Pathologies et désavantage social des moins de 18 ans en France métropolitaine, en 2018, à partir des données du SNDS
// Pathologies and social disadvantage of under-18s in mainland France, 2018, based on SNDS data
Résumé
Introduction –
La Cour des comptes a récemment souligné un manque d’informations à propos des inégalités de santé des enfants. Cette étude observationnelle transversale à partir du Système national des données de santé (SNDS) compare selon le niveau de désavantage social, les prévalences des affections de longue durée (ALD) et les diagnostics hospitaliers, dont ceux évitables.
Méthodes –
Tous les enfants de métropole de moins de 18 ans fin 2018 et avec au moins un remboursement ont été inclus à partir de leur mois d’anniversaire, puis suivis pendant 1 an. Les prévalences des ALD et des diagnostics hospitaliers ont été rapportées selon la présence ou non d’une couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) attribuée aux foyers avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté. Un désavantage social géographique a été estimé par un index (FDep) réparti en 5 quintiles : des communes les plus favorisées (Q1) aux plus défavorisées (Q5). Des ratios ajustés entre CMUc/non-CMUc et Q5/Q1 ont permis de comparer les niveaux d’affections selon le désavantage social.
Résultats –
La répartition des 13,211 millions d’enfants inclus était homogène selon les quintiles et 17,5% avaient une CMUc. Au moins une ALD était présente pour 4% des enfants (ratios CMUc/non-CMUc=1,6 et Q5/Q1=1,44). Parmi les 10 ALD les plus fréquentes, 6 correspondaient à un trouble mental avec des ratios plus élevés pour la CMUc. Certains diagnostics d’hospitaliers étaient plus fréquents lors d’une défavorisation, comme les troubles mentaux, les maladies du sang et les caries dentaires. La proportion d’hospitalisations évitables de 0 à 10 ans était de 26% (Q5/Q1=1,15).
Conclusion –
De nombreuses pathologies sont plus fréquentes en présence d’un désavantage social (surtout financier), notamment les troubles mentaux. Cependant, leur identification demeure difficile en raison d’un manque de recueil ou d’exhaustivité auprès de centres spécialisés de l’enfance dans le SNDS.
Abstract
Introduction –
The French Court of Auditors recently highlighted a lack of information about inequalities in children’s health. This cross-sectional observational study, based on the French National Health Data System (Système national des données de santé, SNDS), compares the prevalence of long-term illnesses (LTI) and hospital diagnoses, including those deemed avoidable, according to level of social disadvantage.
Methods –
All children under 18 years of age at the end of 2018 with at least one prescription reimbursement were included and monitored for 1 year from the month of their birthday. LTI and hospital diagnoses were recorded with the presence or absence of complementary universal medical coverage (CMUc) attributed to households with an income below the poverty line. Geographical social disadvantage was estimated by the French Deprivation Index divided into 5 quintiles: from the most advantaged communes (Q1) to the most disadvantaged (Q5). Adjusted ratios between CMUc/non-CMUc and Q5/Q1 were used to compare levels of illness according to social disadvantage.
Results –
The 13,211 million children included were evenly distributed across quintiles and 17.5% were CMUc beneficiaries. At least one LTI was present in 4% of children (ratios CMUc/non-CMUc=1.6 and Q5/Q1=1.44). Among the 10 most frequent LTIs, 6 corresponded to a mental disorder, with higher ratios for CMUc. Certain hospital diagnoses, such as mental disorders, blood diseases and dental cavities, were more frequent in underprivileged groups. The proportion of avoidable hospitalizations in the 0–10 age group was 26% (Q5/Q1=1.15).
Conclusion –
Many pathologies are more frequent in the presence of social (especially financial) disadvantage, notably mental disorders. Their identification remains difficult due to the insufficient volume or exhaustiveness of data collected from specialized childhood centers in the SNDS.
Introduction
Au 1er janvier 2019, la France métropolitaine comptait 13,9 millions d’enfants de moins de 18 ans (21% de la population) d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Jusqu’à 16 ans, ils sont l’objet de 20 examens de suivi médical obligatoires pris en charge à 100% par l’Assurance maladie et sans avance de frais 1. Ils peuvent être effectués par un médecin généraliste ou un pédiatre en cabinet libéral, en centre de santé, ou jusqu’à l’âge de 6 ans, en centre de protection maternelle et infantile (PMI). De très nombreuses études ont rapporté que la présence de conditions socio-économiques défavorables chez les enfants, y compris aux plus jeunes âges, est associée à une moins bonne santé physique et mentale, persistant à l’âge adulte 2,3. Malgré le développement de politiques visant à lutter contre ces inégalités, l’écart de santé continue de se creuser 3,4.
