Comportements sexuels entre hommes à l’ère de la prévention combinée - Résultats de l’Enquête presse gays et lesbiennes 2011

// Sexual behavior between men in the era of combination prevention - Results from the Gay and Lesbian Survey 2011, France

Annie Velter (a.velter@invs.sante.fr), Leila Saboni, Alice Bouyssou, Caroline Semaille

Institut de veille sanitaire, Saint Maurice, France
Soumis le 25.07.2013 // Date of submission: 07.25.2013
Mots-clés : Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes | Comportements sexuels | Dépistage VIH | Réduction des risques | France
Keywords: Men who have sex with men | Sexual behavior | HIV testing | Risk reduction practices | France

Résumé

L’Enquête presse gays et lesbiennes (EPGL) est une étude transversale anonyme, auto-administrée, basée sur le volontariat et renouvelée en 2011 via la presse et des sites Internet communautaires.

Cet article a pour objectif de décrire les caractéristiques des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et ayant eu au moins un partenaire occasionnel masculin dans les 12 derniers mois, et leurs pratiques préventives et de réduction des risques (RdR) de transmission et/ou de contamination vis-à-vis du VIH. Afin de prendre en compte la prévention combinée, une grille intégrant les différentes pratiques préventives et de RdR a été construite à partir des données déclaratives sur les comportements, le statut sérologique et le contrôle ou non de l’infection VIH.

Au total, 10 448 HSH ont répondu à l’enquête ; 71% avaient eu au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois. Ils étaient 14% à n’avoir jamais eu recours au test VIH ; parmi les testés, 17% étaient séropositifs, 69% séronégatifs et 14% séro-interrogatifs.

L’usage systématique du préservatif lors des rapports anaux avec des partenaires occasionnels a été rapporté plus fréquemment par les répondants séronégatifs (58%). Aucune pratique de RdR n’a pu être décelée pour 25% des répondants séropositifs, 16% des séronégatifs, 55% des séro-interrogatifs et 35% des non testés.

Les résultats d’EPGL témoignent de l’appropriation de pratiques de RdR par les HSH, de son caractère différencié selon le statut sérologique et la connaissance ou non de ce statut. Les niveaux de dépistage et de contrôle de l’infection VIH apparaissent encore insuffisants pour inverser la tendance de l’épidémie chez les HSH.

Abstract

The French Gay and Lesbian Survey (EPGL) is an anonymous voluntary cross-sectional, self-administered survey, renewed in 2011 through the press and community websites.

This article aims to describe the characteristics and HIV preventive and risk reduction practices of men who have sex with men (MSM) who had at least one male casual partner in the last 12 months, by HIV status. To take into account HIV combination prevention, the different HIV preventive and risk reduction practices were included using behavioral data, HIV serological status and the control or not of HIV infection.

In total, 10,448 MSM responded to the survey, 71% had at least one casual partner in the last 12 months, 14% had never been tested for HIV, and among those tested, 17% were HIV-positive, 14% HIV-interrogative, and 69% HIV-negative.

The systematic use of condoms during anal intercourse with casual partners was reported more frequently by HIV-negative respondents (58%). No HIV risk reduction practice was identified for 16% of HIV-negative, 55% of HIV-interrogative, 35% of HIV-positive and 25% of never tested MSM.

The results demonstrate the assimilation of advances in risk reductions practices by MSM and how practices differ according to their HIV status. The levels of detection and control of HIV infection remain insufficient to reverse the HIV epidemic among MSM.

Introduction

En France, les rapports sexuels entre hommes sont le seul mode de contamination pour lequel les nouveaux diagnostics à VIH ne diminuent pas depuis 2003 1. L’incidence est 200 fois plus élevée que chez les hétérosexuels français 2.

