Abstinence tabagique à six mois parmi les appelants du dispositif téléphonique Tabac info service (39 89)
// Smoking abstinence at six months among callers to the French smoking cessation quitline Tabac Info Service
Résumé
Introduction –
Le dispositif téléphonique Tabac info service (TIS, 39 89), piloté par Santé publique France, a été créé en 1998. Une première évaluation de ses effets sur l’abstinence tabagique avait été menée sur la période 2012-2014. L’objectif de cet article est de mettre à jour cette évaluation sur la période 2018-2020.
Méthodes –
Depuis 2012, tous les appelants du 39 89 qui ont été en contact avec un tabacologue ont été rappelés 6 mois après leur premier appel. Leur taux d’abstinence tabagique a été mesuré, ainsi que les facteurs associés au sevrage.
Résultats –
Entre 2018 et 2020, 45 803 fumeurs ont été en contact avec un tabacologue du 39 89. Parmi ceux qui ont accepté le principe d’être rappelés six mois plus tard (86,5%), plus d’un sur cinq (22,2%) se déclarait non-fumeur depuis au moins 7 jours au moment du rappel (les personnes injoignables ou celles refusant de répondre aux questions sont considérées comme fumeuses). Le taux d’abstinence atteignait 32,2% parmi les fumeurs qui essayaient déjà d’arrêter de fumer lors de leur 1er appel et 17,0% parmi les autres fumeurs. Ces taux étaient stables par rapport à la période 2012-2014. La probabilité d’être non-fumeur à six mois était moins élevée parmi les femmes, les fumeurs les plus dépendants, ceux ayant une autre addiction ou un problème de santé, et les chômeurs. À l’inverse, elle était supérieure parmi ceux se déclarant déjà en tentative d’arrêt lors du 1er appel ou ayant fixé une date d’arrêt, les vapoteurs, ou encore ceux ayant bénéficié d’un plus grand nombre d’entretiens de suivi.
Conclusion –
Ces résultats suggèrent que le dispositif téléphonique TIS constitue une aide efficace pour une partie des fumeurs, conformément aux nombreuses études menées à l’international. Ce service, quasiment gratuit, doit continuer à être promu auprès des plus défavorisés, dans l’optique de réduire les inégalités sociales liées au tabagisme.
Abstract
Introduction –
The French quitline Tabac Info Service (39 89) was created in 1998 and is managed by Santé publique France, the national public health agency. An initial evaluation of its impact on smoking abstinence was carried out for the period 2012–2014. This article provides an updated evaluation for the period 2018–2020.
Methods –
Since 2012, all quitline callers who talk with a counsellor receive a follow-up call six months after their first call. Based on these data, we measured a smoking abstinence rate and analyzed factors associated with abstinence.
Results –
Between 2018 and 2020, 45,803 smokers had talked with a counsellor from the quitline Tabac Info Service. Among those who accepted to be called back after six months (86.5%), more than one in five (22.2%) reported being abstinent for at least seven days at the time of the follow-up call (those not possible to reach or who declined to answer were considered to be still smoking). The abstinence rate reached 32.2% among smokers who were already trying to quit at the time of the first call and 17.0% among other smokers. These rates were stable compared to the 2012–2014 period. The probability of being a non-smoker at six months was lower among women, the most dependent smokers, those with another addiction or a health problem, and the unemployed. Conversely, it was higher among those who had declared during the first call that they were already trying to quit or had set a quit date, vapers, and those who had more contacts with a counsellor.
Conclusion –
These results suggest that the quitline is an effective aid for some smokers, in line with numerous international studies. This service, almost free of charge, must continue to be promoted to the most disadvantaged populations, with the aim of reducing social inequalities in health related to tobacco use.
