Mesures préventives appliquées par les enseignantes et enseignants en France durant la pandémie de Covid-19, en comparaison aux autres salariés dans la cohorte Constances
// Preventive measures applied by female and male teachers in France during the COVID-19 pandemic, compared to other employees in the Constances cohort
Résumé
Introduction –
Les enseignants jouent un rôle de modèle pour les élèves, faisant de leur application des mesures sanitaires un enjeu de santé publique. L’objectif de cette étude était de situer leurs pratiques en France pendant la pandémie de Covid-19 en comparaison à d’autres salariés en tenant compte de l’interaction potentielle avec le genre.
Méthodes –
Au sein de la cohorte Constances, nous avons comparé les enseignants (N=5 699) aux autres professions intermédiaires, cadres et professions intellectuelles (N=6 570) participant au volet Sapris (Santé, pratiques, relations et inégalités sociales en population générale pendant la crise Covid-19), selon trois indicateurs de pratiques préventives : le lavage des mains, le port du masque et la vaccination contre la Covid-19. Nous avons évalué les différences par des régressions modifiées de Poisson ajustées sur divers facteurs sociodémographiques et de santé. Un effet d’interaction formel du genre avec le statut enseignant/autre salarié ayant été observé pour le lavage des mains et la vaccination contre la Covid-19, les résultats ont été stratifiés selon le genre.
Résultats –
Les taux d’application des mesures sanitaires étudiées dépassaient 79% dans les groupes professionnels considérés, et étaient très légèrement supérieurs chez les enseignants par rapport aux autres salariés. Dans les analyses stratifiées et multi-ajustées, par rapport aux autres salariés de même genre, les enseignants hommes étaient un peu plus susceptibles de porter le masque (risque relatif, RR=1,02 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,01-1,04] ; p=0,006) et d’avoir reçu une dose de vaccin contre la Covid-19 (RR=1,05 [1,02-1,08], p<0,001). Parmi les femmes, les différences enseignantes/autres salariées n’étaient significatives pour aucun indicateur.
Discussion –
Cette étude n’appuie pas une distinction nette des enseignants par rapport aux autres salariés socioprofessionnellement proches, mais met en lumière des différences genrées de pratiques des mesures sanitaires. Étant donné leur lien privilégié avec la jeunesse, soutenir de manière continue les enseignants en matière de prévention doit rester une priorité de santé publique.
Abstract
Introduction –
Teachers are role models for pupils, making their application of preventive measures a public health issue. The aim of this study was to compare the preventive measures applied by teachers in France during the COVID-19 pandemic to those applied by other employees, considering the hypothesis of an interaction with gender.
Methods –
Using participants of the SAPRIS follow-up component within the Constances cohort, we compared teachers (N=5 699) to other managerial and professional occupations (N=6 570) on three indicators of preventive measures: handwashing, mask-wearing and COVID-19 vaccination. Differences were assessed using modified Poisson regressions adjusted for various sociodemographic and health confounders. Given that evidence of an interaction effect between gender and teacher/non-teacher status was detected for handwashing and COVID-19 vaccination, we decided to stratify the results by gender.
Results –
Application rates of studied preventive measures were over 79% among the occupational groups considered, and slightly higher among teachers than among other employees. In stratified and multi-adjusted analyses, compared with other male employees, male teachers were slightly more likely to wear a mask (relative risk, RR=1.02; 95% confidence interval, 95%CI: [1.01–1.04]; p=0.006) and to have received a dose of COVID-19 vaccine (RR=1.05 [1.02–1.08]; p<0.001). Among women, teacher/non-teacher differences were not significant for any of the three indicators studied.
Discussion –
This study does not support a clear distinction between teachers and other employees with a similar background regarding COVID-19 preventive measures but highlights gendered differences in health practices. Given teachers’ special connection to young people, providing them with ongoing support in the field of prevention must remain a public health priority.
