Premiers résultats des facteurs associés à la résilience et à la santé mentale des enfants et des adolescents
(9-18 ans) lors du premier confinement lié à la Covid-19 en France

// First results of factors associated with resilience and mental health of children and adolescents (9-18 years) during the first lockdown related to COVID-19 in France

Stéphanie Vandentorren1,2 (stephanie.vandentorren@santepubliquefrance.fr), Imane Khirredine1, Mégane Estevez2, Carla De Stefano3,4, Dalila Rezzoug3,4, Nicolas Oppenchaim5, Pascale Haag6, Sarah Gensburger7, Anne Oui8, Emeline Delaville9, Agnès Gindt-Ducros8, Enguerrand Habran10
1 Santé Publique France, Saint-Maurice
2 Université Bordeaux, Inserm, UMR 1219, Bordeaux
3 Université de Paris13, UTRPP– Hôpital Avicenne-AP-HP – CESP U 1018, Bobigny
4 Centre national de ressources et de résilience (CN2R), Lille
5 Université de Tours, UMR CITERES 7324, Tours
6 Laboratoire BONHEURS (EA 7517), École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Lab School Network, Université Cergy-Paris
7 CNRS – ISP (UMR 7220), Université Paris Nanterre – ENS Paris-Saclay
8 Observatoire national de la protection de l’enfance, Paris
9 Conseil départemental du Loir-et-Cher, Blois
10 Fonds FHF, Paris
Soumis le 06.04.2021 // Date of submission: 04.06.2021
Mots-clés : Santé mentale | Résilience | Enfants et adolescents | Covid-19 | Confinement
Keywords: Mental health | Resilience | Children and adolescents | COVID-19 | Lockdown

Résumé

Introduction –

La pandémie liée à la Covid-19 a exacerbé les inégalités sociales de santé. La fermeture des établissements scolaires et le premier confinement en France ont eu lieu entre mars et mai 2020. Aucune étude française n’a cependant ciblé spécifiquement l’impact des conditions de vie lors de ce confinement sur la santé mentale des enfants et des adolescents. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’état émotionnel et la détresse psychologique chez les enfants de 9 à 18 ans durant et au décours du confinement en fonction de leur environnement et de leurs conditions de vie et d’habitat. Elle visait également à mesurer la résilience et les stratégies mises en place pour la préservation de leur bien-être. Cette étude offre la particularité d’avoir donné la parole aux enfants et aux adolescents, d’avoir pris en compte la diversité des situations sociales et d’avoir également été étendue à des jeunes pris en charge par la protection de l’enfance.

Méthode –

L’étude s’est déroulée par Web questionnaire entre le 9 juin 2020 et le 14 septembre 2020 via un questionnaire parent et un questionnaire enfant, comprenant des données sociodémographiques, sur les conditions de vie et sur l’impact du confinement. Il a été conçu par une équipe interdisciplinaire avec une attention soutenue à la mesure des inégalités sociales. La santé psychique a été évaluée par des outils psychométriques d’auto-évaluation. Les analyses bivariées ont été réalisées par des tests du Chi2, pour décrire la détresse et l’état émotionnel et par le test de Student ou d’une ANOVA pour décrire la résilience, par âge et par sexe, selon les conditions de vie, les caractéristiques des parents, et les activités.

Résultats –

Dans cette étude descriptive, 3 898 enfants et adolescents ont été inclus parmi lesquels 81 jeunes pris en charge par la protection de l’enfance. Les adolescents semblaient présenter une santé mentale plus impactée par rapport aux plus jeunes et les filles semblaient présenter une santé mentale plus impactée que les garçons pendant et au décours du confinement. Les facteurs associés à la détresse psychologique étaient les conditions de logement (être confiné en zone urbaine, dans un appartement ou une maison sans jardin, ne pas avoir accès à un extérieur dans le logement, occuper un logement sur-occupé et ne pas pouvoir s’isoler), les conditions économiques (difficultés financières et alimentaires, diminution des revenus suite à l’épidémie ou au confinement, période de chômage des parents, absence de connexion à Internet), les caractéristiques des parents (famille monoparentale, niveau d’étude inférieur ou égal au baccalauréat, parents ouvriers ou employés, nés à l’étranger, absence de soutien social). Un manque d’activités, une augmentation du temps passé sur les réseaux sociaux et les écrans, un sentiment d’être dépassé par rapport au travail scolaire, l’infection à la Covid-19 d’un proche et l’hospitalisation suite au Covid-19 étaient également liés à la détresse. De meilleures conditions de vie, une composition familiale biparentale, un niveau de diplôme élevé des parents, un soutien social et l’exercice d’activités pendant le confinement étaient au contraire associés à un score plus élevé de résilience.

Conclusion –

Le soutien financier aux familles monoparentales, le maintien des activités périscolaires, et les sorties régulières sont des éléments pouvant influer sur la santé mentale des enfants et des adolescents en période de confinement. L’accompagnement des jeunes dont un proche a été infecté ou hospitalisé des suites de la Covid-19 est à promouvoir, ainsi que les initiatives de diffusion d’une information accessible et adaptée aux parents et aux enfants sur la situation afin de préserver au mieux leur bien-être mental durant cette pandémie. Les politiques publiques pour promouvoir la résilience doivent intégrer des politiques sociales différenciées de lutte contre les inégalités sociales.

Abstract

Introduction –

The COVID-19 pandemic, combined with school closures and the circumstances of the first lockdown in France from March to May 2020, have contributed to the exacerbation of existing social inequalities. However, currently, there is a lack of studies in France that explore the impact of living conditions on the mental health of children and adolescents during the lockdown. The objective of the present study is to assess the emotional status and levels of psychological distress of children aged 9 to 18 years old during and after the first lockdown based on their environment and living conditions, as well as to measure resilience and strategies to preserve their well-being. This study was also extended to young people living in child welfare.

Methods –

Data for the Confeado study were collected via an online parent and child questionnaire from 9 June to 14 September 2020, which collected data on sociodemographic characteristics, living conditions, and the impact of lockdown. Health inequalities were a key focus in the questionnaire. Psychological health was assessed using self-reported responses to psychometric scales. Bivariate analyses were performed via chi-squared tests to describe distress and emotional state and Student’s t-test or ANOVA test to describe resilience, by age and sex, according to living conditions, parental characteristics, and activities.