Introduction
Les dispositifs téléphoniques d’aide à l’arrêt du tabac (appelées « quitlines » à l’international) ont montré leur efficacité pour aider les fumeurs à arrêter de fumer. La dernière revue systématique de la littérature Cochrane, regroupant plus d’une centaine d’essais contrôlés randomisés, a mis en évidence l’efficacité d’un suivi avec plusieurs entretiens par rapport à un seul entretien court ou la remise d’une brochure. Les chances d’arrêter de fumer sont augmentées de 20 à 60% lorsque le premier appel est à l’initiative du fumeur, et de 15 à 35% lorsque le fumeur a été contacté par la quitline (démarche développée aux États-Unis) 1. Une étude américaine menée en Arizona a également montré que parmi les fumeurs ayant recours à la quitline, les personnes les moins favorisées (selon le statut d’assurance) avaient les mêmes taux d’arrêt que les autres fumeurs 2, enseignement essentiel pour la France où les inégalités sociales en matière de tabagisme restent très marquées 3. Enfin, concernant le coût des quitlines, une étude néo-zélandaise a montré que la quitline de ce pays était rentable d’un point de vue économique, permettant, sur une année, d’économiser 84 millions de dollars néo-zélandais 4 ; celle du Kentucky a montré un retour sur investissement de 6 dollars pour chaque dollar investi 5.
Forte de cette efficacité démontrée, l’aide à l’arrêt du tabac par téléphone est recommandée par de nombreuses instances, en particulier aux États-Unis (pays précurseur dans la mise en place et l’évaluation des quitlines) 6,7, et en France via la Haute Autorité de santé (HAS) 8.
Le soutien apporté aux fumeurs est basé sur un soutien psychologique actif fondé sur les techniques de l’entretien motivationnel et des thérapies cognitives et comportementales adaptées à chacun 9. La nature de l’aide fait consensus, même si la dernière revue de littérature Cochrane portant sur l’entretien motivationnel conclut qu’il est efficace pour arrêter de fumer uniquement s’il est utilisé sur plusieurs entretiens 10. En revanche, l’efficacité des dispositifs téléphoniques selon le nombre d’entretiens suivis par les fumeurs est peu documentée. Les travaux traitant de cette question montrent néanmoins que les taux d’arrêt du tabac sont supérieurs chez les personnes ayant reçu trois à cinq appels par rapport à ceux n’en ayant reçu qu’un seul 1,11, en cohérence avec les résultats sur l’efficacité de l’entretien motivationnel.
Créé en 1998, le dispositif téléphonique Tabac info service (TIS, 39 89) est piloté par Santé publique France. Les modalités d’organisation du 39 89 sont basées sur les données de la littérature décrites ci-dessus. Depuis 2010, plusieurs entretiens de suivi avec un tabacologue sont ainsi systématiquement proposés aux appelants. Depuis 2012, le service est évalué en continu : un rappel systématique des bénéficiaires d’au moins un entretien avec un tabacologue est effectué six mois après leur premier contact avec un tabacologue.
L’objectif de l’article est de présenter les résultats du rappel à six mois des bénéficiaires du 39 89, en présentant le taux de sevrage tabagique et ses facteurs associés, ainsi que la satisfaction des appelants. Les évolutions par rapport à la première étude portant sur la période 2012-2014 12 sont également présentées.
Méthode
Organisation du 39 89
Les personnes qui souhaitent contacter le dispositif téléphonique TIS peuvent soit appeler le 39 89, soit demander à être rappelées via le site Internet ou l’application mobile TIS (rappel mis en place en 2015). Le dispositif téléphonique TIS est organisé en deux niveaux de réponse : les téléconseillers du premier niveau informent et orientent les appelants, les incitant à bénéficier d’un entretien avec un tabacologue qui constitue le deuxième niveau de la ligne. Le tabacologue réalise, dans un délai de trois jours maximum, un bilan tabagique puis procède ensuite à un accompagnement au sevrage sur plusieurs entretiens structurés.
Un rappel à six mois est proposé lors du premier entretien à tous les appelants du niveau 2, avec pour objectifs de documenter le statut tabagique et la satisfaction des bénéficiaires, mais aussi d’inciter les éventuels fumeurs à renouveler leur tentative d’arrêt.