Introduction
L’école, lieu de vie, de socialisation et d’éducation des jeunes, lieu d’interaction avec les familles et les personnels de l’éducation, représente un levier important pour la santé à l’échelle d’une population 1. Lors d’une crise sanitaire comme la pandémie de Covid-19, l’école a un rôle déterminant à jouer pour la société dans la compréhension et la mise en œuvre des politiques de santé publique 2. En particulier, les personnels de l’éducation doivent être des vecteurs d’information fiables et promouvoir les protocoles sanitaires afin d’assurer leur protection et celle de leurs élèves. Ces personnels, en lien quotidien avec la jeunesse, jouent un rôle de modèle et influencent en miroir les comportements de santé des jeunes, voire des familles 3, illustrant l’importance de l’exemplarité en santé 4.
Afin d’identifier d’éventuelles marges de progression en matière d’implémentation des mesures de prévention par la population en période de crise sanitaire, il importe donc de mieux connaître les attitudes et comportements des enseignants en ce domaine. Les données disponibles sont disparates. Une étude chinoise a montré un taux d’application élevé (supérieur à 85%) des gestes barrières des enseignants comme le port du masque et le lavage des mains 5. Les autres études disponibles, à notre connaissance en Allemagne 6 et au Royaume-Uni 7, focalisées pour leur part sur la vaccination, ont mis en lumière un recours au vaccin contre la Covid-19 globalement élevé des enseignants. Cependant, seule l’étude britannique était en mesure de situer formellement les personnels de l’éducation par rapport à d’autres professionnels, le faisant de manière générale, en comparant des catégories socioprofessionnelles hétérogènes et sans investiguer l’interaction potentielle avec le genre. Or, le secteur de l’éducation est très féminisé et des travaux soulignent des différences marquées d’application des mesures de prévention entre les hommes et les femmes 8.
Dans cette étude, nous avons voulu situer les pratiques de prévention contre la Covid-19 des enseignants en France, en nous intéressant à la fois aux gestes barrières et à la vaccination. À partir des données d’une grande cohorte épidémiologique française incluant un volet sur les pratiques et attitudes préventives spécifiquement mises en place au moment de la crise sanitaire, nous avons comparé les attitudes des enseignants concernant le port du masque, le lavage des mains et la vaccination contre la Covid-19 à celles d’autres salariés socioprofessionnellement proches, en tenant compte de l’interaction éventuelle avec le genre. Nous avons testé l’hypothèse que les enseignants mettent plus fréquemment en œuvre les mesures de mitigation épidémique que les autres salariés et que ces différences d’attitude sont en lien avec leur position d’éducateur plus qu’elles ne seraient dues à leurs caractéristiques sociodémographiques, leur exposition professionnelle au virus de la Covid-19 ou leur état de santé.
Méthodes
Projet Ester, cohorte Constances et volet Sapris
La présente étude s’inscrit dans le projet Ester (Étude santé travail dans l’enseignement et la recherche) mis en œuvre au sein de la cohorte de plus de 220 000 volontaires adultes Constances (Consultants des centres d’examens de santé) 9. Ester vise à investiguer les déterminants professionnels de la santé des personnels des secteurs de l’éducation et de la recherche. L’échantillon Ester comprend, parmi les salariés en activité participant à Constances, tous les personnels de l’éducation et de la recherche identifiés à partir de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS 2003 (1)) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), ainsi qu’un échantillon deux fois plus grand d’actifs d’autres secteurs à des fins de comparaison.
Au printemps 2020, au tout début de la pandémie de Covid-19, Constances, aux côtés d’autres grandes cohortes françaises, a mis en place un suivi spécifique de ses volontaires répondant par Internet : le volet Sapris (Santé, pratiques, relations et inégalités sociales en population générale pendant la crise Covid‑19) 10. Ce volet avait pour but de collecter, de manière réactive et tout au long de la crise, des données individuelles sur leur santé, leur exposition et perception du risque, et leurs pratiques préventives. En particulier, cinq questionnaires Sapris ont été successivement envoyés aux temps T1 (premier confinement, avril 2020), T2 (déconfinement progressif, mai 2020), T3 (période intervague, à partir de juillet 2020), T4 (deuxième confinement/déconfinement, à partir de décembre 2020) et T5 (quatrième vague, à partir de juillet 2021).
