Traumatologie routière pendant la première période de confinement pour cause de pandémie de Covid-19
Registre du Rhône

// Road traffic injuries during the first lockdown of the COVID-19 pandemic
Rhône registry, France

Bernard Laumon1 (bernard.laumon@univ-eiffel.fr), Hélène Tardy2, Amina Ndiaye2, Blandine Gadegbeku2, Sylviane Lafont2
1 Univ Gustave-Eiffel, Département Transport Santé Sécurité (TS2), Lyon
2 Univ Lyon, Univ Gustave-Eiffel, Univ Claude-Bernard Lyon-1, Umrestte, UMR T 9405, Lyon
Soumis le 21.04.2022 // Date of submission: 04.21.2022
Mots-clés : Covid-19 | Confinement | Traumatologie routière | Gravité
Keywords: COVID-19 | Lockdown | Road traffic injuries | Severity

Résumé

Introduction –

La pandémie de Covid-19 a contraint la France à un confinement strict du 17 mars au 10 mai 2020. Les accidents de la route et la mortalité routière ont alors fortement diminué, mais que dire des blessés et de la gravité de leurs atteintes ? L’objectif est d’évaluer l’impact du confinement sur la morbidité routière.

Méthode –

Les données sont issues du Registre des victimes corporelles d’accidents de la circulation routière dans le département du Rhône. Les principales caractéristiques de l’accident, de la victime et de la gravité des blessures lors de la période de confinement sont comparées à la même période l’année précédente. Cependant, pour éviter de prêter au confinement des effets liés à d’autres sources de variation de l’accidentalité, la même analyse est réalisée sur la période précédant le confinement. Toutes les périodes sont choisies de la même durée que le confinement lui-même. Les analyses sont descriptives et univariées.

Résultats –

Cette période de confinement est associée à une baisse de 75% du nombre de victimes (386 vs 1 537 l’année précédente). On observe aussi une plus grande proportion de victimes cyclistes et une moindre proportion de victimes automobilistes (au point d’être équilibrés en nombre), plus d’accidents sans antagoniste, une augmentation du ratio hommes/femmes, un excès relatif des moins de 14 ans et un déficit relatif des 15-24 ans, une moindre part des victimes peu gravement blessées
(et plus de victimes modérément blessées), et une moindre proportion de victimes présentant une atteinte du rachis cervical.

Discussion-conclusion –

La moindre part d’automobilistes accidentés pendant le confinement explique la part plus faible d’accidents avec antagoniste. Ces deux phénomènes combinés expliquent le nombre moindre de victimes dans un même accident et la part plus faible des atteintes du rachis cervical. L’augmentation du ratio hommes/femmes concerne essentiellement les 25-44 ans. On peut y voir le reflet d’une gestion différenciée des contraintes imposées (domestiques et autres). L’excès relatif de victimes de moins de 14 ans est lié à l’augmentation de la pratique du vélo par des enfants encore inexpérimentés, particulièrement des filles. Le déficit relatif de victimes de 15-24 ans est lié à un moindre usage du vélo et de la trottinette. Enfin, la diminution de la part des blessés les plus légèrement atteints pourrait être expliquée par un moindre recours au réseau de soins pendant le confinement. Cette baisse ne contribue cependant que marginalement à la chute spectaculaire de l’accidentalité au cours de cette période.

Ainsi, au-delà d’une réduction importante de l’accidentalité routière, ce confinement strict a révélé des caractéristiques d’accidents et de victimes qui suggèrent, globalement, une évolution des déplacements vers plus de modes doux. Cette évolution, et son accidentalité spécifique, devront être évaluées à plus long terme.

Abstract

Introduction –

The COVID-19 pandemic forced France into strict lockdown from 17 March to 10 May 2020. During this period, the number of road traffic accidents and deaths fell sharply, but the impact on the type of injuries sustained and the severity of their consequences was hitherto unknown. This study aimed to investigate the impact of lockdown on road injury morbidity.

