Prévalence de l’allaitement à la maternité selon les caractéristiques des parents et les conditions de l’accouchement. Résultats de l’Enquête Elfe maternité, France métropolitaine, 2011
// Breastfeeding prevalence in maternity wards according to parents and delivery characteristics. Results from the ELFE Survey in maternity units, mainland France, 2011
Résumé
Objectifs –
À partir des données de l’étude Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance), cet article présente la prévalence de l’allaitement à la maternité selon les caractéristiques des parents et les conditions de l’accouchement.
Méthodes –
L’étude Elfe porte sur plus de 18 000 nourrissons nés tout au long de l’année 2011 dans un échantillon aléatoire de maternités de France métropolitaine. Les données portant sur l’alimentation lactée ont été recueillies à la maternité par questionnaire administré en face-à-face par le personnel médical.
Résultats –
Plus des deux-tiers des nourrissons (70,5%) recevaient du lait maternel à la maternité (59,0% de façon exclusive, 11,5% en association avec des préparations pour nourrissons). Ce taux moyen cachait des différences importantes selon le contexte de la naissance et les caractéristiques des parents. Les taux d’allaitement étaient plus faibles en cas de complications à la naissance ainsi que chez les nourrissons dont les parents étaient nés en France, étaient ouvriers, employés ou sans profession, et chez ceux dont les mères avaient un niveau d’études intermédiaire. La pratique de l’allaitement diminuait aussi quand la mère était fumeuse, peu investie dans la préparation à la naissance et lorsqu’elle était en situation d’insuffisance ou de surcharge pondérale avant la grossesse. Ces mêmes caractéristiques sociales renforçaient la partition des choix entre allaitement exclusif et allaitement partiel, exception faite des mères étudiantes et étrangères qui pratiquaient plus que les autres un allaitement partiel, malgré leur forte propension à allaiter.
Conclusion –
La prévalence de l’allaitement total en maternité varie selon de nombreuses caractéristiques des parents, des naissances et de l’accouchement. La plupart de ces caractéristiques influencent aussi le choix de l’allaitement exclusif par rapport à l’allaitement partiel. Les facteurs identifiés fournissent des pistes pour élaborer des actions spécifiques de promotion de l’allaitement ciblant les groupes de mères les moins enclines à allaiter.
Abstract
Objectives –
Using data from the French Longitudinal Study of Children ELFE (Growing up in France), our objectives were to describe breastfeeding prevalence at maternity units and its association with both parents’ characteristics and the context of delivery.
Methods –
The Elfe survey is based on a representative sample of more than 18,000 infants born in 2011 in a random sample of maternity wards in mainland France. Milk feeding data were collected during the maternity stay using a face-to-face questionnaire administered by healthcare staff.
Results –
More than two thirds of the infants (70.5%) were breastfed in maternity units (59.0% exclusively, 11.5% partially). This average rate concealed significant differences depending on the context of birth and parents characteristics. Breastfeeding rates were lower in case of complications at birth. Infants of lower social class and those of native-born parents as well as infants of mothers with only intermediate education level were less frequently breastfed at birth. Breastfeeding rate also decreased when the mother was underweight, overweight or obese before pregnancy, smoked during pregnancy and was not invested in delivery preparation courses. These social characteristics reinforce the choice between exclusive and mixed breastfeeding, except for students and foreign mothers who practiced mixed feeding more than other mothers despite their propensity to breastfeed.
Conclusion –
The prevalence of total breastfeeding at maternity varies according to parents, birth and delivery characteristics. Most of these characteristics also influence breastfeeding exclusivity versus partial breastfeeding. The identified factors provide guidelines to develop breastfeeding promotion campaigns targeting particular groups of mothers less likely to breastfeed.
Introduction
L’allaitement, exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois puis associé à une diversification jusqu’à l’âge de 2 ans ou plus, est aujourd’hui reconnu comme le mode d’alimentation optimal du nourrisson. Ces dernières décennies, nombre de travaux scientifiques ont conclu à un effet bénéfique de l’allaitement sur la santé de la mère et de l’enfant. Ils soulignent les effets positifs à long terme de l’allaitement, notamment sur la réduction du risque infectieux et le développement cognitif et moteur de l’enfant 1,2. En revanche, le bénéfice de l’allaitement sur le développement émotionnel, la fréquence des allergies et l’obésité infantiles est encore débattu 3. Chez les mères, l’allaitement réduirait l’incidence des cancers du sein et améliorerait la santé en suite de couches 4. Le lait maternel apparaît comme une forme de nutrition sur mesure, dont le volume et la composition se modifient pour s’adapter aux besoins du nouveau-né en croissance 5. Sans en imiter parfaitement la composition, les préparations pour nourrissons représentent néanmoins une alternative sanitaire acceptable lorsque l’allaitement est impossible ou non désiré.