Results –

In this descriptive study, 3,898 children and adolescents were included, including 81 youth in child welfare. There appeared to be a greater impact on the mental health of adolescents compared to younger children both during and after the lockdown, with girls appeared to have poorer mental health than boys. Factors associated with psychological distress include housing conditions (being confined to an urban area, in an apartment or house without a garden, not having access to an outside space in the home, living in over-occupied housing and not being able to isolate oneself), economic conditions (financial and food difficulties, a period of parental unemployment, a lack of internet connection), parental characteristics (single parent family, low level of education, workers or employees parents, foreign-born parents, lack of social support). A lack of recreational activity – increased use of social networks and screens, a feeling of being overwhelmed by school work, having a relative who was infected with SARS-CoV-2 or hospitalized due to the virus were also associated with greater distress. In contrast, higher resilience scores were associated with better living conditions, a two-parent family composition, higher levels of parental education, having social support, and participating in recreational activities during lockdown.

Conclusion –

Financial support for single-parent families, and maintaining recreational activities and regular outings are elements that can influence the mental health of children and adolescents during a health crisis. Support for young people whose loved ones have been infected with or hospitalized due to COVID-19 should be promoted, as well as awareness and information for parents and children the need to preserve one’s mental well-being. Public policies to promote resilience must therefore be differentiated from social policies to account for social inequalities in health during the COVID-19 pandemic.

Introduction

Au cours du siècle dernier, des changements considérables ont été observés dans les modèles de santé et de maladie des enfants et des adolescents. Progressivement, la prévalence des problèmes liés à la santé mentale des mineurs a commencé à revêtir une importance considérable. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les troubles internalisés comme les problèmes émotionnels et comportementaux auront une importance croissante dans les années à venir et deviendront de plus en plus courants chez les enfants et les adolescents. En effet, en Europe, dans les années 2000, 15 à 20% des adolescents étaient déjà touchés par au moins un problème psychologique ou comportemental 1. Les problèmes liés à la santé mentale sont décrits comme des changements significatifs dans la façon dont les enfants apprennent, se comportent ou gèrent généralement leurs émotions. L’anxiété, la dépression, les conduites agressives peuvent être des symptômes fréquents et devenir de véritables troubles invalidants. Des études menées récemment ont permis de constater que les problèmes de santé mentale, en particulier la dépression, sont la principale cause de morbidité chez les jeunes 2,3. À l’échelle mondiale, la dépression est la quatrième cause principale de morbidité et d’incapacité chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans et la quinzième pour les 10-14 ans. Pour ce qui est de l’anxiété, elle se classe en sixième position chez les adolescents âgés de 10 à 14 ans et en neuvième position pour les 15-19 ans. Bien que certains symptômes commencent généralement dans la petite enfance ou pendant les années scolaires, certaines souffrances ne sont ni reconnues, ni détectées, alors même que la plupart de ces problématiques apparaissent à la fin de l’enfance et au début de l’adolescence. La détection et la prévention permettraient pourtant d’éviter à des adolescents de voir leur pathologie s’aggraver en grandissant.

La fin de l’enfance et l’adolescence sont des périodes cruciales pour le développement et la pérennisation d’habitudes sociales et émotionnelles importantes pour le bien-être mental. Il s’agit notamment d’adopter des rythmes de sommeil sains, de faire régulièrement de l’exercice, de développer ses capacités d’adaptation, de résolution de problèmes et de relations interpersonnelles et d’apprendre à gérer ses émotions. De multiples facteurs déterminent les problèmes de santé mentale. Parmi ceux qui peuvent contribuer au stress à l’adolescence, il y a le désir d’une plus grande autonomie, la pression pour se conformer à ses pairs, l’exploration de l’identité sexuelle et un accès accru à la technologie et à son utilisation. D’autres déterminants importants de la santé mentale des adolescents sont la qualité de leur vie familiale et leurs relations avec leurs pairs. La violence et les problèmes socioéconomiques sont des risques reconnus pour la santé mentale. Un environnement favorable au sein de la famille, à l’école et dans la communauté en général est important. Améliorer l’apprentissage de la sociabilité, les capacités de résoudre les problèmes et la confiance en soi peut permettre de prévenir les problèmes de santé mentale. Or, ces éléments peuvent être mis à mal en période de situation exceptionnelle de crise sanitaire, en particulier lors de mesures exceptionnelles, comme celle de la fermeture des établissements scolaires et du confinement de la population. Une étude parue dans The Lancet compile les résultats de 24 études sur les conséquences psychologiques des mises en quarantaine. Les auteurs ont identifié les facteurs qui augmentent les difficultés d’ordre psychologique : la durée de la quarantaine, la peur de l’infection, l’ennui, le manque d’information, le mauvais approvisionnement en denrées alimentaires ou les pertes financières 4. Les premières études sur l’impact psychologique du confinement menées auprès de 52 000 personnes dans 36 provinces de Chine ont montré une prévalence élevée de symptômes de détresse et de troubles psychologiques 5. En particulier, les principaux problèmes retrouvés ont été les troubles émotionnels, la dépression, une mauvaise gestion du stress, l’irritabilité et la mauvaise humeur, l’insomnie, des symptômes post-traumatiques et l’épuisement émotionnel. En outre, des études qualitatives ont également identifié des réactions émotionnelles négatives au confinement telles que la confusion et la peur, la colère, la douleur et l’engourdissement, ainsi que l’insomnie induite par l’anxiété 6,7. Par ailleurs, les auteurs d’un rapport mené sur la mortalité des enfants par suicide en Grande-Bretagne ont conclu l’existence d’un signal préoccupant d’augmentation des décès d’enfants et d’adolescents par suicide au cours des 56 premiers jours de confinement 8.

En France, la fermeture des établissements scolaires a eu lieu le 13 mars 2020 et le confinement de la population a débuté le 17 mars 2020. Aucune étude à ce jour n’a ciblé l’impact du confinement sur la santé mentale des jeunes, ni les stratégies mises en place pour préserver les grands déterminants de la santé mentale.