Method –

The data analysed are from the registry of victims of road traffic accidents in the Rhône department. The main characteristics of accidents, victims, and injury severity during the lockdown period were compared with the same period in the previous year. However, in order to avoid attributing effects from other sources of accident variation to the lockdown, the same analysis was carried out for the period before lockdown. The analyses are descriptive and univariate.

Results –

This lockdown period is associated with a 75% decrease in the number of victims (386 vs 1537 the previous year). There was also a greater proportion of cyclist victims and fewer motorists
(to the point of becoming balanced in number), more accidents without an antagonist, an increase in the male/female ratio, a relative excess of under-14s and a relative deficit of 15-24-years-old, a smaller proportion of victims with minor injuries (and more with moderate injuries), as well as fewer victims with cervical spine injuries.

Discussion-conclusion –

The lower proportion of motorists involved in accidents during lockdown explains the lower proportion of accidents with antagonists. These two effects combined explain the lower number of victims in a single accident and the lower proportion of cervical spine injuries. The increase in the male/female ratio mainly concerns the 25–44 age group. This may be seen to reflect the differential constraints (domestic and other) imposed by lockdown restrictions. The relative excess of victims aged under 14 years is linked to an increase in cycling among unexperienced children, particularly girls. The relative deficit of victims aged 15–24 years is linked to a decrease in their use of bicycles and scooters. Finally, the decrease in the proportion of minor injuries could be explained by the lesser use of the care network during lockdown. However, this reduction only marginally contributes to the spectacular drop in the accident rate during this period.

Thus, in addition to a significant reduction in road traffic accidents, this lockdown revealed accident and victim characteristics that suggest, overall, a shift towards softer modes of transport. This evolution, and its specific accidentology, will have to be evaluated in the longer term.

Introduction

Le 17 mars 2020 à 12 h, la France entière était confinée par décret 1. Sauf à se rendre sur son lieu de travail et en dehors des déplacements professionnels ne pouvant être différés, des achats de première nécessité, des déplacements pour motif de santé ou motif familial impérieux, ou, à proximité du domicile, pour une activité physique brève, y compris de son animal de compagnie, plus aucun déplacement n’était autorisé. Ce confinement a été levé le 11 mai. Autant de déplacements en moins qui n’ont pu avoir qu’une incidence positive sur le bilan de l’insécurité routière. Selon l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR), « L’étude des accidents et de la mortalité sur le premier semestre 2020, comparée aux années précédentes, met en évidence certes la chute de l’accidentalité pendant la période de confinement, mais aussi une reprise en période de déconfinement qui n’est pas encore à la hauteur d’une situation correspondant aux déplacements habituels 2 ».

Une autre dimension essentielle de l’insécurité routière est celle des blessés et de la gravité de leurs blessures. Le Registre des victimes corporelles d’accidents de la circulation routière dans le département du Rhône (dit Registre du Rhône) permet d’analyser l’impact du confinement sur cette morbidité.

Méthode

Le Registre du Rhône existe depuis 1995 3,4. Il recense toutes les victimes corporelles d’un accident de la circulation routière survenu dans le département du Rhône (1,8 million d’habitants, 10 535 victimes en 2019). Il permet de décrire les caractéristiques personnelles de la victime, de son accident, et de son parcours de soins, ainsi que la nature et la gravité de son tableau lésionnel. Cette gravité est estimée par l’AIS (Abbreviated Injury Scale 5), classification de référence en traumatologie. Elle permet de coder chaque lésion élémentaire et de lui affecter un niveau de gravité de 1 (mineure) à 6 (au-delà de toute ressource thérapeutique). Le MAIS (Maximum Abbreviated Injury Scale) est le niveau de gravité associé à la lésion présentant l’AIS le plus élevé.

