Cancers autour de la plateforme chimique de Roussillon (Isère), 2003-2013

// Cancers around the Roussillon chemical platform (Isère, France), 2003-2013

Philippe Pépin (philippe.pepin@santepubliquefrance.fr), Jean-Marc Yvon, Christine Saura
Santé publique France – Auvergne Rhône-Alpes, Lyon et Clermont-Ferrand, France
Soumis le 14.12.2018 // Date of submission: 12.14.2018
Mots-clés : Cancer | Plateforme chimique de Roussillon | Amiante | Programme national de surveillance du mésothéliome
Keywords: Cancer | Roussillon chemical platform | Asbestos | National Mesothelioma Surveillance Program

Résumé

Contexte –

La plateforme chimique de Roussillon située dans la vallée du Rhône, à 50 kilomètres au sud de Lyon, est l’un des principaux sites chimiques de France. Cette étude vise à répondre aux craintes exprimées par les riverains d’un excès de cancers d’origine environnementale parmi la population résidant autour de ce site.

Méthode –

L’étude compare les niveaux d’incidence des cancers et de la mortalité par cancer dans les six communes voisines de la plateforme avec ceux observés dans le département de l’Isère sur la période 2003-2013. Les résultats concernant le mésothéliome de la plèvre ont conduit à compléter l’analyse descriptive par une étude étiologique. Celle-ci repose sur une exploitation des enquêtes, réalisées dans le cadre du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM), qui retracent les expositions passées à l’amiante des personnes atteintes de ce cancer.

Résultats –

L’incidence du mésothéliome de la plèvre et le niveau de mortalité pour cette pathologie sont, chez l’homme, plus de cinq fois supérieurs sur le secteur de Roussillon que dans le département de l’Isère. De façon moins marquée, une légère surmortalité par cancers du poumon et du larynx est observée pour les deux sexes. On ne retrouve pas d’autre(s) localisation(s) cancéreuse(s) en excès sur le secteur. L’analyse des données du PNSM permet de valider l’origine professionnelle des mésothéliomes puisque la quasi-totalité des cas ont rapporté une exposition professionnelle à l’amiante dans une entreprise de la plateforme de Roussillon.

Conclusion –

Cette étude montre que le fait de résider autour de la plateforme chimique de Roussillon n’est pas associé à un excès global de cancer. La complémentarité des données du registre des cancers et du PNSM permet de confirmer l’origine professionnelle des mésothéliomes de la plèvre observés en fort excès sur le secteur.

Abstract

Context –

The Roussillon chemical platform located in the Rhône Valley, 50 kilometers south of Lyon, is one of the main chemical sites in France. This study aims to respond to the fears expressed by residents of an excess of environmental cancers among the population living around this site.

Method –

The study compares the cancer incidence and cancer mortality levels in the six communes neighboring the platform with those observed in the department of Isère over the period 2003-2013. The results concerning mesothelioma of the pleura led to the completion of the descriptive analysis by an etiological study. This is based on the use of surveys conducted as part of the National Mesothelioma Surveillance Program (PNSM), which appraise the past exposure to asbestos of people affected with this cancer.

Results –

The incidence of pleural mesothelioma and the level of mortality for this pathology are, in humans, more than five times higher in the Roussillon area than in the department of Isère. In a less marked manner, a slight excess mortality due to lung and larynx cancers is observed for both sexes. There is no other cancerous site in excess in the area. The analysis of PNSM data validates the occupational origin of mesothelioma since almost all cases have reported occupational exposure to asbestos in a company on the Roussillon platform.

Conclusion –

This study shows that the fact of living around the Roussillon chemical platform is not associated with a global excess of cancer. The complementarity of data from the cancer registry and the PNSM confirms the occupational origin of the pleural mesotheliomas observed in excess on the sector.

Contexte

Le pays Roussillonnais, situé dans le département de l’Isère, à 50 kilomètres au sud de Lyon, est un des trois secteurs « multi-exposés » identifiés en région Auvergne Rhône-Alpes (ARA). Il concentre un des principaux sites chimiques de France et un trafic routier dense (nationale 7 et autoroute A7 notamment) dans une zone relativement urbanisée. Plusieurs communes sont situées à proximité immédiate de la plateforme chimique.

Une mesure du deuxième Plan régional santé environnement (PRSE 2) a prévu la réalisation d’une étude de zone sur le pays Roussillonnais. Il s’agit d’une démarche d’évaluation des impacts des activités humaines sur l’environnement et des risques sanitaires inhérents pour les populations vivant sur la zone concernée. Elle est suivie par la Commission du suivi environnemental global du Pays Roussillonnais, comité de pilotage mis en place par le préfet de l’Isère en 2007.

Sur le plan sanitaire, des associations expriment depuis plusieurs années leur crainte d’un excès de cancers liés à l’environnement. Ces craintes ont été plusieurs fois relayées par la presse locale.

