Réduction des dommages associés à l’alcool : les stratégies de prévention et d’accompagnement soulignées par l’expertise collective Inserm

// Reducing the harm associated with alcool consomption: Prevention and support strategies highlighted by collective expert report by INSERM

Marie Lhosmot-Marquet (marie.lhosmot@inserm.fr), Laurent Watroba, Laurent Fleury, pour le groupe pluridisciplinaire*
Pôle Expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Paris

* Collaborateurs du groupe pluridisciplinaire :

Guillaume Airagnes (AP-HP Centre – Université de Paris, Département médico-universitaire de Psychiatrie et Addictologie, Paris ; Inserm, UMS 011 Cohortes épidémiologiques en population, Villejuif), Christian Ben Lakhdar (LEM, UMR CNRS 9221, Université de Lille, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Lille), Jean-Bernard Daeppen (Centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne, Suisse), Karine Gallopel-Morvan (École des hautes études en santé publique, CNRS, ARENES – UMR 6051, Rennes), Fabien Girandola (Laboratoire de Psychologie sociale, UR 849, Institut Créativité et Innovations, Aix-Marseille Université, Maison de la Recherche, Aix-en-Provence), Valérie Lallemand-Mezger (Université de Paris, Épigénétique et Destin cellulaire, UMR 7216, CNRS, Paris), Louise Lartigot (Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, Centre de Recherches sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, Saint-Germain-en-Laye), Jean-Michel Lecrique (Santé publique France, Saint-Maurice), Maria Melchior (Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé publique, Inserm, Sorbonne Université UMRS 1136, Paris), Mickaël Naassila (Inserm UMR 1247 – Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances, Centre universitaire de Recherche en Santé, Université de Picardie Jules Verne, Amiens), Pierre Polomeni (Service d’Addictologie, Hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis, Sevran), Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles (Inserm U 1153 – Épopé, Hôpital Tenon, Paris).

Soumis le 19.09.2022 // Date of submission: 09.19.2022
Mots-clés : Alcool | Dommages | Prévention | Réduction
Keywords: Alcohol | Harm | Prevention | Reduction

Résumé

La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives et la Direction générale de la santé ont sollicité l’Institut national de la santé et de la recherche médicale pour la réalisation d’une expertise collective actualisant les connaissances scientifiques sur l’alcool, ses effets sur la santé, les niveaux et modalités d’usages associés à sa consommation en France, ainsi que les stratégies de prévention et d’accompagnement efficaces. Ce travail s’appuie essentiellement sur les données issues de la littérature scientifique disponible à la fin du premier semestre 2020. Reposant sur l’analyse critique de plus de 3 600 documents par 12 experts, cette expertise a permis d’émettre des recommandations d’action et de recherche dans l’objectif de renforcer la prévention auprès de la population.

Cet article présente ici quelques-unes des principales recommandations issues de ce travail collégial publié en 2021. Toute consommation d’alcool étant nuisible pour la santé, il est nécessaire d’en limiter l’accès et d’en réduire l’attractivité. Un des leviers pour cela est de rétablir la loi Évin telle qu’initialement rédigée, puis de la renforcer.

La prévention passe par plusieurs enjeux prioritaires : l’information sur le risque lié à la consommation d’alcool, la mise en place de campagnes encourageant des périodes sans consommation du type « mois sans alcool » et le renforcement des facteurs de protection avant l’âge de la première consommation. Ces facteurs sont collectifs, avec par exemple la régulation du nombre et de la concentration des lieux de ventes, ou encore la réduction des horaires de vente ; mais ils sont aussi individuels (renforcement des compétences psychosociales, etc.) et familiaux (soutien à la parentalité, etc.). Par ailleurs, les professionnels de santé de premier recours devraient être davantage formés aux stratégies de dépistage et aux différentes méthodes d’intervention efficaces. De manière générale, il est indispensable d’augmenter les moyens de la recherche, de l’enseignement et de la prévention sur l’alcool, et de mettre en place une réelle politique de réduction des risques et des dommages via une réduction des consommations.