L’étude Confeado a pour objectif d’évaluer la santé mentale et l’état émotionnel chez les enfants de 9 à 18 ans et leur résilience lors et au décours du confinement en fonction de leur environnement et de leurs conditions de vie et d’habitat ; d’identifier les besoins en santé des enfants et de mesurer les stratégies de coping mises en place pour la préservation du bien-être durant le confinement. La présente étude a pour objectif de présenter les premiers résultats des facteurs associés à la résilience des enfants et des adolescents afin d’adapter les mesures.

Matériel et méthodes

Type et population d’étude

L’étude Confeado est une étude socio-épidémiologique transversale nationale. La population d’étude est composée à la fois de parents et de leurs enfants, âgés de 9 à 18 ans, ce qui correspond à une scolarisation en fin de cycle 2 (CE2), en cycle 3 (CM1-CM2 et 6e, classe Ulis (Unité localisée pour l’inclusion scolaire), en cycle 4 (5e, 4e, 3e) ou au lycée (2e professionnelle, 2e générale, 1re professionnelle, 1re technologique, 1re générale, terminales professionnelle, technologique et générale) et inclut aussi des enfants scolarisés en Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté), en CAP (Certificat d’aptitude professionnelle), dans un IME (Institut médico-éducatif), non scolarisés, ou dans une autre situation. Le choix de la classe d’âge des 9-18 ans pour les enfants permettait d’avoir un questionnaire spécifique adapté à la période de l’enfance, de la préadolescence, et de l’adolescence, en termes notamment de scolarisation, d’habitudes de vie et autres caractéristiques sociales. Pour la première fois, des jeunes pris en charge par la protection de l’enfance ont participé à cette étude.

Les critères d’inclusion étaient : enfants et adolescents âgés de 9 à 18 ans, capables de donner leur consentement éclairé. Les critères d’exclusion étaient : enfants de moins de 9 ans et de plus de 18 ans, qui avaient pu répondre à l’étude.

L’étude a été menée entre le 9 juin et le 14 septembre 2020, à partir d’un Web questionnaire ou d’un questionnaire papier, permettant ainsi aux enfants pris en charge par la protection de l’enfance n’ayant pas accès à un ordinateur ou une tablette de pouvoir y répondre. L’étude a été diffusée au travers d’un lien vers le questionnaire envoyé aux familles par différentes institutions ou associations, permettant ainsi de toucher une diversité d’enfants et d’adolescents : représentants de parents d’élèves FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), des associations familiales et de l’Unaf (Union nationale des associations familiales), via les partenaires de l’Université Paris 13, de Santé publique France, de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) se faisant le relais auprès de conseils départementaux, du Centre national de ressources et de résilience (CN2R), de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), du Lab School Network, etc.

Les enfants et les adolescents ont été interrogés directement sur leur vécu du confinement, après que leurs parents ou représentants légaux ont consenti à leur participation à l’étude, puis rempli le questionnaire parent. L’enfant devait également donner son propre consentement, puis répondre à son tour au questionnaire dédié. En ce qui concerne les enfants et les adolescents vivant en foyer d’accueil, le questionnaire parent était rempli par l’éducateur et ne portait que sur les conditions de vie lors du confinement. Lorsque l’enfant ou l’adolescent était confié à une famille d’accueil, le questionnaire parent était rempli, selon les mêmes principes, par celle-ci.

Recueil des données

Le recueil des données a été réalisé à travers un questionnaire anonymisé et standardisé, élaboré à partir d’une revue de la littérature et dans une perspective pluridisciplinaire. Ce dernier était constitué d’un volet parent (ou adulte responsable) suivi d’un questionnaire enfant. Un système de synthèse vocale capable de lire les questions et les réponses était prévu en cas de situations d’illettrisme.

Les données du questionnaire parent concernaient les données sociodémographiques (sexe, âge, commune de résidence, situation professionnelle, profession, diplôme, nationalité, revenu du ménage), les conditions de vie durant le confinement (type de logement, nombre de personnes dans le logement) ainsi que des questions relatives à l’impact du confinement (difficultés alimentaires et financières, personnes malades ou décédées de la Covid-19 dans l’entourage). Les données du questionnaire enfant-adolescent concernaient les données sociodémographiques (sexe, âge, classe, bilinguisme familial), les conditions de vie du confinement (contact avec les amis, sorties, temps sur les réseaux sociaux, écrans, télévision, jeux vidéo, jeux en famille, informations, activités manuelles, temps de travail scolaire, aide aux devoirs, envie de retourner à l’école), ainsi que des questions relatives à l’impact du confinement (cyberharcèlement, proche infecté par la Covid-19, proche hospitalisé du fait de la Covid-19, temps de sommeil, qualité du sommeil, appétit, émotions au lever et au coucher, relation fratrie/famille, autonomie, ressenti par rapport à la maladie, compréhension du confinement, points positifs et négatifs du confinement, choses nouvelles y étant réalisées, dessins et récits pour comprendre leurs représentations de l’expérience du confinement).

Afin d’évaluer la santé psychique des enfants et des adolescents, plusieurs outils psychométriques ont été utilisés :

Pour l’évaluation de la détresse psychologique pendant la période de confinement chez les enfants de 9 à 18 ans, l’échelle Children’s Psychological Distress Scale – 10 items (CPDS-10) a été utilisée. Cette échelle a été construite pour cette recherche. Il s’agit d’une échelle d’auto-évaluation, complétée par l’enfant lui-même, comportant 10 items cotés de 0 à 3 points, pour obtenir un score total allant de 0 à 30 points. L’intensité de la détresse psychologique augmente avec le score. Dans cette étude descriptive, le score total a été analysé sous forme d’une variable catégorielle à deux modalités : des scores situés entre 0 et 9 indiquent l’absence de détresse et des scores situés entre 10 et 30 indiquent la présence de détresse d’intensité modérée et sévère.

Pour le dépistage d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) chez l’enfant de 9 à 18 ans au cas où un proche ou un adulte de référence a été hospitalisé des suites de la Covid-19, l’échelle Children’s Revised Impact of Event Scale – 8 items (CRIES-8) 9 a été utilisée. Il s’agit d’une échelle d’auto-évaluation, complétée par l’enfant lui-même, à partir de 8 ans. L’échelle comporte 8 items côtés de 0 à 5 (pas du tout=0, rarement=1, quelques fois=3, souvent=5) pour obtenir un score allant de 0 à 40. Un score ≥17 permet de dépister un TSPT.