En France, comme dans de nombreux pays, la promotion de l’allaitement est inscrite dans les programmes de santé publique 6. À la fin des années 1970, moins de la moitié des enfants recevaient en maternité du lait maternel seul ou en association avec des préparations pour nourrissons 7. Le Programme national nutrition santé (PNNS) de 2006 visait l’objectif de 70% d’enfants allaités, de façon exclusive ou partielle, à la naissance en 2010. Bien que cet objectif soit aujourd’hui presque atteint (69% en 2010) 8, la prévalence de l’allaitement total en France se situe encore parmi les plus faibles d’Europe 9. La promotion de l’allaitement demeure donc une priorité du PNNS 2011-2015, qui a l’ambition d’augmenter sa fréquence d’au moins 15% en cinq ans 10. La mise en œuvre de ces recommandations se heurte à la différenciation sociale des normes et pratiques d’allaitement qui se manifestent, dès la maternité, selon les caractéristiques sociodémographiques et culturelles de la mère et les conditions de l’accouchement. En France, les mères mariées, plus âgées, primipares, étrangères, de haut niveau d’études et occupant une position élevée dans la hiérarchie sociale initient davantage l’allaitement 11,12,13. À l’inverse, des taux plus faibles d’allaitement total sont observés chez les mères en surpoids, ayant fumé pendant la grossesse et n’ayant pas participé à des séances de préparation à l’accouchement 11,12. Les enfants nés par césarienne sont moins fréquemment allaités de façon exclusive ou partielle 11,12. En revanche, l’initiation de l’allaitement n’est pas liée à la prématurité, à la gémellarité, au rang de l’enfant et au faible poids du nourrisson à la naissance, selon les résultats d’une étude menée en maternité en 2012 11. L’objectif est de présenter ici les premiers résultats descriptifs issus des données de l’étude Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) sur la prévalence de l’allaitement à la maternité selon les caractéristiques des parents et les conditions de l’accouchement.
Méthodes
Elfe est la première étude de cohorte de naissance de grande envergure en population générale réalisée en France. Plus de 18 000 enfants ont été recrutés en maternité pour être suivis jusqu’à l’âge adulte dans une perspective pluridisciplinaire. Avec une représentativité nationale et un échantillon de grande taille, il s’agit de mieux comprendre l’effet à long terme de l’évolution de l’environnement, de l’entourage familial, des conditions de vie et d’alimentation des enfants sur leur développement, leur santé et leur socialisation. Les données collectées permettent d’étudier finement les déterminants socioculturels des pratiques alimentaires infantiles, de l’initiation de l’allaitement à la diversification alimentaire 14.
La cohorte Elfe porte sur un échantillon d’enfants nés durant 25 jours répartis au cours de quatre vagues saisonnières d’enquêtes sur l’année 2011. Ces enfants ont été sélectionnés dans un échantillon aléatoire de 349 maternités parmi les 544 recensées en France métropolitaine. L’échantillon de l’enquête est issu d’un plan de sondage à plusieurs degrés : le premier est celui des maternités tirées au sort selon un plan stratifié avec allocations proportionnelles à leurs tailles, le deuxième renvoie aux 25 jours d’inclusions sélectionnés et le dernier, exhaustif sous certains critères d’éligibilité, est celui des nourrissons. Les nourrissons éligibles étaient d’un âge gestationnel d’au moins 33 semaines d’aménorrhée, issus d’un accouchement au plus gémellaire et d’une mère majeure, en mesure de donner un consentement éclairé dans l’une des langues proposées (français, anglais, arabe ou turc). Par ailleurs, les familles prévoyant de vivre hors métropole au cours des trois années suivantes n’ont pas été incluses. Le taux de participation des maternités était de 91,7% et 50,9% des familles ont consenti au suivi. Après exclusion des personnes ayant retiré leur consentement après le début du suivi (30) et des nourrissons nés hors des 25 jours d’inclusion de l’étude Elfe (71), l’échantillon initial se compose de 18 228 nouveau-nés.