Abstract

The French Interministerial Mission against Drugs and Addictive Behaviours and the Directorate General for Health commissioned the National Institute of Health and Medical Research to produce a collective report reviewing the current scientific knowledge on alcohol, its effects on health, drinking levels and patterns in France, and effective prevention and support strategies. This work drew mainly on data published by mid-2020 in the scientific literature. Based on a critical analysis of more than 3,600 documents conducted by 12 experts, the report yielded a number of recommendations for action and research geared towards improving prevention in the population.

This article presents some of the main recommendations of the INSERM collective report, published in 2021. As any alcohol consumption is harmful to health, it is necessary to limit its supply and reduce its attractiveness. One way of doing this would be to reinstate the Loi Évin advertising regulations as originally drafted, before increasing its scope.

Priority issues for prevention include information on alcohol-related harm and the implementation of alcohol abstinence challenges. The prevention of alcohol consumption would also benefit from the development of early interventions aimed at strengthening general protective factors before the first experimentation. These include collective measures, such as restricting supply, but also measures that target individuals (psycho-social skills, etc.) and families (parental support, etc.). In addition, primary care professionals should be better trained in screening strategies and effective intervention methods.

More generally, it is essential to increase the resources for alcohol research, education and prevention, and also to set up a veritable harm-reduction policy based on reducing consumption.

Introduction

Les conséquences sanitaires, sociales et économiques de la consommation d’alcool, même à de faibles niveaux, représentent un fardeau pour la société française. De l’analyse coût/bénéfice de l’alcool en France, il ressort que la satisfaction individuelle et les profits financiers engendrés par la consommation d’alcool ne parviennent pas à dépasser le coût des pathologies et de la mortalité : 49 000 morts par an pour un coût social estimé à 118 milliards d’euros. Les moyens alloués à la réduction et à la prise en charge de ces conséquences ne sont pas pour autant à la hauteur des enjeux et ne s’appuient pas assez sur les résultats de la recherche 1.

Sollicité par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et la Direction générale de la santé (DGS), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a dressé dans une expertise collective 2 (voir encadré) le bilan des connaissances scientifiques sur la réduction des dommages associés à l’alcool. Ce travail permet notamment de souligner les stratégies de prévention et d’accompagnement démontrées efficaces. Cet article, qui s’appuie sur les résultats de cette expertise, présente les principales recommandations du groupe d’experts.

Encadré : Qu’est-ce qu’une expertise collective ?

Développée par l’Inserm depuis 1993, l’expertise collective constitue une procédure d’évaluation des connaissances scientifiques existantes qui permet de mobiliser le réservoir de compétences et de savoir-faire de la communauté scientifique pour un partage de connaissances. L’expertise collective de l’Inserm a pour mission d’apporter un éclairage scientifique indépendant sur des questions précises de santé publique, dans une perspective d’aide à la décision publique dans le champ de la santé des populations. Elle répond aux demandes d’institutions (comme les ministères, les agences sanitaires, ou les organismes de protection sociale) souhaitant disposer de données récentes issues de la recherche, utiles à leurs processus décisionnels. Les ouvrages des expertises collectives rassemblent, analysent et synthétisent les connaissances scientifiques issues de diverses disciplines sur une question de santé à partir de la littérature scientifique internationale, en s’appuyant sur les compétences d’un groupe multidisciplinaire de chercheurs.

Les recommandations présentées dans cette expertise collective, qu’elles soient en direction des pouvoirs publics ou de la population générale, sont le résultat de l’analyse critique de 3 600 publications scientifiques. Ces documents ont été rassemblés à partir de l’interrogation de différentes bases de données (PubMed, Web of Science, Scopus, SocIndex, Cairn, Pascal, Francis, Econbizz, JSTOR, OpenEdition Journals, Isidore, Persée) et correspondent aux données disponibles lors du premier semestre 2020.