L’organisation du 39 89 et du rappel à six mois est détaillée dans un article précédent 12.
Population étudiée
L’analyse porte sur les appelants fumeurs ou déclarant être en train d’essayer d’arrêter de fumer (en tentative d’arrêt) ayant bénéficié d’un premier entretien avec un tabacologue entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2020. La sélection des primo-appelants a été faite sur la base de la date de création de leur dossier. Le rappel a eu lieu, pour ceux qui en ont accepté le principe, entre juillet 2018 et juin 2021.
Parmi 49 431 primo-appelants du niveau 2 durant ces trois années, 321 n’avaient jamais fumé, 690 étaient ex-fumeurs et 2 617 avaient un statut tabagique non renseigné, soit au total 3 628 personnes exclues de l’analyse, l’objectif étant de mesurer le sevrage tabagique après un recours au 39 89. L’analyse porte donc sur 45 803 fumeurs ou en tentative d’arrêt au moment de leur premier appel avec un tabacologue de la ligne TIS (figure).
Variables d’intérêt et analyses
Les données recueillies au 39 89 par les téléconseillers et les tabacologues servent avant tout au suivi de l’appelant. Certaines variables ne sont pas renseignées de façon systématique et présentent des valeurs manquantes.
Par rapport à la précédente étude portant sur la période 2012-2014, des données supplémentaires ont pu être extraites et sont spécifiées ci-dessous. Les données recueillies sont :
–au niveau 1 : sexe, âge (3 % de valeurs manquantes), situation professionnelle (24%) ;
–au niveau 2 (lors du premier appel) : statut tabagique, décision d’une date d’arrêt, score de Fagerström mesurant la dépendance tabagique (21%), tentative d’arrêt antérieure, recours à une aide au sevrage validée (traitement nicotinique de substitution – TNS –, varénicline ou buproprion, thérapie cognitivo-comportementale), accord pour le rappel à six mois ; nouvelles variables : vapotage, pathologie cardiaque, respiratoire, psychiatrique ou métabolique, autre addiction ;
–données du suivi réalisé en niveau 2 : nombre de bilans tabagiques, durée moyenne des bilans, nombre d’entretiens de suivi, durée moyenne des entretiens. L’extraction permet de comptabiliser uniquement les entretiens qui ont eu lieu entre le premier appel et le rappel à six mois. Les entretiens qui ont lieu après le rappel à six mois (nouvel accompagnement suite au rappel) ont pu être supprimés, contrairement à la précédente étude ;
–rappel à six mois : statut du rappel (rappel réalisé/injoignable/refus), statut tabagique, durée d’abstinence pour les non-fumeurs, perceptions de l’aide apportée par TIS.
Le critère de jugement principal pour l’analyse des effets du dispositif téléphonique TIS est l’arrêt du tabac depuis au moins sept jours parmi les personnes ayant accepté le principe du rappel (taux en intention de traiter, TIT). Les personnes qui étaient injoignables ou qui ont refusé de répondre lors du rappel à six mois sont considérées comme fumeuses. Un critère secondaire est étudié : l’arrêt d’au moins sept jours parmi les répondants (taux parmi les répondants, TR). Le critère principal et le critère secondaire sont mesurés en distinguant les fumeurs qui se déclaraient en tentative d’arrêt au premier contact avec un tabacologue des autres fumeurs. Les deux indicateurs sont enfin mesurés pour un arrêt du tabac d’au moins un mois.
Le critère de jugement principal et sa méthode de calcul (TIT) sont couramment utilisés dans les études cliniques sur le sevrage tabagique 1,13, ils sont préconisés par The Society for Research on Nicotine and Tobacco 14,15. Néanmoins ce taux sous-estime le taux réel de sevrage, c’est pourquoi le taux parmi les répondants est également utilisé en particulier par les quitlines américaines 16, même si à l’inverse, celui-ci surestime le taux réel de sevrage.
