Épidémiologie de la lèpre en Nouvelle-Calédonie
de 1983 à 2017
// Epidemiology of leprosy in New-Caledonia from 1983 to 2017
Résumé
La Nouvelle-Calédonie (NC) est une collectivité française de la région Asie-Pacifique où la lèpre est toujours présente. La surveillance épidémiologique des cas notifiés de 1983 à 2017 comptabilise 342 cas. Depuis 1988, la prévalence globale annuelle est inférieure à 1/10 000 habitants, seuil d’endémicité fixé par l’Organisation mondiale de la Santé. Néanmoins, l’étude révèle une zone de surendémie sur l’île de Bélep (lieu d’implantation de la première léproserie) où le taux de détection moyen annuel 2007-2017 est de 126,5/100 000 habitants. Sur les 10 dernières années, la prédominance de formes multibacillaires et la découverte de nouveaux cas de lèpre pédiatriques démontrent la persistance d’une transmission en NC. Suite à cette étude, des mesures de santé publique et des études approfondies ont été mises en place.
Abstract
New-Caledonia (NC) is a French community of the Asia-Pacific region where leprosy is still present. The epidemiological study of reported cases from 1983 to 2017 accounts for 342 cases. Since 1988 the overall annual prevalence is less than 1/10,000 inhabitants, the endemicity threshold set by the World Health Organization. Nevertheless, the study reveals an area of overendemia on the island of Bélep (location of the first leprosarium) where the 2007-2017 annual mean detection rate is 126.5/100,000 inhabitants. Over the last 10 years the predominance of multibacillary forms and the discovery of new cases of pediatrics leprosy show the persistence of a transmission in NC. Following this study, public health measures and in-depth studies were implemented.
Introduction
La lèpre, maladie bactérienne causée par le bacille de Hansen (Mycobacterium leprae), affecte principalement la peau et les nerfs périphériques 1. Sa transmission est seulement interhumaine. La durée d’incubation varie entre 5 et 20 ans et rend les investigations complexes. À long terme, elle induit des déficits moteurs et des déformations pouvant entraîner une stigmatisation. En 2016, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé trois cibles principales à atteindre d’ici 2020 2 :
–zéro nouveau cas d’incapacité de degré 2 (ID2) chez les enfants. L’ID2 correspond à la présence d’une déformation ou d’une lésion visible 3 ;
–réduction du taux de nouveaux cas d’ID2 à moins de 1 cas pour 1 million d’habitants ;
–zéro pays disposant de lois permettant la discrimination basée sur la lèpre.
La lèpre est classée selon le nombre d’éléments cutanés, l’atteinte neurologique et l’identification des bacilles aux frottis. L’indice bacillaire de Ridley (IB) recense les bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR) par champs microscopiques, selon l’échelle logarithmique de Ridely et Jopling de 1 à 6 1,4. Sont ainsi définies les différentes formes de lèpres :
–paucibacillaire mono lésionnelle (PBML) : 1 seule lésion cutanée hypoesthésique ;
–paucibacillaire (PB) : de 2 à 5 lésions cutanées hypoesthésiques, distribution asymétrique, un seul nerf touché si atteinte neurologique (IB=0).
–multibacillaire (MB) : ≥5 lésions sans trouble de la sensibilité ou hypoesthésiques, distribution plus symétrique, atteinte neurologique avec plusieurs nerfs touchés (IB=1+).
Bien qu’elle ne soit plus un problème de santé publique au niveau mondial depuis 2000, la lèpre reste toutefois endémique (prévalence >1/10 000 habitants, qui correspond au nombre de personnes sous traitement à un moment donné, seuil OMS) dans certains pays comme l’Inde, le Brésil et l’Indonésie 3. D’autres pays non endémiques déclarent toujours des cas, notamment à Mayotte (17,9/100 000) et en Polynésie française (1,81/100 000) pour la France 5.
La Nouvelle-Calédonie (NC) est un territoire français d’outre-mer situé dans le Pacifique, divisée en trois provinces : les provinces Nord (PN) et Sud (PS) et la province des Îles Loyauté (PI) composée d’Ouvéa, Lifou, Maré et Tiga. La population était de 268 267 habitants en 2014 et 32% avaient moins de 20 ans. La densité moyenne est faible (14,4 habitants/km²) et les trois quarts de la population sont originaires de NC (mélanésiens et calédoniens européens). Environ 40 000 personnes vivent de manière tribale et 53 000 personnes vivaient sous le seuil de pauvreté en 2008, avec un taux de pauvreté différent selon les provinces (52% en PI, 35% en PN et 9% en PS) 6. Du fait de son statut de collectivité de large autonomie sui generis, instauré en 1998, la NC est compétente en matière de santé.