Dans ce contexte, la Commission du suivi environnemental global du Pays Roussillonnais a sollicité la Cellule d’intervention en région (Cire) Rhône-Alpes en 2007 pour la réalisation d’une étude épidémiologique visant à déterminer si les activités de la zone industrielle de Roussillon étaient à l’origine d’un excès d’incidence des cancers et de mortalité par cancer parmi la population des communes riveraines. Cette étude portant sur les années 1993 à 2002 ne concluait pas à un excès global de cancers, mais montrait un niveau élevé de mésothéliomes de la plèvre sur le secteur de Roussillon 1. En 2015, suite aux inquiétudes des riverains à nouveau relayées par les médias, l’Agence régionale de santé et la sous-préfecture de l’Isère ont saisi l’Institut de veille sanitaire (devenu Santé publique France) pour que la Cire actualise cette étude sur l’incidence des cancers et la mortalité par cancer autour de la plateforme chimique de Roussillon. Cette actualisation, qui confirme et approfondit les résultats de la précédente étude, a fait l’objet d’un rapport publié en décembre 2017 2. L’objet du présent article est de compléter ces résultats, purement descriptifs, par une étude de type étiologique visant à préciser la cause des cancers retrouvés en excès.

Méthode et sources de données

Étude descriptive

L’étude descriptive, sur le modèle de celle réalisée en 2007, recherche s’il existe une sur-incidence des cancers ou une surmortalité par cancer autour de la plateforme chimique de Roussillon sur la période 2003-2013. Elle repose sur le calcul du standardized mortality ratio (SMR) et du standardized incidence ratio (SIR), qui sont les rapports entre le nombre de décès (ou de cas) observés dans la population étudiée et le nombre de décès (ou de cas) attendus dans cette population si celle-ci connaissait à chaque âge les conditions de mortalité (ou d’incidence) d’une population de référence. Dans cette étude, la population de référence est celle du département de l’Isère.

Les ratios standardisés sont accompagnés d’intervalles de confiance à 95% (IC95%), calculés selon l’approximation de Byar puis ajustés pour prendre en compte une éventuelle surdispersion des données supérieure à la variance du modèle théorique 3.

Les localisations cancéreuses d’intérêt

Elles sont définies au regard :

des résultats de la précédente étude réalisée en 2007 ;

des associations avérées ou suspectées dans la littérature scientifique entre les polluants chimiques identifiés dans l’étude environnementale réalisée sur le secteur et certaines localisations cancéreuses. Dans le cadre de l’étude environnementale, 35 composés ont été sélectionnés comme traceurs de risques pour le milieu air qui ont permis une hiérarchisation en deux classes des polluants à prendre en compte dans les analyses sanitaires 4,5,6,7 (tableau 1) ;

des localisations cancéreuses les plus fréquentes en termes d’incidence et/ou de mortalité dans la population française.

Tableau 1 : Polluants identifiés sur le secteur de Roussillon et risque de cancer associé*
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Finalement, outre l’ensemble « tous cancers », les localisations retenues dans cette étude sont : le mésothéliome de la plèvre, retrouvé en excès dans l’étude de 2007, les cancers du poumon, du larynx, de la vessie, de l’œsophage, de l’ovaire, de l’entité lèvres-bouche-pharynx, du rein, du foie, de l’estomac, les leucémies, les lymphomes et les myélomes, compte tenu des polluants identifiés sur le secteur, ainsi que les cancers du sein, de la prostate, du colon et du rectum et du pancréas, compte tenu de leur fréquence élevée dans la population française.

Définition de la zone d’étude

La zone d’étude est constituée des mêmes communes que dans l’étude précédente. Situées autour de la plateforme chimique, elles sont a priori les plus impactées par ses activités compte tenu de leur proximité avec celle-ci et de la direction des vents, orientés très majoritairement dans l’axe de la vallée du Rhône. Les communes retenues sont Saint-Maurice-l’Exil, Roussillon, Le Péage-de-Roussillon, Salaise-sur-Sanne, Sablons et Chanas. Ces six communes totalisent 28 115 habitants (figure).

Figure : Le secteur de Roussillon, en Isère
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Étude étiologique

L’étude repose sur une exploitation de l’enquête « exposition » réalisée dans le cadre du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) auprès des personnes atteintes d’un mésothéliome de la plèvre (cf. sources de données). Elle permet de préciser les expositions à l’amiante des personnes atteintes d’un mésothéliome de la plèvre.

Sources de données

L’Isère est l’un des 13 départements français disposant d’un registre général des cancers. Le registre de l’Isère a transmis pour cette étude les nombres de cancers incidents par sexe, âge et localisation cancéreuse pour chaque commune du département sur la période 2003-2013.

