enfant sur cinq à la maternité et un sur deux à 3 mois. À partir de 6 mois, la quasi-totalité des enfants avait débuté leur diversification alimentaire. Le tableau 1 permet ainsi de distinguer, parmi les enfants allaités et diversifiés, ceux qui recevaient des PN de ceux qui n’en recevaient pas. Par ailleurs, dans Épifane, 17 enfants (0,5%) à 6 mois et 200 enfants (7%) à 12 mois ne recevaient ni lait maternel, ni PN.

Tableau 1 : Allaitement maternela et préparations pour nourrissons du commerce à la naissance
et à 3, 6 et 12 mois, Épifane 2012-2013, France
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Le tableau 2 présente les taux d’AM à la naissance, à 3, 6 et 12 mois, selon les caractéristiques des mères et les circonstances de l’accouchement, ainsi que les durées médianes d’AM dans le groupe des enfants allaités à la naissance, estimées à partir des probabilités d’AM. La plupart des variables associées à des taux d’AM plus élevés à la maternité (et déjà évoquées dans un article précédent sur l’AM jusqu’à un mois 16), l’étaient également à 3, 6 et 12 mois. Le niveau d’études et le fait d’avoir été en contact peau à peau avec son bébé dans l’heure suivant l’accouchement étaient associés à l’AM de façon significative à la naissance, à 3 et 6 mois, mais ne l’étaient plus à 12 mois. L’accouchement par voie basse et le fait d’avoir bénéficié de cours de préparation à l’accouchement étaient associés à l’AM à la naissance et à 3 mois, mais ne l’était plus au-delà. Les mères dont l’indice de masse corporelle (IMC) avant leur grossesse se situait entre 18,5 et 25 allaitaient plus fréquemment leur enfant à la naissance, mais cette différence avec les mères des autres classes d’IMC n’était plus significative dès le 3e mois. Parmi les variables non associées à l’AM à la naissance, la parité et les grossesses multiples le sont devenues à 3, 6 et 12 mois, le poids de naissance et la prématurité n’étant quant à eux associés qu’au taux d’AM à 6 mois.

La plupart des variables liées au taux d’AM à 3 mois étaient également liées à son caractère exclusif ou prédominant (tableau 2). La prématurité et le petit poids de naissance, deux variables qui n’étaient pas liées au taux d’AM à 3 mois, étaient en revanche associées au caractère exclusif ou prédominant de l’AM. Enfin, tout en allaitant moins fréquemment leur enfant à la naissance 16, les mères nées en France, lorsqu’elles allaitaient, avaient tendance à allaiter plus fréquemment de façon exclusive ou prédominante (55%) que les mères nées à l’étranger (43%).

Tableau 2 : Taux d’allaitement maternel (AM) à la naissance et à 3, 6 et 12 mois selon les caractéristiques des mères et de l’accouchement, Épifane 2012-2013, France
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Discussion

L’étude Épifane permet de disposer pour la première fois de chiffres nationaux sur la durée de l’AM et les taux d’AM de la naissance à 12 mois. Parmi les enfants allaités en France en 2012, la durée médiane d’AM était de 15 semaines, celle de l’AM exclusif ou prédominant étant de 3 semaines et demie. À 6 mois, moins d’un enfant sur quatre était encore allaité, plus de la moitié d’entre eux consommant des PN en complément. À un an, 9% des enfants recevaient encore du lait maternel.