Le dispositif des Enquêtes presse gay (EPG), initié dès 1985 par le sociologue M. Pollack, a décrit comment les homo-bisexuels ont « rationalisé » leur gestion du risque de contamination par le VIH. Durant la seconde moitié des années 1980, ils ont profondément modifié leurs comportements sexuels en réduisant leur nombre de partenaires, puis en utilisant massivement le préservatif et, au cours des années 1990, en adoptant une protection différenciée 3. Depuis 2000, les EPG rapportent une diminution de l’usage systématique du préservatif, quel que soit le type de partenaires et quel que soit le statut sérologique VIH des répondants 4. Parallèlement, l’efficacité des traitements antirétroviraux a contribué à la médicalisation de la prévention, en diminuant les risques de transmission du VIH par la mise sous traitement précoce des personnes séropositives (TasP - Treatment as prevention) et en réduisant les risques de contamination des personnes non infectées par la proposition d’un traitement (PreP - Pre-exposure prophylaxis5. Aujourd’hui, l’émergence de ces nouveaux paradigmes préventifs met l’accent sur la complémentarité des différentes approches préventives, comportementales et biomédicales : la prévention combinée 6. Dans ce contexte de mutation des scénarios préventifs et d’une épidémie non contrôlée, il est nécessaire de réexaminer l’indicateur de prise de risque classique (au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels de statut VIH différents ou inconnu), en prenant en compte la diversité des pratiques préventives et de réduction des risques (RdR), à partir des résultats de la nouvelle édition de l’Enquête presse gays et lesbiennes (EPGL) 2011.

L’objectif de cet article est de décrire les caractéristiques des répondants masculins de l’EPGL 2011 ayant eu au moins un partenaire occasionnel masculin dans les 12 derniers mois, par statut sérologique VIH, ainsi que leurs pratiques préventives et de RdR, au travers d’une grille spécifique.

Méthode

L’EPGL est une étude transversale anonyme, auto-administrée, basée sur le volontariat. Elle a été réalisée selon deux modes de collecte : la presse et Internet. Le questionnaire papier a été encarté dans un magazine mensuel de juin 2011 et le questionnaire Web a été mis en ligne du 16 mai au 18 juillet 2011, accessible à partir d’un site dédié à l’enquête (http://www.enquetegayslesbiennes.fr). Les internautes fréquentant les 61 sites d’information et de rencontres gay partenaires de l’enquête étaient invités à participer par le biais de bannières, de messages personnalisés ou encore de recommandations via Facebook. Les questions étaient identiques pour les deux modes de recrutement. Étaient collectées les caractéristiques sociodémographiques et des informations sur les modes de vie, la sexualité, les pratiques sexuelles préventives selon le type de partenaire (stable ou occasionnel) dans les 12 derniers mois et la santé. Le recours au dépistage VIH au cours de la vie et dans les 12 derniers mois était recueilli, ainsi que le statut sérologique VIH au moment de l’enquête. Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) séronégatifs lors de leur dernier test VIH, mais n’étant plus certains de l’être encore au moment de l’enquête, pouvaient le préciser (séro-interrogatifs). La prise de traitement, le niveau de la charge virale et le nombre de CD4/mm3 au cours des 12 derniers mois étaient recueillis pour les HSH séropositifs. Ceux-ci ont été classés comme ayant une infection contrôlée s’ils réunissaient des caractéristiques spécifiques. À savoir, s’ils avaient rapporté être sous traitement antirétroviral dans les 12 derniers mois, avec une charge virale indétectable dans les 12 derniers mois, et ne pas avoir déclaré d’infections sexuellement transmissibles dans les 12 derniers mois (IST : gonococcie urogénitale ou rectale, syphilis, hépatite B, herpès génital, condylomes-papillomavirus, chlamydia, lymphogranulomatose vénérienne). Ou bien s’ils avaient rapporté ne pas être sous traitement mais avec une charge virale indétectable et des CD4 supérieurs à 500/mm3 dans les 12 derniers mois et ne pas avoir eu d’IST dans les 12 derniers mois.

