Enquête « TRANSEPS » : évaluation rétrospective
de la circulation du virus SARS-CoV-2 au sein
de deux crèches hospitalières de Seine-Saint-Denis accueillant les enfants du personnel soignant réquisitionné pendant la période de confinement de la population française

// Retrospective assessment of the SARS-COV2 virus circulation during lockdown in two hospital childcare centers hosting healthcare workers’ children in a French area of high transmission

Pauline Penot1,2 (pauline.penot@ght-gpne.fr), Anne Delaval3, Fabienne L’Hour1, Angélique Grenier3, Raya Harich1
1 Centre hospitalier intercommunal André Grégoire, GHT Grand Paris Nord-Est, Montreuil, France
2 Centre Population et Développement (Ceped), Paris, France
3 Centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger, GHT Grand Paris Nord-Est, Aulnay-sous-Bois, France
Soumis le 14.09.2020 // Date of submission: 09.14.2020
Mots clés : Covid-19 | crèche | enfants | personnel soignant | transmission | cas groupés | taux d’attaque
Keywords: COVID-19 | preschool | children | healthcare workers | transmission | cluster | attack rate

Résumé

Introduction –

L’efficacité de la fermeture des crèches et des écoles sur le contrôle de l’épidémie de SARS-CoV2 n’est pas connue, notamment parce que la participation des enfants aux chaînes de transmission n’est pas complètement établie.

Matériel-méthodes –

Du 29 mai au 2 juillet 2020, une étude rétrospective a retracé la circulation du virus pendant la période de confinement dans deux populations : des soignants hospitaliers de Seine-Saint-Denis réquisitionnés pour prendre en charge des patients Covid et des professionnels de la petite enfance réquisitionnés en crèches hospitalières auprès des enfants des premiers. Un questionnaire a reconstitué l’historique de symptômes, les contacts avec des cas suspects ou avérés de Covid et les caractéristiques sociodémographiques des participants. Un prélèvement sanguin a recherché des anticorps anti-SARS-CoV-2.

Résultats –

Le taux d’attaque était de 11,5% dans la population de soignants hospitaliers (6/52) et de 17,4% parmi les professionnels des crèches (8/46). Une épidémie précoce est survenue parmi le personnel de la crèche de Montreuil : elle n’a pas affecté les parents des enfants gardés sur la période (p=0,029). À Aulnay-sous-Bois, 3 professionnels de la crèche ont été infectés : aucun n’avait pris en charge l’enfant d’un soignant séropositif ; de même, parmi les parents d’enfants qui avaient été confiés à ces 3 professionnels, aucun n’a développé d’anticorps. Douze des 14 infections ont pu être reliées à un contaminateur probable, le plus souvent un collègue.

Discussion-conclusion –

La reconstitution de la circulation virale entre les deux populations de notre étude suggère que les enfants gardés dans ces deux crèches n’ont pas participé à diffuser le virus.

Abstract

Background –

The effectiveness of the closing of nurseries and school on controlling the epidemic of SARS-CoV-2 virus is not known, especially because the role of children in SARS-CoV2 transmission remains unclear.

Methods –

Between May 29 and July 2, 2020, a retrospective cohort study was conducted among two populations: requisitioned health-care workers and requisitioned staff from hospital’s childcare centers, to investigate the virus circulation during lockdown, in a French area of high transmission.

Results –

The infection attack rate was 6/52 (11.6%) and 8/46 (17.4%) among health-care workers and childcare staff, respectively. An early epidemic occurred among Montreuil’s hospital childcare staff, but the parents were not affected (p=0.029). Among Aulnay-sous-Bois childcare center, three staff members were infected but none of them was in charge of a child whose parents were infected. Also among the parents of the children they cared for, none has developed antibodies. Out of 14 infections, 12 were reliable to a source of transmission, mostly among colleagues.

Discussion-conclusion –

The assessment of viral circulation among healthcare workers and childcare staff suggests that the children did not contribute to SARS-CoV-2 spread in our setting.

Introduction

En réponse à la pandémie de Covid-19, 192 pays ont fermé leur système public d’accueil de la petite enfance le 31 mars 2020 1. En France, du 17 mars au 11 mai 2020, seuls les enfants de professionnels prioritaires (personnel soignants et services de l’Etat) ont été gardés en crèche et scolarisés.