L’objectif d’Épifane était de fournir des estimations représentatives de l’ensemble des naissances en France. Or, comme souvent dans les études de santé, le défaut de participation à la maternité et l’abandon au cours du suivi ont été plus fréquemment le fait des femmes les plus jeunes et de niveaux d’études les moins élevés. Ces caractéristiques étant associées à l’initiation et à la poursuite de l’AM, l’exclusion de ces mères a pu conduire à une surestimation des taux et des durées d’AM. Le taux de participation élevé à la maternité (81%), la prise en compte du plan de sondage dans les analyses et le redressement des données sur celles de l'ENP ont permis de minimiser au mieux ces biais de sélection. Avec des naissances incluses sur une période limitée aux quatre premiers mois de l’année, un effet saisonnier a pu intervenir dans les pratiques alimentaires, en particulier sur le degré d’exclusivité de l’AM et la mise en place de la diversification alimentaire. Concernant le caractère longitudinal de l’analyse, la répétition des entretiens et la diversité des moyens de recueil au cours du suivi ont permis d’aboutir à un taux de perdus de vue relativement faible (17%) à 12 mois. De plus, le détail des données recueillies auprès des mères sur l’alimentation lactée de leur enfant et leur répétition à différents moments ont permis de déterminer le statut par rapport à l’AM de la plupart des enfants (95%) malgré les non-réponses partielles observées. Par ailleurs, l’utilisation des courbes de survie de Kaplan-Meier pour déterminer les probabilités d’AM a permis de prendre en compte l’ensemble des données disponibles selon le temps effectif de suivi de chaque couple mère-enfant enquêté. Enfin, comme pour toute étude de cohorte, la participation des mères à l’étude a pu avoir un impact sur leurs propres pratiques en matière d’alimentation de leur enfant. Des consignes strictes avaient cependant été données aux sages-femmes et aux enquêteurs pour qu’ils n’émettent aucun jugement sur les choix alimentaires de ces mères pour leur enfant.

Dans notre précédent article sur l’AM jusqu’à un mois 16, 69% des mères déclaraient allaiter leur enfant au moment du remplissage du questionnaire à la maternité. La différence avec le taux d’initiation de l’AM (74%) estimé ici est due à plusieurs raisons. Le caractère longitudinal de l’étude a permis de préciser certaines données recueillies à la maternité et de compléter les informations des mères ayant échappé au recueil à un mois. Par ailleurs, une question supplémentaire sur le fait d’avoir essayé d’allaiter au sein était posée aux femmes déclarant ne donner que des PN à leur enfant au moment du remplissage du questionnaire à la maternité. Dans l’article précédent, dans un but de comparabilité avec notamment l’ENP 17, ces mères n’allaitant pas au moment du recueil, mais déclarant avoir essayé quand même d’allaiter, n’étaient pas comptabilisées dans le taux d’AM à la maternité. Dans le présent article, elles l’ont été afin de tenir compte de toutes les tentatives d’AM, quelle que soit leur durée. Ceci permet ainsi de s’affranchir des variations liées au moment (entre J0 et J4) où les informations sur l’AM étaient recueillies à la maternité.

Des études ponctuelles sur l’AM ont été menées en France. Les plus anciennes, entre 1985 et 1995, avec des taux d’initiation de l’AM relativement faibles (entre 35 et 56%), ont permis d’estimer des durées médianes d’AM de 8 9 à 10 semaines 7,10. Des données sur des naissances de 1999, recueillies dans trois maternités de Savoie, établissaient une médiane de l’AM à 13 semaines 8. Une étude plus récente, réalisée en 2002 dans une maternité de la région parisienne 11, montrait un taux d’initiation de l’AM de 73% à la naissance et un taux à 6 mois de 22%, proches de ceux observés dans Épifane. Le recrutement de cette maternité de niveau III était cependant spécifique avec, en particulier, des proportions de mères nées à l’étranger et de mères de niveau d’études supérieur plus élevées qu’au niveau national. La cohorte Eden, plus récente, a porté sur des naissances de la période 2003-2006 12. Les taux d’AM étaient de 71% à la maternité, 33% à 3 mois et 19% à 6 mois. Ces taux étaient légèrement inférieurs à ceux observés dans Épifane, mais l’évolution des taux sur la période entre les deux études reste difficile à interpréter en raison de la sélection particulière des participantes à l’étude Eden, avec un suivi prévu sur plusieurs années, et un recrutement limité à deux maternités (Poitiers et Nancy). Enfin, l’étude la plus récente, réalisée dans les Pays de la Loire en 2007 6, estimait la durée d'AM à 15 semaines chez les enfants allaités, comme dans Épifane.