À partir de ces données déclaratives, une grille présentant les différentes pratiques préventives et de RdR a été construite (encadré ci-après). Elle comprend quatre catégories : la non-pratique de la pénétration anale, l’utilisation systématique du préservatif lors des pénétrations anales, les pratiques de RdR (le contrôle de l’infection VIH, le sérosorting et le séropositionning) et aucune pratique de RdR discernable. Ces catégories sont mutuellement exclusives. Cette grille ne présuppose pas d’une échelle d’efficience des pratiques de RdR que sont le contrôle de l’infection VIH, le sérosorting ou le séropositionning 7,8 définies dans l’encadré.

L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel Stata12®. Le test du Chi2 a été utilisé pour les analyses bivariées.

Encadré : Définitions de la grille d’analyse des pratiques préventives et de réduction des risques (RdR) vis-à-vis du VIH. Enquête presse gays et lesbiennes 2011, France

  • Pas de pratique de la pénétration anale
    Répondants n’ayant pas déclaré de rapports anaux avec des partenaires occasionnels dans les 12 derniers mois, mais pouvant avoir d’autres types de pratiques sexuelles (masturbation réciproque, fellation, fist...)
  • Pratique de pénétrations anales systématiquement protégées avec un préservatif
    Répondants ayant pratiqué la pénétration anale avec des partenaires occasionnels dans les 12 derniers mois et ayant utilisé systématiquement des préservatifs, qu’ils soient réceptifs ou insertifs.
  • Pratiques de réduction des risques
    • Contrôle de l’infection VIH
      Répondants se déclarant séropositifs et, dans les 12 derniers mois, sous traitement antirétroviral, présentant une charge virale indétectable et aucune autre infection sexuelle transmissible, et ayant pratiqué au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels, quel que soit leur statut VIH.
    • Sérosorting
      Répondants se déclarant séropositifs ou séronégatifs et ayant pratiqué au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels uniquement du même statut sérologique qu’eux dans les 12 derniers mois.
    • Séropositionning
      Répondants se déclarant séropositifs ou séronégatifs, ayant pratiqué au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels de statut VIH différent ou inconnu dans les 12 derniers mois, et dont la pénétration était exclusivement insertive pour les répondants séronégatifs et exclusivement réceptive pour les répondants séropositifs.
    • Deux des trois pratiques de réduction des risques
      Répondants se déclarant séropositifs ou séronégatifs, ayant pratiqué au moins une pénétration anale non protégée avec leurs partenaires occasionnels dans les 12 derniers mois et au moins deux des trois pratiques de réduction des risques (contrôle de l’infection VIH, sérosorting, séropositionning).
  • Aucune pratique perceptible de réduction des risques
    Répondants ayant pratiqué la pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels dans les 12 derniers mois sans mettre en œuvre une des trois stratégies de réduction des risques citées, quel que soit leur statut sérologique VIH.

Résultats

Au total, 10 448 hommes résidant en France ont répondu à l’enquête, principalement par le biais d’Internet (90%). Les répondants étaient sexuellement actifs (91%) et 71% déclaraient avoir eu au moins un partenaire occasionnel masculin au cours des 12 dernier mois. En termes de connaissance de leur statut sérologique VIH, 14% des répondants n’avaient jamais eu recours au test de dépistage VIH au cours de leur vie ; parmi ceux testés, 69% se déclaraient séronégatifs, 14% séro-interrogatifs et 17% séropositifs. Un peu plus de la moitié des HSH séropositifs (55%) avaient une infection contrôlée dans les 12 derniers mois. La part des répondants déclarant au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois variait selon le statut sérologique déclaré : 60% des répondants non testés, 66% des séronégatifs, 88% des séro-interrogatifs et 87% des séropositifs (p<0,0001).