Échantillon d’analyse
Dans le cadre de l’enquête Sapris, seuls les volontaires suivis par Internet, soit un tiers des participants de Constances au printemps 2020, ont été mobilisés. Ainsi, et compte tenu de la plus forte propension à participer par Internet des personnels de l’éducation et de la recherche par rapport aux autres salariés, nous avons pu inclure dans le sous-projet Ester-Sapris 8 473 personnels de l’éducation et de la recherche et 11 994 salariés d’autres secteurs (figure).
Dans cette étude des attitudes et comportements en matière de santé des enseignants, alors que ces aspects sont significativement liés au niveau socio-économique 11, nous avons restreint l’hétérogénéité sociale du groupe de comparaison aux salariés d’autres secteurs mais appartenant aux mêmes groupes socioprofessionnels des enseignants, c’est-à-dire aux professions intermédiaires (groupe majoritaire des enseignants du premier degré) et aux cadres et professions intellectuelles supérieures (groupe majoritaire des enseignants du second degré). Ainsi, parmi les volontaires ayant répondu à au moins un questionnaire Sapris, nous avons successivement exclu les retraités (n=2 564), les personnels de l’éducation et de la recherche non-enseignants (n=1 378), les salariés de groupes socioprofessionnels différents des professions intermédiaires, des cadres ou des professions intellectuelles (n=3 037), et les personnes pour lesquelles aucun indicateur de mesures de prévention de la Covid-19 n’était renseigné (n=1 226). Au total, nous avons considéré dans nos analyses 5 699 enseignants (1 925 hommes et 3 774 femmes), et 6 570 autres salariés socioprofessionnellement proches (3 501 hommes et 3 069 femmes).
Indicateurs de mesures de prévention de la Covid-19
Afin d’étudier les pratiques préventives des enseignants en période pandémique, nous nous sommes intéressés spécifiquement à trois indicateurs dichotomiques ayant chacun fait l’objet d’une question dans le volet Sapris dans le contexte de la pandémie de Covid-19 :
–le lavage des mains : évalué à T3, soit entre juillet et août 2020, par la question « Depuis le début du déconfinement, après vos déplacements à l’extérieur, vous lavez-vous les mains au savon ou avec une solution hydroalcoolique en revenant à votre logement ? ». Les réponses « systématiquement après chaque sortie » et « presque après chaque sortie » étaient considérées comme positives, tandis que les réponses « après certaines sorties seulement » ou « je ne l’ai jamais fait » étaient considérées comme négatives ;
–le port du masque : évalué à T3 également par la question « Depuis le début du déconfinement, lors de vos déplacements à l’extérieur, portez‑vous un masque ? ». Les réponses « systématiquement à chaque sortie » ou « pendant certaines sorties mais pas toujours » étaient considérées comme positives, et les réponses « je n’en porte plus parce que je pense qu’il n’y a plus de risque » ou « jamais, parce que je n’en ai pas besoin » étaient considérées comme négatives ;
–la vaccination : évaluée à T5, soit durant l’été 2021, par la question dichotomique « Avez-vous reçu au moins une dose de vaccin anti-Covid-19 ? ». La vaccination contre la Covid-19 était alors largement ouverte à la population adulte française. En effet, la campagne vaccinale avait débuté fin décembre 2020, en priorité pour les personnes âgées, puis pour les personnes avec comorbidités en février 2021. Les personnels de l’État de plus de 55 ans exerçant au contact des élèves en école, collège ou lycée, avaient pu y accéder à partir de mi-avril 2021, puis sans condition d’âge à partir de fin mai 2021, soit une semaine avant l’ouverture de la vaccination en population générale aux plus de 18 ans.
Ces trois questions du dispositif Sapris ont été posées dans un cadre généraliste, et non dans le contexte de travail. Il importera d’en tenir compte dans l’interprétation des résultats portant sur les différences de pratiques préventives entre catégories de professionnels.