Pour évaluer l’impact du confinement sur la morbidité routière, la période de confinement (Pconf) est comparée à la même période l’année précédente (Pconf-1). Néanmoins, pour éviter de prêter au confinement les effets d’autres sources de variation de l’accidentalité d’une année à l’autre, il est recherché dans un second temps si les mêmes tendances sont observées sur la période avant le confinement (Pav), en la comparant à la même période l’année précédente (Pav-1). Toutes les périodes sont choisies de la même durée que le confinement lui-même, soit 54 jours (1).

Pour dresser un bilan global de l’accidentalité, les variables retenues sont le nombre d’accidents et de victimes (blessées ou décédées), et le nombre moyen de victimes par accident.

Les accidents sont caractérisés par le type de voie, le type d’antagoniste éventuel et le jour de la semaine. Afin de tenir compte du fait que le nombre de chacun de ces jours n’est pas le même au cours d’une période donnée, ou d’une période à l’autre, il est calculé un nombre moyen d’accidents un jour donné de la semaine. Ce nombre est ensuite rapporté au nombre quotidien moyen d’accidents sur la période considérée. Les jours fériés sont considérés comme des dimanches.

Les victimes sont caractérisées par leurs sexe, âge, lieu de résidence, motif du déplacement et catégorie d’usager. Les conséquences de l’accident sur ces victimes sont caractérisées par leurs décès éventuel, durée d’hospitalisation, gravité des blessures (MAIS), et régions corporelles atteintes.

Toutes les analyses sont effectuées sous SAS 9.4®. Selon la nature des variables, les tests statistiques effectués sont des Chi2 ou des tests de Fisher (ou une analyse de variance à deux facteurs pour le jour de la semaine). Pour les variables à plusieurs modalités, le test d’une modalité particulière n’est envisagé que si le test global est significatif (test « protégé »), et seules les différences significatives sont rapportées dans le texte. Lorsque des comparaisons ne sont pas présentées dans un tableau, leur significativité est indiquée dans le texte.

Résultats

La période de confinement comparée à la même période l’année précédente

Pendant la période de confinement (Pconf), 362 accidents ont été dénombrés, faisant 386 victimes, soit une baisse de 75% par rapport à la même période l’année précédente (Pconf-1) (tableau 1). Le nombre moyen de victimes par accident a lui aussi diminué (1,07 vs 1,13). Pour la suite des résultats, il est fait abstraction de ces différences d’effectifs pour s’intéresser aux distributions en fréquences.

Tableau 1 : Caractéristiques des accidents selon la période de leur survenue (proportions rapportées au nombre d’accidents de chaque période) – Registre du Rhône
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Ainsi, par rapport à la même période l’année précédente, on constate une augmentation de la part des accidents sans antagoniste (58,3% vs 43,9%) et une réduction des heurts avec un véhicule motorisé (31,2% vs 44,5%). Les répartitions des accidents, selon le jour de la semaine, ou selon le type de réseau sur lequel ils surviennent, n’évoluent pas de façon significative.

S’agissant des caractéristiques des victimes (tableau 2), leur répartition selon leur lieu de résidence est significativement différente entre les deux périodes, avec, pendant le confinement, une part plus élevée de victimes résidant dans le département du Rhône (92,0% vs 87,3%). La répartition des victimes selon leur catégorie d’usager diffère de celle de l’année précédente, avec notamment une diminution de la part des occupants de voiture (28,8% vs 38,6 %) et des usagers de trottinette (9,8% vs 13,1%), et une augmentation de celle des cyclistes (29,5% vs 19,0%) et des usagers d’un autre EDP (2) que la trottinette (4,7% vs 2,6%). Les cyclistes s’avèrent ainsi les victimes les plus fortement représentées au cours de ce confinement. La répartition des victimes en âge de travailler (14 à 70 ans) selon leur motif de déplacement ne diffère pas significativement d’une période à l’autre ; ni la proportion de passagers, tant d’une voiture que d’un deux-roues motorisé.