Pour étudier la résilience de l’enfant, l’échelle Child and Youth Resilience Measure (CYRM-R) 10 a été utilisée. Il s’agit d’une échelle d’auto-évaluation, complétée par l’enfant lui-même, à partir de 9 ans. L’échelle est composée de 17 items côtés de 1 à 5 (pas du tout=1, un peu=2, assez=3, beaucoup=4, énormément=5). La somme des réponses permet d’obtenir un score total de résilience. Le score minimum est 17 et le score maximum est 85. Les scores les plus élevés indiquent des caractéristiques associées à la résilience.

Pour la mesure de l’anxiété-trait, l’échelle d’autoévaluation State Trait Anxiety Inventory for Children (STAIC) composée de 20 items à coder en trois catégories (presque jamais, quelquefois, souvent) avec un score allant de 20 à 60 a été utilisée. Le score de 60 est associé à un niveau d’anxiété-trait maximal 10.

Analyses statistiques

Dans un premier temps, une analyse descriptive globale de l’échantillon a été effectuée pour décrire la population étudiée chez les enfants (9-12 ans) et chez les adolescents (13-18 ans). Les caractéristiques sociodémographiques des enfants pris en charge par la protection de l’enfance ont également été décrites. Dans un deuxième temps, des analyses bivariées par des tests du Chi2 d’indépendance ont été réalisées. Ces analyses ont permis de comparer l’état émotionnel en fonction de l’âge et du sexe, ainsi que de comparer les conditions de vie, les caractéristiques des parents et les activités des enfants et des adolescents en fonction du score de détresse psychologique (pas de détresse vs détresse modérée à sévère).

Enfin, la résilience a été analysée en fonction de certaines caractéristiques, séparément chez les enfants et les adolescents, à l’aide du test de Student ou d’une ANOVA.

Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel R version 4.0.3, et le seuil de significativité retenu était de 5%.

Aspects éthiques

Aucune donnée identifiante n’a été demandée au parent ni à l’enfant (ni la date de naissance de l’enfant, ni son adresse ou son lieu de scolarisation). L’étude a reçu un avis favorable du CPP (Comité de protection des personnes, n° 2020-A01342.37). Une attention particulière a été portée aux ressources auxquelles les parents pouvaient avoir recours : des professionnels et dispositifs ressources ont été mis en exergue en tête de questionnaire comprenant les ressources documentaires du CN2R, le médecin généraliste, le dispositif national de prise en charge médicopsychologique au bénéfice des personnes qui en auraient besoin via le numéro vert 24h/24 et 7j/7 (0800 130 000) en lien avec la Croix-Rouge et le réseau national de l’urgence médico-psychologique, et le SAMU-Centre 15 en cas d’urgence. Deux autres ressources étaient présentées dans le questionnaire en fonction des réponses à certaines questions (dispositif de soutien psychologique dans le contexte du deuil, numéro d’urgence pour enfant en danger en cas de violence intrafamiliale).

Résultats

Sélection de la population

Au total, 5 327 participants ont ouvert le questionnaire enfant après avoir donné leur consentement (figure). Parmi les 5 285 enfants et adolescents ayant commencé à le remplir, 3 898 ont été sélectionnés pour réaliser cette étude descriptive. En effet, 1 357 participants n’ont pas pu être inclus car ils étaient âgés de moins de 9 ans ou de plus de 18 ans (de 19 à 20 ans). Les 30 enfants qui ont également été exclus de l’étude présentaient beaucoup de valeurs aberrantes, correspondaient à des doublons ou n’avaient pas rempli le premier volet du questionnaire enfant dans son intégralité, les autres volets du questionnaire contenant uniquement des données manquantes.

Les participants ont majoritairement eu connaissance du questionnaire suite à une information publiée sur les réseaux sociaux (23,4%) ou par un autre moyen (39%), comme par exemple un site Web ou un mail provenant d’une institution (Agence régionale de santé (ARS), Santé publique France, Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), etc.).

Figure : Diagramme de flux de la sélection de la population. Étude Confeado, France, 2020
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Caractéristiques sociodémographiques de la population

Au total, 3 898 enfants ont été inclus dans cette étude parmi lesquels 81 jeunes pris en charge par la protection de l’enfance. L’échantillon était composé de 69,1% de filles et 30,9% de garçons. Parmi les participants, 20,9% étaient âgés de 9 à 12 ans (n=813) et 79,1% étaient âgés de 13 à 18 ans (n=3 085).

Les familles monoparentales étaient plus fréquentes chez les adolescents que chez les enfants (24,8% vs 15,1%) (tableau 1). Les parents des adolescents étaient moins souvent diplômés du supérieur que les parents des enfants : 32,6% d’entre eux avaient un niveau de diplôme supérieur à bac + 2 contre 58,1% des parents d’enfants. De plus, 7,9% des parents d’adolescents étaient nés à l’étranger contre 4,2% chez les parents d’enfants.

La proportion de filles était relativement plus importante chez les adolescents que chez les enfants, (73,8% vs 51,3%). Les adolescents étaient principalement dans l’enseignement secondaire (70,1%), avec 15,7% en cycle 4 (années collège).

Parmi les enfants pris en charge par la protection de l’enfance, 61,7% (n=50) étaient des filles et 38,3% (n=31) des garçons. La proportion d’enfants âgés de 9 à 12 ans était moins importante : 40,7% (n=33) contre 59,3% (n=48) âgés de 13 à 18 ans. En ce qui concerne le type d’accueil, 40% (n=32) étaient en foyer, 50% (n=40) en famille d’accueil, 10% (n=8) en hébergement associatif et un en garde alternée. Pour ce qui est du niveau scolaire, 7,4% (n=6) étaient en cycle 2, 27,2% (n=22) en cycle 3, 24,7% (n=20) en cycle 4, 35,8% (n=29) dans l’enseignement secondaire, et 3,7% (n=4) dans une autre situation (étudiant, en attente de scolarisation ou en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) (données non présentées).