Ce confinement des enfants a eu des conséquences importantes : il a creusé les inégalités sociales préexistantes, exposant les enfants des familles les moins favorisées à une discontinuité des apprentissages, à l’insécurité alimentaire, à un logement surpeuplé et a accentué les inégalités sociales en santé 1,2. Une recrudescence des violences et des accidents domestiques a été objectivée : nombre accru de signalements aux numéros d’urgence, explosion des appels aux centres antipoison 3. Une étude antérieure à la pandémie avait par ailleurs retrouvé des scores moyens de stress post-traumatique quatre fois plus élevés chez les enfants mis en quarantaine chez eux, par rapport à ceux qui ne l’avaient pas été 4.

Le rationnel de ces fermetures reposait sur une transposition des connaissances acquises lors des épidémies de grippe, dans lesquelles le rôle des enfants dans la transmission a été démontré 5,6. En revanche, l’analyse rétrospective de la cinétique épidémique du SRAS en 2003 n’avait pas permis de conclure à un impact du maintien à domicile des enfants sur la circulation de ce coronavirus 7, et il n’est pas établi que le confinement des jeunes enfants participe au contrôle de la pandémie actuelle 8. Une modélisation anglaise à partir des données de Wuhan prédisait un bénéfice très limité de la fermeture des écoles, avec une réduction de la mortalité de 2 à 4% 9, tandis qu’une étude américaine notait une réduction de l’incidence dans les États l’ayant adoptée précocement, tout en admettant qu’une confusion était possible avec l’effet d’autres interventions concomitantes 10.

À l’heure où une résurgence épidémique en France métropolitaine est considérée comme probable, il paraît urgent de déterminer si ces fermetures sont nécessaires à la gestion de l’épidémie. C’est pour contribuer à répondre à cette question que nous avons évalué la circulation du virus entre deux populations, exposées l’une à l’autre à travers des enfants de moins de trois ans : d’une part, une population de soignants hospitaliers directement exposés à des patients Covid pendant le pic épidémique, d’autre part une population de professionnels de la petite enfance qui ont gardé les enfants de ces soignants hospitaliers pendant cette période.

Matériel et méthodes

Lieux d’étude

Les hôpitaux intercommunaux André Grégoire (Montreuil) et Robert Ballanger (Aulnay-sous-Bois) sont situés dans le département de la Seine-Saint-Denis et appartiennent au groupement hospitalier de territoire (GHT) Grand Paris Nord-Est.

La crèche Colombine (groupe Maison Bleue©), agissant en délégation de service public dans les murs de l’hôpital André Grégoire et le multi accueil des 4 Maisonnettes, crèche hospitalière de Robert Ballanger, sont restées ouvertes pour accueillir les enfants du personnel réquisitionné pendant toute la période de confinement de la population française (17 mars au 11 mai 2020). Les mesures barrières appliquées sur la période du confinement n’ont pas été les mêmes dans les deux crèches : à Montreuil, les parents étaient invités à confier leur enfant dans un sas à l’entrée de la crèche. Un contrôle de température était instauré à l’arrivée de l’enfant, et les enfants fébriles au seuil de 38°5 étaient renvoyés à domicile. À Aulnay-sous-bois, les parents continuaient à entrer dans les sections, mais il leur a rapidement été demandé de porter un masque et de respecter une distance d’un mètre avec l’auxiliaire de puériculture qui accueillait leur enfant. Par souci de simplification, nous utiliserons le terme de « crèches hospitalières » pour désigner les deux établissements.

Schéma d’étude

Nous avons mené une étude rétrospective sur une cohorte fermée pour retracer la circulation du virus SARS-CoV2 entre deux populations : d’une part, le personnel soignant des hôpitaux de Montreuil et d’Aulnay-sous-Bois réquisitionné ayant confié un ou plusieurs enfants à la crèche de son établissement hospitalier pendant au moins deux jours pendant la période de confinement, et ayant travaillé au contact direct de patients Covid ou suspects de l’être ; d’autre part, le personnel ayant travaillé au moins deux jours au contact direct des enfants de la première population dans ces deux crèches sur la même période.

La première population a été dotée en masques chirurgicaux et FFP2 pendant toute la période d’étude, à l’instar de l’ensemble du personnel soignant des deux hôpitaux étudiés, et la consigne était de changer de masque toutes les quatre heures dans l’enceinte de l’hôpital. La dotation en masques de la seconde population a été plus tardive (pendant le confinement à Aulnay-sous-Bois, où le port du masque était laissé à l’appréciation du personnel, à la fin du confinement à Montreuil).