L’ensemble des recommandations sont détaillées et argumentées dans un ouvrage complet de 720 pages 2. Pour arriver à ces conclusions, un groupe multidisciplinaire d’experts choisis selon leur champ de compétences a été réuni par l’Inserm mensuellement, durant toute une année. Dans un premier temps, la littérature a été répartie entre les différents experts, qui ont eu pour mission d’analyser leurs corpus respectifs afin d’en présenter la synthèse devant l’ensemble du groupe. À l’issue des discussions nourries par ces présentations, chaque expert a rédigé un chapitre correspondant au corpus qui lui avait été dédié. Chaque chapitre a fait l’objet d’une relecture collégiale. Enfin, les experts se sont réunis pour travailler à la rédaction des recommandations.

Constats : les usages d’alcool et leurs conséquences sanitaires et sociales

Toute consommation d’alcool est nuisible pour la santé

En France, la consommation d’alcool est omniprésente, avec 42,8 millions de consommateurs et des niveaux élevés de consommation chez les jeunes et les seniors 3. Expérimentée pour la première fois au cours de l’adolescence, la consommation d’alcool devient régulière (10 fois ou plus par mois) pour 8% des jeunes de 17 ans, tandis que 40 à 50% ont au moins une alcoolisation ponctuelle importante (5 verres d’alcool ou plus par occasion) mensuelle 4. Environ 25% des jeunes avec une consommation à risque poursuivent ce type de consommation à l’entrée dans la vie adulte 5. En France, chez les adultes, la consommation moyenne par jour est de 27 grammes d’alcool pur par personne 6, soit l’équivalent de 2,7 verres de boissons alcoolisées. Enfin, si durant la grossesse, la consommation d’alcool a diminué au cours des dernières décennies, encore 20% des femmes enceintes déclarent avoir bu de l’alcool en 2010 7.

La consommation d’alcool est responsable directement ou indirectement de plus d’une soixantaine de maladies, dont la cirrhose hépatique, certains cancers (du foie, colorectal, du sein et des voies aérodigestives supérieures) 8, des maladies cardiovasculaires, des maladies digestives, des maladies mentales, ainsi que des accidents et des suicides. Environ 8% de tous les nouveaux cas de cancers sont liés à l’alcool 9. Sa consommation à des niveaux dits faibles (définis selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à moins de 20 g/j pour les femmes et 40 g/j pour les hommes) à modérés (respectivement 20 à 40 g/j et 40 à 60 g/j) contribue particulièrement à ce fardeau sanitaire, avec plus du tiers de ces nouveaux cas de cancers attribuables à l’alcool. Même si les femmes consomment moins d’alcool en moyenne, un nombre important de cancers du sein sont imputables à l’alcool, particulièrement à des niveaux de consommation faibles à modérés.

Alcool et grossesse

Pendant la grossesse, toute consommation d’alcool, même à un faible niveau, peut provoquer chez l’embryon ou le fœtus des troubles et malformations, dont la forme la plus grave est le syndrome d’alcoolisation fœtale. En Europe, sa prévalence, plus élevée qu’ailleurs dans le monde, est estimée à 37 pour 10 000 personnes 10. En termes de santé des populations, la fréquence de l’alcoolisation fœtale est préoccupante, compte tenu de la gravité des atteintes pour l’enfant et de la reconnaissance parfois tardive des troubles.

L’alcool bu par la femme enceinte passe dans le sang du fœtus, il n’y a donc aucun seuil en dessous duquel la consommation d’alcool pendant la grossesse serait absolument sans risque pour l’enfant à naître. Les experts recommandent alors d’appliquer le « principe de précaution » : zéro alcool pendant la grossesse (ainsi que pendant la période pré-conceptionnelle et l’allaitement).