En NC, les premiers cas de lèpre furent signalés officiellement en 1883 et on en recensait 37 en 1892. La lèpre était vécue comme une menace et les lépreux mis au ban de la société. La première léproserie a été installée sur l’île de Bélep (69,5 km²) en PN en 1892 afin d’isoler les malades et les prendre en charge. Elle a abrité jusqu’à 400 lépreux. L’île étant isolée et difficile d’accès, il a été décidé, en 1898, d’évacuer les malades 7. Finalement, une léproserie a été ouverte, de 1918 à 2016, sur la presqu’île de Ducos près de Nouméa 8.
Les patients suspects sont diagnostiqués, suivis, traités et déclarés au service de santé publique de la Direction des affaires sanitaires et sociales de Nouvelle-Calédonie (SSP Dass-NC) par le service de médecine interne et maladies infectieuses du centre hospitalier territorial (CHT). Le SSP Dass-NC se charge de la sensibilisation de la population, des enquêtes autour des malades, de la recherche active de cas et du suivi épidémiologique, ainsi que, en partenariat avec le CHT, de la formation du personnel médical et paramédical des dispensaires de tout le territoire.
Cet article décrit le système de dépistage et de prise en charge des patients atteints de lèpre et présente les données épidémiologiques afin de faire connaître la situation de la lèpre en NC.
Matériels et méthodes
La lèpre est une maladie à déclaration obligatoire en NC depuis 1986 et sa notification se fait au moyen d’une fiche spécifique (DO) 9. Le SSP Dass-NC a pu analyser les informations recueillies de 1983 à 2017, comprenant des données sociodémographiques, cliniques, biologiques et thérapeutiques des patients pris en charge. Ces données sont anonymisées et sauvegardées sur le réseau sécurisé du SSP Dass-NC.
Description du système de dépistage
Le dépistage en Nouvelle-Calédonie est à la fois passif et actif :
–passif : les patients suspects sont adressés au CHT par leur médecin traitant (libéral ou dispensaire) ;
–actif : les contacts des cas sont vus une fois par année pendant cinq ans. Ils sont sensibilisés sur les signes de cette maladie pour un dépistage précoce. Chaque année, ils bénéficient d’un examen clinique, d’un prélèvement du suc dermique des lobes d’oreille et d’un prélèvement du mucus nasal.
Diagnostic biologique et prise en charge thérapeutique
Pour chaque cas suspect, sont réalisés : un examen clinique, des frottis bactériologiques (muqueuse nasale et suc dermique des lobes d’oreilles), une biopsie cutanée en cas de lésion(s) cutanée(s) pour anatomopathologie et bactériologie, une consultation d’ophtalmologie et un électromyogramme des quatre membres selon les symptômes.
Pour les patients MB, une biopsie cutanée est adressée au Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA) pour la recherche d’une résistance.
Le traitement utilisé en NC depuis 1983 est adapté des recommandations de l’OMS 1 : rifampicine et dapsone ou clofazimine, donnés quotidiennement pendant 6 mois pour les formes PB ; rifampicine, dapsone et clofazimine donnés quotidiennement pendant 2 ans pour les formes MB avec contrôle des frottis à 6 mois, 1 an et 2 ans.
Résultats
Taux de détection et prévalence
De 1983 à 2017, 342 patients atteints de lèpre ont été notifiés au SSP Dass-NC dont 225 hommes, 115 femmes et 2 non renseignés. Le taux de détection de la lèpre, qui correspond au nombre de personnes diagnostiquées au cours d’une année pour 100 000 habitants, a connu une forte diminution entre 1986 et 1996, avant de connaître une stagnation. Il est en moyenne de 2,3 [0,9-5,1] pour 100 000 habitants sur l’ensemble de la NC de 2007 à 2017 (figure 1).
On observe une diminution de la prévalence de la lèpre de 4,57 à moins de 1/10 000 habitants entre 1987 et 1998 (figure 2). Le taux de prévalence moyen sur l’ensemble de la NC de 2007 à 2017 est de 0,3 [0,1-0,6] pour 10 000 habitants.
Répartition des cas par localisation, classe d’âge, sexe et formes cliniques
Quatre communes ont été particulièrement touchées : Bélep avec un taux de détection moyen annuel de 126,5/100 000 habitants, Canala avec 15,2/100 000, Maré avec 13/100 000 et Koumac avec 11,8/100 000 (figure 3).
Depuis 2008, une augmentation du nombre de cas est observée chez les 0-4 ans et chez les 5-15 ans (tableau 1). La répartition des cas par classe d’âge semble symétrique par rapport aux années 1998-2002 : celle de 2013-2017 semble comparable à celle de 1983-1987 (figure 4).
Depuis 2007, 16 enfants ont été diagnostiqués dont un de moins de 3 ans, 4 formes MB, 1 atteinte neurologique et 1 érythème noueux lépreux qui est une complication observée au cours de la lèpre (tableau 2).