L’enquête en face-à-face à la maternité, réalisée par le personnel médical, a recueilli des renseignements sur la situation sociodémographique des parents, le déroulement de la surveillance prénatale, la consommation de tabac et d’alcool pendant la grossesse et les modalités d’alimentation lactée de l’enfant lors du séjour en maternité. Des informations extraites du dossier médical ont également renseigné sur le type et le terme de l’accouchement ainsi que sur l’état de santé, la taille et le statut pondéral de l’enfant.
À la maternité, les mères ont répondu au questionnaire en face-à-face alors que le nouveau-né était âgé en moyenne de 1,97 jour (7% à J0, jour de l’accouchement, 32% à J1, 35% à J2, 18% à J3 et 8% entre J4 et J14). L’alimentation lactée à la maternité a été mesurée au moment de l’entretien en face-à-face avec la mère, à partir de la question suivante : « Aujourd’hui, comment votre/vos enfant(s) est-il/sont-ils nourri(s) ? ». Les réponses fournies par les mères ont été classées selon plusieurs modalités : « Au lait maternel uniquement », « Au lait premier âge uniquement », « Allaitement partiel », « Ne sait pas » et « Autre ». Ces déclarations ont été utilisées pour distribuer les dyades mère-enfant en 3 groupes d’alimentation lactée : allaitement exclusif, allaitement partiel et préparations pour nourrissons uniquement. L’allaitement est exclusif lorsque le nourrisson ne reçoit que du lait maternel, sans aucun complément de lait artificiel au moment de l’entretien en face-à-face avec la mère. Il est partiel dès que des préparations pour nourrissons sont introduites en plus du lait maternel dans l’alimentation du nouveau-né. Enfin, les enfants ne recevant pas du tout de lait maternel sont nourris uniquement avec des préparations pour nourrissons. Les réponses données par les mères sur l’alimentation lactée de l’enfant en maternité ont été complétées et confirmées en utilisant l’information rétrospective fournie 2 mois et 1 an après l’accouchement sur l’allaitement de l’enfant depuis la naissance, les indications sur le nombre de tétées et de biberons collectées à 2 mois puis chaque mois entre 3 et 10 mois, ainsi que les données sur l’âge de l’enfant à l’arrêt de l’allaitement, recueillies 1 an après l’accouchement. Le mode d’alimentation lactée de l’enfant à la maternité demeure inconnu pour moins de 1% (n=95) des enfants de la cohorte. L’analyse porte ainsi sur 18 133 enfants.
Les résultats présentés ici sont issus d’une analyse descriptive et univariée des facteurs liés à l’allaitement en maternité. Les facteurs étudiés sont subdivisés en quatre grands groupes. Le premier correspond aux caractéristiques sociodémographiques et culturelles de la mère (pays de naissance, catégorie socioprofessionnelle, niveau d’études, âge, situation professionnelle avant la grossesse). La situation conjugale est mesurée en combinant l’état matrimonial et la vie de couple. Le deuxième groupe renvoie aux indicateurs décrivant la santé et le comportement de la mère pendant la grossesse (corpulence avant la grossesse, tabagisme pendant la période gestationnelle, nombre de cigarette(s) fumée(s) chaque jour pendant le 3e trimestre de la grossesse, consommation d’alcool pendant la grossesse et fréquence de participation à des séances de préparation à la naissance). Le troisième groupe correspond aux caractéristiques de la naissance et de l’accouchement (rang, poids à la naissance, âge gestationnel, naissance unique ou gémellaire, mode d’accouchement, transfert de l’enfant et présence du père au moment de l’accouchement). Enfin, le dernier groupe de facteurs se rapporte aux caractéristiques sociodémographiques et culturelles du père (âge, pays de naissance, catégorie socioprofessionnelle, situation professionnelle actuelle). L’examen des facteurs liés à l’allaitement est mené pour l’allaitement total, puis en distinguant l’allaitement exclusif de l’allaitement partiel. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel SAS® 9.4. Les analyses univariées ont été effectuées à l’aide du test du Chi2 de Pearson (avec un seuil de signification fixé à 5%). Les données ont été pondérées pour tenir compte du plan de sondage stratifié et des biais liés au non consentement. Cette pondération, calculée par l’équipe Elfe, est obtenue par ajustement à partir des variables communes aux consentantes et aux non consentantes, puis par redressement à l’aide d’un calage sur les marges à partir des données de l’état-civil et de l’Enquête nationale périnatale (ENP) 2010 sur plusieurs variables (âge, région, état matrimonial, statut d’immigré, niveau d’études et primiparité) 15. Les intervalles de confiance à 95% (IC95%) ont été calculés pour les résultats globaux.