Caractéristiques des répondants ayant rapporté au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois selon leur statut sérologique VIH déclaré (tableau 1)

Les répondants séropositifs avaient 43 ans en médiane, un niveau d’étude élevé, occupaient principalement un emploi salarié et résidaient fréquemment dans une grande agglomération. Ils décrivaient un mode de vie communautaire, fréquentant les lieux gay avec échanges sexuels (backrooms, saunas), avec un grand nombre de partenaires sexuels masculins au cours des 12 derniers mois (nombre médian : 20), consommant majoritairement des produits psychoactifs (82%). Ils rapportaient un diagnostic VIH établi en 2002 en médiane. Une majorité (86%) était sous traitement antirétroviral dans les 12 derniers mois. Parmi ces HSH traités, 86% avaient une charge virale indétectable dans les 12 derniers mois et 60% avaient plus de 500 CD4/mm3. Près d’un tiers (30%) rapportait au moins une IST dans les 12 derniers mois. Quant aux connaissances sur les traitements contre le VIH, 35% pensaient que ces traitements permettent aux séropositifs de ne plus transmettre le virus et 97% qu’ils permettent de réduire la charge virale chez les séropositifs.

Les répondants séronégatifs avaient 37 ans en médiane. Trois-quarts d’entre eux avaient suivi des études supérieures, la même proportion occupait un emploi et 42% résidaient dans des agglomérations de 20 000 à 500 000 habitants. Bien que se définissant à 87% homosexuels, 11% s’identifiaient bisexuels et 12% avaient eu des relations sexuelles avec des femmes dans les 12 derniers mois. Le nombre médian de partenaires sexuels dans les 12 derniers mois était de 7 (interquartiles (IQ): [3-20]). Plus de la moitié (53%) avaient également un partenaire stable masculin. Ils fréquentaient peu les lieux gays avec échanges sexuels, bien que 60% se soient connectés à des sites de rencontre gay. Au cours des 12 derniers mois, 74% avaient réalisé un test de dépistage et 10% rapportaient au moins une IST. Un homme séronégatif sur 10 pensait que les traitements permettent aux séropositifs traités de ne pas transmettre le virus et 75% de réduire la charge virale.

Les répondants séro-interrogatifs avaient un profil sociodémographique peu différent des séronégatifs. En revanche, 28% d’entre eux fréquentaient régulièrement les backrooms. Ils avaient un nombre médian de partenaires sexuels plus important (10 ; IQ: [5-25]) et consommaient pour 63% des produits psychoactifs. Ils rapportaient un moindre recours au dépistage VIH dans les 12 derniers mois (46%) et 14% déclaraient avoir eu au moins une IST sur la même période. Pour 13% d’entre eux, les traitements permettent aux séropositifs traités de ne pas transmettre le virus et 14% ne savaient pas ; pour 76%, ils permettent de réduire la charge virale.

Les répondants non testés étaient jeunes : 60% avaient moins de 30 ans. Ils étaient moins diplômés, mais 37% d’entre eux étaient encore étudiants. Plus du tiers résidait dans des agglomérations de moins de 20 000 habitants. Ils se définissaient comme bisexuels pour 21%. D’ailleurs, 17% d’entre eux avaient eu des relations sexuelles avec des femmes dans les 12 derniers mois. Peu d’entre eux fréquentaient les lieux de sexe gay alors que 65% s’étaient connectés à des sites Internet de rencontre gay. Leur nombre de partenaires sexuels était moindre (4 ; IQ:[2-10]) et il s’agissait le plus souvent exclusivement de partenaires occasionnels (67%). Selon 7% d’entre eux, les traitements permettent aux séropositifs traités de ne pas transmettre le virus et 20% ne savaient pas ; 55% pensaient que les traitements permettent de réduire la charge virale et 28% ne savaient pas.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques, de modes de vie et comportements sexuels des répondants masculins résidant en France ayant des rapports sexuels avec des partenaires occasionnels masculins, selon leur statut VIH déclaré. Enquête presse gays et lesbiennes 2011, France
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Pratiques préventives et de RdR de transmission et/ou de contamination (tableau 2)