Tableau 2 : Caractéristiques des victimes selon la période de survenue de leur accident (proportions rapportées au nombre de victimes de chaque période) – Registre du Rhône
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Le ratio hommes/femmes est plus élevé pendant le confinement (2,24) qu’au cours de la même période l’année précédente (1,63). Ce sex-ratio a notamment augmenté parmi les 25-44 ans (4,29 vs 1,55, p<0,001). Il en est de même selon le motif du déplacement, tant parmi les déplacements en lien avec le travail (3,33 vs 1,47, p<0,01) que ceux sans lien avec celui-ci (2,63 vs 1,68, p<0,01).

Les victimes sont, en moyenne, plus jeunes d’environ trois ans (28,5 vs 31,3), avec une part plus élevée des moins de 14 ans (22,5% vs 12,4%), et une part moins élevée des 15-24 ans (25,4% vs 30,8%).

La hausse des 0-14 ans est significativement liée aux cyclistes (12,7% de l’ensemble des victimes vs 2,3%, p<0,001) et aux usagers de trottinette (5,4% vs 3,2%, p<0,01), hausses qui prévalent sur une baisse chez les automobilistes (0,3% vs 3,3%, p<0,01). Cet excès de 0-14 ans est plus marqué chez les filles (32,8% des victimes de sexe féminin vs 11,3% l’année précédente, p<0,001) que chez les garçons (18,0% des victimes de sexe masculin vs 13,1% l’année précédente, p<0,05). La baisse des 15-24 ans est significativement liée aux cyclistes (2,6% de l’ensemble des victimes vs 5,5% l’année précédente, p<0,05) et aux usagers de trottinette (1,3% vs 3,5%, p<0,05).

S’agissant des conséquences de l’accident pour les victimes (tableau 3), 1 décès est constaté au cours de la période de confinement, et 5 décès au cours de la même période l’année précédente. Le taux d’hospitalisation et la durée d’hospitalisation ne diffèrent pas significativement entre les deux périodes.

Tableau 3 : Conséquences pour les victimes selon la période de survenue de leur accident (proportions rapportées au nombre de victimes de chaque période) – Registre du Rhône
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La gravité du tableau lésionnel diffère entre les deux périodes, avec une baisse des tableaux de faible gravité MAIS 1 (65,8% vs 74,4%) et une augmentation des tableaux de gravité modérée MAIS 2 (29,0% vs 21,1%). Une exploration plus fine de ces évolutions (données non rapportées) confirme cette tendance sur toutes les classes d’âge, sur les principales catégories d’usagers (voiture, vélo, piéton), sur les principaux motifs de déplacement (sans lien avec le travail, trajet domicile-travail) et sur les trois types d’antagonistes les plus fréquents (aucun, véhicule motorisé, obstacle fixe).

Le confinement n’impacte pas le nombre moyen de régions corporelles atteintes. Les comparaisons région par région (3) montrent une baisse significative des atteintes de la colonne vertébrale (15,5% des victimes vs 24,0%), quasi exclusivement des entorses cervicales, communément appelées « coup du lapin » (8,0% vs 15,7%, p<0,001).

Évolutions observées au cours de la période qui a précédé le confinement

Il s’agit ici de mettre en perspective les évolutions évoquées précédemment par rapport à celles observées entre les périodes Pav-1 et Pav. Entre ces deux périodes, contrairement à l’analyse de la période de confinement, on observe une augmentation du nombre d’accidents (1 335 vs 1 081) et de celui des victimes (1 470 vs 1 224, tableau 1). Cependant, aucune des caractéristiques de l’accident n’évolue de façon significative, contrairement à ce que l’on observait précédemment pour le nombre moyen de victimes par accident ou le type d’antagoniste.