Résultats
À la maternité, dans l’étude Elfe, le pourcentage d’enfants allaités par leur mère, que ce soit de façon exclusive ou partielle, était de 70,5% (IC95%: [69,8-71,2]) et de 59,0% [58,4-59,8] pour le seul allaitement exclusif (tableau 1).
Le taux moyen de l’allaitement à la maternité variait significativement selon la saison de naissance. Il était plus élevé pour les enfants nés au printemps (72,8%) que pour ceux nés à l’automne (69,4%) ou en été (70,1%) (p<0,05).
La pratique de l’allaitement en maternité était beaucoup plus fréquente chez les femmes nées à l’étranger que chez celles nées en France (tableau 2). Elle augmentait avec le niveau social des mères et leur niveau d’études, à partir du niveau CAP/BEP pour l’ensemble des mères, et à partir du niveau collège pour les seules mères nées en France. Par ailleurs, l’allaitement, qu’il soit exclusif ou partiel, était moins fréquent chez les mères non mariées, âgées de moins de 30 ans, au chômage, au foyer ou en congé parental. La prévalence de l’allaitement était également plus faible chez les femmes en situation d’insuffisance ou de surcharge pondérale avant la grossesse, chez celles ayant fumé pendant la grossesse, en particulier pendant le 3e trimestre, et chez celles qui avaient relativement peu assisté aux séances de préparation à la naissance. Il existait une relation linéaire entre le nombre de cigarette(s) fumée(s) chaque jour par la mère pendant le 3e trimestre de la grossesse et la proportion d’enfants recevant du lait maternel à la naissance : plus la mère fumait, moins elle allaitait. La prévalence de l’allaitement était toutefois similaire quelle que soit la consommation d’alcool pendant la grossesse. Elle variait ensuite selon plusieurs caractéristiques des naissances et de l’accouchement. Les enfants nés par césarienne, transférés pour surveillance ou en raison d’un état de santé précaire, ceux qui étaient issus d’une grossesse gémellaire ainsi que les enfants prématurés ou de faible poids de naissance étaient moins souvent allaités. En revanche, les premiers-nés des fratries ainsi que ceux dont le père était présent à l’accouchement l’étaient davantage. Les caractéristiques du père (âge, pays de naissance, catégorie socioprofessionnelle, situation professionnelle actuelle) jouaient dans le même sens que celles de la mère sur l’allaitement en maternité.
Dans la plupart des cas, les caractéristiques des parents, des naissances et de l’accouchement associées à la pratique de l’allaitement en maternité étaient aussi celles qui, lorsqu’il y avait allaitement, influençaient la préférence de l’allaitement exclusif sur l’allaitement partiel. Cependant, le fait d’être étudiante ou née à l’étranger jouait un rôle favorable plus marqué pour l’allaitement partiel que pour l’allaitement exclusif. Le rang de naissance influençait davantage l’allaitement en maternité que le type d’allaitement pratiqué. Par ailleurs, la part de l’allaitement exclusif dans l’allaitement total était sensiblement plus faible pour les jumeaux et les nouveau-nés susceptibles de présenter des problèmes de santé (enfants transférés, prématurés, de faible poids à la naissance et dans une moindre mesure, nés après césarienne).
L’étude des taux d’allaitement à la maternité en fonction de variables croisant les caractéristiques de la mère et du père a permis d’approfondir l’analyse. Cet examen a été mené pour l’un des principaux facteurs de l’allaitement en maternité, à savoir, le pays de naissance (figure). De même que celle de la mère, l’origine géographique du père était un facteur essentiel de la pratique de l’allaitement en maternité. La proportion d’enfants allaités était plus élevée lorsque les deux parents étaient nés à l’étranger (90,8%) et elle était plus faible lorsqu’ils étaient tous deux nés en France (65,5%). Les unions mixtes se situaient à un niveau de pratique intermédiaire, avec toutefois un pourcentage d’allaitement plus élevé lorsque c’était la mère qui était née à l’étranger (88,0% contre 76,7%).