Parmi les 1 333 répondants séropositifs ayant eu au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois, 3% ne pratiquaient pas la pénétration anale avec ces partenaires et 18% utilisaient systématiquement le préservatif lors des pénétrations anales. Près d’un quart (24%) des répondants séropositifs avait pratiqué au moins une pénétration anale non protégée avec un partenaire occasionnel de statut sérologique différent ou inconnu en ayant une infection VIH contrôlée, 7% avaient pratiqué le sérosorting, 6% le séropositionning et 16% au moins deux de ces trois pratiques de RdR. Pour 25% des répondants séropositifs ayant eu au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois, aucune pratique préventive ou de RdR n’a été discernée.

Parmi les 4 033 répondants séronégatifs, 10% n’avaient pas pratiqué la pénétration anale et 58% avaient utilisé systématiquement un préservatif lors des pénétrations anales avec leurs partenaires occasionnels dans les 12 derniers mois. Ils étaient 9% à avoir eu au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels exclusivement séronégatifs (sérosorting), 4% à pratiquer le séropositionning et 2% à avoir pratiqué ces deux pratiques de RdR dans les 12 derniers mois. Au final, 16% ont eu au moins une pénétration anale non protégée avec un partenaire de statut différent ou inconnu sans aucune pratique de RdR discernable.

Parmi les 1 057 répondants séro-interrogatifs, 8% n’avaient pas pratiqué la pénétration anale et 40% avaient utilisé systématiquement un préservatif lors des pénétrations anales avec leurs partenaires occasionnels dans les 12 derniers mois. Ils étaient 55% à avoir eu au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels sans aucune pratique de RdR discernable.

Parmi les 717 répondants non testés, 16% n’avaient pas pratiqué la pénétration anale et 49% avaient utilisé systématiquement un préservatif lors des pénétrations anales avec leurs partenaires occasionnels dans les 12 derniers mois. Ils étaient 34% à avoir eu au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels, sans aucune pratique de RdR discernable.

Tableau 2 : Pratiques de réduction des risques vis-à-vis du VIH avec les partenaires occasionnels masculins des répondants résidant en France, selon leur statut VIH déclaré dans les 12 derniers mois. Enquête presse gays et lesbiennes 2011, France
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Discussion

L’édition 2011 de l’EPGL, grâce à l’utilisation d’Internet comme mode de recrutement principal, a permis de doubler le nombre de répondants par rapport à l’enquête 2004 4 et de recueillir une plus grande diversité de profils témoignant de la multiplicité des modes de vie des HSH : plus de jeunes, plus de ruraux, plus de bisexuels. Les principales caractéristiques des répondants HSH restent cependant similaires aux enquêtes antérieures françaises 4 et étrangères 9 inhérentes au mode de recrutement volontaire : capital culturel important, majoritairement urbains, sociabilité communautaire assumée.