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des parents-adultes responsables et des enfants-adolescents (N=3 898). Étude Confeado, France, 2020
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Comparaison selon les classes d’âge : une santé mentale plus impactée chez les adolescents

Les adolescents semblaient avoir une santé mentale plus impactée par rapport aux plus jeunes. En effet, depuis le premier confinement, ils déclaraient avoir plus de difficultés pour s’endormir que d’habitude (30% vs 27,2% pour les enfants, p=0.035), faisaient plus de cauchemars (12,5% vs 9,5%, p=0,004), avaient plus de réveils nocturnes (18,3% vs 11,4%, p<0.001) et déclaraient plus souvent trop manger (25,1% vs 12,5% pour les enfants, p<0.001). Ils se sentaient le matin plus tristes (7% vs 2,2%, p<0,001), préoccupés (10,8% vs 4,5%, p<0,001), nerveux (13,1% vs 5,2%, p<0,001), fatigués (27% vs 10,5%, p<0,001). Ils déclaraient aussi avoir très peur (5,2% vs 4,6%, p<0,001), s’ennuyaient beaucoup (34,9% vs 22,7%, p<0,001) et ne se sentaient pas tranquilles (26,5% vs 19,7%, p<0,001). De plus, ils se sentaient beaucoup moins détendus (22,6% vs 29,1%, p<0,001) et joyeux (15,2% vs 26,4%, p<0,001).

Les adolescents avaient également une résilience significativement plus faible que les plus jeunes, leur score moyen étant de 56,8 (écart-type=10,5) contre 58,5 (écart-type=10,0) (p<0,001) (données non présentées).

Comparaison selon le sexe : les filles plus impactées que les garçons

Dans notre échantillon, les filles semblaient avoir une santé mentale plus impactée que celle des garçons. Pendant et au décours du confinement, elles avaient plus de difficultés pour s’endormir que d’habitude (32,7% vs 21,9% chez les garçons, p<0,001), de cauchemars (14,7% vs 5,6%, p<0,001), de réveils nocturnes (19,4% vs 11,2%, p<0,001) et elles déclaraient plus souvent trop manger (26,4% vs 13,5%, p<0,001). Elles déclaraient davantage de difficultés émotionnelles : elles se sentaient le matin beaucoup plus tristes, préoccupées, nerveuses et fatiguées, moins détendues et tranquilles, et elles s’ennuyaient beaucoup.

Des conditions de vie difficiles

Les enfants qui ont ressenti de la détresse (d’intensité modérée à sévère) pendant le confinement étaient exposés à des conditions de vie plus difficiles (tableau 2) : ils étaient davantage confinés en zone urbaine (66,2% vs 61,9%, p=0,024), dans un appartement ou une maison sans jardin (36,9% vs 27,9%, p<0,001), avaient moins accès à un extérieur dans le logement (balcon, terrasse, petite cour, jardin) (10,6% vs 6,6%, p<0,001), leur logement était davantage sur-occupé (18,6% vs 15,1%, p=0,010), leurs parents avaient davantage de difficultés financières (53,2% vs 39%, p<0,001) et/ou alimentaires (17,8% vs 8,2%, p<0,001) et leurs revenus avaient diminué pendant le confinement (54,5% vs 50,2%, p=0,009). De plus, ils n’avaient pas de connexion à Internet ou alors celle-ci était de mauvaise qualité (21,5% vs 14,6%, p<0,001), et n’avaient pas la capacité à s’isoler dans le logement comme ils l’auraient souhaité (25,8% vs 9,3%, p<0,001).

Tableau 2 : Conditions de vie en fonction de la détresse psychologique des enfants et des adolescents (N=3 148). Étude Confeado, France, 2020
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Par ailleurs, les adolescents qui ont ressenti de la détresse pendant le confinement étaient plus nombreux à ne pas avoir accès à une tablette dans le logement par rapport à ceux qui n’avaient pas de détresse (64,1% vs 57,3%, p=0,002) et ils étaient également plus nombreux à ne pas avoir accès à une console de jeux (49,6% vs 39,9%, p<0,001) (données non présentées).

Les enfants et les adolescents qui ont été les plus touchés par la détresse lors du premier confinement vivaient davantage en famille monoparentale (25,9% vs 22,2% pour les autres enfants, p=0,044) (tableau 3). Leurs parents avaient davantage un niveau d’étude inférieur ou égal au baccalauréat (52% vs 45,5%, p=0,002), étaient davantage ouvrier ou employé (67,1% vs 62,6%, p=0,037), au chômage avant le confinement (7,3% vs 5,3%, p=0,043), nés à l’étranger (9,7% vs 5,7%, p<0,001) et souffraient plus d’isolement social (22,5% vs 9%, p<0,001). Leurs parents étaient également plus nombreux à ne pas avoir travaillé pendant le confinement (26,6% vs 22,3%, p=0,027). Quant aux relations des enfants et des adolescents avec leurs frères et sœurs, elles ont été plus détériorées par le confinement chez ceux qui ont été touchés par la détresse (29,7% vs 12,1%, p<0,001), ainsi que les relations avec leurs parents, parents d’accueil ou éducateurs/éducatrices (34,5% vs 8,9%, p<0,001).

Tableau 3 : Caractéristiques des parents et relations à l’intérieur du ménage en fonction de la détresse psychologique des enfants et des adolescents (N=3 148). Étude Confeado, France, 2020
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Un manque d’activités pendant le confinement

Ceux qui ont ressenti de la détresse pendant le confinement faisaient moins de sorties à l’extérieur, que ce soit chez les enfants (32,9% vs 17,8%, p<0,001) ou chez les adolescents (53,1% vs 41,4%, p<0,001), et les adolescents passaient plus de temps chaque jour sur les réseaux sociaux (63,3% plus de 3 heures vs 47,5%, p<0,001) (tableau 4). Les enfants qui ont ressenti de la détresse étaient plus nombreux à ne pas sortir prendre l’air dans des espaces verts (41,8% vs 28,7%, p=0,006), et les adolescents qui ont ressenti de la détresse avaient un peu moins de contacts (physiques ou virtuels) avec leurs amis (27,7% jamais ou une fois par semaine vs 25,1%, p=0,005).

