Maigreur, obésité et perte d’autonomie chez les personnes âgées à domicile en France : l’enquête nationale Handicap-Santé volet « ménages », 2008

// Underweight, obesity and disability in elderly community dwellers in France:The French National Survey on Disability and Health in households (HSM, 2008)

Michel Vernay1,2 (michel.vernay@univ-paris13.fr), Christine Chan-Chee1, Emmanuelle Szego1, Katia Castetbon1,2
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, Unité de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Usen), Bobigny, France
Soumis le 17.06.2013 / Date of submission: 06.17.2013
Mots-clés : Maigreur | Obésité | Personnes âgées à domicile | Autonomie | Surveillance nutritionnelle
Keywords: Underweight | Obesity | Elderly at home | Disability | Nutritional surveillance

Résumé

Introduction –

L’objectif était de décrire la prévalence de l’obésité et de la maigreur chez les personnes âgées à domicile en France et d’étudier leur association avec la perte d’autonomie.

Méthodes –

L’enquête nationale Handicap-Santé, volet « ménages », réalisée en 2008, comportait un recueil en face-à-face de données sociodémographiques, anthropométriques et sur les restrictions d’activité de la vie quotidienne. Les relations entre catégories d’indice de masse corporelle (IMC) et perte d’autonomie (au moins une restriction d’activité) ont été analysées par des régressions logistiques multivariées ajustées sur les caractéristiques sociodémographiques.

Résultats –

Les analyses ont porté sur 4 296 personnes âgées de 75 ans et plus. La prévalence de la maigreur (IMC<21) s’élevait à 14,9% [13,3-16,7]. Elle était plus élevée chez les femmes (19,6%) que chez les hommes (7,6%) et augmentait avec l’âge (p<10-3). La prévalence de l’obésité (IMC≥30) s’élevait à 14,6% [13,1-16,2]. Elle diminuait avec l’âge (p<10-3). Chez les hommes, le risque de perte d’autonomie était augmenté en cas de maigreur (ORa=2,7 ; p=0,007) ou d’obésité (ORa=1,9 ; p=0,005) comparé à la corpulence normale. Chez les femmes, il augmentait en cas de surpoids (ORa=1,7 ; p=10-3) ou d’obésité (ORa=2,9 ; p<10-3) comparé à la corpulence normale.

Conclusion –

L’obésité et la maigreur sont fréquentes parmi les personnes âgées à domicile et s’accompagnent d’un risque accru de perte d’autonomie. Dans un contexte marqué par le vieillissement de la population et l’augmentation de l’obésité chez les jeunes adultes, la surveillance nutritionnelle des personnes âgées constitue un enjeu de santé publique important.

Abstract

Introduction –

The aim was to describe the prevalence of obesity and underweight in elderly living at home in France, and to investigate the association with disability.

Methods –

The French National Survey on Disability and Health in households, conducted in 2008, included a face-to-face interview on sociodemographic and anthropometric data, and limitation in daily living activities. The relationship between Body Mass Index (BMI) categories and disability (at least one limitation) were analysed using multivariate logistic regression models after adjustment for sociodemographic variables.

Results –

Analyses were carried out on 4,296 elderly aged 75 years and over. The prevalence of underweight (BMI<21) was 14.9% [13.3-16.7]. The underweight prevalence was higher in women (19.6% versus 7.6% in men) and increased with age (p<10-3). The prevalence of obesity (BMI≥30) was 14.6% [13.1-16.2]. It decreased as age increased (p<10-3). In men, the risk of disability was higher among underweight (ORa=2.7, p=0.007) and obese (ORa=1.9, p=0.005) men compared to normal weight. In women, the risk of disability was increased in overweight (ORa=1.7, p=10-3) and obese (ORa=2.9, p<10-3) women compared to normal weight.

Conclusion –

Obesity and underweight are frequent among elderly living at home, and are characterized by an increased risk of disability. Due to increasing life expectancy and rising obesity prevalence among younger people, monitoring the nutritional status of elderly is a public health challenge.