Homogénéité en fonction du degré d’enseignement
Dans une analyse préliminaire restreinte aux enseignants, les indicateurs de mesure contre la Covid-19 ne différaient pas sensiblement en fonction du degré d’enseignement (primaire, secondaire ou supérieur), confortant le choix de considérer le groupe des enseignants comme une entité socioprofessionnelle unique par la suite.
Interaction et stratification sur le genre
Une hétérogénéité d’application des mesures de prévention entre les hommes et les femmes nous semblait probable, comme suggéré par d’autres études montrant des différences marquées selon le genre 8,12. De plus, nous avons testé l’hypothèse d’hétérogénéité par des modèles d’interaction du genre avec le statut enseignant/autre salarié, qui ont été en faveur d’un effet d’interaction pour deux indicateurs sur trois : « lavage des mains après chaque sortie ou presque » (p-interaction=0,035) et « au moins une dose de vaccin contre la Covid-19 » (p-interaction=0,062). Nous avons donc stratifié nos analyses sur le genre dans les analyses multi-ajustées.
Covariables
Dans cette analyse des spécificités de comportements en matière de prévention des personnels enseignants, nous avons considéré comme facteurs de confusion potentiels différentes variables susceptibles d’être liées à la fois au statut enseignant/autre salarié et/ou aux mesures de prévention de la Covid-19 13 : l’âge, le diplôme, la situation familiale, la situation parentale, la zone d’habitation selon la classification des unités urbaines de l’Insee, le statut tabagique, l’état de santé perçu, les antécédents de certaines pathologies respiratoires (bronchite chronique, emphysème ou asthme), les antécédents de certaines pathologies cardiovasculaires (hypertension artérielle, angine de poitrine, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, artérite des membres inférieurs), les antécédents de diabète de types I ou II et l’obésité (IMC>30kg/m2).
Dans les modèles, ces covariables ont été catégorisées comme présenté dans le tableau 1, sauf pour la variable diplôme, recodée alors en deux catégories (niveau inférieur au master ; niveau master ou supérieur), afin d’atteindre un effectif suffisant dans chaque groupe. Les covariables ont été évaluées au moment de l’inclusion dans Constances, hormis pour l’âge calculé pour tous en 2020, en tout début de pandémie.
Valeurs manquantes
Les covariables âge et zone d’habitation ne présentaient pas de valeurs manquantes. La proportion de valeurs manquantes pour les autres covariables était toujours inférieure à 5%. Afin de maximiser la taille de l’échantillon d’analyse, nous avons procédé pour chaque covariable concernée à l’imputation des valeurs manquantes, considérées comme MAR (Missing At Random), à la catégorie majoritairement représentée (pour le diplôme spécifiquement, l’imputation a été réalisée après considération de la catégorie socioprofessionnelle et selon le diplôme le plus souvent représenté au sein de cette catégorie). Les indicateurs des mesures préventives contre la Covid-19 (variables expliquées) présentaient également quelques valeurs manquantes, mais qui n’ont pas été imputées. Nous avons toutefois vérifié a posteriori que les résultats observés dans le cadre d’une procédure par imputation multiple des seules covariables d’une part, des variables expliquées et des covariables d’autre part, ainsi que dans l’échantillon restreint aux personnes sans aucune donnée manquante étaient similaires.
Analyses statistiques
Dans un premier temps, nous avons comparé avec un test d’indépendance du Chi2 les profils sociodémographiques et de santé des enseignants à ceux des autres salariés chez les hommes et les femmes respectivement. Les variables significativement différentes entre enseignants et autres salariés dans l’une ou l’autre strate ont été retenues comme facteurs de confusion potentiels et utilisées comme variables d’ajustement dans les modèles multi-ajustés.
