Caractéristiques et parcours vaccinal des personnes en situation de précarité vaccinées contre la Covid-19 sur un lieu de distribution alimentaire à Paris
// Characteristics and uptake of vaccination by individuals in precarious working and living conditions vaccinated for COVID-19 at a foodbank in Paris
Résumé
Contexte –
Afin de faciliter l’accès à la vaccination contre la Covid-19 des populations précaires, le Samusocial de Paris a mis en place des actions de vaccination sur un site de distribution alimentaire dans le nord parisien. Dans le contexte de l’ouverture à tous de la dose de rappel, l’objectif de ce travail était de décrire le profil des personnes ayant recours à ce dispositif plutôt qu’à un dispositif de droit commun, de comprendre leur parcours vaccinal et d’identifier les facteurs associés.
Méthode –
L’étude VEDA est une étude transversale rétrospective menée entre le 1er décembre 2021 et le 17 mars 2022 à porte de la Villette à Paris. À l’issue de leur vaccination, les personnes étaient interrogées en face-à-face dans une des différentes langues de l’enquête.
Résultat –
La majorité des 447 personnes interrogées étaient en situation de grande précarité, tant administrativement qu’au niveau des ressources et de l’hébergement. Environ 40% des personnes primo-vaccinées avaient été exposées au virus, majoritairement de manière asymptomatique. Plus d’un tiers des personnes interrogées avaient eu recours tardivement à la vaccination (après novembre 2021). Les facteurs favorisant ce recours tardif étaient d’avoir moins de 40 ans, d’être en situation de logement précaire, de ne pas avoir de couverture maladie et de ne pas fréquenter ce lieu de distribution alimentaire.
Conclusion –
Ce travail met en évidence l’intérêt d’actions de vaccination implantées sur des sites de distribution alimentaire pour toucher des populations particulièrement éloignées des soins. Ce travail souligne l’importance de cibler les plus jeunes et les plus précaires pour leur future dose de rappel dans un contexte de fermeture progressive des centres de vaccination.
Abstract
Background –
To facilitate access to COVID-19 vaccination for individuals in precarious working and living conditions, the “Samusocial de Paris” set up on-site vaccinations at a foodbank in the north of Paris. In the context of booster dose availability for all, this intervention aimed to vaccinate individuals in precarious living and working conditions, especially those without common rights. Our objective was to establish the profiles of those vaccinated, describe the uptake of vaccination and identify associated factors.
Method –
The VEDA study is a retrospective cross-sectional study conducted from December 1st 2021 to March 17th 2022. Following vaccination, participants were asked survey questions face-to-face in one of the different study languages.
Results –
The majority of the 447 people interviewed were in a very precarious life arrangement, both administratively and in terms of resources and housing. Amongst those receiving their first dose, approximately 40% had been exposed to SARS-CoV-2, mostly asymptomatically. More than a half of participants began their vaccination late (after November 2021). The factors associated with delayed vaccination initiation were being under 40 years of age, having precarious housing conditions, not having public health insurance and not frequenting the foodbank.
Conclusion –
This study highlights the importance of providing COVID-19 vaccination at foodbanks to reach at-risk individuals with difficulty accessing vaccinations. A large proportion of participants were still at an initial vaccination stage, which raises questions about their access to future booster dose(s).
Introduction
En pleine crise épidémique de Covid-19 (Coronavirus Disease 2019), un schéma initial de vaccination a été recommandé en France à toutes les personnes adultes en mai 2021, puis aux plus de 12 ans en juin 2021. Au 27 novembre 2021, la dose de rappel devenait accessible pour tous et également nécessaire au maintien du passe sanitaire (instauré dans de nombreux lieux publics le 9 août 2021) et du passe vaccinal (le 24 janvier 2022), six, puis quatre mois après le schéma initial de vaccination 1.