Des limites méthodologiques doivent être soulignées. Les résultats ne peuvent être extrapolés à l’ensemble de la population ciblée du fait de l’absence de contrôle lors du processus d’inclusion et de l’absence de base de sondage 10. Par ailleurs, le problème de couverture de la population cible perdure : tous les HSH ne lisent pas la presse gay et tous ne disposent pas d’un accès à Internet 11 même si le taux d’accès à Internet ne cesse d’augmenter 11. La participation d’internautes provenant de sites de rencontre spécialisés dans certaines cultures sexuelles peut surreprésenter certains profils, mais permet d’en appréhender les particularismes. Internet, par son caractère confidentiel et anonyme, tendrait à minimiser les biais de désirabilité sociale vis-à-vis de questions sensibles 11. Ceci expliquerait une certaine désinhibition concernant la déclaration de certains comportements (multipartenariat, non protection des rapports, usage de drogues). Les données concernant le statut sérologique sont déclaratives, elles sous-estiment probablement la part de HSH séropositifs du fait de la méconnaissance de leur séropositivité, comme l’a montré l’enquête Prevagay 12. La grille regroupant les différentes pratiques préventives et de RdR de contamination ou de transmission du VIH a été réalisée a posteriori par reconstruction, en se basant sur les réponses aux questions relatives aux comportements sexuels et non sur celles concernant le choix délibéré d’une de ces pratiques de RdR au détriment du préservatif. La comparaison des comportements et des stratégies délibérées indique une bonne adéquation des réponses : 90% des répondants classés comme « sérosorteurs » avaient par ailleurs déclaré pratiquer le sérosorting afin d’éviter d’être contaminés ou de transmettre le VIH. Par ailleurs, bien que ces trois pratiques de RdR soient depuis 2000 très étudiées 13, leurs niveaux de validation scientifique sont différents. Des essais randomisés 7 ont démontré l’impact des traitements sur la réduction du risque de transmission au sein de couples hétérosexuels grâce au contrôle de la charge virale, mais ceci n’est pas démontré chez les HSH lors de relations occasionnelles 14. Quant au sérosorting et au séropositionning, leur efficacité n’a pas été démontrée par des essais randomisés et leur effet sur la dynamique de l’épidémie est, selon les études, avéré ou pas 15,16.

Malgré ces limites, l’EPGL est l’une des seules enquêtes en France qui permette de décrire de manière détaillée les comportements sexuels des HSH. Ainsi, dans la population étudiée, l’activité sexuelle avec des hommes est importante quel que soit le statut sérologique des répondants. La majorité des répondants a eu au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois. Ceci permet d’étudier avec finesse les stratégies préventives mises en œuvre dans ce type de relation. Celles pratiquées avec les partenaires stables sont différentes 17 et complexes à réunir en un seul indicateur. En 2011, la part de HSH se déclarant séropositifs pour le VIH est élevée (17%) et en augmentation par rapport aux répondants de l’EPG 2004 (13%) 4 après standardisation (afin d’éliminer les effets de structure par âge et de recrutement, les données de l’EPG 2004 ont été standardisées sur la structure par âge et les sites de recrutements des données de l’EPGL 2011). Cette augmentation est cohérente avec les données épidémiologiques, que ce soit en termes d’incidence 2 ou de mortalité 18.

Comme dans les éditions antérieures de l’enquête 4, les caractéristiques des répondants diffèrent selon leur statut sérologique. Les HSH séropositifs sont très investis dans les modes de vie communautaires axés sur la liberté sexuelle, que ce soit en termes de fréquentation de lieux avec échanges sexuels, de nombre de partenaires sexuels ou d’usage de produits psychoactifs 8,12. Les répondants séro-interrogatifs ont une sexualité proche des séropositifs 12. Les séronégatifs ont moins de partenaires que les séropositifs et les séro-interrogatifs. Quant aux non-testés, ils sont distants des modes de vie communautaire, probablement du fait de leur jeunesse 4.

Les pratiques préventives et de RdR vis-à-vis du VIH mises en œuvre sont différentes selon le statut sérologique des répondants. La pratique de la pénétration anale avec les partenaires occasionnels est très majoritaire, mais moindre chez les non-testés. L’usage systématique du préservatif est proche de 60% chez les répondants séronégatifs, alors que chez les autres répondants son utilisation est moins fréquente. Ainsi, seuls 20% des répondants séropositifs utilisent systématiquement le préservatif lors de rapports anaux avec des partenaires occasionnels. Ces résultats rendent compte de la moindre place de cet outil dans les pratiques préventives après 30 ans d’épidémie du VIH. Depuis 1997, l’utilisation systématique du préservatif ne cesse de diminuer et ce quel que soit le statut sérologique des répondants. Elle est passée de 68% en 1997 à 47% en 2011.