Dans un second temps, nous avons comparé avec un test d’indépendance du Chi2 les taux d’application des mesures contre la Covid-19 entre enseignants et autres salariés, en général puis en stratifiant sur le genre. Ensuite, nous avons modélisé, chez les hommes et chez les femmes, chacun des trois indicateurs de mesures de prévention de la Covid-19 en fonction du statut enseignant/autre salarié. Une régression de Poisson avec variance robuste a été utilisée, afin d’estimer les associations en termes de risque relatif plutôt que d’odds-ratio 14. En effet, les taux d’application des mesures étant élevés, les odds-ratios ne sont pas de bons estimateurs des risques relatifs et ils risquaient d’être sur-interprétés 15. Les modèles ont été tour à tour ajustés sur l’âge seul (modèle basique) puis également sur le statut tabagique, le diplôme, la situation familiale, la situation parentale et la zone d’habitation (modèle multi-ajusté).
Afin d’évaluer la robustesse de nos résultats, nous avons fait plusieurs analyses de sensibilité. Nous avons d’abord restreint la population d’étude aux participants ayant déclaré au questionnaire Sapris T3 être en contact avec des collègues ou du public sur leur lieu de travail, afin de raisonner à niveau d’exposition professionnelle au SARS-CoV-2 comparable. En effet, et même si les indicateurs des trois mesures préventives étudiées sont investigués de manière très générale (« après/lors de vos déplacements à l’extérieur » pour les gestes barrières), la perception de son risque d’être infecté au travail pourrait peser sur les comportements de prévention adoptés en général. Une autre analyse a été faite en considérant une définition plus stricte des indicateurs de lavage des mains et de port du masque (à savoir : « à chaque sortie »).
Résultats
Profils des enseignants par rapport aux autres salariés
Au sein des professions intermédiaires, cadres et professions intellectuelles supérieures participant à la cohorte Constances, les enseignants présentaient, tant chez les femmes que chez les hommes, des spécificités sociodémographiques (tableau 1). Notamment, les enseignants et les enseignantes étaient plus souvent en couple et plus souvent parent que les autres salariés.
Concernant la santé, au contraire, nous n’avons pas observé de différences significatives de l’état de santé perçu ou des antécédents médicaux évalués à l’inclusion selon le statut enseignant.
Indicateurs de mesures de prévention de la Covid-19 chez les enseignants
Les taux d’application des trois mesures préventives étudiées étaient tous supérieurs ou égaux à 79% dans les groupes enseignants et autres salariés non stratifiés et dans les quatre groupes définis selon le statut professionnel et le genre, généralement un peu plus élevés chez les femmes par rapport aux hommes (tableau 2). Globalement, les enseignants étaient très légèrement plus susceptibles d’adopter les trois mesures que les autres salariés, avec, respectivement 90% vs 89% pour le lavage des mains (p=0,023), 97% vs 95% pour le port du masque (p<0,001), 83% vs 80% pour la vaccination (p<0,001). Cette distinction perdurait chez les hommes enseignants sauf pour le lavage des mains, mais n’était pas retrouvée au sein de la strate féminine (tableau 2).
Dans les analyses stratifiées et multi-ajustées, chez les hommes, les enseignants étaient un peu plus susceptibles de porter le masque à chaque sortie ou presque (risque relatif, RR=1,02 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,01-1,04]) et d’avoir reçu une dose de vaccin contre la Covid-19 (1,05 [1,02‑1,08]) que les autres salariés (tableau 3). On ne notait pas de différence pour l’indicateur de lavage des mains. Chez les femmes, une fois pris en compte les facteurs de confusion potentiels, les trois indicateurs n’étaient pas significativement différents entre enseignantes et autres salariées (tableau 3).
Nous avons retrouvé des résultats cohérents avec les analyses principales dans les analyses de sensibilité consistant premièrement en la restriction de la population d’étude aux participants ayant déclaré être en contact avec du public ou des collègues sur leur lieu de travail, et deuxièmement en la modélisation d’indicateurs de port du masque et de lavage des mains plus stricts. Les résultats après imputations multiples, ou dans l’échantillon restreint aux personnes sans aucune donnée manquante, ne différaient pas de nos analyses principales avec imputation simple.