Introduction

L’allongement de l’espérance de vie et l’augmentation de la prévalence de l’obésité dans la population font de la surveillance nutritionnelle de la population âgée un enjeu important de santé publique, en raison des conséquences délétères du surpoids et de l’obésité sur le statut fonctionnel 1, la mobilité 2, la qualité de vie et la survie des sujets âgés 3. Par ailleurs, l’avancée en âge s’accompagne également d’un risque accru de sarcopénie, définie par une diminution de la masse et de la force musculaires 4 et dont les signes évocateurs peuvent être une perte récente de poids et/ou une situation de maigreur. La sarcopénie est cependant parfois masquée par une obésité 4. Difficilement réversible, elle a un retentissement sur le risque de chute, l’autonomie et la mobilité des sujets âgés 5,6. Obésité, maigreur et sarcopénie entraînent une augmentation de la fréquence et de la durée des hospitalisations, un risque accru d’institutionnalisation et des coûts financiers de prise en charge importants 5,7.

Par ailleurs, au-delà des bénéfices de l’activité physique 8 et d’une alimentation équilibrée 6 sur la santé, sur la qualité de vie et sur la survie des personnes âgées, la participation des seniors à la vie sociale, culturelle, économique et citoyenne est également un élément important d’un vieillissement en bonne santé 9,10. Elle requiert cependant une autonomie et une mobilité suffisantes.

En France, les données épidémiologiques sur les habitudes alimentaires, le niveau d’activité physique et le statut nutritionnel des personnes âgées, en particulier à domicile, sont peu nombreuses et issues d’études locales, parfois anciennes, comme les études SENECA (Survey in Europe on Nutrition and the Elderly, a Concerted Action11 ou « 3 Cités » (3C) 12, ce qui ne permet qu’un pilotage limité des actions de santé publique. L’enquête Handicap-Santé, volet ménages (HSM), réalisée en 2008 en population générale, est une enquête de santé par interview destinée à évaluer le degré d’autonomie des enfants et des adultes à domicile 13. Les objectifs des présentes analyses étaient de décrire la corpulence (maigreur, surpoids et obésité) des personnes âgées vivant à domicile et d’étudier les associations entre corpulence et perte d’autonomie.

Matériel et méthode

L’enquête HSM a été réalisée d’avril à octobre 2008 auprès d’un échantillon représentatif d’individus de tous âges vivant dans un ménage ordinaire en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer (DOM). Le schéma de l’étude est détaillé ailleurs 13. Brièvement, les données portant sur la santé, les déficiences, les aides techniques, les limitations fonctionnelles et les restrictions d’activité de la vie quotidienne ainsi que sur les aspects sociodémographiques ont été recueillies lors d’un entretien en face-à-face auprès de la personne enquêtée ou, si besoin, d’une tierce personne.

L’enquête a reçu l’autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (arrêté CE-2008-721). Dans la mesure où des données mesurées de corpulence sont disponibles jusqu’à 74 ans en population générale 14 et qu’avant cet âge la problématique du vieillissement est différente, les présentes analyses ont été limitées aux participants âgés de 75 ans et plus.

Données analysées

Le recueil des données incluait les caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, vie en couple ou seul(e), niveau d’études et revenus du ménage), le poids et la taille déclarés et les fréquences de consommation de certains groupes d’aliments (fruits et légumes ; produits laitiers ; viandes, poissons et œufs - VPO) à l’aide de questions simples. L’existence de restrictions d’activités essentielles (Activities of Daily Living, ADL : difficulté ou impossibilité à faire seul(e) les soins personnels suivants : se laver, s’habiller et se déshabiller, couper la nourriture et se servir à boire, manger et boire une fois la nourriture prête, se servir des toilettes, se coucher et se lever du lit, s’asseoir et se lever d’un siège) ou instrumentales (Instrumental Activities of Daily Living, IADL : difficulté ou impossibilité à faire seul(e) les activités domestiques suivantes : faire les courses, préparer les repas, faire les tâches ménagères courantes, faire les tâches plus occasionnelles, faire les démarches administratives courantes, prendre les médicaments, se déplacer dans toutes les pièces d'un étage, sortir de son logement, utiliser un moyen de déplacement, trouver son chemin, se servir du téléphone) a également été recherchée. Les participants étaient aussi interrogés sur la fréquence de leurs déplacements hors du domicile (« Habituellement, vous déplacez-vous hors de votre domicile ? Tous les jours ou presque / Au moins une fois par semaine / Plus rarement / Jamais ») ainsi que sur l’existence, au cours des 12 derniers mois, d’une maladie cardiovasculaire (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, artérite, etc.), respiratoire (asthme, bronchite chronique, etc.), neurologique (Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques, etc.), psychiatrique, affectant les os et les articulations (lombalgie, arthrose, ostéoporose, etc.), d’un cancer ou d’un diabète.