Résistance aux antibiotiques
De 1992 à 2017, 63 prélèvements ont été testés au CNR-MyRMA pour détecter une éventuelle résistance aux antibiotiques. Ils étaient tous sensibles à la rifampicine (absence de mutation rpoB) et un seul prélèvement en 2005 présentait le gène gyrA de résistance aux fluoroquinolones. De 1999 à 2008, des mutations de résistance à la dapsone ont été détectées dans 12 prélèvements (4 P55L dont un patient en rechute, 2 TP53A et 6 TP53I dont 3 patients en rechute). Depuis, aucun cas de multirésistance ni de rechute n’a été observé.
Discussion
Il s’agit de la première étude épidémiologique de la lèpre en NC. Les données sont considérées comme exhaustives pour les patients ayant bénéficié d’une prise en charge. La mise en place de la polychimiothérapie (PCT) a été suivie d’une diminution du nombre de cas de lèpre 10. Le pic observé en 1986 correspond à la mise en place de la DO. Depuis 1996, la prévalence en NC est passée et reste en dessous du seuil d’endémicité, sauf pour quatre communes, notamment Bélep. Il existe probablement un sous-dépistage lié aux faibles capacités des soignants dans un contexte de maladie rare et de difficulté à maintenir des compétences spécifiques (renouvellement fréquent des personnels dans les dispensaires).
Depuis 1991, moins de 10 nouveaux cas sont détectés chaque année. Le taux de détection observé est ainsi stable depuis 1999, une tendance identique à celle des pays où cette maladie existe. Il a été en moyenne de 2,3 [0,9-5,1] pour 100 000 habitants sur l’ensemble de la NC de 2007 à 2017. Bien que l’on ne puisse exclure une sous-déclaration des invalidités, on constate peu de séquelles neurologiques, en particulier les incapacités de niveau 2 (ID2) sont rares (<1 cas/an) et seulement une a été détectée chez un enfant.
Cette étude montre l’augmentation des cas chez les moins de 16 ans, preuve de la persistance de la transmission, mais de manière localisée. La diminution du nombre de nouveaux cas dans la tranche d’âge inférieure à 16 ans est un bon indice de baisse de l’endémicité. Or, sur les 63 personnes diagnostiquées entre 2008 et 2017, 16 étaient des enfants âgés de 3 à 17 ans. La persistance de cas pédiatriques a également été rapportées à Mayotte 11. La proportion de nouveaux cas MB qui reste élevée, 57% en moyenne depuis 2007, pourrait favoriser la persistance de la transmission de la lèpre en NC.
La population de Bélep s’interroge sur une possible contamination environnementale du fait de son histoire. Même si la présence de la bactérie a été retrouvée dans l’eau 12 et le sol 13, cela ne prouve pas le mode de contamination via l’environnement. Toutefois, cette interrogation ouvre la porte à des recherches futures.
La résistance aux antibiotiques reste rare et aucune multirésistance ni mutation de résistance n’a été détectée depuis 10 ans. Les rechutes observées sont en rapport avec des traitements anciens et sans répercussion sur l’efficacité de la PCT si la rifampicine est donnée quotidiennement 14.
Conclusion
Depuis 1998, la lèpre n’est plus une maladie endémique en NC. La prévalence et le taux de détection ont drastiquement diminué depuis la mise en place de la PCT. Cependant, la surveillance épidémiologique révélait, dans certaines communes, la persistance de la transmission de la lèpre, la prédominance de la forme MB dans plus de la moitié des nouveaux cas et un nombre important de formes pédiatriques.
À la suite de cette étude, la Dass-NC a renforcé l’information auprès des soignants et de la population, développé un programme de recherche active des cas, notamment dans les quatre communes les plus touchées.
Les résultats préliminaires de ce nouveau programme montrent une augmentation de la détection avec une prédominance des PB. Ceci montre que le dépistage est dynamique. S’il était seulement passif, seuls les cas tardifs seraient diagnostiqués au stade d’infirmité.
Un dépistage de la population de Bélep (recherche des signes cliniques, bactériologie sur le suc dermique des lobes d’oreille, PCR sur mucus nasal) et la recherche de réservoirs environnementaux (PCR sur de l’eau, de la terre) ont été réalisés en 2018 par le SSP Dass-NC et la PN. Le schéma thérapeutique de l’étude PEP ++ (Post Exposure Prophylaxie) 15, qui prévoit trois doses standard de rifampicine et de moxifloxacine administrées toutes les quatre semaines, pourrait être testé pour éliminer la lèpre en NC. Toutefois, administrer trois doses, pour augmenter l’efficacité, pourrait être plus difficile à superviser qu’une dose unique.
Références
DC5845272916A?sequence=15
INV11850
627-31.