Discussion
Dans notre échantillon de professions intermédiaires, cadres et professions intellectuelles issu de la cohorte française Constances, lors de la pandémie de Covid-19, les taux d’application dans la vie de tous les jours du lavage des mains, du port du masque et le taux de vaccination contre la Covid-19 étaient supérieurs à 79% parmi les répondants, et légèrement plus élevés chez les femmes par rapport aux hommes pour les gestes barrières. Bien que les taux bruts soient statistiquement supérieurs au sein du corps enseignant par rapport aux autres salariés, les différences observées étaient légères en valeurs absolues (quelques points de pourcentage tout au plus), et, après ajustement sur le profil sociodémographique et de santé, elles n’étaient pas significatives entre enseignantes et autres salariées pour les trois indicateurs. Parmi les hommes, les enseignants étaient un peu plus susceptibles de porter le masque et d’avoir reçu une dose de vaccin contre la Covid-19 que les autres salariés, même après ajustement.
Si les protocoles sanitaires contre la Covid-19 en vigueur dans les établissements scolaires auraient pu influencer, en les renforçant, les pratiques préventives de la Covid-19 parmi les personnels de l’éducation, les indicateurs étudiés ici ont été évalués dans un cadre général, en dehors du contexte professionnel et selon un calendrier figé (assez tôt dans la crise sanitaire pour les gestes barrières notamment), ne permettant pas d’approfondir cette hypothèse plus avant que dans l’analyse de sensibilité restreinte aux personnes en contact avec du public. Par ailleurs, le groupe de comparaison comptait également des professionnels dont les contraintes pouvaient être plus strictes que celles des enseignants, les soignants notamment. Ces éléments doivent être considérés dans l’interprétation des résultats.
Les différences de comportements préventifs de la Covid-19 en fonction du genre ont déjà été mises en lumière dans la littérature, notamment une pratique plus fréquente des gestes barrières et une prise en compte plus importante du risque lié au SARS-CoV-2 des femmes dans une étude regroupant les données issues de huit pays, dont la France 12. Plus particulièrement au sein des personnels enseignants, Tang et coll. 16 ont montré que les femmes enseignantes à Taiwan étaient en première position lorsqu’il s’agissait de mettre en œuvre et respecter les mesures préventives, en accord avec l’étude chinoise de Chen et coll. 5 dans les écoles primaires, montrant une meilleure littératie des femmes en matière de Covid-19. Néanmoins, cette tendance n’est pas retrouvée dans notre étude concernant le recours au vaccin contre la Covid-19 des femmes en général et des enseignantes en particulier. Cette dissemblance est toutefois cohérente avec des observations antérieures, montrant en population générale que les femmes seraient moins favorables au vaccin contre la Covid-19 que les hommes 13. Un élément d’explication serait que ces dernières, qui présentent de fait plus d’effets indésirables après une vaccination antigrippale 17, pourraient nourrir davantage de craintes vis-à-vis de la sécurité et de l’efficacité du vaccin contre la Covid-19 que les hommes 17,18. Plus généralement, de nombreuses études suggèrent une plus forte aversion au risque des femmes par rapport aux hommes 19, aversion qui pourrait sous-tendre une meilleure mise en pratique des gestes barrières pour se protéger et protéger son entourage, mais paradoxalement une certaine hésitation vis-à-vis d’un vaccin nouveau et mis au point en moins d’un an. Notre étude apporte un éclairage original quant à l’effet d’interaction du genre avec le statut enseignant en matière de comportements préventifs des salariés. Ainsi, les enseignants hommes se démarquent favorablement par rapport aux autres salariés pour deux indicateurs, ce qui n’est pas retrouvé dans le contraste enseignantes/autres salariées. Cependant, chez les femmes, le niveau d’application des mesures préventives semble globalement un peu meilleur, mais cette observation mériterait une analyse formelle dans des échantillons moins sélectionnés. Il apparaît donc que dans l’éducation, secteur très féminisé, le niveau d’application des hommes enseignants se rapproche des niveaux féminins, ce qui pourrait s’expliquer par un phénomène de groupe, notamment une « pression de conformité » 20 aux collègues, souvent tacite et liée au sentiment d’appartenance.