La fin du French paradox

En dehors du cas particulier de la grossesse, les études récentes et de nouvelles méthodologies comme la randomisation mendélienne indiquent un effet néfaste de l’alcool dès 1 à 1,5 verre par jour. Les effets « protecteurs » à la base du célèbre « French paradox » sont sans fondement. Par le passé, divers travaux ont suggéré qu’une consommation modérée d’alcool aurait pu avoir un effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires, comparativement à l’abstinence. Cet effet était supposé expliquer le célèbre « French paradox », qui intriguait les épidémiologistes : pourquoi la mortalité par maladie coronarienne était-elle moins importante en France qu’au Royaume-Uni, alors qu’on y mangeait plus de graisses animales et qu’on y fumait autant ?

Si des études pouvaient suggérer un éventuel effet protecteur, l’analyse approfondie de celles-ci révèle des problèmes méthodologiques, et en particulier, la présence de nombreux biais liés à la définition du groupe témoin et au caractère déclaratif des consommations d’alcool.

Les études sans biais et de haute qualité dans leur construction, ainsi que leur analyse ne montrent aucune réduction du risque de dommages 11,12,13,14. Ainsi, il est désormais établi que toute consommation d’alcool est nuisible pour la santé. Le groupe d’experts insiste donc pour rendre plus claire la communication des autorités publiques vis-à-vis du grand public sur les risques liés à la consommation d’alcool.

Les principales recommandations de l’expertise

Rétablir la loi Évin telle qu’elle a été rédigée initialement et la renforcer

La législation relative à la vente d’alcool, le prix faible des produits alcoolisés, la grande disponibilité de l’alcool, mesurée notamment par la densité des points de vente ou des boîtes de nuit, ou encore les normes relatives à sa consommation, contribuent aux perceptions positives de l’alcool et aux tendances de consommation. De plus, Internet et les réseaux sociaux, médias fréquentés par la jeunesse et où la publicité est peu régulée, sont particulièrement investis par les producteurs d’alcool. Or, l’exposition à des contenus pro-alcool augmente significativement l’envie de consommer, les quantités bues et la banalisation des alcoolisations excessives. Ainsi, des travaux scientifiques menés à partir des années 2000 révèlent un lien positif et significatif entre l’exposition au marketing (produits, prix, accès au produit, publicité pour des produits alcooliques) et les attitudes, puis les comportements d’alcoolisation des jeunes 15,16,17 : initiation pour les non-consommateurs, augmentation de la consommation pour les jeunes consommateurs.

En France, la loi Évin de 1991 18 encadre la lutte contre les dommages liés à la consommation d’alcool (et de tabac), mais sa version actuelle, en plus de n’être pas toujours respectée, a été considérablement modifiée et affaiblie sous l’effet du lobbying des producteurs d’alcool (l’affichage en tout lieu et la publicité sur Internet sont désormais autorisés). Elle protège donc peu les mineurs de l’exposition à la publicité des marques d’alcool. De plus, des acteurs du lobbying en faveur de l’alcool mènent des campagnes de prévention et/ou de promotion de la consommation dite « responsable », et contrarient la mise en place d’une réglementation efficace. L’autorégulation proposée et mise en œuvre par les industries est inefficace pour protéger les jeunes du marketing de l’alcool et de ses conséquences sur leurs consommations.

Les bénéfices à limiter les consommations d’alcool des plus jeunes sont aussi clairement documentés 19,20,21,22. Les interdictions de vente d’alcool aux personnes mineures (de moins de 18 ou 21 ans selon les pays) sont associées à de plus faibles consommations d’alcool et à de moindres conséquences négatives de l’usage d’alcool chez les adolescents et jeunes adultes, ainsi qu’à une plus faible accidentologie routière.

Par conséquent, le groupe d’experts recommande de modifier la loi Évin sur la régulation de la publicité dans un sens favorable à la santé publique afin de mieux protéger les mineurs et les jeunes. Dans le même temps, il est indispensable de renforcer les contrôles sur le respect de la loi Évin et de poser un principe de transparence des relations d’influence de l’industrie de l’alcool.