Après information orale et écrite et recueil de la non-opposition, les participants ont répondu à un questionnaire qui portait sur leur profession, les tâches réalisées pendant la période du confinement, leur moyen de transport pour se rendre au travail, les symptômes ressentis depuis le début de la circulation du virus SARS-CoV2 sur le sol français, la réalisation d’examens en lien avec ces symptômes et leurs résultats, la notion d’un contage suspect ou prouvé dans leur entourage personnel et professionnel. Un prélèvement veineux de 5 mL sur tube sec était réalisé au pli du coude pour analyse sérologique. Les questionnaires et les prélèvements sanguins ont été réalisés entre le 29 mai et le 2 juillet 2020.

Les parents réquisitionnés n’ayant pas travaillé au contact direct de patients Covid ou suspects de l’être n’ont pas été inclus initialement dans l’étude. Secondairement, leurs sérologies ont été prélevées après consentement et une sous-analyse a comparé le taux d’attaque chez l’ensemble des parents ayant confié leurs enfants aux deux crèches sur la période d’étude au taux d’attaque chez les professionnels de la petite enfance ayant travaillé sur la même période.

Hypothèses initiales

Lors de la rédaction du projet, aucune étude séro-épidémiologique n’était disponible en France. Nous avions fait l’hypothèse que les soignants réquisitionnés auprès de patients Covid avaient une probabilité élevée d’avoir contracté le virus, avec un taux d’attaque estimé à 30%. Nous avions fait l’hypothèse que les enfants ne transmettraient pas le virus de leurs parents et que le taux d’attaque parmi le personnel des deux crèches hospitalières serait par conséquent moindre : s’agissant de personnes circulant et travaillant en Seine-Saint-Denis pendant le pic épidémique, nous l’avions évalué à 10-15%.

Analyses de laboratoire

Tous les sérums prélevés ont été analysés dans les laboratoires des hôpitaux participants avec recherche des IgG anti-SARS-CoV2 par une méthode validée par les autorités sanitaires françaises. Le test sérologique par chimi-luminescence (Architect, Abbott©) détectait les IgG anti-SARS-CoV2 au seuil de 1,4 S/ et le test Euroimmun© ELISA SARS-CoV-2 détectait les IgG anti-SARS-CoV2 (densité optique (DO) échantillon par rapport à la DO d’un calibrateur : résultat positif si ratio ≥1.1). Il était prévu que les personnes inclues qui rapporteraient des symptômes non résolus pouvant être en lien avec une infection en cours au moment du questionnaire se verraient proposer en parallèle un diagnostic moléculaire par RT−PCR temps réel (technique GeneFinder TMCOVID−19PLUS RealAmp, Ingenius ELITech : Sensibilité : 1000 copies/mL pour les gènes RdRp, E et N ou Kit Argène SARS-CoV-2 R-Gene®, laboratoire Biomérieux, amplifiant les gènes N et RdRp) et un arrêt de travail dans l’attente du résultat de ce test moléculaire, mais la situation ne s’est pas présentée.

Aspects éthiques et réglementaires

Cette enquête a reçu l’approbation du Comité de Protection des Personnes Nord-Ouest II. La constitution d’une sérothèque a été enregistrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sous le numéro RCB 2020-A01851-38.

Analyses statistiques

Tout professionnel, soignant ou de la petite enfance, dont le taux d’anticorps était supérieur au seuil de la technique utilisée était considéré comme ayant contracté le virus SARS-CoV2. La circulation virale a été étudiée par site et par catégorie professionnelle. Du fait des faibles effectifs, les variables catégorielles ont été comparées par test exact de Fischer, et les variables continues par test de Mann Whitney. Les analyses statistiques ont été faites sur le logiciel Stata® 12.0 (StataCorp, College Statio, TX, USA).

Résultats

Cinquante-deux soignants hospitaliers et 46 professionnels de la petite enfance répondaient aux critères d’éligibilité et se sont vus proposer de participer à l’étude. Cinq personnels soignants éligibles (3 à Aulnay-sous-Bois, 2 à Montreuil) ont décliné ou n’ont pas pu participer (personnel soignant venu en renfort pendant la crise), et deux professionnels de la crèche de Montreuil ont refusé de participer. Quarante-sept soignants hospitaliers réquisitionnés dans des unités prenant en charge des patients Covid (25 à Aulnay-sous-Bois et 22 à Montreuil) et 44 professionnels de la petite enfance réquisitionnés dans les crèches hospitalières (32 à Aulnay-sous-Bois et 12 à Montreuil) ont été inclus dans l’étude (figure 1).