Dans ce contexte, à la mi-octobre 2021, près de 90% de la population générale adulte avait terminé son schéma initial, alors qu’encore un quart des personnes en situation de précarité (bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire, de l’Aide médicale de l’Etat (AME), sous tutelle, ou sans accès aux droits de l’Assurance maladie) ne l’avaient pas initié 2. Le retard dans l’avancement du schéma de vaccination pour ces personnes précaires était encore davantage marqué en Île-de-France 2. Des disparités géographiques de couverture vaccinale fortes étaient observées au sein même de la région, en défaveur du nord de Paris et de la Seine-Saint-Denis, là où le pourcentage de personnes en dessous du seuil de pauvreté est le plus élevé, respectivement de 24% et 30% contre 16% dans le reste de l’Île-de-France 3.
En effet, au-delà du gradient géographique, le gradient de précarité joue un rôle primordial dans le recours à la vaccination. Les actions de santé publique, comme la vaccination, peinent à atteindre les personnes en situation de précarité, davantage préoccupées par un cumul de difficultés : financière, d’accès aux soins, administrative et faible littératie en santé 4,5.
Bien que difficile à atteindre, cette population est particulièrement vulnérable face à la maladie 6. De précédentes études ont montré un risque augmenté de séroprévalence de Covid-19 dans les foyers à forte promiscuité et pour les personnes hébergées dans des lieux collectifs 7. De plus, la prévalence de comorbidités, comprenant par exemple les maladies chroniques ou l’obésité, est plus élevée au sein des populations défavorisées, jouant sur le risque de forme grave de Covid-19 8,9. De fait, le surcroît de mortalité observée en Île-de-France en 2020 était particulièrement fort dans des communes où le taux de pauvreté était plus élevé, et les personnes nées à l’étranger ont été particulièrement touchées 10.
En partenariat avec d’autres associations (Médecins sans frontières et les Restos du cœur), le Samusocial de Paris a mis en place des actions de vaccination pour atteindre ces populations, notamment des actions de rue devant les sorties des stations de métro Château Rouge et Anvers. Entre octobre 2021 et mars 2022, ce dispositif de vaccination s’est installé une à deux fois par semaine dans des locaux attenant à un lieu de distribution alimentaire à porte de Vanves dans l’ouest parisien et à porte de la Villette dans le nord parisien. En parallèle, des actions d’orientation et de sensibilisation à la vaccination ont été menées dans les hôtels sociaux. Cherchant à atteindre les personnes directement sur les lieux de vie ou des dispositifs d’aide qu’elles fréquentent, le dispositif s’inscrit dans une démarche « d’aller-vers » : il permet d’entrer en relation avec des personnes qui n’ont pas encore exprimé le besoin de vaccination ou n’ont pas encore entamé les démarches permettant de la réaliser.
Les caractéristiques des populations fréquentant les lieux de distributions alimentaires sont peu connues, ou restent appréhendées de manière indirecte 11. Des enquêtes menées sur des populations spécifiques rappellent pourtant l’importance des besoins, notamment pour des publics migrants confrontés aux barrières d’accès à l’hébergement et à l’emploi, dont une partie indique dépendre quasi-exclusivement de l’aide alimentaire 12. La distribution alimentaire à la porte de la Villette est également un lieu de vie dans la journée, comptant une fréquentation quotidienne de plus de 500 personnes, et propose des services annexes (cours de français, aide aux démarches administratives et permanence hebdomadaire médicale de Médecins sans frontières). Ces arguments renforcent la pertinence d’un positionnement dans ce lieu pour atteindre des personnes souvent en dehors des services dits “classiques”.
Au vu de l’inconditionnalité théorique d’accès au vaccin contre la Covid-19 dans les centres de vaccination classiques, favorisée par la mise en place d’un numéro temporaire de sécurité sociale, il était important de comprendre le profil des personnes ayant recouru à la vaccination sur ce site de distribution alimentaire plutôt que dans un service de droit commun. De plus, le parcours vaccinal de ces personnes, n’ayant souvent pas de couverture médicale est difficile à retracer dans les systèmes de surveillance classique. Il reste donc peu documenté.
L’objectif de cette enquête était de décrire le profil des personnes vaccinées contre la Covid-19 sur un site de distribution alimentaire du nord parisien, leur parcours vaccinal et d’identifier les déterminants associés.
Méthode
Collecte des données
À l’annonce, fin novembre 2021, de l’extension de la troisième dose aux personnes de plus de 12 ans, l’Observatoire du Samusocial de Paris a lancé l’étude VEDA (Vaccination en distribution alimentaire). Cette étude transversale rétrospective a été menée entre le 1er décembre 2021 et le 17 mars 2022 à porte de la Villette.