Discussion
En 2011, un allaitement au sein exclusif ou partiel à la maternité était donné à plus de deux tiers des nourrissons (70,5%). La proportion d’enfants nourris exclusivement au sein en maternité était de 59,0%. Ces nouvelles estimations viennent s’ajouter à celles obtenues à partir d’autres sources collectant, pour une période voisine, des données sur le mode d’alimentation lactée de l’enfant à la naissance : les enquêtes ENP 2010 et Épifane 2012 (voir aussi l’article de B. Salanave et coll. dans ce même numéro). Par rapport à une enquête ponctuelle et transversale en maternité (ENP 2010) ou un suivi sur 12 mois (Épifane 2012), le consentement à un suivi sur longue période a pu accroître la sélection des répondants au regard de caractéristiques associées à la pratique de l’allaitement en maternité. Un recueil anonyme d’informations sur les mères non consentantes a permis d’établir que les mères multipares, âgées de moins de 25 ans ou de plus de 40 ans, sans activité professionnelle au moment de la grossesse ou résidant en Île-de-France, ont moins souvent accepté d’entrer dans la cohorte Elfe. De plus, la comparaison du profil des participantes avec les données de l’ENP 2010 montre une sous-représentation des mères n’ayant jamais été scolarisées ou de faible niveau d’études (primaire, collège, CAP/BEP) dans l’étude Elfe 15. Cette sélection a pu conduire à une surestimation de la prévalence de l’allaitement en maternité. Les pondérations calculées ont néanmoins permis de minimiser l’influence de ces biais de sélection sur la mesure du mode d’alimentation lactée de l’enfant en maternité. Ceci est confirmé par la proximité des taux d’allaitement en maternité obtenus à partir de l’étude Elfe avec ceux estimés à partir des autres sources existantes. Pour l’ensemble des naissances, uniques et gémellaires, la prévalence de l’allaitement total en maternité était de 68,8% [68,0-69,8] dans l’ENP 2010 contre 70,5% [69,8-71,2] en 2011 dans l’étude Elfe. En ne retenant, en cas de naissances multiples, qu’un seul des jumeaux, cette même prévalence atteignait 69,1% [67,3-70,8] en 2012 dans Épifane contre 70,6% [69,9-71,4] dans Elfe.
Comparée à Épifane 2012 (n=3 500), l’enquête Elfe porte sur un échantillon de plus grande taille. Les caractéristiques sociodémographiques des parents, notamment du père, recueillies dans Elfe sont plus détaillées que celles collectées à travers l’ENP 2010 et Épifane 2012. Dans l’étude Elfe, la prévalence de l’allaitement en maternité était plus faible lorsque la mère possédait un niveau d’études intermédiaire, ne participait pas ou peu aux séances de préparation à la naissance, fumait pendant la grossesse ainsi que lorsque les parents étaient jeunes, non mariés, nés en France, au chômage ou au foyer et lorsqu’ils occupaient une position peu élevée dans la hiérarchie sociale. Des taux particulièrement faibles d’allaitement étaient observés pour les prématurés et les enfants de petit poids à la naissance. Pour des variables comparables, ces résultats confirment ceux obtenus par analyse univariée à partir des données des enquêtes ENP ou de l’étude Épifane 2012 11,12. Des différences avec l’étude Épifane s’observent néanmoins pour quelques variables comme la prématurité, le poids à la naissance, la gémellarité et le rang de l’enfant, liées à l’allaitement au seuil de 5% dans Elfe et qui ne le sont pas dans Épifane 11. Ces écarts s’expliquent probablement par la plus grande puissance statistique des tests appliqués aux données de l’enquête Elfe par rapport à ceux réalisés à partir de l’étude Épifane, dont l’échantillon est de plus petite taille.