En France, un rapport de la Cour des comptes de 2021 pointait ces informations et soulignait l’existence de marges de manœuvre 4, ceci afin d’améliorer la prévention et la promotion de la santé vers les enfants et leurs parents, et ainsi de réduire les inégalités sociales et territoriales de santé. Initiée progressivement depuis 2021, la lutte contre les inégalités et l’amélioration des conditions de vie familiales, du 4e mois de grossesse aux 2 ans de l’enfant (1 000 premiers jours), doit optimiser le développement de l’enfant et son état de santé 5,6. Il s’agit de la période au cours de laquelle l’apprentissage progresse le plus vite et où l’enfant est particulièrement sensible à son environnement et aux événements de vie. L’inclusion de la grossesse dans les 1 000 premiers jours prend en compte le continuum de la défavorisation et ses impacts. En 2015, les femmes enceintes, étudiées à partir du Système national des données de santé (SNDS), présentaient fréquemment des marqueurs de défavorisation et des lacunes du suivi recommandé 7.
Le rapport recommandait aussi d’optimiser les données médico-administratives et leur utilisation avec leurs chainages, non encore disponibles, à des bases de données sociales 4. En effet, les données de certaines structures médico-sociales et de soins sont non exhaustives, fragmentées ou fournies par des études spécifiques sur des sous-populations, périodiques, ou sur des thématiques spécifiques 8,9,10. Les prévalences de pathologies ou états de santé sont alors estimées à partir de données d’activité de soins relativement disponibles ou non. Elles sont aussi conditionnées par les niveaux d’offre, d’accès, de recours et d’adéquation des soins effectués ou remboursés par l’Assurance maladie.
À l’aide du SNDS, les objectifs de cette étude observationnelle transversale sur une année auprès d’enfants de moins de 18 ans inclus en 2018 sont de décrire et comparer la fréquence des affections de longue durée (ALD), des diagnostics hospitaliers, dont ceux évitables avant 11 ans, selon des niveaux de défavorisation.
Méthodes
Source de données et population
Le SNDS inclut près de 99% de la population résidant légalement en France 11. Il regroupe, de manière pseudonymisée, l’ensemble des différents soins présentés au remboursement, comme les hospitalisations et les diagnostics recueillis. II informe sur l’existence d’une prise en charge au titre d’une ou plusieurs ALD, attribuée à la suite d’une demande du médecin généraliste pour une période de 5 ans, renouvelable selon l’évolution. Cette demande, non systématique et non obligatoire, permet d’être remboursé à 100% pour les soins en relation avec la maladie codée. Par définition, ce sont des maladies qui nécessitent des soins coûteux, réguliers, avec un risque de handicap ou vital à terme. Leur liste est publiée par décret après une expertise de la Haute Autorité de santé 12.
Deux marqueurs de défavorisation, déjà accessibles dans le SNDS, ont été considérés. La couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) concerne la précarité monétaire des membres d’un foyer ou individuelle. Elle est accordée pour un an renouvelable selon un critère de ressources annuelles (inférieures au seuil de pauvreté) en fonction du nombre de personnes du foyer ayant une résidence régulière et stable en France. Elle permet une prise en charge à 100% sans avance du coût des soins quelle que soit la maladie ou les motifs de soins. Le second marqueur est un indice non individuel de défaveur sociale (FDep) élaboré au niveau communal pour la métropole permettant de caractériser l’environnement socio-économique de la globalité des individus vivant dans une commune. Les communes de résidence sont réparties en cinq quintiles selon le niveau de défavorisation (Q1 : les moins démunies, Q5 : les plus démunies) 13.
La population d’étude était composée des enfants et adolescents de moins de 18 ans à la fin 2018, résidant en France métropolitaine et ayant bénéficié d’au moins un remboursement de soins par l’Assurance maladie. Les informations analysées ont été extraites depuis le premier jour du mois de naissance ou d’anniversaire en 2018 et pour une durée de 1 an. Les enfants de même sexe issus d’une naissance multiple ne peuvent être identifiés sans ambiguïté dans le SNDS et ont été exclus, comme ceux de sexe différent par souci d’homogénéité. Ont été aussi exclus, les enfants dont le mois de naissance n’a pu être identifié et aussi ceux décédés au cours de la période d’étude. Néanmoins, le nombre et le taux global de décès ont été rapportés pour comparaison malgré les exclusions ci-dessus.