Figure 1 : Stratégie de recrutement des participants dans l’étude, Seine-Saint-Denis, France, 29 mai-22 juillet 2020
Agrandir l'image

Les données de 13 parents supplémentaires (5 à Montreuil, 8 à Aulnay-sous-Bois) réquisitionnés sur la période, dont les enfants ont été gardés à la crèche hospitalière, mais qui n’ont pas travaillé au contact direct de patients Covid, ont fait l’objet d’une sous-analyse pour évaluer la circulation virale entre ces deux populations mises en contact au travers des enfants.

La plupart des participants étaient des femmes (92,3%), surtout parmi le personnel de crèche (95,5%), jeunes et sans comorbidités (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des 91 participants à l’enquête TRANSEPS, Seine-Saint-Denis, France, 29 mai au 2 juillet 2020
Agrandir l'image

Contrairement à notre hypothèse, le taux d’attaque n’a pas été plus élevé chez les parents soignants directement exposés au Covid (13,6% à Montreuil et 12% à Aulnay-sous-Bois) que chez les professionnels des deux crèches (41,7% à Montreuil et 9,4% à Aulnay-sous-Bois). Lorsque l’on étend l’analyse aux parents réquisitionnés qui n’ont pas travaillé au contact direct des patients Covid, mais ont été exposés à travers leurs enfants à l’infection des professionnels de la crèche, les taux d’attaque chez les parents passent à 11,1% à Montreuil et 9,1% à Aulnay-sous-Bois. La différence devient statistiquement significative à Montreuil, où une épidémie a touché l’équipe de la crèche sans affecter les parents (p=0,029).

Description de la circulation virale à la crèche hospitalière de Montreuil

À Montreuil, quatre auxiliaires de puériculture habituelles de la crèche (cas 1, 2, 3, 4) et un personnel venu en renfort (cas 5) ont été infectés par le SARS-CoV2. Les symptômes évocateurs de Covid ont précédé, chez les 4 auxiliaires, la période d’étude.

Le cas « crèche Montreuil 1 » (CM 1) a développé un syndrome grippal le 3 février (4 jours d’arrêt de travail sans résolution complète des symptômes). Une recrudescence fébrile avec toux, céphalées et arthromyalgies est survenue du 24 au 28 février, conduisant à un nouvel arrêt de travail de 4 jours. Le 17 mars, son compagnon a développé des symp-tômes attribués au Covid par son médecin traitant.

Les symptômes de CM 2 ont débuté le 10 mars, ceux de CM 3 et CM 4 le 13 mars. Le 15 mars, CM 4 était hospitalisé pour détresse respiratoire avec une confirmation du diagnostic par RT-PCR.

CM 1, 2 et 3 travaillaient dans la même section, jusqu’à ce que le confinement réduise l’accueil à une section unique dédiée aux enfants du personnel prioritaire, et déjeunaient avec CM 4.

CM 5 a développé des symptômes typiques plus tardivement, le 6 avril. Il partageait avec deux collègues, dont les sérologies ont été rendues négatives, la tâche d’accueillir les enfants le matin dans le sas, et de faire le soir, dans cet espace, les transmissions aux parents.

CM 1, 3 et 4 prenaient les transports en commun pour venir à la crèche, avant et pendant le confinement, tandis que les cas 1 et 5 faisaient les trajets seuls dans leur voiture.

Une cinquième auxiliaire travaillant habituellement à la crèche a développé un syndrome grippal fin février et son médecin traitant l’a arrêtée sur le motif « Covid suspect » le 9 mars et pour toute la durée du confinement. Elle a été diagnostiquée séropositive rétrospectivement.

Description des cas parentaux à Montreuil

Trois parents étaient positifs en sérologie : une infirmière des urgences (cas « parent Montreuil 1 » ou PM 1) a développé des symptômes le 21 mars avec une confirmation microbiologique le 28 mars.
La contamination provenait probablement de son binôme infirmier, symptomatique, diagnostiqué sur RT-PCR le 14 mars 2020. PM1 a retiré sa fille de la crèche dès l’apparition de ses symptômes (éviction du 21 mars au 15 avril 2020).