Les résultats présentés ici sont les premiers résultats descriptifs issus de la cohorte Elfe. Ils seront prolongés par des analyses multivariées afin d’isoler l’effet respectif de chaque facteur lié à l’allaitement sur la probabilité des mères d’allaiter leur enfant à la maternité. Par ailleurs, le suivi sur longue période et la collecte d’informations plus détaillées dans l’étude Elfe que dans les autres enquêtes disponibles permettent d’envisager de nouvelles orientations de recherche. À court terme, les données sur les maternités seront mobilisées pour étudier l’effet de la région et des pratiques des maternités sur l’allaitement à la maternité. Les informations recueillies 2 mois après la naissance complèteront l’exploration des facteurs associés à la pratique de l’allaitement en maternité en tenant compte d’autres variables : les sources de conseils mobilisées pour les soins aux nourrissons, l’expérience antérieure d’allaitement, le fait que la mère ait été elle-même allaitée ou encore, pour les mères nées à l’étranger, l’attachement aux valeurs culturelles du pays d’origine (langue parlée à la maison, durée de résidence en France). À moyen terme, l’analyse des déterminants associés à la durée de l’allaitement et à la diversification alimentaire permettra de vérifier si ces facteurs sont identiques à ceux identifiés pour l’initiation de l’allaitement. Enfin, à plus long terme, les relations entre les pratiques d’alimentation infantile et la santé ou la croissance de l’enfant seront examinées.
La prévalence de l’allaitement en France, en particulier de l’allaitement exclusif, est nettement inférieure à celle observée dans d’autres pays européens. Ainsi, alors que seulement 59% des enfants sont nourris exclusivement au lait maternel en maternité en France, cette proportion atteint par exemple 95% au Danemark, 90% en Pologne ou encore 89% en Suède 16. Favoriser la diffusion de la pratique de l’allaitement à la maternité passe notamment par des interventions de santé publique prenant en compte la diversité des populations et des attitudes. Il est donc nécessaire de connaître et de suivre régulièrement les facteurs qui font que les mères allaitent ou non leur nouveau-né en maternité.
Les résultats ont montré que le taux d'allaitement variait en fonction du niveau d'études de la mère de façon non linéaire : il était élevé pour les femmes qui avaient atteint un niveau d’études primaire ou collège, diminuait pour les niveaux CAP/BEP et augmentait ensuite avec le niveau d'études. La surreprésentation des mères nées à l’étranger parmi les mères de faibles niveaux d’études n’expliquait pas totalement cette évolution. Pour les seules mères nées en France, le taux d’allaitement demeurait plus élevé chez les mères n’ayant pas dépassé le primaire (63%) par rapport à ce qu’il était chez celles ayant un niveau d’études légèrement supérieur (collège : 41%, CAP/BEP : 52%). Cette différence s’observait aussi pour les mères nées à l’étranger, qui étaient 90% à allaiter leur nouveau-né en maternité lorsqu’elles n’avaient pas dépassé le primaire et environ 84% à le faire lorsqu’elles avaient atteint un niveau collège ou CAP/BEP. La relation non linéaire entre allaitement et niveau d’études a déjà été notée dans d’autres travaux 17,18. L’origine géographique de la mère influençait peu les résultats généraux pour les autres variables. Par exemple, la sous-représentation des mères nées à l’étranger parmi les mères non mariées et en couple (8% contre environ 30% dans les autres catégories) n’expliquait pas les différences d’allaitement observées selon la situation conjugale de la mère. Qu’elles soient nées en France ou à l’étranger, les mères mariées allaitaient davantage en maternité, de façon exclusive ou partielle, que les mères non mariées et en couple, ces dernières allaitant plus fréquemment que les mères seules. Pour les mères nées à l’étranger, la prévalence de l’allaitement total était de 92% chez les mères mariées, de 86% chez les mères non mariées et de 81% chez les mères seules, et respectivement de 70%, 65% et 55% pour les mères nées en France.
Malgré une réduction des écarts entre groupes sociaux depuis la fin des années 1990 12, les taux d’allaitement en maternité restaient socialement différenciés en 2011. Une manière d’atténuer sensiblement les disparités sociales françaises en matière d’initiation de l’allaitement serait d’élaborer des actions spécifiques en faveur des groupes les moins engagés dans cette démarche. Aux États-Unis, certains travaux montrent que les programmes d’information et d’éducation ciblant les groupes sociaux modestes, en particulier via la mise en place de soutien de proximité, entraînent une augmentation sensible des taux d’allaitement en maternité dans ces populations 19.