L’enquête était proposée à toutes les personnes vaccinées dans ce lieu. Les critères d’exclusion étaient d’être âgé de moins de 16 ans, d’avoir déjà répondu au questionnaire, l’absence de traducteur dans la langue ou l’incapacité de répondre aux questions.
L’entretien avait lieu après la vaccination et pendant l’édition des documents administratifs, en face-à-face avec l’enquêteur, en français ou en anglais. Il était accompagné d’interprètes du Samusocial en arabe, dari ou pachto, et dans de rares cas d’interprètes d’autres associations (russe, ourdou…). Les enquêteurs étaient des membres de l’Observatoire du Samusocial de Paris (sociologue, statisticien, ou épidémiologiste). À l’issue de l’entretien, des vêtements chauds, boissons et collations étaient proposés. Les enquêteurs ont également pu prodiguer des conseils sur l’importance et l’utilisation du passe vaccinal.
Le questionnaire permettait de recueillir des données sociodémographiques, des données sur les conditions de vie, sur le parcours migratoire et des informations portant sur la santé et la vaccination contre la Covid-19. Dans le cadre du protocole de vaccination, un test sérologique rapide (Trod) était réalisé avant toutes les premières injections. Ces résultats sont rapportés dans cette étude.
Les réponses ont directement été saisies sur une interface de collecte en ligne dédiée, agréée pour l’hébergement de données de santé (la plateforme Wepi d’Epiconcept). Grâce à une analyse quotidienne des données, les équipes ont pu suivre en temps réel l’activité de vaccination et le profil des personnes rencontrées.
Définitions
Un schéma initial de vaccination est défini comme une primo-vaccination incomplète (première dose sans antécédant d’infection) ou une primo-vaccination complète (première dose avec antécédent d’infection confirmé biologiquement ou une deuxième dose sans antécédent d’infection). Un rappel de vaccination est défini au moment de la mise en place de l’étude comme une dose de rappel après une primo-vaccination complète (deuxième dose avec un antécédent d’infection ou une troisième dose sans antécédent d’infection).
Une primo-vaccination au moment de l’enquête, c’est-à-dire à partir de l’annonce de la troisième dose accessible à tous (fin novembre 2021), a été considérée comme un recours tardif à la vaccination, par opposition aux personnes venues faire une dose de rappel.
Analyses statistiques
Des analyses statistiques descriptives ont été menées. Les proportions ont été comparées à l’aide du test du Chi2 unilatéral. Une p-valeur inférieure à 0,05 a été considérée comme significative.
Afin de tester les facteurs associés à un recours tardif à la vaccination, des modèles de régression logistique ont été construits. Les variables à tester ont été choisies a priori via l’élaboration d’un diagramme acyclique dirigé (DAG) grâce aux données disponibles dans la littérature. Les variables avec des modalités à effectif faible ou ayant un lien de causalité direct avec une autre variable du modèle ont été exclues. Des modèles univariés ont été réalisés, puis un modèle multivarié complet sans pas-à-pas. Les résultats sont présentés en odds ratios (OR) et intervalles de confiance à 95% (IC95%).
Les analyses ont été menées sur le logiciel R® version 4.1.1.
Éthique
L’étude a été autorisée par le service juridique du Samusocial de Paris qui a mené une analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD). Les personnes étaient libres de participer à l’enquête et cela n’influençait pas leur prise en charge. Un consentement éclairé écrit a été obtenu pour tous les participants. Les données n’étaient accessibles qu’à un nombre limité de personnes accréditées et ont été stockés de manière sécurisée.
Résultats
Au total, 83,4% des personnes vaccinées ont été approchées (figure 1). Parmi elles, 88,9% des personnes approchées et éligibles ont accepté de répondre, ce qui représente 447 personnes. Les entretiens ont été menés en français (61,5%), arabe (15,2%), anglais (12,3%), dari/persan ou en pachto (8,3%) ou dans une autre langue (2,7%).