Tableau 4 : Activités des enfants et des adolescents pendant le confinement en fonction de la détresse psychologique (N=3 148). Étude Confeado, France, 2020
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Les enfants et les adolescents qui ont ressenti de la détresse consommaient plus d’écran par jour pour regarder des vidéos ou des films (22,7% plus de 3 heures vs 12,2% pour les enfants, p=0,002 et 39,9% plus de 3 heures vs 32,8% pour les adolescents, p=0,002) ; les adolescents en détresse passaient moins de temps sur la console de jeux (55,5% jamais vs 46,9%, p<0,001).

Depuis le confinement, les adolescents ayant de la détresse ne faisaient jamais d’activités ludiques (jeux de société, jeux vidéo, activités sportives ou manuelles avec des adultes) (33,9% vs 21,7%, p<0,001).

Il existait des spécificités pour l’activité des enfants et adolescents pris en charge par la protection de l’enfance. Les enfants et adolescents pris en charge par la protection de l’enfance faisaient état de plus d’activité pendant le confinement que les enfants en population générale : ils étaient plus en proportion à être sortis plusieurs fois par semaine (80,2% vs 59,8%, p<0,001) et à avoir eu des activités ludiques tous les jours (40,3% vs 22,9%, p=0,001). Ils avaient passé moins de temps par jour sur les réseaux sociaux (46,2% n’y sont jamais allés vs 13,7%, et 24,4% y ont passé plus de trois heures vs 45,8%, p<0,001) ; ils ont été moins en contact plusieurs fois par semaine avec leurs amis que les enfants en population générale (38,3% vs 56,6%, p<0,001) (données non présentées).

Un sentiment de dépassement par le travail scolaire

Ceux qui ont connu de la détresse pendant le confinement se sentaient plus dépassés par les devoirs que les autres (57,1% vs 28,4% chez les enfants, p<0,001 et 62% vs 34,1% chez les adolescents, p<0,001).

Les enfants et adolescents pris en charge par la protection de l’enfance ont été plus en difficulté par rapport aux devoirs que ceux en population générale (40% ont été parfois dépassés vs 33,6% et 12,9% ont été complétement dépassés vs 10,3%, p=0,037) (données non présentées).

Détresse liée à l’entourage atteint par la Covid-19 et aux ressentis par rapport au coronavirus

La détresse psychologique était également influencée par l’infection à la Covid-19 d’un proche et à l’hospitalisation à cause de la Covid-19. En effet, 36,6% des enfants et des adolescents qui ont ressenti de la détresse pendant le confinement ont eu un proche infecté par la Covid-19, contre 29,5% de ceux qui n’avaient pas de détresse (p<0,001), et 40,1% des enfants et des adolescents qui ont ressenti de la détresse ont eu quelqu’un dans leur entourage hospitalisé des suites de la Covid-19, contre 31,9% des autres (p=0,007).

Par ailleurs, nous avons exploré les ressentis des enfants et des adolescents face au mot « coronavirus ». Les enfants et les adolescents qui ont ressenti une détresse modérée à sévère pendant le confinement se sont sentis significativement plus tristes (11,3% vs 7,7%, p<0,001), moins tranquilles (7,5% vs 11,2%, p<0,001), plus préoccupés (35,8% vs 31,3%, p=0,009), plus nerveux (21,7% vs 9,6%, p<0,001), plus en colère (14,7% vs 8%, p<0,001) ; ils avaient plus peur (16,8% vs 12,3%, p<0,001), étaient moins indifférents (44,6% vs 48,3%, p=0,043) et plus confus (17,1% vs 11,6%, p<0,001) (données non présentées).

Un vécu positif du confinement lié à la résilience

La résilience est plus élevée chez les enfants et les adolescents qui n’ont pas eu de détresse pendant le confinement. Elle est aussi liée à de meilleures conditions de vie (maison avec jardin, accès à un balcon ou une terrasse, pas de sur-occupation du logement, bonne situation financière des parents, moins de difficultés alimentaires, connexion à Internet et capacité à s’isoler dans le logement) (tableau 5). Elle est également positivement liée aux caractéristiques des parents (composition familiale biparentale, niveau de diplôme élevé, parents cadres, en emploi avant le confinement, et soutien social). De plus, les activités pendant le confinement, comme les sorties à l’extérieur, être plus souvent en contact avec les amis, le fait d’avoir une consommation modérée des réseaux sociaux (entre 1 et 3 heures par jour) et la fréquence des activités ludiques, sont liées à un score plus élevé de résilience. Enfin, le fait que les enfants et les adolescents se sentent à l’aise avec les devoirs à la maison pendant le confinement est aussi lié à une meilleure résilience, tout comme le fait d’avoir envie de retourner à l’école.

Tableau 5 : Scores moyens et écarts-types du score global de résilience en fonction de certaines caractéristiques en distinguant les enfants et les adolescents (N=3 076). Étude Confeado, France, 2020 ****
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Discussion

Cette étude a révélé que les adolescents semblaient présenter une santé mentale impactée et moins de ressources favorisant la résilience par rapport aux plus jeunes pendant et au décours du confinement. Les filles de notre échantillon semblaient avoir ressenti plus de détresse psychologique par rapport aux garçons.

Le fait que le bien-être mental des enfants diminuait avec l’âge et que les filles étaient, par rapport aux garçons, particulièrement concernées est largement retrouvé dans la littérature. Pour l’âge, il s’agit d’une évolution habituelle de la prévalence des troubles de santé mentale entre l’enfance et l’adolescence. L’adolescence est une période intense de changements et de développement physique, social, cognitif et émotionnel et représente une période connue pour être critique pour la santé mentale. Le cerveau en maturation est plus vulnérable à l’environnement et pourrait expliquer certaines caractéristiques chez les adolescents (impulsivité, irritabilité...). Cette période de construction de soi s’accompagne également de grands remaniements psychologiques. La différence entre les filles et les garçons pourrait s’expliquer par un stress perçu plus important chez les filles que les garçons ou des différences de modalités de réponse entre sexes (les filles étant plus enclines à l’expression des émotions), mais aussi par la répartition genrée des tâches, notamment éducatives et domestiques, au sein de la famille, y compris en période de confinement 11. Parmi les enfants et les adolescents ayant cité le fait de s’occuper de ses frères et sœurs comme un point négatif du confinement, les filles étaient significativement plus nombreuses que les garçons (5,2% vs 3,2%).