En Europe, les pays disposant de données publiées font état de taux d’AM entre 3 et 12 mois supérieurs à ceux observés dans Épifane. Une revue sur l’AM dans les pays industrialisés relevait les taux d’AM (quel que soit le degré d’exclusivité) à 3-4 mois de 66% en Italie et 43% au Royaume-Uni 18. Aux Pays-Bas, en 2000-2003, Lanting et coll. rapportaient des taux d’AM de 43% à 3 mois et 33% à 6 mois 13. En 2006-2007, en Norvège, où près de 99% des enfants étaient allaités à la naissance, les taux d’AM à 3, 6 et 12 mois étaient, respectivement, de 89%, 82% et 46% 14. Dans cette même étude, le taux d’AM exclusif (selon la définition de l’OMS) à 3 mois était de 65%, contre seulement 10% dans Épifane. Les définitions précises du degré d’exclusivité de l’AM rendent cependant les comparaisons difficiles avec la plupart des données internationales 18. Les notions d’AM exclusif ou prédominant telles que définies par l’OMS nécessitent en effet des données alimentaires très détaillées sur l’introduction de liquides autres que les PN dans l’alimentation de ces enfants. Ces informations n’étant pas toujours disponibles, la notion d’AM exclusif se limite dans de nombreuses études au fait de ne pas associer de PN à l’AM 13,19.

En France, comme dans la plupart des pays européens, les fréquences et durées d’AM rapportées dans la littérature sont faibles par rapport aux recommandations. Le PNNS recommande d’allaiter son enfant de façon exclusive au moins jusqu’à 4 mois ; or, à 3 mois, seuls 10% des enfants l’étaient de façon exclusive et 21% de façon exclusive ou prédominante. Même si la situation est différente dans les pays du nord de l’Europe, les écarts aux recommandations sont importants dans la plupart des pays européens. Le manque de soutien auprès des mères qui souhaitent allaiter, à la maternité et lors du retour à domicile, la durée des congés maternité ou l’image peu valorisée de la femme qui allaite sont des raisons qui pourraient expliquer la situation particulièrement défavorable de la France 20.

Que ce soit à 3, 6 ou 12 mois, la poursuite de l’AM était associée à la plupart des variables liées à son initiation. Les facteurs socio-démographiques et comportementaux associés à la durée de l’AM étaient ceux retrouvés fréquemment dans la littérature 11,13,14,21,22. La modification de certains de ces facteurs tels que les séances de préparation à l’accouchement, le contact peau à peau dans l’heure suivant l’accouchement et la perception du conjoint, pourrait éventuellement améliorer les pratiques d’AM. D’autres facteurs, comme la corpulence des mères avant la grossesse, l’accouchement par voie basse ou le tabagisme pendant la grossesse, permettraient, en identifiant les femmes moins susceptibles d’allaiter, d’améliorer les conseils et le soutien qui leurs sont fournis si elles souhaitent finalement allaiter. Par exemple, le tabagisme pendant le post-partum, qui n’est pas une contre-indication à l’AM sous réserve de certaines précautions 23, devrait faire l’objet d’un discours adapté pour ne pas décourager ces mères d’allaiter si elles le souhaitent. Ces différents éléments devraient être pris en compte dans la mise en place d’interventions spécifiques, destinées à encourager les mères qui ont choisi d’allaiter à poursuivre l’AM de leur enfant. Les analyses multivariées à venir permettront de déterminer le rôle propre de ces différents facteurs sur la poursuite de l’AM et son degré d’exclusivité.

Conclusion

Parmi les enfants allaités à la naissance, la moitié l’étaient encore à 15 semaines, la médiane de l’AM exclusif ou prédominant étant, quant à elle, estimée à 3 semaines et demie. Près de 40% des enfants étaient toujours allaités à 3 mois, mais seulement 21% de façon exclusive ou prédominante. Les résultats de cette étude montrent la nécessité de promouvoir l’AM et d’encourager sa poursuite jusqu'à 6 mois auprès des mères qui ont choisi d’allaiter, comme le recommande le PNNS. Si la promotion de l’AM passe nécessairement par une information plus importante des futures et nouvelles mères, elle devrait également faire l’objet d’une formation renforcée des personnels exerçant dans les domaines de la périnatalité, de la pédiatrie et de la protection maternelle et infantile. Le suivi des enfants de l’étude Épifane jusqu’à 12 mois permettra également de décrire la mise en place d’une alimentation diversifiée qui, progressivement, doit se substituer à l’alimentation exclusivement lactée. L’ensemble de ces éléments permettront d’adapter les messages sur l’alimentation des nourrissons au cours de leur première année de vie, pour que les pratiques se rapprochent au mieux des recommandations actuelles.

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Citer cet article

Salanave B, de Launay C, Boudet-Berquier J, Castetbon K. Durée de l’allaitement maternel en France (Épifane 2012-2013). Bull Epidémiol Hebd. 2014;(27):450-7. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/27/2014_27_2.html