S’agissant des victimes (tableau 2), a contrario de l’analyse de la période de confinement, on n’observe pas d’évolution significative du lieu de résidence, de la proportion de passagers de voiture ou de deux-roues motorisé, du sex-ratio ou de l’âge des victimes ; et une évolution significative des motifs de déplacement, avec une réduction des trajets domicile-travail au profit de ceux sans lien avec le travail. Comme précédemment, on observe une répartition significativement différente des victimes selon leur catégorie d’usager, mais ici essentiellement liée à l’augmentation des usagers de trottinette (de 6,5 à 11,8%).

S’agissant des conséquences de l’accident pour les victimes (tableau 3), on observe, comme pour la période de confinement, une moindre mortalité (de 8 à 2) et une évolution non significative de la durée d’hospitalisation. A contrario, aucune évolution significative de la gravité ou de la répartition des lésions n’est constatée.

Discussion

La présentation des résultats s’appuie fortement sur le caractère « significatif » de telle ou telle différence. Ce choix présente l’inconvénient de pénaliser la période d’intérêt du fait de ses moindres effectifs. Néanmoins, des différences significatives entre les périodes Pconf et Pconf-1 sont retrouvées, alors qu’elles ne le sont pas entre Pav et Pav-1. Il paraît donc légitime d’attribuer ces différences au confinement lui-même.

Ainsi, on retient avant tout une chute de 75% de la morbidité routière au cours du confinement, à rapprocher de celle de la mortalité routière sur l’ensemble du territoire métropolitain (60,8% (4)). On peut aussi rappeler le moindre nombre moyen de victimes par accident.

La période de confinement est aussi caractérisée par une accidentalité des cyclistes qui rejoint celle des automobilistes et, en proportion, par plus d’accidents sans antagoniste, plus de victimes masculines, plus de victimes de moins de 14 ans et moins de 15-24 ans, moins de victimes peu gravement atteintes (MAIS 1), et moins de traumatismes du rachis (d’entorses cervicales pour l’essentiel).

Le moindre nombre de victimes par accident peut s’expliquer par la réduction du nombre d’impliqués dans un même accident. Celle-ci est liée à la réduction du nombre de voitures en circulation (tant en nombre de véhicules que de distances parcourues par chaque véhicule) et à la réduction du nombre des accidents impliquant un antagoniste. On ne peut l’imputer à une évolution (non significative) du nombre moyen de passagers de voiture ou de deux-roues motorisé.

L’augmentation du ratio hommes/femmes concerne essentiellement les 25-44 ans, tant dans les déplacements sans lien avec le travail qu’avec. Cela peut traduire, chez ces jeunes adultes, une gestion différenciée des contraintes imposées (garde des enfants, télétravail ou non, achats, etc.) conduisant l’homme à davantage de déplacements que la femme.

S’agissant de la plus grande proportion d’accidents sans antagoniste, on retrouve la même tendance sur les accidents mortels au plan national (57,6% d’accidents « sans tiers » vs 41,2% (4)). Là encore, ce constat s’explique assez naturellement par la réduction du nombre de véhicules motorisés en circulation.

Une autre conséquence de cette réduction des véhicules motorisés, notamment des voitures, est la forte diminution des entorses cervicales. L’accident entre une voiture et un autre véhicule motorisé étant le principal pourvoyeur de telles entorses (75,1% d’entre elles pendant Pconf-1), la plus faible part de victimes en voiture et la plus faible part des accidents avec un autre véhicule motorisé pour antagoniste se conjuguent pour abaisser le risque d’une telle lésion (41,9% des entorses cervicales pendant Pconf).

Cette période de confinement est aussi marquée par une part plus élevée de victimes de moins de 14 ans. Cet excès pourrait s’expliquer par une nouvelle utilisation (ludique) des modes de locomotion doux chez les enfants. À cela pourrait s’ajouter une moindre expérience des filles, connues pour avoir un accès au vélo habituellement moins fréquent et plus tardif que les garçons 6. S’agissant de la baisse de la part des victimes âgées de 15 à 24 ans, on ne peut que supposer qu’il s’agit là du reflet d’une moindre incitation conjoncturelle à la pratique (ludique ou non) des modes de déplacement doux.