Profil des personnes interrogées
Le profil le plus fréquemment rencontré était celui d’un homme (83,9%), entre 26 et 40 ans (45,3%), sans enfant à charge (83,6%), avec un niveau d’études secondaires (52,6%), sans ressources financières régulières (60,2%), et sans logement personnel (65,3%) (tableau 1). La majorité des personnes étaient nées hors de France (93,1%) et étaient originaires d’Afghanistan (15,7%), d’Algérie (11,7%), de Côte d’Ivoire (10,1%), de Tunisie (6,5%) et du Bangladesh (6,5%). Environ 33,9% des personnes étaient arrivées depuis moins d’un an, dont 14,3% depuis moins de trois mois. Près de la moitié (45,6%) des personnes n’avaient pas de titre de séjour, 17,2% étaient demandeuses d’asile et 7,6% bénéficiaient d’une protection internationale (reconnues réfugiées ou bénéficiaires d’une protection subsidiaire).
Seulement la moitié des personnes interrogées (53,1%) bénéficiaient d’une couverture médicale, dont 40,3% de la sécurité sociale au titre de la Protection universelle maladie (Puma) et 12,8% de l’AME. Parmi les personnes potentiellement éligibles à la sécurité sociale (n=154), 27,9% n’étaient couvertes ni par la sécurité sociale ni par l’AME. Ce pourcentage diminuait nettement avec la durée de présence en France, passant de 46,7% pour les personnes présentes entre trois mois et trois ans à 18,6% pour celles présentes depuis plus de trois ans. Parmi les personnes potentiellement éligibles à l’AME (n=162), 60,4% n’avaient aucune couverture maladie. Même après plus de trois ans de présence en France, la part de personnes éligibles à l’AME n’ayant aucune couverture restait importante (44,0% des personnes). Parmi les 180 personnes ayant une sécurité sociale, 55,9% avaient la complémentaire santé solidaire, 21,2% une mutuelle privée, 20,1% aucune mutuelle et 2,8% ne savaient pas.
Environ 9,5% des personnes étaient en situation d’obésité (indice de masse corporelle ≥30) et 14,8% rapportaient avoir au moins une pathologie chronique (majoritairement l’hypertension : 7,6%). Au total, 23,1% des personnes interrogées présentaient au moins un facteur de risque de forme grave de Covid-19 défini par la Haute Autorité de santé.
Raisons de venue sur le lieu
Les personnes venues se faire vacciner à la porte de la Villette avaient eu connaissance du lieu par différents vecteurs : 32,9% d’entre elles avaient été orientées par des professionnels (majoritairement professionnels du secteur associatif ou assistants sociaux), 29,8% fréquentaient la distribution alimentaire, 26,6% en avaient entendu parler par du bouche-à-oreille. Parmi les personnes vivant dans la rue, dans un squat ou dans un campement (n=89), 42,7% avaient eu connaissance de l’action par la fréquentation antérieure du lieu, majoritairement pour la distribution de repas. Pour les personnes hébergées dans un centre, un foyer ou un hôtel (n=86), la moitié (50,0%) avait été orientée par un professionnel, ce qui peut refléter les effets des actions d’information et d’accompagnement vers la vaccination entreprises par les gestionnaires ou les hébergeurs.
Les raisons de recours à la vaccination principalement citées étaient se protéger de la maladie et limiter la transmission (45,9%) et/ou pour obtenir le passe vaccinal afin de travailler (travail déclaré ou non), se rendre à l’hôpital, voyager ou assister à des cours de langue (52,1%).
Environ 18,5% des personnes mentionnaient avoir rencontré des difficultés pour se faire vacciner, principalement ne pas savoir où aller (7,8%).
Infection par le virus de la Covid-19
Parmi la totalité de personnes interrogées, 23,3% déclaraient ou attestaient avoir eu un antécédent d’infection par le virus de la Covid-19. Cela comprenait les infections détectées par test PCR ou antigénique (28,0% des cas), par un Trod (55,2%) ou des symptômes évocateurs de la maladie sans confirmation biologique (16,8%). Personne n’a mentionné avoir eu plusieurs infections.