Par ailleurs, les conditions de vie jouent un rôle important sur le bien-être des enfants et des jeunes. Nos résultats mettent ainsi en évidence des liens entre les conditions de vie difficiles et la détresse psychologique des jeunes. Parmi les facteurs associés, il y a le fait d’avoir été confiné en zone urbaine, dans un appartement ou une maison sans jardin, de ne pas avoir eu accès à un extérieur dans le logement, de vivre dans un logement sur-occupé, dans une famille connaissant des difficultés financières et/ou alimentaires, d’avoir connu une diminution des revenus en raison de l’épidémie ou suite au confinement, de ne pas avoir de connexion à Internet et de ne pas pouvoir s’isoler dans le logement. Les caractéristiques des parents ont également une influence sur la santé mentale des jeunes, telles que la monoparentalité, un faible niveau d’études, être ouvrier ou employé, le vécu d’une période de chômage avant le confinement, le fait de ne pas avoir travaillé pendant le confinement, d’être né à l’étranger et le manque de soutien social. Les relations à l’intérieur du ménage ont également été plus détériorées pendant le confinement chez ceux qui ont été touchés par la détresse.

Cette étude a également fait ressortir un manque d’activités (sorties extérieures, sorties dans des espaces verts, activités ludiques, contacts avec les amis…) et une consommation accrue des réseaux sociaux et des écrans.

De plus, les enfants et les adolescents ayant ressenti de la détresse pendant et au décours du confinement se sentaient plus dépassés par le travail scolaire que les autres.

La détresse modérée à sévère des jeunes était également associée à la survenue d’une infection à la Covid-19 d’un proche et à l’hospitalisation d’un proche des suites de la Covid-19.

Certaines de ces conditions ont été décrites dans la littérature, notamment les facteurs psychosociaux comme l’isolement social et les facteurs socioéconomiques qui peuvent avoir une influence néfaste sur la santé mentale des enfants et des jeunes. Une étude menée auprès des étudiants universitaires en France pendant la pandémie a également révélé que la santé mentale pouvait être atteinte en raison d’un faible sentiment d’intégration et la perte de revenus 12. Plusieurs chercheurs ont identifié le soutien émotionnel des parents comme un facteur de risque affectant la santé mentale des enfants pendant la pandémie. Dans le rapport sur la mortalité par suicide des enfants et des adolescents au cours des 56 premiers jours de confinement en Grande-Bretagne, les auteurs soulignent le fait que la restriction de l’éducation et des autres activités, l’interruption des services de soins et de soutien, ainsi que les tensions à la maison et l’isolement pourraient être des facteurs importants 8. D’autres études ont montré que les difficultés financières pouvaient engendrer plus de stress que d’habitude et que les inégalités sociales ont fortement influé sur les manières de vivre le confinement 13. Gloster et ses collègues ont montré que la détérioration de la situation financière est l’un des facteurs les plus prédictifs d’une mauvaise santé mentale 14. Une autre étude menée en Chine a montré que le risque de problèmes psychosociaux chez l’enfant était plus élevé chez les enfants de familles à faible revenu 15. En effet, certaines familles n’avaient pas de revenus pendant le confinement, ce qui a pu entraîner de l’insécurité et un sentiment d’impuissance pouvant rendre l’enfant vulnérable aux problèmes de santé mentale. Dans une autre étude sur l’impact psychologique du confinement chez les enfants et les adolescents, des niveaux élevés de problèmes psychologiques ont été associés aux pertes financières de la famille 16. La pandémie et le confinement ont donc aggravé les inégalités préexistantes. De plus, certains enfants ont pu être confrontés à une alimentation insuffisante en raison des difficultés financières et de la fermeture des écoles. Une étude sur le bien-être des parents et des enfants pendant la pandémie a montré que la proportion de familles souffrant d’insécurité alimentaire modérée ou grave a augmenté 17.

Le fait de vivre dans une famille monoparentale a également été retrouvé dans la littérature comme étant un facteur altérant la santé mentale. Le risque de difficultés d’ordre psychosocial chez l’enfant étant plus élevé chez les enfants de familles monoparentales 15. En outre, le fait qu’un membre de la famille ou un ami soit infecté par la Covid-19 a également été identifié dans la littérature comme un facteur pouvant affecter l’état mental des enfants 18.

D’autres études ont aussi montré que le confinement pouvait entraîner une utilisation accrue d’Internet et des réseaux sociaux et que cette consommation excessive pourrait être associée à des niveaux élevés de dépression 17,18,19. En ce qui concerne le sentiment d’être dépassé par les devoirs, des études à l’étranger ont montré que la quantité de travail scolaire a pu être excessive et que le fait d’avoir plus de devoirs qu’avant le confinement était associé à un risque accru d’anxiété 20.

S’agissant des enfants pris en charge par la protection de l’enfance, il est apparu qu’ils faisaient état de plus d’activité que les enfants en population générale. Il s’agit d’enfants qui sont restés pendant le confinement auprès de professionnels dédiés pour s’occuper d’eux. Pour certains enfants, il semble que le confinement ait créé une dynamique favorable à une prise en charge soutenue et étroite par ceux qui les accompagnaient sur le quotidien 21.

D’un autre côté, notre étude a révélé que de meilleures conditions de vie étaient liées à une meilleure résilience comme le fait d’avoir été confiné dans une maison avec jardin, d’avoir accès à un balcon ou une terrasse, de ne pas vivre dans un logement sur-occupé, d’avoir une bonne situation financière, moins de difficultés alimentaires, une connexion à Internet et la capacité à s’isoler dans le logement. Cette résilience était également influencée par les caractéristiques des parents, telles que la composition familiale biparentale, un niveau de diplôme élevé, être cadre, en emploi avant le confinement et avoir un soutien social pendant et au décours du confinement. Un score plus élevé de résilience était lié aux sorties extérieures, aux contacts avec les amis, à une consommation modérée des réseaux sociaux et aux activités ludiques, ces dernières étant susceptibles de favoriser le développement de compétences socio-émotionnelles associées à la santé mentale et à la résilience 22. Dans la littérature, des études ont montré une association positive entre le soutien social perçu et la résilience, ce qui vient appuyer nos résultats. L’intensité du soutien social perçu peut améliorer la santé mentale des jeunes exposés à l’adversité pendant l’enfance. Une étude sur l’impact psychologique de la pandémie sur les étudiants d’une région française a montré que le soutien de la famille et des amis était un facteur de protection 23. Certaines études ont ainsi montré qu’un cadre socioéconomique et parental privilégié pouvait entraîner une amélioration du bien-être pendant le confinement.