Enfin, au cours de cette période, on constate une part moins élevée de tableaux lésionnels peu graves et plus élevée de tableaux modérément graves. De fait, le taux d’hospitalisation est augmenté, même s’il ne l’est pas de façon significative (tableau 1). Un moindre recours au réseau de soins impliqué dans le Registre du Rhône peut expliquer ces résultats, comme cela a été constaté pour les accidents de la vie courante 7. Un tel phénomène ne serait observé que sur les victimes pouvant se passer de soins hospitaliers, donc les moins gravement atteintes (MAIS 1). Cette baisse se répartit sur les différentes modalités des caractéristiques ayant évolué du fait du confinement (antagoniste, catégorie d’usager, âge). Cette constance ne peut qu’étayer l’hypothèse d’une moindre fréquentation du réseau de soins par les victimes les plus légèrement atteintes. Les raisons en sont sans doute les mêmes que celles avancées pour les accidents de la vie courante (peur de la contamination Covid, souci de ne pas engorger les services d’urgence avec de la « bobologie ») 7 ou crainte d’un déplacement « interdit ».

Même si de tels comportements ont pu exister, ils sont loin d’expliquer l’essentiel de la réduction de l’accidentalité constatée au cours du confinement. Ces évolutions de la morbidité routière, sur cette période, sont du même ordre que celles constatées au niveau national sur la mortalité routière ou sur le niveau de trafic 2. La « non-explosion » des accidents les plus graves (MAIS 3+) n’abonde pas dans le sens d’un relâchement massif des comportements à l’égard du code de la route, notamment en matière de vitesse.

L’étude est à replacer dans une tendance récente à une augmentation de l’insécurité routière (7 816 victimes dans le Rhône en 2015, 10 535 en 2019), et dans une saisonnalité certaine, ne serait-ce que dans l’usage des deux-roues. Les précautions prises dans la sélection des périodes de comparaison et dans la façon de les comparer autorisent à considérer que ces sources de variabilité n’ont pas influencé nos affirmations. De fait, on peut légitimement imputer l’essentiel des changements observés, au cours de cette période de confinement, au confinement lui-même. Cette étude s’inscrit par ailleurs dans un contexte de promotion des modes de transport individuel doux (vélo et trottinette, notamment) 8,9, essor que les mesures de restriction des déplacements ont sans doute favorisé.

En conclusion, au-delà d’une réduction importante de l’accidentalité routière, le confinement strict imposé pendant près de deux mois a révélé des caractéristiques d’accidents ou de victimes qui confortent l’hypothèse d’une évolution des déplacements vers plus de modes doux. Une telle évolution était déjà amorcée avant ce confinement et semble devoir perdurer, voire s’amplifier 10,11. Elle s’accompagne d’une accidentologie spécifique à évaluer à plus long terme.

Conformité avec les dispositions réglementaires

Les données traitées sont extraites du Registre des victimes corporelles d’accidents de la circulation routière dans le département du Rhône. Ce registre existe depuis 1995. Il a fait l’objet d’une déclaration auprès de la Cnil. Il bénéficie d’un avis favorable du Comité d’évaluation des registres.

Remerciements

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont participé au recueil ou à l’informatisation des données, à travers l’Association pour le registre des victimes d’accidents de la circulation du Rhône (Arvac, présidée par Étienne Javouhey) et l’Université Gustave-Eiffel-TS2-Umrestte (sous la direction de Barbara Charbotel).