Une régression logistique a été réalisée pour étudier les facteurs associés au taux d’arrêt d’au moins sept jours parmi les répondants au rappel. Les variables explicatives suivantes ont été utilisées : sexe, âge, situation professionnelle, statut tabagique au premier appel de niveau 2, vapotage, tentative d’arrêt antérieure, dépendance tabagique, pathologie, autre addiction, utilisation d’autres aides à l’arrêt, nombre d’entretiens de suivi réalisés par un tabacologue du 39 89. Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® v16.
Résultats
Profil des appelants
Le Baromètre de Santé publique France 2021, enquête auprès d’un échantillon représentatif de la population française des 18-85 ans, permet de comparer les caractéristiques des appelants à celles des fumeurs résidant en France. Les appelants du 39 89 étaient plus souvent des femmes (56,5% vs 46,8% des fumeurs quotidiens en 2021). La proportion de personnes au chômage était moins élevée parmi les appelants (10,8% vs 15,0%). Parmi les actifs occupés, les appelants se déclaraient majoritairement employés (70,7%) et très peu ouvriers (3,1%), à la différence de l’ensemble des fumeurs résidant en France qui sont pour 27,5% des employés et 31,0% des ouvriers.
Concernant le tabagisme, au moment de leur premier contact avec un tabacologue, 64,7% des appelants se déclaraient fumeurs (64,2% fumeurs quotidiens) et 35,3% se déclaraient en tentative d’arrêt. Les fumeurs se répartissaient entre ceux qui avaient déjà fixé une date d’arrêt du tabac (15,9%) et ceux qui ne l’avaient pas fait (48,8%). Parmi les fumeurs dont la dépendance tabagique était renseignée, 12,9% ne montraient pas de signe de dépendance, 14,7% l’étaient faiblement, 26,8% étaient moyennement dépendants et 45,7% étaient fortement ou très fortement dépendants d’après le test de Fagerström (définition de la HAS 8). Les appelants du 39 89 étaient nettement plus dépendants que les fumeurs de la population générale : les fumeurs fortement dépendants représentaient 45,7% des appelants alors qu’ils sont 16,7% parmi l’ensemble des fumeurs résidant en France.
Accompagnement par TIS
Un bilan tabagique a été effectué pour 79,1% des personnes en contact pour la première fois avec un tabacologue du 39 89. Il durait en moyenne 28 minutes. Parmi les personnes qui n’ont pas eu de bilan tabagique, 50,2% ont eu un appel qualifié « d’appel de crise », c’est-à-dire une demande de soutien urgent lors d’un arrêt du tabac, 41,4% ont eu un appel qualifié de « renseignements spécifiques » pour une demande ponctuelle de renseignements, d’information (dosage de substitut nicotinique par exemple) et 8,4% ont eu une qualification d’appel « autre » (appel écourté, modification de rendez-vous, bilan nutrition…).
Au moins un entretien de suivi a été réalisé pour 61,7% des primo-appelants du niveau 2, en plus du bilan tabagique. Parmi eux, en moyenne 3,3 entretiens de suivis ont été réalisés. La durée moyenne de ces entretiens était de 14 minutes.
Par rapport à la période 2012-2014, des évolutions statistiquement significatives sont observées. La proportion de fumeurs ayant eu un bilan tabagique est en légère baisse (de 82,9% à 79,1%). Concernant le nombre d’entretiens de suivi, davantage de fumeurs ont été accompagnés selon le protocole préconisé, avec une diminution de ceux ayant eu un seul entretien de suivi (de 35,9% à 28,1%) et une augmentation de ceux ayant eu 3 ou 4 entretiens (de 21,4% à 29,3%).