La moitié des répondants séropositifs sont concernés par une des pratiques de RdR, le contrôle de l’infection VIH étant majoritaire. Contrairement à ce qui est observé dans d’autres études 19, le sérosorting ou le séropositionning sont minoritaires. Ceci est vrai que les répondants soient séropositifs ou séronégatifs. L’EPG 2004 avait déjà montré cela 4. La part des HSH séro-interrogatifs et non testés, à risque de contamination ou de transmission, est très importante ; en effet, la méconnaissance de leur statut sérologique ne leur permet pas d’appliquer les pratiques de RdR. Par ailleurs, pour une proportion importante de répondants séropositifs (25%), aucune pratique préventive ou de RdR n’a pu être discernée.

La mise en œuvre des pratiques de RdR nécessite un suivi régulier de sa santé : outre la connaissance de son statut VIH, la prise en charge thérapeutique du VIH et des autres IST ainsi que l’observance des traitements sont indispensables. Les résultats de cette étude montrent que les conditions de succès de ces pratiques ne sont pas encore réunies. En effet, la part des répondants dont le statut sérologique n’est pas connu ou actualisé et qui déclarent des pénétrations anales non protégées est encore trop importante (55% des séro-interrogatifs et 35% des non testés ayant des partenaires occasionnels) et alimente l’épidémie cachée 20. La promotion d’un recours régulier au dépistage doit être poursuivie, en particulier en facilitant son accès grâce à la multiplicité des offres (médicales, communautaires) au plus proche des lieux de socialisation gays 21 mais également aux marges de la communauté.

Par ailleurs, bien que la proportion de HSH séropositifs sous traitement antirétroviraux avec une charge virale indétectable ait augmenté depuis 2004 (75% vs 60%), elle n’est pas suffisante. Ainsi, en 2011, la part d’HSH dont l’infection à VIH n’est pas contrôlée apparaît encore trop importante au regard des comportements sexuels et elle participe à l’augmentation de nouveaux diagnostics 22. De plus, 30% des répondants séropositifs déclaraient des IST dans l’année. Le niveau de connaissance des répondants de l’impact des traitements sur la charge virale et la transmission du virus est révélateur d’un manque d’informations qui mériterait d’être comblé.

Enfin, ces pratiques de RdR requièrent la connaissance du statut sérologique des partenaires sexuels et donc une discussion peu évidente au regard de la nature des lieux de rencontre et des problèmes de discrimination dont peuvent être victimes les HSH séropositifs 23.

Les données de l’EPGL 2011 montrent que les HSH adoptent des pratiques préventives et de RdR différentes selon leur statut sérologique. Cependant, les niveaux de dépistage et de contrôle de l’infection VIH par le traitement ne sont pas suffisants pour atteindre effectivement leurs objectifs et inverser la tendance de l’épidémie alors que l’usage du préservatif ne cesse de diminuer. La prévention combinée apparaît donc légitime alors que l’incidence du VIH reste à un niveau très élevé. La poursuite de la promotion de l’usage du préservatif, l’incitation au dépistage régulier, l’offre de traitements, qu’elle soit post-exposition (PeP), pré-exposition (PreP) pour les HSH séronégatifs très exposés, ou le traitement précoce des HSH séropositifs ainsi que le suivi des IST doivent donc être au cœur des programmes de prévention dédiés aux HSH dans une approche de santé globale.

Remerciements

Nous remercions l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) pour son soutien scientifique et financier, et les membres du comité scientifique de l’EPGL pour l’ANRS.
Nous remercions tous ceux qui ont permis la réalisation et la réussite de cette enquête : les sites Internet et le magazine mensuel qui ont publicisé l’enquête, les équipes qui ont développé l’ensemble du site dédié, nos collègues de l’Institut de veille sanitaire et tous les hommes qui ont pris le temps de répondre à cette enquête.

Références

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Citer cet article

Velter A, Saboni L, Bouyssou A , Semaille C. Comportements sexuels entre hommes à l’ère de la prévention combinée - Résultats de l’Enquête presse gays et lesbiennes 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(39-40):510-6.