Informer sur le risque alcool, soutenir les mouvements type Dry January et renforcer les facteurs de protection

Repères de consommation et avertissements sanitaires

Il convient de prévenir les usages d’alcool en renforçant les connaissances des populations, en rendant plus claire la communication des autorités destinée au grand public sur les risques liés à la consommation d’alcool. Pour cela, il est nécessaire de rappeler les repères de consommation à risque faible (Santé publique France : « pas plus de 2 verres par jour et pas tous les jours »), le « zéro alcool » particulièrement dans la période prénatale et pré-conceptionnelle, pendant laquelle les femmes sont plus vulnérables vis-à-vis de l’alcool.

L’apposition des avertissements sanitaires doit s’inscrire dans une stratégie globale et cohérente, en tenant compte des principaux éléments suivants 23,24 : les avertissements semblent échouer à toucher les consommateurs d’alcool les plus à risque ; les messages spécifiques (par risque, par type d’alcool, par sexe, etc.) seraient plus efficaces que les messages universels ; une rotation des messages est nécessaire pour éviter l’accoutumance, donc la perte d’efficacité ; la taille, l’emplacement, voire la couleur méritent d’être réétudiés. Enfin, cet étiquetage ne doit pas être laissé au volontariat des alcooliers, mais doit faire l’objet d’une politique publique contraignante, obligatoire et uniforme 25.

Il est ainsi indispensable de renforcer les avertissements sanitaires et de favoriser les campagnes d’arrêt de la consommation du type « Dry January » (mois sans alcool), dont les bénéfices ont été démontrés 26.

Dry january

Les forces des campagnes du type « mois sans alcool » (Dry January) sont multiples, leur objectif est de fournir l’opportunité de ressentir tous les bénéfices de l’arrêt de la consommation, et de prendre conscience de sa propre capacité à contrôler son comportement. La « contagion sociale » 27 est un facteur clé de la réussite de ce type de campagne, et des participants qui s’inscrivent au mois sans alcool, même s’ils ne réussissent pas le défi de l’abstinence pendant un mois, présentent eux aussi des effets bénéfiques à long terme.

Améliorer sa santé par l’abstinence, même temporaire, est un véritable levier pour réduire le fardeau sociétal de la consommation d’alcool. En effet, ce type de campagne est un moyen de régulation positive qui n’est pas établie sur les conséquences négatives ou la moralisation, et dont l’objectif est de changer les comportements des personnes à long terme.

Renforcement des facteurs de protection

Des interventions de prévention de la consommation visant à renforcer les connaissances, mais aussi les compétences des usagers (parentales, psychosociales, etc.) sont à développer, en particulier par une communication digitale et la persuasion technologique. En effet, les campagnes d’information classiques n’ont que peu d’effets lorsqu’il s’agit de changer les comportements. L’utilisation de la technologie persuasive, cependant, qui vise à susciter un changement souhaitable en façonnant et en renforçant le comportement et/ou l’attitude, se développe aujourd’hui avec un certain succès dans pratiquement tous les domaines de la santé 28.

L’information et l’argumentation servent au fil du temps à modifier les savoirs, les attitudes et à provoquer des prises de conscience. Mais l’information seule n’est pas un levier de changement. Des interventions efficaces en termes de réduction de la consommation d’alcool sont, par conséquent, nécessaires. C’est le cas par exemple des interventions précoces visant le renforcement de facteurs génériques de protection telles que les compétences parentales et les compétences psychosociales des enfants (notamment en milieu scolaire).

Développer le repérage précoce et l’intervention brève et former tous les types de professionnels de santé concernés

Le groupe d’experts recommande que les actions de prévention citées précédemment soient complétées par une stratégie de dépistage systématique d’une consommation d’alcool à risque lors d’une consultation chez un professionnel de santé de premier recours (en particulier les médecins généralistes, les urgentistes, les pédiatres, les médecins du travail, les médecins et infirmiers scolaires, les pharmaciens, les services de médecine préventive des universités). Ce dépistage permettrait ainsi, si nécessaire, de proposer une prise en charge pour les consommateurs à risque. Les « interventions brèves » qui ont un rapport coût/efficacité positif clairement établi sont souvent associées de façon bénéfique au dépistage.