Les enfants dont les mères avaient suivi des séances de préparation à la naissance et qui avaient assisté à un grand nombre de ces séances étaient davantage allaités en maternité. Il est probable que la diffusion d’informations sur les avantages de l’allaitement et la promulgation de conseils pour allaiter au cours des séances de préparation à la naissance favorisent l’initiation de l’allaitement. Les actions de santé publique encourageant la participation des mères aux séances de préparation à la naissance pourraient ainsi constituer un levier efficace pour favoriser la diffusion de la pratique de l’allaitement en maternité et réduire les disparités sociales. En effet, la participation à des séances de préparation à la naissance était très fortement corrélée à l’origine sociale (plus de 70% des femmes ouvrières ou sans profession ne participaient à aucune séance de préparation à l’accouchement contre seulement 27% des femmes cadres). Cette corrélation entre participation à des séances de préparation à la naissance et origine sociale a déjà été mise en évidence à partir des données de l’ENP 2010 20.
Pendant la grossesse, dans l’étude Elfe, 21,7% des mères avaient fumé au moins une cigarette et 23,2% avaient consommé au moins une fois de l’alcool. Les analyses univariées ont montré que le tabagisme et la consommation d’alcool pendant la grossesse n'étaient pas liés de la même manière à l’initiation de l’allaitement en maternité. La prévalence de l’allaitement total était plus faible chez les mères qui fumaient pendant la période gestationnelle (55%), en particulier chez celles qui fumaient pendant le 3e trimestre de la grossesse (52%). Pour ces dernières, plus le nombre de cigarette(s) fumée(s) chaque jour était important, plus le taux d’allaitement total était bas. À l’inverse, la consommation d’alcool pendant la grossesse, quelle que soit sa fréquence, ne jouait pas sur l’initiation de l’allaitement en maternité. L’inégale distribution sociale de ces deux comportements à travers la population des mères enquêtées pourrait expliquer ces différences. En effet, fumer pendant la grossesse était une pratique dont la fréquence diminuait au fur et à mesure que l’on s’élevait dans la hiérarchie sociale : les femmes qui fumaient pendant leur grossesse étaient aussi celles qui avaient le moins tendance à allaiter. Au contraire, consommer au moins une fois de l’alcool pendant la période gestationnelle était une conduite plus répandue chez les mères cadres ou exerçant une profession intermédiaire que chez les mères ouvrières ou sans profession. Ainsi, dans l’étude Elfe, seulement 10% des mères cadres avaient fumé au moins une cigarette pendant la grossesse contre environ 35% des ouvrières, ces deux proportions atteignaient respectivement 32% et 21% en ce qui concerne la consommation d’alcool pendant la période gestationnelle. En outre, certains travaux concluent que les mères qui fument pendant la grossesse refusent d’allaiter par crainte des conséquences néfastes du tabac sur la qualité de leur lait et, de ce fait, sur la santé de leur enfant 21. Or, plusieurs études ont montré un effet protecteur de l’allaitement vis-à-vis des effets négatifs du tabac pour la santé de l’enfant 22. S’il importe de convaincre les mères fumeuses de cesser de fumer pendant la grossesse, il est aussi nécessaire de favoriser la diffusion de l’allaitement chez les mères qui refusent ou qui ne parviennent pas à arrêter. Cela pourrait notamment passer par une meilleure information concernant la supériorité des bienfaits de l’allaitement par rapport à ses inconvénients chez la mère fumeuse.
En plus des nombreux bénéfices associés à l’allaitement pour tous les enfants, les recherches scientifiques montrent que le lait maternel présente des avantages spécifiques pour les nourrissons hospitalisés en néonatologie 23,24. Les critères d’éligibilité dans Elfe, en particulier l’exclusion des grands prématurés nés avant 33 semaines d’aménorrhée, ne permettent pas de connaître, à partir des résultats de cette étude, le mode d’alimentation lactée en maternité de l’ensemble des nouveau-nés transférés en néonatologie. Toutefois, en 2011, pour les seuls enfants nés après 32 semaines d’aménorrhée, la prévalence de l’allaitement en maternité était plus faible en cas d’hospitalisation en néonatologie (64% contre 71%). En outre, quand ils étaient allaités, les enfants hospitalisés l’étaient moins de façon exclusive (67% contre 85% des enfants qui n’avaient pas été transférés). À travers des stratégies spécifiques, les professionnels de santé exerçant en maternité et en néonatologie pourraient avoir un rôle à jouer dans l’optimisation de la prise en charge de l’allaitement pour ces dyades mères-enfants. Il pourrait s’agir notamment de favoriser un contact précoce entre la mère et l'enfant, ou encore de transmettre un discours cohérent et adapté sur les avantages de l’allaitement. L’enjeu pourrait aussi être de soutenir, de conseiller, d’aider et d’assister la mère lors des premières mises au sein 25. L’Étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels (Épipage 2), débutée en 2011 et recueillant des informations sur les grands prématurés, permettra de compléter les résultats d’Elfe concernant le mode d’alimentation lactée des nourrissons hospitalisés en néonatologie 26.