Financement

Au fil des années, ce registre a bénéficié du soutien financier des ministères chargés de la sécurité routière (Transports, puis Intérieur), notamment de la Délégation à la sécurité routière, du ministère chargé de la Santé (Santé publique France, Inserm), et de l’Université Gustave-Eiffel.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Légifrance. Ministère des Solidarités et de la Santé, ministère de l’Intérieur. Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19. JORF du 17/03/2020. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041728476?r=EiwSUE55ug
2 Observatoire national interministériel de la sécurité routière. Effet du confinement de la population au printemps 2020 lors de la crise Covid. Paris: ONISR; 2020. https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/etudes-et-recherches/evaluation/effet-du-confinement-de-la-population-au-printemps-2020-lors-de-la-crise-covid
3 Laumon B. A French road accident trauma registry: comparison with police records. 7th Conference Traffic Safety on Two Continents, Lisbon, 1997. Malmö: Swedish National Road and Transport Research Institute (VTI). 1998:91-104.
4 Laumon B, Martin JL, Collet P, Chiron M, Verney MP, NDiaye A, et al. A French road accident trauma registry: First results. AAAM 41st Annual Conference, Orlando, Florida, 1997. AAAM Eds, Des Plaines, Illinois. 1997:127-37.
5 Gennarelli T, Wodzin E, Association for the Advancement of Automotive Medicine. Abbreviated Injury Scale, 2008 Revision. AAAM Eds, Des Plaines, Illinois. 2008. 8 p. https://www.aaam.org/abbreviated-injury-scale-ais/
6 Rubio B, Legrand E, Cestac J, Assailly JP. Usage, socialisation et apprentissage du vélo chez les enfants : une revue narrative de la littérature. Iffstar. RTS; 2021. 17 p. https://doi.org/10.25578/RTS_ISSN1951-6614_2021-07
7 Rigou A, Beltzer N, Réseau Enquête permanente sur les accidents de la vie courante (EPAC). Surveillance des accidents de la vie courante pendant la période de confinement de la pandémie de Covid-19. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(20):402-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/20/2020_20_1.html
8 Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Comment les Français se déplacent-ils en 2019 ? Résultats de l’enquête mobilité des personnes. Paris; 2020. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/comment-les-francais-se-deplacent-ils-en-2019-resultats-de-lenquete-mobilite-des-personnes
9 Ademe, Obsoco, Chronos. L’Observatoire des mobilités émergentes – 3e édition. 2020. 4 p. https://librairie.
ademe.fr/mobilite-et-transport/3793-observatoire-des-mobilites-emergentes-3eme-edition-2020.html
10 Ademe, Obsoco, Chronos. L’Observatoire des mobilités émergentes – Janvier 2021 : spécial crise sanitaire en 2020. 9 p. https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transport/4595-observatoire-des-mobilites-emergentes-special-
crise-sanitaire-en-2020.html
11 Bagou G, Ndiaye A, Hugenschmitt D, Ebroussard G, Gerbaud K, Tazarourte K. Traumatismes consécutifs aux accidents de trottinettes. Annales françaises de médecine d’urgence. 2021;11(3):144-9.

Citer cet article

Laumon B, Tardy H, Ndiaye A, Gadegbeku B, Lafont S. Traumatologie routière pendant la première période de confinement pour cause de pandémie de Covid-19 – Registre du Rhône. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(18):308-14. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/18/2022_18_1.html

(1) Le confinement ayant pris effet le 17 mars à midi, cette journée est exclue de l’analyse.
(2) EDP ou engin de déplacement personnel. Cet acronyme regroupe des engins non motorisés (skate, roller, trottinette) et motorisés (trottinette électrique, gyropode, monoroue, hoverboard).
(3) S’agissant de la répartition des lésions selon ces régions corporelles, dans la mesure où une même victime peut présenter des lésions dans deux ou plusieurs régions, un test Chi2 global serait inapproprié.
(4) Chiffres obtenus par l’analyse de la base nationale de l’ONISR sur les mêmes périodes (172 décès à 30 jours sur Pconf vs 487 sur Pconf-1).