Évaluation précoce de l’impact des mesures de freinage mises en place pour contrôler la deuxième vague de Covid-19 dans 22 métropoles françaises, octobre-novembre 2020
// Early assessment of the impact of mitigation measures to control COVID-19 in 22 French metropolitan areas, October to November 2020*
Résumé
En France, une série de mesures de freinage a été mise en place pour contrôler la deuxième vague de Covid-19, incluant un couvre-feu dans certaines métropoles suivi d’un confinement national. Cette étude vise à réaliser une évaluation précoce de leurs effets par une approche descriptive. Une modification de l’évolution de l’incidence des cas confirmés et des admissions à l’hôpital a été observée 7 à 10 jours après la mise en œuvre des mesures de freinage. Ces changements sont survenus plus précocement dans les métropoles où ces mesures ont été initialement mises en œuvre. Cette relation temporelle suggère un impact positif du couvre-feu, confirmant les expériences internationales.
Abstract
In France, measures including curfew and lockdown were implemented to control the COVID-19 pandemic second wave in 2020. This study descriptively assesses their possible effects, also relative to their timing. A considerable decrease in incidence of COVID-19 cases and hospital admissions was observed 7 to 10 days after mitigation measures were put in place, occurring earlier in metropolitan areas which had implemented these first. This temporal coincidence suggests the measures’ positive impact, consistent with international experiences.
Introduction
Au printemps 2020, la première vague de Covid-19 a été contrôlée en France grâce à l’instauration d’un confinement mis en place du 17 mars au 10 mai 2020 1. Après sa levée, la transmission virale s’est stabilisée à un niveau faible jusqu’à la fin du mois de juillet. Aux mois d’août et de septembre, après une augmentation constante, la circulation du SARS-CoV-2 s’est brusquement intensifiée, en particulier dans les grandes métropoles. Pour maîtriser la propagation de l’épidémie, les autorités nationales et locales ont mis en place, dès la mi-octobre, une série de mesures de freinage dans la plupart de ces métropoles, suivies d’un confinement national. Dans l’objectif d’évaluer l’impact de ces mesures le plus précocement possible, et en particulier celui du couvre-feu, nous avons réalisé une analyse descriptive des tendances temporelles des indicateurs reflétant la propagation et la gravité de la Covid-19 dans les 22 métropoles françaises (représentant 28,5% de la population française), dont 18 avaient été ciblées par des mesures de freinage préalablement au confinement.
Une série de mesures de freinage visant à contrôler la deuxième vague
Le 17 octobre 2020, un couvre-feu a été instauré de 21 heures à 6 heures du matin dans les neuf métropoles les plus touchées par le virus. Des mesures renforcées telles que la limitation des rassemblements, que ce soit dans l’espace public ou privé, la fermeture des bars et/ou des restaurants, ou l’interdiction de la vente d’alcool dans l’espace public avaient déjà été mises en œuvre dans ces neuf métropoles dès la fin du mois de septembre (entre le 23 et le 25 septembre selon les villes). Une semaine plus tard, le 24 octobre 2020, le couvre-feu a été étendu à neuf métropoles supplémentaires dans lesquelles la transmission virale augmentait de façon critique. Enfin, le 30 octobre, face à l’augmentation des admissions à l’hôpital (notamment dans les unités de soins intensifs) et des décès liés au Covid-19, un deuxième confinement national a été déclaré, puis allégé le 15 décembre 2020 par l’instauration d’un couvre-feu national.
Évolution de la tendance épidémiologique en fonction du calendrier des mesures de freinage
Tous les cas confirmés incidents (patients ayant une RT-PCR nouvellement positive pour le SARS-CoV-2 sur un prélèvement nasopharyngé) et les admissions à l’hôpital ont été analysés, en fonction de la date de prélèvement et de la date d’admission à l’hôpital respectivement. Ces données, issues des systèmes de surveillance en routine de la Covid-19 en France (systèmes SI-DEP et SI-VIC), ont permis de calculer, pour chaque métropole sur une base quotidienne, l’incidence des cas confirmés et des admissions à l’hôpital sur 7 jours glissants, ainsi que le taux de positivité. Les tendances temporelles de ces indicateurs ont été décrites dans trois groupes de métropoles, constitués en fonction du calendrier de mise en œuvre des mesures de freinage (tableau 1). D’après les connaissances actuelles sur l’histoire naturelle de l’infection par le SARS-CoV-2 et du délai de réalisation des tests, les effets des mesures sont en théorie observables au moins une semaine après leur mise en œuvre 2,3.