Pathologies
Elles sont identifiées par les codes de la Classification internationale des maladies 10e révision (CIM-10) utilisés pour les ALD comme pour les diagnostics principaux ou reliés des hospitalisations en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCO) 11. Pour chaque séjour hospitalier en MCO, le diagnostic principal a été recueilli (ou le diagnostic relié si le diagnostic principal appartenait au chapitre « Facteurs influençant l’état de santé et le contact avec les services de santé » et qu’un diagnostic relié était renseigné). Parmi l’ensemble des hospitalisations, la proportion de celles dites potentiellement évitables a été comparée selon la défavorisation à l’aide des critères d’une classification appliquée en Nouvelle-Zélande et en Australie pour les enfants de 0 à 10 ans inclus 14. Il n’existe pas de consensus sur la définition des hospitalisations potentiellement évitables chez l’enfant. Toutefois, surtout pour les adultes, des listes de diagnostics ont été proposées. Ce sont ceux dont une prise en charge plus efficace des patients en ville réduirait les risques d’hospitalisation, en dehors de comorbidités et complications.
Analyses statistiques
Toutes les analyses ont été stratifiées par classe d’âge. La prévalence des ALD a été estimée globalement et pour chacune des 10 ALD principales entre 0 et 17 ans. La fréquence des diagnostics d’hospitalisation a été calculée parmi les enfants avec au moins un séjour hospitalier dans l’année. En revanche, pour les hospitalisations évitables, elles ont été calculées comme une proportion parmi l’ensemble des séjours. Dans les tableaux, les pathologies ont été considérées selon leur regroupement en chapitre de classification de la CIM-10 et celles d’intérêt du même chapitre ont été individualisées.
Les médianes d’âge et leurs interquartiles (IQ) ont été rapportés. Les prévalences en fonction des critères de défavorisation ont été standardisées sur l’âge et le sexe en utilisant la population des enfants inclus comme référence. Des ratios ont été calculés, afin de comparer les caractéristiques et pathologies des individus avec ou sans CMUc (CMUc/Non) et les individus vivant dans les communes les plus défavorisées et les moins défavorisées (Q5/Q1). En raison de la taille importante de l’échantillon et de sa quasi-exhaustivité, les ratios bruts et ajustés sur le sexe et l’âge ne sont pas rapportés avec leur intervalle de confiance et la valeur p 15.
Les analyses ont été réalisées avec les logiciels SAS® (version 7.15, SAS Institute Inc., Cary, NC, USA) et R® (version 4.1.2).
Résultats
Ont été inclus 13 211 000 enfants et adolescents de moins de 18 ans. L’âge médian était de 9 ans (IQ: [4-13]), 51,2% étaient des garçons (tableau 1). Pour la CMUc, 17,5% des enfants en étaient bénéficiaires (20% avant 4 ans et 15% entre 14 et 17 ans). Sa fréquence augmentait selon le niveau de défavorisation du FDep (Q1 : 8,5%, Q5 : 29,7% ; Q5/Q1=3,5).
Affections de longue durée
La prévalence d’au moins une affection de longue durée (ALD) était de 4,0% (4,6% des garçons et 3,3% des filles) avec une progression selon l’âge (1,5%, pour les enfants de moins de 1 an, 5,2% pour les 14-17 ans) et aussi selon la défavorisation (FDep Q5/Q1=1,44 ; CMUc/Non=1,61).
Parmi les 10 ALD principales, 6 sont incluses dans le chapitre des « troubles mentaux et du comportement » (tableau 2). L’ALD la plus fréquente concernait les troubles envahissants du développement (0,53%) également nommés « troubles du spectre autistique ». L’asthme (0,24%) était l’ALD somatique la plus fréquente avant l’épilepsie (0,17%). Pour chacune de ces 10 ALD, leur fréquence était plus importante en présence d’une défavorisation, à l’exception de la scoliose (Q5/Q1=0,93 ; CMUc/Non=0,63). Les ratios de défavorisation les plus importants étaient observés pour les ALD psychiatriques et surtout lorsqu’il s’agissait de la CMUc : troubles envahissants du développement (CMUc/Non=2,04), troubles mixtes du comportement et des émotions (CMUc/Non=2,75), retard mental non spécifié (CMUc/Non=2,31) et troubles spécifiques du développement mixtes (CMUc/Non=2,57).