Statut tabagique à six mois
Parmi les primo-appelants du niveau 2, 86,5% ont accepté la proposition d’être rappelés six mois plus tard, soit 9 points de plus qu’en 2012-2014. Parmi les personnes ayant accepté, plus de la moitié ont répondu au rappel du tabacologue (56,7%), 40,0% n’ont pu être jointes lors des 3 tentatives d’appels réalisées et ont été considérées comme injoignables, et 3,3% ont pu être jointes mais ont refusé de répondre aux questions. La proportion de personnes injoignables est en hausse de 10 points par rapport à 2012-2014. Globalement, le taux de rappel effectué six mois après le premier contact avec un tabacologue est donc de 49,1% (figure), en très légère baisse par rapport à la période 2012-2014 (51,4%).
Le taux d’acceptation du principe du rappel était plus élevé parmi les fumeurs avec une date d’arrêt fixée (93%), ceux ayant fait une tentative d’arrêt précédant l’appel (95%), les fumeurs ayant déclaré au moins une pathologie (94%), une autre addiction (90%), ou l’utilisation d’une aide à l’arrêt (94%). Parmi les fumeurs qui avaient accepté le principe du rappel, le taux de réponse était plus élevé parmi les femmes (59%), les plus âgés (62% parmi les 55-64 ans et 68% parmi les 65 ans et plus), les fumeurs qui étaient en tentative d’arrêt (59%), et augmentait avec un plus grand nombre d’entretiens suivis (de 54% parmi ceux ayant suivi 1 entretien à 66% pour 5 entretiens ou plus suivis).
Le taux de sevrage tabagique six mois après le premier appel avec un tabacologue du 39 89 a été calculé comme décrit dans la section « méthodes » (tableau 1) :
–taux parmi les répondants (TR) : parmi les personnes répondant au rappel à six mois, 39,1% se déclaraient non-fumeuses depuis au moins 7 jours, 36,4% depuis au moins un mois. Le taux d’abstinence parmi les répondants était nettement plus élevé parmi les fumeurs qui se déclaraient en tentative d’arrêt au moment de l’appel initial (54,6% pour un arrêt d’au moins 7 jours) que parmi les fumeurs qui ne se considéraient pas en tentative (30,7%) ;
–taux parmi les personnes qui ont eu recours à un tabacologue du 39 89 et qui ont accepté le principe d’être rappelées six mois plus tard (TIT) : 22,2% se déclaraient non-fumeuses depuis au moins 7 jours au moment de l’appel, 20,6% depuis au moins un mois. Le TIT d’au moins 7 jours s’élevait à 32,2% parmi les fumeurs qui étaient en tentative d’arrêt lors du premier appel et à 17,0% parmi les autres fumeurs.
La période d’étude couvre l’année 2020, marquée par la pandémie de Covid-19. Une analyse des taux de sevrage tabagique à six mois a été réalisée en fonction du mois du premier appel, et en fonction du mois du rappel à six mois et aucune différence de tendance n’a été observée entre les périodes avant mars 2020 et après mars 2020.
Le taux d’abstinence tabagique sur la période 2018-2020, parmi les répondants au rappel à six mois, est en hausse significative de 6 points par rapport à 2012-2014. Cependant, en raison de l’augmentation de 10 points du taux de personnes ayant accepté d’être rappelées mais injoignables, qui sont donc considérées comme fumeuses pour le calcul du TIT, ce dernier est stable (tableau 2).
Facteurs associés à l’arrêt du tabac six mois après l’appel au 39 89
Parmi les répondants au rappel à six mois, la probabilité d’être non-fumeur était moins élevée chez les femmes par rapport aux hommes (odds ratio, OR=0,8), parmi les agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise (OR=0,8) et les personnes au chômage (OR=0,7) par rapport aux cadres. Les personnes ayant déclaré une addiction autre que le tabac (OR=0,9) et une pathologie (OR=0,8) étaient également plus souvent fumeuses. Un gradient est observé selon la dépendance tabagique : plus les fumeurs étaient dépendants, moins ils avaient arrêté de fumer six mois après.