Comme le montrent les figures 1 et 2, les taux d’incidence et d’admissions à l’hôpital ont très fortement augmenté à partir du début du mois d’octobre, en particulier dans les métropoles alors caractérisées par la plus forte incidence (groupe 1), ce qui a entraîné la mise en œuvre des premières mesures dans celles-ci.
de Covid-19 par groupe de métropoles, France, 27 juin-15 novembre 2020
Dans le groupe 1 (couvre-feu le 17 octobre), le pic du taux d’incidence a été atteint le 27 octobre. Dans les groupes 2 (couvre-feu le 24 octobre) et 3 (pas de couvre-feu), l’augmentation s’est atténuée à partir de la fin du mois d’octobre, et le pic a été atteint une semaine plus tard (à savoir les 2 et 3 novembre, respectivement). Dans les trois groupes, l’inversion de la pente a été suivie d’une diminution rapide et marquée.
Dans les deux premiers groupes, les taux d’admission à l’hôpital ont suivi une tendance similaire à celle du taux d’incidence avec un décalage de quelques jours entre les deux indicateurs. Les pics d’admissions ont été observés les 2 et 10 novembre respectivement et suivis d’une diminution rapide et marquée. Dans le troisième groupe, les admissions à l’hôpital ont atteint un plateau de la fin octobre à la mi-novembre.
Le tableau 2 quantifie l’évolution des indicateurs dans les trois groupes à travers les pourcentages d’évolution d’une semaine calendaire à l’autre du taux d’incidence, d’admissions à l’hôpital et du taux de positivité entre les semaines 40 (28 septembre-4 octobre) et 46 (9 novembre-15 novembre). Dans les trois groupes, un ralentissement de l’augmentation du taux d’incidence a été observé en semaine 44, suivi d’une diminution à partir de la semaine 45, particulièrement marquée dans le groupe 1 (-24%). Le ralentissement en semaine 44 correspondait à un impact possible du couvre-feu instauré dans le premier groupe de métropoles. En semaine 46, soit 10 jours après la mise en place du confinement au niveau national, la diminution a été très marquée dans les trois groupes. Des tendances similaires ont été observées pour le taux de positivité, avec une diminution importante dans les trois groupes en semaine 46 (de -15,7 à -20,6%). En ce qui concerne les admissions à l’hôpital, un ralentissement a été observé à partir de la semaine 44 dans le groupe 1, et à partir de la semaine 45 dans les deux autres groupes, suivi d’une nette diminution dans les groupes 1 et 2 et d’une stabilisation dans le groupe 3.
Peut-on dire que les mesures de freinage ont été efficaces ?
L’évolution favorable de l’incidence des cas confirmés et des admissions à l’hôpital, observée 7 à 10 jours après la mise en œuvre des mesures de freinage et la communication intense des pouvoirs publics sur la gravité de l’épidémie, est compatible avec un impact positif de ces mesures. Le changement de tendance a été observé plus précocement dans les métropoles soumises en premier au couvre-feu et initialement concernées par des mesures renforcées. De plus, environ 10 jours après la mise en place du confinement national, la diminution du taux d’incidence est devenue tout aussi marquée dans les trois groupes de métropoles. Cette relation temporelle est en faveur d’un impact positif du couvre-feu et du confinement, ce qui est cohérent avec les expériences internationales 2,3,4,5,6,7,8.