À travers la perception qu’il a de l’allaitement, le conjoint joue un rôle déterminant sur l’allaitement en maternité 11. Reconnaissant le rôle central du conjoint, le rapport « Plan d’action pour l’allaitement maternel », publié en 2010, propose d’associer le père aux informations concernant les bénéfices de l’allaitement pour la santé de l’enfant et de la mère 9. Cependant, faute de données adéquates, rares sont les travaux français qui ont analysé précisément l’impact des caractéristiques du père de l’enfant sur l’allaitement à la naissance. Les données de la cohorte Elfe mettent en évidence certaines caractéristiques et attitudes du père corrélées à la pratique de l’allaitement en maternité. La prévalence de l’allaitement était plus faible lorsque le père était jeune, né en France, d’origine sociale modeste (notamment ouvrier), au foyer ou au chômage et lorsqu’il n’avait pas assisté à l’accouchement. Ces résultats invitent à prendre davantage en compte le rôle du père dans les actions de promotion de l’allaitement ou à cibler les actions de promotion vers les conjoints les moins susceptibles de soutenir la décision d’allaiter. Cela paraît d’autant plus important que, pour le pays de naissance, le croisement des origines géographiques des parents montre que les caractéristiques du père renforcent l’effet de celles de la mère sur la pratique de l’allaitement. Plus généralement, l’homogamie de la majorité des unions 27,28 laisse penser que d’autres caractéristiques paternelles (origine sociale, situation professionnelle, âge…) pourraient amplifier les écarts de pratique observés à partir des seules caractéristiques de la mère.
Conclusion
Si la pratique de l’allaitement en maternité s’est diffusée au cours des dernières années, elle reste encore à encourager pour atteindre les recommandations actuelles de santé publique, a fortiori pour l’allaitement exclusif. Les variations observées sur l’allaitement en maternité selon certaines caractéristiques socioculturelles et démographiques permettent d’identifier des groupes à cibler lors des actions de santé publique visant la promotion de l’allaitement : les mères nées en France, celles qui sont d’origine sociale modeste ou de niveau d’études intermédiaire, ainsi que les femmes fumant pendant leur grossesse et ne participant pas ou peu aux séances de préparation à la naissance. Par ailleurs, les pères, acteurs-clés de la décision d’allaitement, devraient le plus souvent être associés à ces interventions. En ciblant ceux dont les caractéristiques sont les moins favorables à l’allaitement (pères jeunes, nés en France, d’origine sociale modeste, au foyer ou au chômage), leur implication devrait être suscitée le plus tôt possible : dès la période prénatale, au cours des séances de préparation à la naissance.
Remerciements
Les auteurs remercient les membres de l’équipe Elfe, et plus particulièrement Marie Cheminat, Marie-Noëlle Dufourg et Hélène Juillard pour leurs conseils et/ou précisions lors de la finalisation de cet article.
Cette recherche a bénéficié du financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du projet ANR SOFI (« Déterminants socioculturels des pratiques alimentaires durant la première année de vie ») : ANR-12-DSSA-0001.
L’enquête Elfe est une réalisation conjointe de l’Institut national d’études démographiques (Ined), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Établissement français du sang (EFS), de l’Institut de veille sanitaire (InVS), de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de la Direction générale de la santé (DGS, Ministère chargé de la Santé), de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR, Ministère chargé de l’Environnement), de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, Ministères en charge de la Santé et de l’Emploi) et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), avec le soutien du Ministère de la Recherche, du Comité de concertation pour les données en sciences humaines et sociales (CCDSHS) et du Ministère chargé de la Culture (Deps). Dans le cadre de la plateforme Reconai, elle bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’ANR au titre du Programme « Investissements d’avenir » portant la référence ANR-11-EQPX-0038.