Dépistage de l'infection par le VIH dans les laboratoires d'analyse médicales, 2003-2014
// HIV testing in French medical laboratoires, 2003-2014
Introduction
Le dépistage du VIH représente un enjeu majeur dans la lutte contre l’épidémie. En effet, seul un diagnostic précoce permet la mise en route rapide d’un traitement antirétroviral, avec un bénéfice individuel en limitant la progression de l’infection, et collectif en réduisant le risque de transmission du virus par diminution de la charge virale. Face au constat du retard au diagnostic, qui concernait encore 4 diagnostics sur 10 en 2013 1, et à la proportion de personnes séropositives ignorant leur statut, estimée à 20% 2, le Plan national de lutte contre le VIH/sida et les infections sexuellement transmissibles (IST) 2010-2014 3 a recommandé de proposer le dépistage du VIH à l’ensemble de la population hors notion d’exposition à risque, de répéter cette proposition pour les populations les plus exposées et de développer des actions de dépistage communautaire au moyen de tests rapides d’orientation diagnostique (TROD).
Afin de contribuer à l’évaluation de la politique de dépistage, l’Institut de veille sanitaire (InVS) publie, chaque année, les données d’activité de dépistage du VIH en laboratoires d’analyses de biologie médicale 4. Est présentée ici l’actualisation pour la période 2003-2014.
Objectifs et méthodes
La surveillance de l’activité de dépistage du VIH en laboratoire (LaboVIH) permet de suivre l’évolution nationale et régionale du nombre de sérologies VIH réalisées en France, d’aider à interpréter les données de la notification obligatoire du VIH et d’en estimer l’exhaustivité 1. Son périmètre (1) et la méthode de recueil sont inchangés par rapport aux années précédentes 4.
Les tailles de populations utilisées pour calculer les taux de sérologies rapportés à la population sont celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) au 1er janvier 2014 (août 2012 pour Mayotte) 5,6. Les tendances dans le temps ont été testées par une droite des moindres carrés pondérés par l’inverse de la variance du nombre de sérologies.
Résultats
Participation des laboratoires
Pour 2014, 89% (3 808/4 275) des laboratoires d’analyses médicales ont participé à LaboVIH : 91% des laboratoires hospitaliers et 89% des laboratoires de ville. La participation variait selon la région (de 84% à 100%) et le département (de 20% à 100%).
Sérologies VIH réalisées
En 2014, on estime que les 4 275 laboratoires ont réalisé 5,27 millions [IC95%:5,20-5,33] de sérologies VIH, soient 80 [79-81] sérologies pour 1 000 habitants. Après avoir augmenté en 2011, ce nombre s’est depuis stabilisé en France entière (figure 1a). Cette stabilisation est observée dans les trois interrégions considérées : l’Île-de-France (IdF) et les départements d’outre-mer (DOM) depuis 2012, la métropole hors Île-de-France depuis 2011 (figure 1b).
En 2014, les laboratoires de ville ont réalisé environ 76% des sérologies VIH. Après avoir augmenté en 2011 (+4%, p<10-3) , le nombre de sérologies s’est stabilisé en ville. À l’hôpital, ce nombre a augmenté jusqu’en 2014 (+11% entre 2010 et 2014 ; p<10-3).
En 2014, 7% des sérologies ont été réalisées dans un cadre anonyme (le plus souvent pour des consultants en CDAG/Ciddist), proportion stable au cours du temps, représentant environ 351 000 sérologies anonymes.
Sérologies VIH positives
Le nombre de sérologies VIH confirmées positives en laboratoire en 2014 a été estimé à 11 013 [IC95%:10 435-11 592], soient 167 [158-175] par million d’habitants. Ce nombre a augmenté entre 2011 et 2012 (figure 2a), puis s’est stabilisé.
L’évolution du nombre de sérologies positives n’est pas homogène sur l’ensemble du territoire. En IdF et dans les DOM, ce nombre est stable depuis 2011. En métropole hors IdF, le nombre de sérologies positives a augmenté régulièrement entre 2007 et 2013 (p<10-3), et ne s’est stabilisé qu’en 2014 (figure 2b).
En 2014, environ 1 200 sérologies anonymes étaient confirmées positives, soient 11% des sérologies positives, proportion stable au cours du temps.
Les laboratoires de ville étaient à l’origine de 38% des sérologies VIH positives en 2014. Le nombre de sérologies positives a augmenté depuis 2011 à l’hôpital (+13%, p<10-3), mais pas en ville.