D’autres facteurs ont également pu contribuer à l’évolution positive observée, notamment les vacances scolaires (du 17 octobre au 1er novembre) qui ont coïncidé avec l’annonce de l’instauration du premier couvre-feu. Cette période de vacances a probablement entraîné une diminution des interactions sociales, comme décrit précédemment pour les infections respiratoires telles que la grippe ou le virus respiratoire syncytial (VRS) 9. Néanmoins, les tendances favorables observées par la suite, après la fin des vacances scolaires et avant l’impact possible du confinement national, suggèrent que les couvre-feux, la communication sur la sévérité de l’épidémie et les autres mesures d’atténuation mises en place localement (limitation des rassemblements dans l’espace public ou privé, fermeture des bars et/ou des restaurants, interdiction de la vente d’alcool dans l’espace public) pourraient avoir joué un rôle majeur. Par ailleurs, aucun changement notable dans la stratégie de dépistage et/ou l’accès aux tests pouvant expliquer les tendances observées n’est survenu depuis la mise en œuvre des mesures de freinage. En outre, la tendance à la baisse observée pour l’incidence des admissions à l’hôpital et le taux de positivité est également en faveur d’une réelle diminution de la transmission virale suite à la mise en place des mesures.
Les effets ont-ils été limités aux zones ciblées ?
Dans les métropoles initialement non concernées par le couvre-feu (groupes 2 et 3), une amélioration de la situation épidémiologique a été observée dès la fin du mois d’octobre, alors qu’il était a priori trop tôt pour détecter un quelconque impact des mesures mises en place dans ces groupes (deuxième couvre-feu et confinement). On peut soulever l’hypothèse d’un impact du premier couvre-feu (et des premières mesures renforcées fin septembre) dans ces métropoles non directement visées par les mesures par un « effet de résonance ». En effet, le premier couvre-feu pourrait avoir eu un impact au-delà des zones concernées, en entraînant des changements de comportements donnant lieu à une diminution de la transmission virale. Par ailleurs, l’intense communication réalisée par les pouvoirs publics sur la sévérité de l’épidémie au moment de cette première annonce de couvre-feu pourrait également avoir entrainé des changements de comportements à l’échelle nationale.
Conclusion
Cette première analyse descriptive suggère un impact positif des mesures de freinage mises en place pour faire face à l’émergence de la deuxième vague d’épidémie de Covid-19 en France. En effet, une inversion de la tendance épidémiologique suivie d’une très importante diminution des indicateurs de surveillance a été observée 7 à 10 jours après la mise en place des mesures de freinage, et de manière plus précoce dans les métropoles initialement visées par celles-ci. La poursuite de l’analyse des tendances épidémiologiques au cours des prochaines semaines permettra de clarifier le rôle spécifique de ces mesures et d’orienter les futures décisions de santé publique. Une approche analytique faisant appel à des modèles de séries chronologiques et géographiques serait intéressante afin de prendre en compte les autres facteurs (vacances, activités de dépistage et de recherche des contacts, respect des mesures, facteurs météorologiques, etc.) qui ont pu influencer la dynamique de l’épidémie. L’apport des sciences sociales serait également utile pour comprendre les attitudes et perceptions du public qui ont pu conduire à des changements de comportements, afin de vérifier l’hypothèse de « l’effet de résonance » suggérée par cette première analyse descriptive.
Remerciements
Les auteurs remercient les laboratoires de biologie médicale et les hôpitaux pour la collecte des données, ainsi que Santé publique France (Delphine Antoine, Pierre Arwidson, Isabelle Bonmarin, Sacha Camail, Jean-Loup Chappert, Fanny Chereau, Olivier Delmer, Julien Durand, Myriam Fayad, Jessica Gane, Bruno Hubert, Dominique Jeannel, Pascal Jehannin, Lisa King, Philippe Malfait, Mélanie Martel, Esra Morvan, Damien Mouly, Edris Nikjooy, Olivier Retel, Lise Sainson, Nicolas Romain-Scelle, Christine Saura, Anouk Tabaï, Hélène Therre, Michel Vernay, Pascal Vilain, Anne-Catherine Viso) pour les discussions autour de l’étude.
Liens d’intérêts
Thomas Benet a travaillé pour bioMérieux entre novembre 2018 et octobre 2019, mais cette activité n’entrait pas dans le cadre de ce travail. Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
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