D’après une revue de la littérature, le confinement qui est imposé aux enfants peut avoir un effet négatif à long terme sur leur bien-être psychologique. En effet, certains enfants ont exprimé un sentiment plus pessimiste ou une vision de la vie plus négative car ils ne pouvaient plus jouer à l’extérieur, rencontrer leurs amis ou participer aux activités scolaires 17.

Une étude a montré que la symptomatologie dépressive chez les enfants était relativement faible chez ceux qui étaient occupés à certaines activités pendant le confinement par rapport à ceux qui ne l’étaient pas 24.

Plusieurs limites dans notre étude doivent être prises en compte dans l’interprétation des résultats. La principale concerne la représentativité de l’échantillon. En effet, il n’y a pas eu de plan de sondage, les résultats ne sont donc pas extrapolables à l’ensemble de la population générale des enfants et des adolescents.

L’étude a été menée à distance, via un Web questionnaire, un mois après le premier confinement du printemps 2020, mais les outils psychométriques utilisés pour évaluer la santé mentale des enfants sont encore valides après trois mois.

Les résultats ont montré une surreprésentation des filles, ce qui est également retrouvé dans d’autres études réalisées par Web questionnaire. Celle-ci est cependant moins forte chez les enfants que chez les adolescents (51,3% de filles parmi les enfants et 73,8% de filles parmi les adolescents).

Concernant les enfants relevant de la protection de l’enfance, seuls ont participé des enfants et adolescents pris en charge. Il aurait été intéressant que participent également des jeunes bénéficiant d’une intervention dans le cadre de leur milieu familial, mais cela pose des questions de méthode d’enquête pour accéder à ce public et nécessite de prévoir les modalités d’autorisation parentale de participation dans ce contexte.

Malgré ces limites, notre étude présente plusieurs forces. Tout d’abord, il s’agit de la première étude française évaluant la santé psychique des jeunes, en s’adressant directement à eux sur leur vécu du confinement. Nous avons donc pu évaluer leur santé mentale à partir de leurs réponses aux questions et échelles, notamment les plus jeunes, et pas simplement par le biais de leurs parents, comme c’est le cas dans certaines études utilisant le SDQ (Strengths and Difficulties Questionnaire) pour évaluer les difficultés émotionnelles et comportementales des enfants 19. Cela permet de bien comprendre le point de vue de l’enfant sur ses conditions de vie et ressentis pendant et au décours du confinement 13.

L’étude a considéré la diversité des situations sociales pour mieux prendre en compte les inégalités sociales de santé, tels que les facteurs démographiques, économiques et environnementaux et les conditions de vie et d’habitat du ménage, qui peuvent contribuer aux problèmes de santé mentale.

Enfin, les enfants pris en charge par la protection de l’enfance ont pu être intégrés dans cette étude nationale et interrogés sur leur vécu du confinement. En outre, un questionnaire papier était disponible pour ceux qui n’avaient pas les ressources matérielles permettant de répondre à l’étude en ligne.

De plus, la santé mentale de l’enfant a été évaluée sur plusieurs angles, à partir d’échelles de santé mentale validées (CYRM-R, CRIES-8, STAIC), mais aussi de questions provenant d’outils validés.

Une autre force de notre étude est d’avoir un échantillon suffisamment large, permettant d’effectuer des stratifications selon l’âge, le sexe, tout en conservant la puissance statistique suffisante.

Enfin, cette étude permet de dégager des leviers de prévention en santé mentale dans la population des enfants et des adolescents qui ont été particulièrement impactés lors de cette crise sanitaire avec une augmentation, par rapport aux années précédentes, des passages aux urgences pour troubles de l’humeur (dont les troubles dépressifs) à partir de novembre 2020, et pour gestes suicidaires en février 2021 25. Les données des passages aux urgences et les bases médico-administratives ne contiennent pas d’informations concernant l’environnement et les conditions de vie et d’habitat.

Notre étude enrichit ainsi les discussions scientifiques sur les meilleurs moyens de lutter contre les conséquences de la pandémie et du confinement en termes de santé mentale 4. Ce faisant, elle est susceptible d’orienter les politiques publiques qui, depuis le début de la crise sanitaire, ont fait de la poursuite de la résilience un objectif majeur.

Au regard de nos résultats, il est important de prêter attention au bien-être émotionnel des enfants et des adolescents pendant la pandémie et a fortiori en cas de confinement. Le soutien aux parents par la proposition d’une aide sociale en ciblant les familles monoparentales et les quartiers défavorisés pourrait contribuer à améliorer l’état psychologique et la résilience des enfants et des adolescents.

Le maintien des activités périscolaires (activités ludiques, aide aux devoirs…), des bibliothèques et ludothèques, ainsi qu’une attention accrue de l’école à ses élèves pourraient diminuer le sentiment d’isolement et éviter que les enfants et les adolescents ne se sentent débordés par les devoirs à la maison. Ces recommandations sont de nature à favoriser la résilience. Il est fortement conseillé que les enfants et les adolescents puissent continuer à sortir pendant le confinement, afin de favoriser leur bien-être psychologique et de maintenir le lien social, qui est un facteur de résilience. Il est également essentiel de réfléchir à l’accompagnement des jeunes dont un proche a été infecté ou hospitalisé des suites de la Covid-19, pour éviter que leur bien-être psychologique soit affecté.

Enfin, la démocratisation de dispositifs innovants pour accéder à l’information sur la maladie et aux outils permettant de préserver le bien-être mental pourrait minimiser les effets psychologiques, notamment par le biais de vidéos ludiques à la télévision et sur les réseaux sociaux, ou de bandes dessinées sous forme numérique et papier.

Liens d’intérêts

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Références

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Vandentorren S, Khirredine I, Estevez M, De Stefano C, Rezzoug D, Oppenchaim N, et al. Premiers résultats des facteurs associés à la résilience et à la santé mentale des enfants et des adolescents (9-18 ans) lors du premier confinement lié à la Covid-19 en France. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(Cov_8):2-17. http://beh.santepubliquefrance.
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