Diagnostics d’hospitalisation
Au moins un séjour annuel en MCO a été observé pour 8,8% des enfants (N=1 157 701, tableau 3). Cette proportion était plus élevée pour les plus défavorisés (Q5/Q1=1,20, CMUc/Non=1,24). Globalement, les chapitres les plus importants étaient ceux des maladies de l’appareil digestif (19,1% des enfants) et de l’appareil respiratoire (17,0%).
Avant 1 an, le chapitre le plus fréquent était « certaines affections dont l’origine se situe dans la période périnatale » (41,1%). Il comprenait, entre autres, un poids insuffisant à la naissance (10,4%) et la détresse respiratoire des nouveau-nés (7,0%). Les maladies de l’appareil respiratoire, incluant la bronchiolite aiguë (18,2%), constituaient le 2e chapitre le plus fréquent avec une diminution rapide après 1 an.
Entre 2 et 4 ans, les diagnostics détaillés (tableau 4) les plus fréquents étaient : les maladies chroniques des amygdales et des végétations adénoïdes (16,6%) et l’hypertrophie du prépuce, phimosis et paraphimosis (26% des garçons hospitalisés à l’âge de 2 ans). À l’adolescence, entre les âges de 14 et 17 ans, la prévalence du diagnostic de dents incluses et enclavées augmentait (33,5%).
Les maladies de l’appareil digestif étaient globalement moins souvent un motif d’hospitalisation chez les enfants défavorisés (Q5/Q1=0,92 ; CMUc/Non=0,77), avec des fréquences plus faibles pour dents incluses et enclavées (Q5/Q1=0,75 ; CMUc/Non=0,48), mais plus fréquentes pour les caries dentaires (Q5/Q1=2,17 ; CMUc/Non=3,00). Les maladies de l’appareil respiratoire étaient, elles, légèrement plus fréquentes (Q5/Q1=1,07 ; CMUc/Non=1,05), notamment la bronchiolite (Q5/Q1=1,21 ; CMUc/Non=1,19).
Le ratio le plus important était retrouvé pour le chapitre des maladies de la grossesse, de l’accouchement et de la période puerpérale (Q5/Q1=2,00 ; CMUc/Non=6,00), mais il inclut les interruptions volontaires de grossesse en hôpital. D’importants écarts étaient également retrouvés pour les troubles mentaux et du comportement hospitalisés en MCO, toujours entre bénéficiaires et non-bénéficiaires de la CMUc (Q5/Q1=1,15 ; CMUc/Non=1,83). À l’inverse, un rapport inférieur à 1 était retrouvé pour d’autres pathologies, telles que les hospitalisations pour tumeurs (Q5/Q1=0,76 ; CMUc/Non=0,75).
Hospitalisations potentiellement évitables
Elles totalisaient plus d’un quart des hospitalisations des enfants de 0 à 10 ans (25,8%, tableau 5). Elles étaient globalement légèrement plus fréquentes avec la défavorisation (Q5/Q1=1,15, CMUc/Non=1,06). Les plus fréquentes étaient les déshydratations et gastro-entérites (6,2%), la bronchiolite (4,2%), les otites (4,0%) et l’asthme (3,3%). Les plus importants écarts selon la défavorisation concernaient la constipation (Q5/Q1=3,00, CMUc/Non=1,50), les pathologies dentaires (Q5/Q1=2,14, CMUc/Non=2,75) et les carences nutritionnelles (Q5/Q1=2,00, CMUc/Non=2,00).
Discussion
Cette étude observationnelle annuelle porte sur 13,2 millions d’enfants. Parmi eux, 17,5% étaient bénéficiaires de la CMUc et 20,1% vivaient dans une commune du quintile le plus défavorisé du FDep. La prévalence d’au moins une ALD parmi les moins de 18 ans était de 4,0% (moins de 1 an : 1,5% ; 14-17 ans 5,2%), et plus importante en présence d’une défavorisation pour les deux marqueurs utilisés. Ceci variait selon les ALD et diagnostics hospitaliers. Les ALD les plus fréquentes étaient des troubles mentaux et du comportement, surtout en présence d’une défavorisation monétaire (CMUc).