Sérologies VIH positives pour 1 000 sérologies réalisées
Parmi les sérologies VIH réalisées en 2014, la proportion de celles confirmées positives a été estimée à 2,1 pour 1 000 pour la France entière. Les proportions les plus élevées ont été observées en Guyane (7,2), IdF (4,0), Guadeloupe (3,4), Martinique et Mayotte (2,5). Dans les autres régions, elles s’échelonnent entre 0,4 et 1,9/1 000, avec une proportion de 1,3 pour l’ensemble de la métropole hors IdF.
La proportion de sérologies positives reste, chaque année, plus élevée pour celles réalisées dans un cadre anonyme (3,4/1 000 en 2014) que pour celles réalisées dans un cadre nominatif confidentiel (2,0/1 000 en 2014).
Discussion
Les données issues de LaboVIH bénéficient d’une très bonne participation des biologistes (exhaustivité de 89% en 2014), qui permet d’obtenir des estimations nationales et régionales en termes de dépistage du VIH avec une bonne précision.
L’activité de dépistage en laboratoire avait modérément augmenté en 2011 (+4%), année qui a suivi la publication des recommandations d’élargissement du dépistage, puis s’est stabilisée. Le nombre de TROD réalisés en milieu communautaire, très faible par rapport au nombre total de sérologies classiques (voir l’article de A. Sarr et coll. publié dans ce numéro 7), ne modifie pas cette tendance. La proposition de dépistage généralisé semble donc peu appliquée. Le Groupe d’experts du rapport Morlat 2 avait relevé les difficultés d’application de cette recommandation, notamment la faible acceptabilité pour les médecins de la prescription d’un test en dehors d’une exposition ou de signes cliniques. Dans ce contexte, la Direction générale de la santé a saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour réévaluer la stratégie de dépistage et notamment réexaminer l’intérêt d’une offre de dépistage systématique en population générale.
L’augmentation du nombre de sérologies positives en laboratoires observée en 2012-2013 ne s’est pas poursuivie en 2014. Il faut souligner que le nombre de sérologies positives n’équivaut pas au nombre de personnes qui découvrent leur séropositivité, puisqu’une même personne peut avoir plusieurs sérologies positives (début ou changement de prise en charge, souhait de vérifier un précédent résultat positif…). En 2013, l’augmentation des sérologies positives ne s’accompagnait pas d’une augmentation des nouveaux diagnostics, ce qui suggérait une augmentation des sérologies positives répétées. En revanche, les efforts en matière de dépistage ont permis de réaliser davantage de diagnostics précoces, ce qui pourrait résulter à la fois d’un dépistage plus fréquent des populations les plus exposées et de leur meilleure sensibilisation au dépistage, notamment via les TROD.
L’utilisation des TROD en milieu associatif, ainsi que la disponibilité des autotests en pharmacie depuis le 15 septembre 2015, constituent de nouvelles opportunités pour atteindre les personnes qui ne se rendent pas dans les structures de dépistage ou de soins traditionnelles. Cependant, il faut souligner le rôle majeur des laboratoires d’analyses médicales dans le dispositif actuel de dépistage, et notamment des laboratoires de ville. Ils sont à l’origine de 4 sérologies positives sur 10 et réalisent des diagnostics plus précoces que l’hôpital 1. Les structures de dépistage anonyme et gratuit ont également toute leur place dans le dispositif, en dépistant une population plus exposée que celle testée dans un cadre nominatif confidentiel.
Conclusion
Le suivi de l’activité de dépistage du VIH en France montre les limites de faisabilité de la stratégie de dépistage généralisé. Cette stratégie est actuellement en cours de réévaluation par la HAS pour tenir compte des données récentes. Il reste néanmoins essentiel de disposer d’outils et de lieux de dépistage diversifiés pour toucher l’ensemble de la population vivant avec le VIH. Le fait d’associer le dépistage du VIH à celui des virus des hépatites B et C, pertinent du fait de modes de contamination communs, pourrait en favoriser l’acceptabilité par les prescripteurs, comme le soulignait le rapport Dhumeaux en 2014 8.
Remerciements
Nous remercions vivement tous les biologistes participant à LaboVIH (3 808 laboratoires ont participé pour l’année 2014). La présente analyse est rendue possible par leur travail de transmission d’information à l’InVS.