Traitement des données

Les personnes se déclarant en couple mais vivant séparément ont été considérées comme vivant seules. Les participants ont été répartis selon leurs revenus moyens par unité de consommation (en quartiles) ainsi que selon le nombre de maladies chroniques déclarées dans les 12 mois précédant l’étude (aucune, une à deux, trois et plus).

L’indice de masse corporelle (IMC : poids (en kilogrammes)/taille2 (en mètres)) a été calculé à partir des valeurs de poids et de taille déclarées par les participants. Selon les seuils de la Haute Autorité de santé 15 et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les participants ont été considérés en situation de maigreur (IMC<21), de normocorpulence ([21-25[), de surpoids ([25-30[) ou d’obésité (IMC≥30). Les individus avec un IMC<19 ont été considérés en situation de maigreur sévère, tandis que ceux avec un IMC≥35 ont été considérés en situation d’obésité sévère.

Les participants ont été considérés en perte d’autonomie lorsqu’ils déclaraient au moins une restriction d’activité de la vie quotidienne (ADL ou IADL), et en perte d’autonomie sévère lorsqu’ils déclaraient au moins une restriction des ADL. La fréquence des déplacements hors du domicile a été considérée comme un proxy de la mobilité. Les individus ne se déplaçant pas tous les jours ou presque hors du domicile ont été considérés en perte de mobilité.

Analyses statistiques

Les analyses statistiques, réalisées avec le logiciel Stata® V.10, ont tenu compte du plan de sondage complexe 13. Les estimations ont été redressées sur l’âge, le sexe et la région de résidence 13. Les conséquences de l’obésité sur l’autonomie pouvant différer selon le sexe 2, les analyses ont été réalisées séparément pour les hommes et pour les femmes. Les associations entre perte d’autonomie et catégories de corpulence d’une part, et entre perte de mobilité et catégories de corpulence d’autre part, ont été estimées par des régressions logistiques multivariées, après ajustement sur les variables sociodémographiques et sur le nombre de maladies chroniques déclarées au cours des 12 mois précédant l’étude. Les résultats sont présentés avec un intervalle de confiance à 95% (IC95%) et une valeur de p<0,05 a été considérée comme statistiquement significative.

Résultats

Sur les 29 931 individus inclus dans le volet ménages de l’enquête HSM (taux de participation : 76,6%) 13, 4 652 étaient âgés de 75 ans et plus. Après exclusion des participants pour lesquels les données sur le poids et la taille (n=320) ou sur les revenus et les habitudes alimentaires (n=36) étaient incomplètes, les présentes analyses ont porté sur 4 296 individus (2 722 femmes, 1 574 hommes) résidant en métropole et dans les DOM. Pour 408 participants (9,5%), le questionnaire avait été administré auprès d’une tierce personne.

Comparées aux individus inclus dans nos analyses, les personnes exclues pour données incomplètes étaient plus fréquemment des femmes (74,8% versus 61,1%, p<10-4), des personnes vivant seules (66,4% versus 51,6%, p<10-3) ou des personnes présentant au moins une restriction d’activité (72,9% versus 47,5%, p<10-3). Elles étaient également plus âgées (82,7 ans versus 81,1, p<10-3) et disposaient de revenus plus modestes (1 063 € versus 1 378 €, p<10-3).