La littérature internationale, notamment nord-américaine, rapporte une diversité de maladies chroniques et de leurs prévalences selon le mode de recueil. Par exemple, en soins primaires sur deux ans, la prévalence d’au moins une maladie chronique avant 18 ans atteignait environ 40%. Les pathologies les plus fréquentes étaient l’obésité et le surpoids (36,7%), l’eczéma (15,8%), l’asthme (12,7%), les allergies alimentaires (4,7%), les troubles de l’attention et l’hyperactivité (4,1%) et l’hypertension (4,1%) 16. Une autre étude a été conduite sur des données de remboursement dans le but de comparer trois algorithmes pour identifier parmi 2 millions d’enfants de moins de 18 ans, ceux avec des maladies complexes. En dehors des différences épidémiologiques, ces données étaient plus proches des caractéristiques des ALD et définies comme une condition physique, comportementale ou émotionnelle chronique, nécessitant des services de santé et connexes d’un type ou d’un montant supérieur à ceux requis par les enfants en général. Chacun des trois algorithmes était discriminant et les prévalences obtenues de 0,67% à 11,4% 17. En France, les ALD sont plus spécifiquement définies comme des maladies chroniques qui nécessitent des soins coûteux, réguliers et de longue durée et qui peuvent mettre la vie en danger ou entraîner des handicaps. Ainsi, des pathologies définies comme maladies chroniques dans les études susmentionnées ne sont pas considérées en France, comme l’obésité et le surpoids qui sont considérés comme ALD uniquement lors de complication comme un diabète.
D’après nos résultats, les principales ALD psychiatriques de l’enfant considérées étaient presque toutes plus fréquentes (proche de deux fois plus fréquentes) en présence de défavorisation, surtout chez ceux avec une CMUc. Une étude finlandaise a rapporté, comme d’autres, que le fait d’avoir vécu plus longtemps dans une famille à faible revenu est associé à un risque plus élevé de développer des troubles mentaux 18. En 2015, sur l’ensemble de la France et parmi 672 182 femmes enceintes incluses à partir du SNDS, 17% avaient une CMUc, soit un peu moins que les 20% des enfants de 1-4 ans de cette étude sur une plus large population 7.
Dans notre étude, les chapitres de diagnostics les plus fréquemment à l’origine d’une hospitalisation étaient les maladies de l’appareil digestif. Le diagnostic de dents incluses et enclavées était le diagnostic hospitalier le plus fréquent et moindre en présence de défavorisation, contrairement à celui de caries dentaires moins fréquentes, mais plus en cas de défavorisation. L’Assurance maladie prenait en charge les visites et soins bucco-dentaires lors d’examens à différents âges (approximativement tous les trois ans mais en augmentation). Lors des âges cibles, la proportion annuelle de visite atteignait 60%, mais l’impact était plus faible (50%) en présence de CMUc avec d’importantes variations départementales 19,20. D’autres résultats sont en faveur d’une moindre hospitalisation de tumeurs pour les enfants défavorisés. Les hypothèses peuvent être multiples comme, parmi d’autres, une incidence plus faible, un moindre recours aux soins ou une mortalité plus élevée 21.
La proportion d’hospitalisations évitables est rarement rapportée chez les enfants. Dans notre étude (26%), elle est proche selon la présence d’une défavorisation ou non, et similaire à l’étude australienne source de l’algorithme 14. Ces hospitalisations évitables étaient plus fréquentes lors de séjours hospitaliers de plus d’un jour (34%) 22.
Forces et limites
La principale force de notre étude est l’utilisation du SNDS avec l’inclusion de plus de 13 millions d’enfants, soit 94,4% de la population française métropolitaine de moins de 18 ans recensée par l’Insee. De plus, dans des publications sur la même population, des résultats complémentaires sont enrichis et plus détaillés pour les pathologies, la défavorisation, le recours et le niveau annuel d’utilisation des divers soins de ville, médicaux et paramédicaux, de spécialités médicales et hospitalières et leurs volumes, la durée de séjour, le recours aux urgences, précédé ou non de consultations 19,20,22,23.