Un médecin de maladies infectieuses (PM 2) a signalé deux épisodes viraux successifs : un syndrome grippal survenu le 10 février, pendant son congé maternité, et résolu avant l’admission de son enfant à la crèche, puis une toux isolée apparue le 21 mars, une semaine après un contage avec deux collègues secondairement diagnostiqués Covid. La RT-PCR du 25 mars n’avait pas amplifié de virus. Son enfant a été gardé du 24 février au 13 mars dans la section du cas CM 1 et a développé deux vésicules pseudo-varicelleuses sur la jambe gauche le 15 avril, similaires à des lésions dermatologiques imputées au Covid dans la littérature 11.

Une aide-soignante de cardiologie, affectée le 21 avril en unité gériatrique Covid (PM 3) a développé des anticorps sans aucun historique de symptômes. À partir du 21 avril, elle a partagé les espaces et temps de repos avec quatre collègues dont l’infection a été secondairement confirmée par RT-PCR. Elle a notamment travaillé en binôme direct et pris ses pauses avec une infirmière symptomatique, avant son éviction.

Un enfant de deux ans gardé du 17 mars au 5 mai à la crèche a été hospitalisé le 13 mai pour une vascularite de type Kawasaki. Les tests microbiologiques et sérologiques répétés sont restés négatifs chez l’enfant et chez ses deux parents.

Circulation du virus à Aulnay-sous-Bois

À Aulnay-sous-Bois, 3 professionnelles de la petite enfance et 3 soignants (2 aides-soignants, un infirmier) ont été infectés par le SARS-CoV2.

Deux professionnelles ont été en contact rapproché l’une de l’autre, et ont chacune été exposées début mars dans leur sphère privée à des « Covid suspects » (pas de test microbiologique), tandis que la fréquentation quotidienne des transports en commun était le seul facteur de risque de contamination de la troisième. Elles ne se sont occupées d’aucun des enfants de parents positifs.

Les trois parents séropositifs avaient tous présenté des symptômes typiques de Covid-19, à des périodes différentes : 26 mars, 4 avril, 15 avril. Les trois ont rapporté un contage antérieur avec un cas confirmé, dans un délai compatible avec une transmission : 2 dans leurs services de soin, le troisième dans sa sphère privée. Les professionnels des deux sections que fréquentaient les enfants de ces trois parents ont tous été testés séronégatifs.

Discussion-Conclusion

Il s’agit, à notre connaissance, du premier travail retraçant la circulation du virus SARS-CoV2 pendant le pic épidémique, entre une population de soignants directement exposés au virus et une population de professionnels de la petite enfance réquisitionnés pour prendre soin de leurs enfants.

Nous avions fait l’hypothèse d’un taux d’attaque élevé parmi les soignants des unités Covid et voulions étudier sa répercussion sur les professionnels de la petite enfance. C’est au contraire dans le personnel de l’une des crèches qu’une épidémie est survenue, et cette épidémie ne s’est répercutée ni sur les parents inclus dans l’étude, ni sur la population, plus large, de l’ensemble des parents dont les enfants avaient été confiés à cette crèche sur la période d’étude.

Dans la seconde crèche, les cas sont restés sporadiques. L’étude de l’affectation quotidienne des enfants dans les différentes sections a montré qu’aucune des professionnelles séropositives au SARS-CoV2 n’avait pas été en contact avec un enfant de soignant infecté.

À l’exception du cinquième cas dans le personnel de la crèche de Montreuil et du troisième dans celui d’Aulnay-sous-Bois, un contact a pu être identifié pour toutes les contaminations. La plupart des contacts identifiés comme possiblement infectants étaient survenus sur le lieu de travail, le plus souvent dans les salles de repos, souvent de petite taille, dénuées de fenêtre ou mal aérées (ouvertures bloquées pour des motifs de sécurité).

Le taux d’attaque relativement faible observé dans la population de soignants exposés au Covid est cohérent avec la séroprévalence globale observée parmi le personnel testé dans ces deux hôpitaux (13% à Aulnay et 14,8% à Montreuil le 25 juin 2020). Il reflète l’efficacité des mesures barrières appliquées dans les unités de soins au contact des patients.

Notre étude comporte plusieurs limites, essentiellement le faible effectif des deux groupes, conséquence du nombre limité d’enfants accueillis dans ces deux crèches. La seconde limite est l’analyse rétrospective de la circulation virale, qui fait largement reposer les hypothèses avancées sur la mémoire des participants chaque fois que le diagnostic n’a pas été confirmé par RT-PCR. Enfin, le projet a été porté par des soignantes qui avaient leurs enfants à la crèche et, bien que la possibilité ait été donnée aux professionnels de la petite enfance de se voir administrer les questionnaires par d’autres enquêteurs, un biais de désirabilité ne peut pas être écarté dans les réponses.