Caractéristiques de la population âgée vivant à domicile

Au-delà de 75 ans, les femmes étaient plus nombreuses que les hommes (61,1% versus 38,9%). Comparées aux hommes, elles étaient plus âgées et vivaient plus fréquemment seules (tableau 1). Leur niveau scolaire était moins élevé, ainsi que leurs revenus. Par ailleurs, elles déclaraient plus fréquemment des maladies chroniques au cours des 12 mois précédant l’étude. Les fréquences de consommation des groupes d’aliments ne différaient pas selon le sexe.

Un peu moins de la moitié des personnes âgées (47,4%, [45,1-49,8]) présentaient au moins une restriction d’activité (ADL ou IADL) et 17,9% [16,5-19,4] au moins une restriction sévère (ADL), tandis qu’un peu moins des deux tiers (62,6%, [60,4-64,7]) des personnes âgées déclaraient sortir tous les jours ou presque de leur domicile. Les femmes étaient plus fréquemment en perte d’autonomie et sortaient moins fréquemment du domicile que les hommes (tableau 1). Ces différences persistaient après ajustement sur l’âge (données non présentées).

La prévalence de la maigreur s’élevait à 14,9% [13,3-16,7], dont 5,5% [4,5-6,7] pour la maigreur sévère (IMC<19). Les femmes étaient significativement plus concernées que les hommes (tableau 1 et figure). La différence persistait après ajustement sur l’âge (données non présentées). Inversement, la prévalence de l’obésité s’élevait à 14,6% [13,1-16,2], dont 2,8% [2,3-3,6] pour l’obésité sévère (IMC≥35), sans différence selon le sexe.

Tableau 1 : Caractéristiques socioéconomiques, habitudes alimentaires, maladies chroniques, perte d’autonomie (au moins une restriction d’activité), perte de mobilité et catégorie de corpulence1 des personnes âgées de 75 ans et plus vivant à domicile (n=4 296). Enquête nationale Handicap-Santé volet « ménages », France, 2008
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Figure : Corpulence (indice de masse corporelle en kg/m2) (données pondérées) des personnes âgées de 75 ans et plus vivant à domicile (n=4 296). Enquête nationale Handicap-Santé volet « ménages », France, 2008
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Facteurs associés au risque de maigreur et d’obésité

La prévalence de la maigreur augmentait significativement avec l’âge (tableau 2). Chez les femmes, elle était plus fréquente lorsque le niveau d’études et les revenus du ménage étaient plus élevés. Par ailleurs, elle était plus élevée parmi les femmes qui consommaient peu de viandes, poissons et œufs, ainsi que parmi celles qui en consommaient plus de 3 portions par jour.

La prévalence de l’obésité diminuait lorsque l’âge et le niveau scolaire augmentaient. Elle diminuait également lorsque les revenus du ménage augmentaient, mais uniquement chez les femmes.

Tableau 2 : Prévalence1 de la maigreur (IMC<21) et de l’obésité (IMC≥30) selon les caractéristiques socioéconomiques, les habitudes alimentaires et le nombre de maladies chroniques dans les 12 mois précédant l’étude, parmi les personnes âgées de 75 ans et plus vivant à domicile (n=4 296). Enquête nationale Handicap-Santé volet « ménages », France, 2008
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Associations entre perte d’autonomie, perte de mobilité et corpulence

Chez les hommes, après ajustement sur les variables socioéconomiques (âge, statut matrimonial, niveau d’études et revenus) et le nombre de maladies chroniques déclarées au cours des 12 mois précédant l’enquête, les individus en situation de maigreur ou, inversement, d’obésité, présentaient un risque accru de perte d’autonomie par rapport aux individus de corpulence normale. Chez les femmes, le risque de perte d’autonomie était augmenté chez les individus en surpoids et obèses par rapport aux femmes de corpulence normale (tableau 3).

Par ailleurs, le risque de perte de mobilité était significativement plus élevé chez les individus obèses que chez ceux de corpulence normale, mais uniquement chez les femmes (tableau 3). L’exclusion des participants n’ayant pas été interrogés directement (n=408) n’a pas modifié les résultats des analyses (données non présentées).