À notre connaissance, aucune étude française et très peu d’études internationales se sont intéressées aux différences d’attitudes et de comportements préventifs en période de crise sanitaire entre les enseignants et d’autres salariés. Notre étude, par l’importance de son échantillon et la richesse des facteurs d’ajustement pris en compte, permet de situer à la fois l’application du port du masque, du lavage des mains et de la vaccination des enseignants français durant la crise sanitaire, en raisonnant à profils sociodémographiques et de santé comparables, au sein d’un groupe professionnel par ailleurs assez homogène, réduisant le risque de confusion lié au statut socio-économique. Cependant, les mesures de prévention contre la Covid-19 que nous avons étudiées ont été évaluées de manière transversale, par une seule question dichotomique et plutôt au début de la crise sanitaire. Celles-ci ont sans doute évolué par la suite selon les restrictions et connaissances sur la Covid‑19. Autre limite : les données analysées sont issues d’auto-questionnaires, donc sujettes aux biais de participation et de déclaration, notamment le biais de désirabilité sociale, qui peut être accentué pour les métiers du service public, en particulier l’enseignement. Néanmoins, les indicateurs étudiés ont été évalués dans des questionnaires généralistes, sans mention du contexte professionnel, modérant le risque d’un biais différentiel selon le groupe socioprofessionnel ; l’analyse des différences reste donc informative.
Étant donné leurs interactions quotidiennes avec les élèves, il importe de prendre en compte les pratiques contre la Covid-19 chez les enseignants, car celles-ci impactent l’efficacité des politiques de santé publique. Si nos résultats vont dans le sens d’un bon niveau général d’application des mesures contre la Covid-19 par les enseignants, ce niveau peut être surestimé dans nos données issues d’une cohorte de volontaires impliqués dans la recherche épidémiologique et répondant par Internet. De plus, l’absence d’une nette distinction enseignante pour certains indicateurs encourage un renforcement des campagnes de promotion de la santé à destination de ces personnels œuvrant pour le bien public, une formation adéquate des enseignants étant un facteur bien identifié d’une bonne compréhension des pratiques sanitaires et de leur transmission aux élèves 21. Concernant spécifiquement la vaccination, des travaux récents en population générale ont montré que face à un risque épidémique, le recours au vaccin était positivement influencé, plus que par les injonctions, et outre le niveau de confiance envers les professionnels et autorités de santé 22, par des moyens de sensibilisation interactifs, voire interpersonnels 23. Au vu des enjeux considérables pour la santé publique de la vaccination, enjeux qui dépassent le contexte pandémique 24, il importe de mieux comprendre les facteurs liés à l’hésitation vaccinale en particulier chez les enseignants, afin d’adapter les stratégies pour y remédier.
Remerciements
Les auteurs remercient l’équipe de l’unité Cohortes en population, qui a conçu et gère la cohorte Constances. Ils remercient également la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) et ses centres d’examens de santé, qui collectent une grande partie des données, ainsi que la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) pour leur contribution à la constitution de la cohorte, ainsi que ClinSearch, Asqualab et Eurocell, qui effectuent le contrôle qualité des données. Enfin, les auteurs remercient Nathalie Bajos et Fabrice Carrat pour la mise en œuvre de Sapris.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts au regard du contenu de l’article.
Financements
La cohorte Constances est soutenue et financée par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Constances est une « Infrastructure nationale en biologie et santé » et bénéficie d’une subvention de l’Agence nationale de la recherche (ANR-11-INBS-0002). Constances est également en partie financée par Merck Sharp & Dohme (MSD), AstraZeneca, Lundbeck et L’Oréal. Aucune de ces sources de financement n’a joué de rôle dans la conception de l’étude, la collecte et l’analyse des données ou la décision de publier.