Pour les personnes ayant reçu leur première dose (n=130), 6,9% pensaient avoir été infecté par le virus de la Covid-19. Cependant, au moins 38,1% des Trods étaient positifs, attestant d’une infection préalable (plus 5,9% de données manquantes). Parmi ceux ayant eu un Trod positif avant leur première dose, 86,7% affirmaient n’avoir eu aucun symptôme évocateur de la maladie.
Parcours vaccinal
Le jour de l’entretien, 44,3% des personnes venaient pour leur schéma initial de vaccination et 55,7% pour leur rappel. Pour leur dose précédente, les personnes avaient été vaccinées dans un dispositif « d’aller-vers » (59,1%), un lieu de vaccination « grand public » (centre de vaccination, médecin, pharmacien : 28,3%), à l’étranger (8,9%) ou un autre endroit (3,8%).
Pour les 252 personnes ayant eu au moins deux doses et sans antécédent d’infection, 18,7% avaient reçu leur deuxième dose dans un délai supérieur à sept semaines. Ce taux était particulièrement élevé chez les personnes ayant reçu leur première dose à l’étranger (22,2%) et celles arrivées en France depuis moins d’un an (31,9%). La proportion de personnes souhaitant se faire vacciner pour se protéger ou protéger les autres n’était pas différente selon l’avancement du schéma vaccinal.
Une partie des personnes vaccinées sur le lieu de distribution alimentaire a eu un recours tardif à la vaccination (figure 2). En effet, 35,8% des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête avaient initié leur schéma vaccinal après le 1er décembre 2021, alors que c’était le cas de seulement 4% des habitants du 19e arrondissement de Paris (parmi ceux vaccinés au 20 mars 2022).
Dans le modèle de régression logistique multivariée (tableau 2), les facteurs statistiquement associés à une primo-vaccination tardive étaient d’avoir moins de 40 ans (odds ratio ajusté (ORa)=2,49), de vivre dans la rue, en squat ou en campement (par rapport à un logement personnel, ORa=2,38), de ne pas avoir de couverture médicale (ORa=2,93) et de ne pas fréquenter antérieurement le lieu (ORa=2,13).
Discussion
Cette étude transversale dans le nord parisien est une des premières à décrire avec précision les populations touchées par des dispositifs « d’aller-vers » en matière de vaccination Covid-19, et notamment des dispositifs adossés à des actions de distribution alimentaire. Les personnes ayant recours à la vaccination dans ce site déclaraient un faible niveau économique et des situations administratives souvent complexes. Leur parcours vaccinal était en décalage avec la population générale, reflet du cumul de ces difficultés. Les personnes ayant eu un recours tardif à la vaccination étaient majoritairement jeunes et dans des situations particulièrement précaires, confirmant l’existence d’un lien fort entre gradient social et couverture vaccinale 5,13,14. Caractériser ces publics complète l’information disponible en matière de statistiques sanitaires, dont les limites ont été pointées 15.
Intérêt d’un dispositif conjoint d’accès aux soins et à l’alimentation dans le cadre d’une stratégie « d’aller-vers »
Plus d’un tiers des personnes interrogées démarraient ou complétaient leur schéma initial de vaccination après novembre 2021. L’étude Prevac a montré qu’un quart des populations en logement précaire étaient encore en dehors de tout circuit de vaccination en décembre 2021, avec un taux dépassant 50% pour les personnes vivant à la rue, en campement ou dans des squats en Île-de-France 14. Notre étude a montré la faisabilité et l’efficacité d’un dispositif conjoint d’accès aux soins et à l’alimentation pour toucher les personnes particulièrement éloignées de la vaccination, illustrant son intérêt dans le cadre d’une stratégie « d’aller-vers ». Cela s’illustre notamment par la modalité de connaissances de l’action la plus rapportée (« fréquentation du lieu ») par les personnes vivant en situation de rue, squat ou campement au moment de l’enquête. La régularité de l’opération et la présence de traducteurs et de médiateurs ont pu favoriser le recours à la vaccination de ces populations potentiellement réticentes, en levant les barrières principales documentées (langue, communication et obstacles pratiques) 16.