Tableau 3 : Associations, après ajustement sur les variables socioéconomiques et sur le nombre de maladies chroniques au cours des 12 mois précédant l’étude, entre perte d’autonomie (au moins une restriction d’activité) et catégories de corpulence, et entre perte de mobilité et catégories de corpulence, chez les personnes âgées de 75 ans et plus vivant à domicile (n=4 296). Enquête nationale Handicap-Santé volet « ménages », France, 2008
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Discussion

Au-delà de 75 ans, une personne âgée à domicile sur deux (50,4%) était en situation de surpoids ou d’obésité et 14,9% étaient en situation de maigreur. Les comparaisons avec les prévalences des autres études sont limitées en raison des différences de classes d’âges, du seuil retenu pour définir la maigreur chez le sujet âgé (seuil spécifique ou seuil OMS en population générale), de données anthropométriques (déclarées ou mesurées, parfois panachées 12), du nombre et de la nature des restrictions considérées pour le calcul des restrictions d’activité (IADL et ADL). Aux États-Unis, la prévalence de la maigreur (IMC<18,5) chez les plus de 65 ans à domicile s’élevait à 1,3% chez les hommes et à 3,6% chez les femmes sur la période 1997-2005, et celle de l’obésité à respectivement 19,3% et 23,7% 16. En 2005, la maigreur (IMC<18,5) concernait 2,3% des personnes âgées de 65 ans et plus vivant à domicile au Canada, et l’obésité, 16% 17. En 1999, dans l’étude 3C (Bordeaux, Montpellier et Dijon), 4,2% des hommes et 13,9% des femmes étaient en situation de maigreur (IMC<21), tandis que 10,8% des personnes âgées étaient obèses 12. À notre connaissance, il n’existe pas d’études similaires récentes en France.

Le risque d’obésité variait avec la position socioéconomique, chez les femmes comme chez les hommes, mais de manière moins marquée chez ces derniers, ce qui est également observé en population plus jeune 18.

Quel que soit l’âge, les effets de l’obésité sont bien documentés et caractérisés par une altération progressive du statut fonctionnel, autant chez les hommes que chez les femmes 1,2. Nos résultats, montrant une association positive entre surpoids et obésité et existence de restrictions d’activités, sont cohérents avec ceux d’études récentes en population générale sur des échantillons nationaux 16,17 ou locaux 19. Au-delà des conséquences du vieillissement « naturel », les personnes âgées des générations actuelles peuvent cumuler les effets de l’obésité, comme les problèmes de douleurs articulaires et d’arthrose, les incapacités liées aux comorbidités éventuelles (hypertension artérielle, syndrome métabolique, diabète, maladies cardiovasculaires, voire certains cancers) et les troubles psychologiques (dépression, mauvaise estime de soi) 16,20. Dans notre étude, l’association entre surcharge pondérale et perte d’autonomie apparaît significative dès le surpoids chez les femmes. La relation entre surpoids (hors obésité) et perte d’autonomie demeure controversée, certaines études ne trouvant aucune association 17,19, d’autres concluant à un effet protecteur 16.

Selon la littérature, les effets de l’obésité sur le statut fonctionnel semblent plus marqués chez les femmes que chez les hommes, en raison d’un risque plus élevé, en cas de surcharge pondérale, de développement d’une arthrose ou de troubles articulaires 21 et d’une plus grande sensibilité aux retentissements psychologiques de l’obésité 3,20. Le fait qu’elles possèdent proportionnellement davantage de masse grasse que les hommes et que le risque de perte d’autonomie augmente avec la proportion de masse grasse 5, pourrait également contribuer à expliquer que l’association soit plus marquée chez les femmes. Ces différentes observations peuvent expliquer l’association observée dans notre étude entre le surpoids et l’obésité et la mobilité chez les femmes, mais pas chez les hommes. Il est également possible que cette différence soit en partie biaisée dans la mesure où les femmes ont tendance à sur-déclarer les restrictions d’activités, alors que les hommes ont tendance à les sous-déclarer 5.