La reconstitution de la circulation virale entre les deux populations de notre étude suggère que les enfants n’ont pas participé à diffuser le virus. Ce constat est cohérent avec l’enquête réalisée en Finlande fin février 2020 autour d’une enfant testée positive au SARS-CoV2, qui n’a mis en évidence aucun cas secondaire, ni dans son école, ni dans le club de sport qu’elle fréquentait 11, et avec les données colligées pendant la deuxième quinzaine de mars 2020 en Islande : aucun des 848 enfants de moins de 10 ans testés sans identification préalable de facteur de risque pendant la deuxième quinzaine de mars n’était positif en RT-PCR 12. Le gouvernement islandais, cité en exemple pour sa gestion de la crise sanitaire, a d’ailleurs relevé le 31 juillet ses mesures de distanciation physique en précisant qu’elles ne concernaient pas les jeunes enfants, que les lieux d’accueil de la petite enfance resteraient ouverts 13. De même, Taïwan a contrôlé sa première vague épidémique sans fermeture systématique prolongée des collectivités d’enfants 14. La Norvège a rouvert ses crèches dès le 20 avril, cinq jours après le Danemark, et ces deux pays n’ont pas observé d’accélération de la diffusion virale après ces décisions 15.

Pourtant, les fermetures de lieux d’accueil de la petite enfance se multiplient à l’échelle du globe : l’Afrique du Sud a fermé ses écoles publiques le 27 juillet 2020. Au mois d’août, la scolarité était suspendue au Canada, en Inde, en Iran, au Mexique, en République démocratique du Congo, dans la plupart des États américains et dans tous les pays d’Amérique du Sud, à l’exception de l’Équateur et du Pérou, privant les deux-tiers des apprenants de leur système éducatif et la plupart des enfants gardés en collectivité de leur environnement habituel 1. L’impact de cette mise à l’arrêt des interactions sociales entre enfants sur la transmission communautaire est controversé et donne lieu à des prises de position marquées : une tribune de pédiatres anglais a qualifié le retour à l’école d’urgent 12, tandis que deux études retrouvaient des charges virales pharyngées élevées chez des enfants symptomatiques 13, notamment chez les moins de cinq ans 14. Les auteurs soulignaient qu’aucune culture virale n’attestait de la contagiosité des acides nucléiques amplifiés, mais s’inquiétaient néanmoins d’une flambée épidémique à la réouverture des crèches et les écoles.

Le 6 août, un rapport du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) concluait qu’une telle flambée n’était pas survenue. La transmission entre enfants et d’enfant à adulte dans le contexte scolaire et préscolaire était qualifiée de « peu commune », car les clusters rapportés à la réouverture des établissements scolaires et des crèches dans l’Union européenne et en Grande-Bretagne sont restés exceptionnels et d’ampleur très limitée. La plupart des infections pédiatriques restant asymptomatiques, le rapport concluait qu’une sous-estimation des enfants parmi les cas index comme parmi les cas secondaires était possible. Les résultats des enquêtes et des réseaux nationaux de surveillance n’étaient pas stratifiés par âge, probablement du fait d’effectifs insuffisants : les données concernant les enfants de moins de cinq ans étaient présentées sur le même plan qu’une épidémie survenue peu après la réouverture d’un établissement israélien accueillant des élèves de 12 à 18 ans. Cependant, aucune transmission secondaire n’était notifiée dans des établissements « préscolaires », ce terme désignant l’ensemble des lieux d’accueil de la naissance à l’âge de cinq ans et incluant nos crèches et écoles maternelles, sans que les auteurs ne proposent d’hypothèse pour expliquer la contradiction apparente entre ce constat et les charges virales élevées décrites dans cette tranche d’âge chez quelques enfants symptomatiques 15. À Singapour, deux établissements « préscolaires » (terme que nous traduirons par « jardin d’enfants ») ont été affectés par des cas d’infections : un enfant de 5 ans symptomatique a été testé positif à la suite de l’enquête autour d’un cas adulte vivant sous le même toit que lui. Il avait fréquenté son jardin d’enfants le premier jour de ses symptômes avant d’être isolé : aucun de ses camarades n’a été contaminé (34 RT-PCR négatives). Dans le second jardin d’enfants, le cas index était un adulte de l’équipe d’encadrement : 16 de ses collègues ont été infectés tandis que les 77 RT-PCR pratiquées chez les enfants contacts sont toutes revenues négatives 16.