Comme d’autres actions organisées en mode « aller-vers », cette opération de vaccination a touché un public resté en marge des services de vaccination de droit commun. Cet enjeu est d’autant plus important que l’enquête VEDA atteste que les personnes arrivées en France depuis plusieurs mois voire plusieurs années qui pourraient prétendre à l’AME y recourent peu, confirmant la fréquence du non-recours documentée par ailleurs 17,18. Pourtant, la vaccination contre la Covid-19 était gratuite et accessible pour tous, indépendamment de la durée de présence en France, de la situation administrative et de l’accès ou non à une couverture médicale 19. Cela a été permis par l’utilisation de numéros temporaires pour les non-affiliés. Cet écart à l’accès de droit commun à la vaccination peut être expliqué par une méconnaissance de cette inconditionnalité par les bénéficiaires et les professionnels, entraînant d’éventuelles limites à sa mise en œuvre dans certains lieux de vaccination. Des difficultés de reconnaissance des vaccinations réalisées à l’étranger ont pu s’y ajouter. La pérennisation et l’élargissement d’un tel dispositif, ainsi que la levée des délais de carence avant l’accès à une couverture médicale à l’arrivée en France permettraient de réduire les freins à l’accès aux soins. De plus, intégrer la prise en compte des barrières d’accessibilité aux soins de ces populations dans la conception des dispositifs de droit commun pourraient donc constituer une stratégie complémentaire aux opérations « d’aller-vers », notamment via la traduction et l’aide pour les démarches en ligne.
Forces et limites du travail
Ce travail souligne l’importance du recueil et de la valorisation des données sur ce type de dispositif pour mieux comprendre les difficultés passées et actuelles, et anticiper les difficultés futures. Le taux de participation était élevé, permettant de garantir une bonne représentativité de la population vaccinée. Cependant, dans cette étude monocentrique, la taille de l’échantillon est relativement faible. Les résultats peuvent donc ne pas être représentatifs du parcours vaccinal des personnes précaires au niveau régional ou national. Certains facteurs de risque potentiels, comme la littératie en santé, la peur de la vaccination, les expériences des discriminations ou le niveau réel de ressources, n’ont pas pu être investigués et nécessiteraient de futures investigations dans un échantillon plus important.
Très peu de femmes ont eu recours à la vaccination sur ce lieu pendant la durée de l’enquête. Les femmes précaires recouraient moins à la vaccination que les hommes, notamment en présentant un taux d’hésitation à la vaccination plus fort 13,14,20. Cependant, dans notre étude, ce résultat peut également être dû au lieu qui est fréquenté par une population majoritairement masculine, comme l’est la population des squats et des campements, ainsi que celle des primo-arrivants.
La présence de traducteurs sur site a permis d’interroger les personnes dans la langue de leur choix et ainsi de s’assurer de la bonne compréhension des questions. Les biais de traduction ont été limités par la traduction écrite des questionnaires dans plusieurs langues. Enfin, certaines informations ont été récoltées sur une base déclarative, par exemple le poids ou les antécédents de santé ou les ressources. Cependant, pour les antécédents de Covid-19, ces données déclaratives ont été rapprochées des données biologiques (résultat de test PCR ou Trod) pour limiter les biais.
Conclusion
Ce travail a permis de montrer que l’action de vaccination menée par le Samusocial de Paris a touché des populations particulièrement précaires, dont une grande partie était encore en marge de toute vaccination à l’aube de l’administration de la dose de rappel en population générale. Un travail de sensibilisation sur l’accès inconditionnel et gratuit à la vaccination serait important pour limiter le refus de soins de la part des professionnels. Il va de pair avec l’adaptation des outils (facilitation de la conversion des vaccinations à l’étranger par exemple). Dans un contexte de fermeture progressive des lieux de vaccination, ce travail souligne l’importance de cibler les personnes ayant eu un schéma vaccinal initial tardif pour leur favoriser l’accès à une future dose rappel, sans oublier toutes les personnes encore en dehors de tout schéma vaccinal.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble des participants à l’enquête, les enquêteurs et les personnes mobilisées sur l’enquête et l’action de vaccination ainsi que Daphné Léonard pour l’accompagnement juridique. Nous tenons également à remercier les Restos du cœur, ainsi que Médecins sans frontières d’avoir participé au bon déroulement de l’action.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.