La relation entre maigreur et perte d’autonomie est également bien documentée et se retrouve dans plusieurs études 16,17,19. Elle n’a toutefois pas été retrouvée en France dans l’étude 3C 12. Dans notre étude, l’association n’est significative que chez les hommes. Il semble par ailleurs que cette relation soit moins marquée chez eux que dans le cas de la surcharge pondérale 12. Les limites de l’IMC comme indicateur de sarcopénie 1, notamment en raison de l’existence de cas d’obésité sarcopénique 4, et le fait qu’une partie des femmes les plus fragiles a pu être exclue des analyses faute de données anthropométriques complètes, peuvent également expliquer cette absence de relation chez les personnes à domicile.

Le maintien d’apports nutritionnels satisfaisants, notamment en protéines et en énergie, et une activité physique régulière contribuent au vieillissement en bonne santé 6. Les fréquences de consommation déclarées dans l’enquête HSM se sont révélées indépendantes de la corpulence. Si elles paraissent proches des recommandations nutritionnelles pour le groupe des VPO (89% des personnes âgées déclarant une fréquence de 1 à 2 portions quotidiennes), ce n’est le cas ni pour les fruits et légumes (21% déclarant au moins 5 portions quotidiennes), ni pour les produits laitiers (23% déclarant 3 portions). Pour les VPO et les fruits et légumes, la situation est néanmoins plus favorable qu’en population plus jeune (respectivement 50% et 12% parmi les 18-74 ans 22, sur la base d’un questionnaire équivalent). Elle est en revanche plus défavorable pour les produits laitiers (30% chez les 18-74 ans 22), alors que les besoins en calcium sont augmentés chez la personne âgée et que les produits laitiers en constituent la source principale 23. Les produits laitiers constituent également une source importante de protéines. Ces données nutritionnelles demeurent trop limitées pour les interpréter car incomplètes et sans quantification des quantités consommées, ni des apports en énergie et micronutriments.

L’étude comporte d’autres limites. Les estimations de corpulence reposaient sur des données déclarées, ce qui a pu conduire à une sous-estimation de l’IMC (taille surestimée et poids sous-estimé par les participants 1) et de la prévalence de l’obésité, tandis que celle de la maigreur serait surestimée. Chez les personnes âgées, la sur-déclaration de la taille est amplifiée par les fractures vertébrales, qui augmentent avec l’âge et provoquent une diminution de la taille, particulièrement chez les femmes 1. Cela a pu conduire à affaiblir, voire masquer, certaines associations, notamment en ce qui concerne le surpoids et la maigreur. Les restrictions d’activité sont entachées du même type de biais de déclaration, avec une intensité et un sens variables selon le sexe 5. Nos analyses ont par ailleurs porté sur un échantillon qui, bien que redressé sur l’âge, était probablement en meilleure santé et plus autonome que la population cible. Une fraction des personnes les moins autonomes n’a pas été enquêtée parce qu’ayant refusé de participer à l’enquête. De plus, pour certains individus fragiles, qui ont été néanmoins inclus, les données, notamment anthropométriques, étaient plus fréquemment incomplètes. Enfin, l’étude repose sur un schéma transversal ne permettant pas de conclure quant aux liens de causalité. Néanmoins, l’enquête HSM permet des analyses sur un large échantillon représentatif national, incluant les DOM, et avec une puissance statistique satisfaisante.

En conclusion, l’obésité et la maigreur sont fréquentes parmi les personnes âgées à domicile et s’accompagnent d’un risque accru de perte d’autonomie. La promotion d’une alimentation favorable à la santé des seniors et d’une activité physique adaptée devrait contribuer à la prévention de l'obésité, de la maigreur et de la perte d'autonomie. Toutefois, la mise en place d’actions de santé publique nécessite le développement d’une surveillance nutritionnelle des personnes âgées à domicile et en institutions, basée sur des enquêtes de santé par interview comme HSM, et sur des enquêtes épidémiologiques spécifiques destinées à estimer la prévalence de la dénutrition.

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