Un cas de transmission par un nourrisson de 8 mois à ses deux parents a en revanche été rapporté à Salt Lake City (Utah, États-Unis) : cet enfant a développé des symptômes mineurs 7 jours après avoir été en contact avec un professionnel infecté dans son jardin d’enfant. Le père et la mère ont développé des symptômes 2 et 3 jours après ceux de leur nourrisson, et tous ont été testés positifs en RT-PCR 17.

Les enquêtes françaises suggèrent que les jeunes enfants seraient des impasses épidémiologiques pour le SARS-CoV-2. Fin janvier 2020, un adulte anglais contaminé à Singapour a infecté 75% des hôtes du chalet alpin où il séjournait, et parmi eux un enfant. Cet enfant de 9 ans, modérément symptomatique, a été tardivement diagnostiqué d’une coïnfection SARS-CoV2, picornavirus et grippe A. Dans l’intervalle, il avait fréquenté trois écoles différentes et entretenu des contacts étroits avec ses camarades et le personnel d’encadrement lors d’un séjour en classe de neige. Pourtant, il n’a contaminé personne au SARS-CoV2, alors que des infections secondaires aux deux autres virus respiratoires ont été mises en évidence 16. Dans l’Oise, trois introductions successives du virus dans trois écoles élémentaires différentes n’ont donné lieu à aucune transmission secondaire documentée au sein des établissements, tandis que le taux élevé de séropositivité chez les parents des enfants concernés suggérait que les transmissions s’étaient faites au sein du foyer, des parents vers leurs enfants 17. Une enquête menée du 14 avril au 12 mai par des pédiatres de ville franciliens a conclu qu’un contage prouvé au sein du foyer multipliait par 15 la probabilité de séropositivité des enfants testés 18. Un collectif de pédiatres français s’est engagé dans la réouverture des écoles en plaidant, dès le 13 mai, que des crèches et des classes avaient accueilli les enfants de soignants pendant le confinement, sans donner lieu à aucune alerte épidémique 18. Plus récemment, alors que des cas de Covid diagnostiqués dans des crèches de Gironde, d’Isère, du Jura et de l’Hérault ont été médiatisés au mois de juillet, aucune des campagnes de dépistage mises en place par les agences régionales de santé (ARS) pour interrompre la transmission n’a conclu à des contaminations de professionnels à partir des enfants.

Au total, la survenue d’une épidémie chez les professionnels d’une crèche sans diffusion aux parents à l’hôpital de Montreuil et l’absence de connexion entre les parents et les professionnels de la crèche infectés à Aulnay-sous-Bois plaident pour une propagation du virus entre adultes, largement favorisée par les interactions entre collègues. Bien que les enfants n’aient pas été prélevés et ne puissent donc pas être formellement exclus des chaînes de transmission, ils ne semblent pas avoir véhiculé le virus entre leurs parents et les professionnels qui s’occupaient d’eux à la crèche, et ce en l’absence de toute mesure de distanciation physique entre eux et avec les adultes.

Les mesures barrières opposables dans l’enseignement secondaire ne peuvent pas être directement transposées à l’école élémentaire, et doivent être complètement repensées. Des enquêtes plus larges devront préciser la place des enfants de moins de cinq ans dans les chaînes de transmission pour éclairer les futures décisions visant au contrôle de l’épidémie.