Une des principales limites est, en corollaire, l’existence d’enfants non inclus pour des motifs non techniques de chainage ou autres. Leur non-inclusion est, a priori, le plus souvent liée à une non consommation de soins dans le SNDS pour diverses raisons : un décès précoce, une institutionnalisation pour pathologies graves sans soins externes remboursés, peu probables sur un an, un départ avec des soins à l’étranger, une moindre consommation de soins en accord avec la croissance. Une consommation quasi-exclusive de soins pris en charge directement dans certains centres comme les PMI, ou de soins de prise en charge du handicap ou de troubles mentaux est aussi possiblement non rapportée dans le SNDS et difficile à estimer. Ceci peut induire une légère sous-estimation liée à des états de santé plus graves et une consommation de soins plus fréquente, mais non prise en compte en termes de remboursement, donc de mention dans le SNDS. Une surestimation est possible pour des enfants sans consommation de soins (adolescents) et un bon état de santé, car non inclus dans le dénominateur. Au total, ces enfants ne totalisent que 6% de la population des enfants, mais sont peut-être plus nombreux chez les plus jeunes.
En 2019, chez les enfants de moins d’un an, un taux préliminaire de décès de 3,2 pour 1 000 nourrissons nés vivants a été publié par l’Insee, contre 2,1 dans notre étude. Ceci peut être lié à l’exclusion des non consommant dans notre étude et a fortiori de décédés. La proportion de garçons selon les tranches d’âge est légèrement plus élevée dans cette étude, comme pour les données de l’Insee qui montrent une inversion à partir des 20 ans.
Pour les pathologies, il est possible que la prévalence estimée via les ALD soit sous-estimée, ce qui est une des raisons d’explorer les diagnostics hospitaliers. Certains enfants n’ont peut-être pas encore été diagnostiqués ou confirmés selon l’évolution ou présentaient des symptômes de faible intensité ou limités ne nécessitant qu’un recours restreint aux soins de santé, mais la prévalence augmente pour se stabiliser vers l’adolescence. Il est également possible que certains parents refusent le statut d’ALD pour leur enfant, par exemple pour les diagnostics de troubles psychiatriques, ou que les enfants soient déjà pris en charge à 100% pour une autre pathologie voisine ou pour la quasi-totalité des soins quelle que soit la pathologie (comme au titre de la CMUc, mais pour une durée d’un an renouvelable). Il est cependant peu probable que la non-déclaration en ALD concerne les pathologies les plus graves, chroniques ou invalidantes.
Pour la CMUc, la diminution de fréquence selon l’âge peut être étayée par une amélioration des ressources monétaires du foyer, une modification du nombre de personnes du foyer à revenu constant. Par ailleurs, la connaissance du statut vis-à-vis de la CMUc nécessite une consommation de soins car il est repéré par l’existence d’un remboursement non hospitalier dans l’année, au titre de la CMUc 11. En 2018, il existait aussi un taux de recours insuffisant à la CMUc des personnes éligibles, soit une sous-estimation (évaluée entre 56% et 68%). Ce moindre recours est aussi mentionné pour la complémentaire santé solidaire (C2S) mise en place fin 2019 et dont les critères et modes d’attribution ont été modifiés 24.
Le FDep ne préjuge pas nécessairement du désavantage social de chaque individu vivant dans la municipalité. Un de ses avantages est de pourvoir mesurer, aisément, la densité de soins pour des ensembles de communes socialement défavorisées face à des pathologies plus fréquentes dans ce cadre 20.
En perspective, au vu des types de pathologies, l’enrichissement et l’exhaustivité des données sont nécessaires à différents niveaux comme décrit dans le rapport. Au vu des actions mises en place et l’attention portée à cet important groupe de population, un suivi de données et d’information paraît plus que nécessaire, comme pour certaines évaluations. Il serait possible, dans un premier temps, d’élaborer une cartographie plus spécifique aux enfants comme pour la cartographie de la population globale, ceci à l’aide d’algorithmes plus spécifiques avec des définitions plus axées sur le handicap ou la lourdeur des cas comme dans les études américaines, ou l’isolation de chapitres spécifiques comme pour les maladies génétiques si disponibles 25. La meilleure connaissance et l’adaptation ou enrichissement des bases médico-sociales serait une grande avancée pour la connaissance épidémiologique des pathologies des enfants, de leur prise en charge dans les centres médico-sociaux et autres, mais aussi de mettre en place des actions d’évaluation de certaines stratégies mises en place sur les 1 000 premiers jours.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.