Le groupe d’experts recommande donc de promouvoir des dépistages et interventions brèves électroniques dans les collectivités publiques (écoles, universités, armée) et dans les salles d’attente des cabinets médicaux, particulièrement en médecine générale et aux urgences 29.

Le terme « intervention brève » est un terme général qui inclut différents types d’interventions durant lesquelles le clinicien donne des conseils et/ou une aide psychologique visant à faire comprendre les risques et les effets négatifs de la consommation, et à explorer des manières de la diminuer 30. Les différents modèles d’intervention brève partagent pour la plupart les mêmes fondements théoriques, c’est-à-dire les théories sociocognitives et motivationnelles 31.

Le groupe d’experts souligne qu’il est primordial de faire appel aux services d’addictologie pour les personnes qui présentent des problèmes sévères avec leur consommation d’alcool. Pour les personnes qui y sont dépendantes, l’intervention brève est peu susceptible de modifier le comportement, mais elle permet d’initier une discussion et constitue une première étape dans la prise en charge d’une dépendance à l’alcool. Le groupe d’experts recommande donc de former les professionnels de premier recours (formation initiale et continue) aux méthodes de repérage et d’intervention brèves : de 5 à 15 minutes avec les médecins ou de 20 à 30 minutes avec les infirmières et dispensées en une à cinq séances. Bien que de courte durée elles sont primordiales afin d’améliorer le repérage de ces comportements et d’orienter vers une structure/un acteur de soins adapté. Une vigilance toute particulière doit être portée aux futures mères, dès la période de la conception, car la fréquence du syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) et des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF) est préoccupante, compte tenu de la gravité des atteintes pour l’enfant.

Conclusion

L’analyse critique de la littérature par le groupe d’experts a mis en exergue que toute consommation d’alcool est nuisible pour la santé. Il est donc nécessaire de limiter l’accès à l’alcool et de réduire son attractivité.

De manière générale, il est primordial d’augmenter les moyens de la prévention sur l’alcool et de mettre en place une réelle politique de réduction des risques et des dommages (RDRD) basée sur une réduction des consommations grâce aux mesures de prévention et d’accompagnement qui ont fait la preuve de leur efficacité. De plus, certains leviers comportementaux ont été identifiés : campagnes d’information claires, renforcement des facteurs protecteurs, mise en place de périodes d’abstinence, formation des professionnels de premiers recours, etc.

Estimé à 118 milliards d’euros en 2010 en France, le coût social de l’alcool est très élevé. Le secteur alcoolier français, économiquement important mais en perte de vitesse, est soumis à un système fiscal ne maximisant pas les potentialités de recettes fiscales, avec 4 milliards d’euros par an, soit un trentième des coûts sociétaux.

Des mesures efficaces permettant d’alléger le fardeau sanitaire et économique lié à la consommation d’alcool ont été identifiées dans ce travail et des recommandations dans ce sens ont été faites aux autorités compétentes.

Remerciements

Nous remercions l’ensemble de l’équipe du pôle Expertise collective de l’Inserm pour son aide lors de la réalisation de cet article.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

L’expertise collective s’étant appuyée sur un large nombre de publications scientifiques, la liste des références ci-dessous n’est pas exhaustive. L’ensemble des références est à retrouver dans l’ouvrage 2.
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2 Institut national de la santé et de la recherche médicale. Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool. Collection Expertise collective. Montrouge: EDP Sciences; 2021. 720 p. https://www.ipubli.inserm.fr/
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Citer cet article

Lhosmot-Marquet M, Watroba L, Fleury L, pour le groupe pluridisciplinaire. Réduction des dommages associés à l’alcool : les stratégies de prévention et d’accompagnement soulignées par l’expertise collective Inserm. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(11):172-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/11/2023_1.html