Remerciements

Nous remercions l’équipe de direction des deux crèches : Helen Giles, Isabelle Legrand, Yaël Sibony, Leslie Negrit ainsi que le groupe Maison Bleue© ; Sandrine Dekens pour les grilles d’évaluation de l’anxiété, Anne-Laurence Doho, l’unité de recherche clinique du groupement hospitalier de territoire Grand Paris Nord-Est (Valérie Millul, Amélie Jean), les parents et les professionnels de la petite enfance qui ont accepté de participer à cette enquête.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 UNESCO. Impact du COVID sur l’éducation. 2020. https://fr.unesco.org/covid19/educationresponse
2 Van Lancker W, Parolin Z. COVID-19, school closures, and child poverty: A social crisis in the making. Lancet Public Health. 2020;5(5):e243‑e4.
3 Santé publique France. Synthèse rapide COVID-19. COVID-19 chez l’enfant. État des lieux de la littérature au 24 avril 2020 en amont de la réouverture annoncée des crèches et des écoles. Saint-Maurice: Santé publique France; 2020. 28 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/synthese-rapide-des-connaissances/covid-19-chez-l-enfant-moins-de-18-ans-.-etat-des-lieux-de-la-litterature-en-amont-de-la-reouverture-annoncee-des-creches-et-des-ecoles.-etat-de-l
4 Sprang G, Silman M. Posttraumatic Stress Disorder in Parents and Youth After Health-Related Disasters. Disaster Med Public Health Prep. 2013;7(1):105‑10.
5 Cauchemez S, Van Kerkhove MD, Archer BN, Cetron M, Cowling BJ, Grove P, et al. School closures during the 2009 influenza pandemic: National and local experiences. BMC Infect Dis. 2014;14:207.
6 Jackson C, Vynnycky E, Hawker J, Olowokure B, Mangtani P. School closures and influenza: systematic review of epidemiological studies. BMJ Open. 2013;3(2).
7 Wong GWK, Li AM, Ng PC, Fok TF. Severe acute respiratory syndrome in children. Pediatr Pulmonol. 2003;36(4):
261‑6.
8 Esposito S, Principi N. School Closure During the Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) Pandemic: An Effective Intervention at the Global Level? JAMA Pediatr. 2020. https://jamanetwork.com/journals/jamapediatrics/fullarticle/
2766114
9 Ferguson N, Laydon D, Nedjati Gilani G, Imai N, Ainslie K, Baguelin M, et al. Report 9: Impact of non-pharmaceutical interventions (NPIs) to reduce COVID19 mortality and healthcare demand Imperial College London; 2020. http://spiral.imperial.ac.uk/handle/10044/1/77482
10 Auger KA, Shah SS, Richardson T, Hartley D, Hall M, Warniment A, etal. Association Between Statewide School Closure and COVID-19 Incidence and Mortality in the US. JAMA. 2020; 324(9):859-70.
11 Wollina U, Karadağ AS, Rowland-Payne C, Chiriac A, Lotti T. Cutaneous signs in COVID-19 patients: A review. Dermatol Ther. 2020;e13549.
12 Munro APS, Faust SN. Addendum to: Children are not COVID-19 super spreaders: Time to go back to school. Arch Dis Child. 2020.
13 Jones TC, Mühlemann B, Veith T, Biele G, Zuchowski M, Hoffmann J, et al. An analysis of SARS-CoV-2 viral load by patient age. medRxiv. 2020:2020.06.08.20125484. http://medrxiv.org/lookup/doi/10.1101/2020.06.08.20125484
14 Heald-Sargent T, Muller WJ, Zheng X, Rippe J, Patel AB, Kociolek LK. Age-Related Differences in Nasopharyngeal Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) Levels in Patients With Mild to Moderate Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). JAMA Pediatr. 2020;174(9):902-3. https://jamanetwork.com/
journals/jamapediatrics/fullarticle/2768952
15 European Centre for Disease Prevention and Control. COVID-19 in children and the role of school settings in COVID-19 transmission, 6 August 2020. Stockholm: ECDC; 2020.
16 Yung CF, Kam K-Q, Nadua KD, Chong CY, Tan NWH, Li J, etal. Novel coronavirus 2019 transmission risk in educational settings. Clin Infect Dis. 2020
17 Lopez AS, Hill M, Antezano J, Vilven D, Rutner T, Bogdanow L, et al. Transmission Dynamics of COVID-19 Outbreaks Associated with Child Care Facilities — Salt Lake City, Utah, April–July 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020;69(37):1319‑23.
18 Delacourt C, etal. Covid-19 : 20 présidents de sociétés savantes de pédiatrie réclament le retour des enfants à l’école. Le quotidien du médecin. 13 mai 2019. https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/sante-publique/covid-19-20-presidents-de-societes-savantes-de-pediatrie-reclament-le-retour-des-enfants-lecole

Citer cet article

Penot P, Delaval A, L’Hour F, Grenier A, Harich R. Enquête « TRANSEPS » : évaluation rétrospective de la circulation du virus SARS-CoV-2 au sein de deux crèches hospitalières de Seine-Saint-Denis accueillant les enfants du personnel soignant réquisitionné pendant la période de confinement de la population française. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(23):464-70. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/23/2020_23_1.html