À l’inverse, certaines caractéristiques sont associées à une plus grande probabilité d’être non-fumeur six mois après : le fait d’être âgé de 25 à 44 ans (OR=1,2) ou de 65 ans et plus (OR=1,2) par rapport à un âge inférieur à 25 ans, le fait d’être vapoteur lors du premier appel (OR=1,3). Le fait d’avoir déjà fixé une date d’arrêt au moment de son appel (OR=1,4) ou de se déclarer en tentative d’arrêt (OR=2,8) était également associé à l’abstinence tabagique à six mois. Aucune association n’était observée avec la réalisation d’une tentative d’arrêt antérieure au premier appel ou le recours à une aide au sevrage validée lors du premier appel.
Enfin, après contrôle sur les caractéristiques des appelants, l’augmentation du nombre d’entretiens avec un tabacologue du 39 89 était associée à une augmentation du taux d’arrêt du tabac à six mois (tableau 3).
Satisfaction vis-à-vis du dispositif téléphonique de TIS
Le niveau de satisfaction vis-à-vis du dispositif téléphonique TIS était très élevé. À la question « Diriez-vous que TIS vous a aidé dans votre démarche d’arrêt ? », près de 9 personnes sur 10 répondaient oui (88,8%), 63,9% tout à fait et 24,9% plutôt. Cette part de personnes répondant positivement était nettement en hausse par rapport à 2012-2014 (+11 points). Les non-fumeurs à six mois étaient plus nombreux à déclarer que TIS les avait aidés (94,2%) que les personnes qui fumaient encore (85,3%). La hausse est portée par les personnes qui fumaient encore au moment du rappel (+15 points) alors que ce taux est stable chez les non-fumeurs à six mois.
Les résultats des deux autres questions posées pour évaluer la satisfaction des utilisateurs sont similaires entre elles et présentés dans le tableau 4. La recommandation de TIS à un proche et la satisfaction de l’aide apportée par TIS ont augmenté respectivement de 7 et 3 points depuis 2012-2014.
Discussion
Principaux résultats
Entre 2018 et 2020, 45 803 fumeurs ont été en contact avec un tabacologue du 39 89. Parmi ceux qui ont accepté le principe d’être rappelés six mois plus tard, plus d’un sur cinq (22,2%) se déclare non-fumeur depuis au moins sept jours au moment du rappel. Les taux de sevrage sont supérieurs parmi les fumeurs qui sont déjà en tentative d’arrêt au moment de leur premier appel par rapport à ceux observés parmi les fumeurs qui n’étaient pas dans une démarche aussi avancée (32,2% de non-fumeurs à 6 mois vs 17,0%). En population générale, les taux d’abstinence tabagique à 6-12 mois se situent entre 3 et 5% parmi les fumeurs essayant d’arrêter de fumer sans traitement 17.
Si le TIT sous-estime probablement le taux de sevrage réel, le taux parmi les répondants, qui s’élevait à 39,1%, est quant à lui certainement surestimé. En effet, certaines caractéristiques liées au fait de répondre au rappel étaient également liées au fait d’être non-fumeur à ce moment-là, et en particulier d’être en tentative d’arrêt au moment du premier appel. De la même manière, les personnes ayant accepté d’être rappelées pourraient présenter des caractéristiques spécifiques liées à une plus grande motivation à l’arrêt du tabac ou à une plus grande capacité à arrêter de fumer. Néanmoins, les caractéristiques liées à l’acceptation du rappel à six mois étant associées aussi bien positivement (date d’arrêt fixée) que négativement (présence d’une pathologie, co-addiction) à l’arrêt du tabac parmi les répondants au rappel à six mois, le biais de sélection devrait donc être modeste.
Le TIT en 2018-2020 est stable par rapport à 2012-2014. Ce taux, calculé parmi les personnes ayant accepté le principe du rappel, diminue mécaniquement si le taux de réponse parmi ceux qui ont accepté diminue, les non-répondants étant considérés comme fumeurs. Il n’est donc pas le meilleur indicateur pour mesurer les évolutions dans notre étude étant donné que le taux d’acceptation du rappel a augmenté (+9 points) alors que le taux de réponse parmi ceux qui avaient accepté d’être rappelés a diminué de 10 points (baisse observée dans les enquêtes réalisées par téléphone ces dernières décennies 18). Le taux de réponse global a ainsi quant à lui très peu diminué (-2 points). La hausse de 6 points du taux de non-fumeurs parmi les répondants (TR) peut ainsi refléter une augmentation de l’efficacité de l’aide apportée par le 39 89 entre 2012-2014 et 2018-2020. La satisfaction et l’utilité perçue par les appelants ont également nettement augmenté.
L’analyse des facteurs associés au sevrage tabagique suggère un effet-dose du nombre d’entretiens de suivi réalisés avec un tabacologue du 39 89, comme pour la période 2012-2014. Une augmentation de l’effet est observée de deux jusqu’à cinq ou six entretiens, puis l’effet diminue pour les personnes ayant suivi sept entretiens ou plus. Ces dernières se voient peut-être proposer et suivent plus d’entretiens parce qu’elles rencontrent davantage de difficultés à arrêter de fumer. L’analyse des facteurs associés a été enrichie, par rapport à l’analyse précédente, de données concernant l’appelant et sa santé. Elle tient compte uniquement des entretiens compris entre le premier appel et le rappel à six mois, les entretiens de suivi après le rappel à six mois ayant pu être supprimés contrairement à l’étude précédente. Cependant, il est impossible de collecter et de tenir compte de toutes les caractéristiques individuelles qui peuvent jouer un rôle dans la réussite de l’arrêt du tabac, et peuvent être des facteurs de confusion dans le lien entre sevrage tabagique et nombre d’entretiens suivis : soutien de l’entourage, motivation, préparation à l’arrêt... Les plus motivés à arrêter peuvent, par exemple, avoir tendance à suivre davantage d’entretiens 19.
L’analyse des facteurs associés montre également que le fait de vapoter au moment du premier appel est associé à une plus grande probabilité d’être non-fumeur six mois après, sans qu’un lien de cause à effet ne puisse être établi à partir de ce type d’étude. Certaines études suggèrent que le vapotage pourrait être efficace pour le sevrage tabagique 20,21,22, mais, parmi les fumeurs ayant arrêté de fumer, il pourrait aussi être associé à davantage de rechutes 22. Il n’y a ainsi, à ce jour, pas de consensus scientifique sur l’efficacité de la vape comme outil d’aide au sevrage tabagique et les recommandations françaises soulignent le manque de preuves scientifiques sur ce sujet 23.
Les résultats de cette étude sont cohérents avec ceux d’autres évaluations de quitlines. Le taux d’arrêt depuis au moins 30 jours parmi les répondants du rappel à six mois s’élevait à 26,2% dans le Minnesota, 31,7% dans l’Oklahoma, 30,3% en Floride en 2015-2016 24, et à 25,4% dans le Kentucky 5 en 2014, niveaux inférieurs à ceux du 39 89. En Nouvelle-Zélande, le taux d’arrêt depuis au moins sept jours à six mois s’élevait à 24,2% (ITT) pour les fumeurs suivis en 2012 25, du même ordre que celui du 39 89.
Limites
Cette étude repose sur un suivi observationnel d’indicateurs et non sur un essai contrôlé randomisé (ECR). Cependant, d’une part, l’efficacité des quitlines a déjà été largement démontrée dans la littérature via des ECR 1 ; d’autre part, le suivi observationnel permet de recueillir des indicateurs de sevrage en conditions réelles.
Une autre limite tient à la qualité des données. La mission première des tabacologues est d’accompagner les appelants pour arrêter de fumer et non de recueillir des données à des fins d’étude. Certains indicateurs peuvent présenter une part importante de valeurs manquantes. En particulier, la dépendance tabagique n’est pas renseignée pour 21% des appelants. Or, elle est liée au sevrage tabagique à six mois dans cette étude. D’autre part, lors du rappel à six mois, la prise de TNS (traitements nicotiniques de substitution) depuis le premier appel n’était pas renseignée, alors qu’elle a certainement un impact sur le sevrage tabagique. Cette donnée a été intégrée en 2020 au questionnaire du rappel à six mois.
Implications
Plusieurs implications peuvent découler de cette étude :
–en premier lieu, augmenter le nombre de personnes qui appellent le 39 89 permettrait d’aider davantage de fumeurs. Pour y parvenir, une étude suédoise a montré que toutes les mesures de lutte anti-tabac mises en place dans leur pays au cours des 20 dernières années avaient eu un impact sur le taux de recours à la quitline 26. Le taux de recours aux États-Unis, de 1% en moyenne, peut s’élever jusqu’à 6% lors de campagnes de promotion du service. Le ministère de la santé américain préconise ainsi de renforcer la promotion du service 6,7. Par ailleurs, en France, les professionnels de santé de premier recours qui ne seraient pas en situation d’accompagner leurs patients lors d’un sevrage tabagique, pourraient les orienter vers le 39 89 ;
–un objectif pour les conseillers et les tabacologues du 39 89 est d’inciter les fumeurs à bénéficier de plusieurs entretiens, au vu de l’effet-dose observé dans cette étude et des données de la littérature ;
–l’innovation majeure dans les services proposés par les quitlines au cours des dernières années est l’intégration de TNS gratuits. Fournir des TNS aux appelants, en complément du soutien comportemental, a montré son efficacité sur le nombre d’appels suivis, la satisfaction, et les taux d’arrêt. Il s’agit également d’une mesure coût-efficace, recommandée par le North American Quitline Consortium et le département américain de la Santé et des Services sociaux 27,28. Même si le bénéfice attendu est peut-être moindre, les TNS étant remboursés en France sur ordonnance alors qu’ils ne le sont pas aux États-Unis, proposer des TNS gratuits via le 39 89 permettrait d’augmenter leur accessibilité et ainsi leur utilisation (une expérimentation est en cours en ce sens à Santé publique France) ;
–les inégalités sociales en matière de tabagisme sont très marquées en France. Les appelants du 39 89 sont majoritairement des employés, mais très peu des ouvriers ou des demandeurs d’emploi. Les campagnes de promotion du 39 89 doivent continuer à cibler les fumeurs les plus défavorisés afin de les orienter vers ce service quasiment gratuit. Une mesure prévue dans le Programme national de lutte contre le tabagisme 2023-2027 a également pour objectif de lever le frein de l’accessibilité du 39 89 pour les fumeurs les plus défavorisés en proposant aux fumeurs démarrant une démarche d’arrêt d’être rappelés pour bénéficier d’un accompagnement par TIS, démarche proactive déjà mise en place dans les quitlines américaines et ayant un potentiel d’efficacité pour les publics socio-économiquement défavorisés 29. La proposition de TNS gratuits pourrait enfin augmenter l’efficacité de l’aide parmi ces publics particuliers, des taux de sevrage identiques selon le niveau socio-économique ayant été observés en Arizona, où ce service est déjà proposé.
Conclusion
Ces résultats suggèrent que le dispositif téléphonique Tabac info service (39 89), constitue une aide efficace pour une partie des fumeurs. Il pourrait être utile de valoriser davantage ce service, quasiment gratuit, auprès des plus défavorisés pour accroître son utilisation, contribuant ainsi à l’objectif de réduction des inégalités sociales liées au tabagisme. De plus, les fumeurs doivent être encouragés à participer à plusieurs appels de suivi pour augmenter leurs chances de réussir à arrêter de fumer.
Remerciements
Nous remercions les conseillers de Patientys et les tabacologues de Webhelp Medica qui assurent, en lien avec Santé publique France, l’accompagnement des fumeurs.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.