Les données de mortalité sont produites sur tout le territoire national par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Inserm à partir des certificats de décès. Le CépiDc a transmis les effectifs de décès par sexe, âge et localisation cancéreuse, pour chaque commune du département de l’Isère sur la période 2003-2013.

Les données démographiques par commune, tranches d’âge quinquennal et par sexe proviennent des recensements des années 1999, 2007 et 2012 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Le dispositif national de surveillance des mésothéliomes comprend la mise en place de la déclaration obligatoire des mésothéliomes depuis 2012 et le développement du PNSM depuis 1998. Placé sous la responsabilité de Santé publique France, le PNSM constitue un système de surveillance épidémiologique des effets de l’amiante sur la santé de la population française, par le suivi permanent des tumeurs primitives de la plèvre. Il est déployé dans 21 départements français, dont l’Isère. Il a pour objectif notamment d’étudier la proportion de cas de mésothéliomes attribuables à une exposition à l’amiante. Pour ce faire, chaque malade est interrogé rétrospectivement sur tous les domiciles et établissements scolaires fréquentés, son parcours professionnel, avec les tâches effectuées dans chaque emploi, ainsi que ses activités extraprofessionnelles (bricolage par exemple). Les réponses permettent d’évaluer l’exposition professionnelle ou extra-professionnelle vie entière à l’amiante pour chaque malade 8.

Résultats

Incidence des cancers et décès par cancer sur la zone d’étude

Sur la période 2003-2013, le nombre de nouveaux cas de cancer (toutes localisations confondues) parmi les habitants des six communes de la zone d’étude a été de 1 910, dont 1 123 chez l’homme et 787 chez la femme. Sur cette même période, 848 personnes (525 hommes et 323 femmes) domiciliées dans une de ces communes sont décédées d’un cancer (tableau 2).

Tableau 2 : Population moyenne, nombres cumulés de cancers incidents et de décès par cancers selon le sexe dans les six communes de la zone d’étude et le département de l’Isère entre 2003 et 2013
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Comparaison des niveaux d’incidence des cancers et de mortalité par cancer dans la zone d’étude avec ceux de l’Isère

Analyse « tous cancers »

Les analyses portant sur l’ensemble des cancers (toutes localisations de cancers confondues) ont été déclinées pour chacune des six communes puis sur l’ensemble des six communes, pour chaque sexe.

Pour l’incidence, comparée à la situation du département de l’Isère, un excès significatif des cas de cancers est observé dans la commune de Saint-Maurice-l’Exil chez les hommes (SIR=1,24 [1,03-1,48]). Une sous-incidence est observée au Péage-de-Roussillon chez les femmes (SIR=0,85 [0,71-1,00]).

Pour l’ensemble des six communes, le ratio standardisé d’incidence est légèrement supérieur à 1 (SIR=1,08 [1,00-1,17]) chez les hommes. Il n’est pas différent de la moyenne départementale (SIR=0,98 [0,90-1,06]) chez les femmes (tableau 3).

Tableau 3 : Ratios standardisés d’incidence “tous cancers” sur la période 2003-2013 dans les six communes de la zone d’étude
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Pour la mortalité, les SMR varient de 0,78 chez les femmes de la commune de Péage-de-Roussillon à 1,37 chez les hommes de Sablons (non significatif) ainsi que chez les femmes de Salaise-sur-Sanne (significatif).

Pour l’ensemble des six communes, les SMR sont supérieurs à 1 chez les hommes (SMR=1,11 [0,99-1,24]) et chez les femmes (SMR=1,03 [0,91-1,15]). Toutefois, ces SMR ne sont pas statistiquement différents de 1, ce qui traduit des niveaux de mortalité par cancer sur la zone d’étude non différents de ceux observés dans le département de l’Isère (tableau 4).

Tableau 4 : Ratios standardisés de mortalité « tous cancers » sur la période 2003-2013 dans les six communes de la zone d’étude
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Analyses par localisations cancéreuses

Les analyses par localisation ont été réalisées pour chaque sexe, uniquement au niveau de l’ensemble des six communes en raison d’effectifs souvent faibles.

Pour l’incidence, le mésothéliome de la plèvre ressort en excès chez l’homme avec un SIR significatif de 5,64 [3,68-8,21] (SIR non significatif de 2,51 [0,68-6,44] chez la femme) (tableau 5)

Tableau 5 : Ratios standardisés d’incidence par localisation cancéreuse sur la période 2003-2013 dans l’ensemble des six communes de la zone d’étude
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Pour la mortalité, le mésothéliome de la plèvre ressort en excès chez l’homme avec un SMR significatif de 5,75 [3,75-8,40] (SMR non significatif de 2,74 [0,88-6,39] chez la femme). De façon moins marquée, une surmortalité significative par cancers du poumon et du larynx est observée chez les hommes (SMR=1,22 [1,00-1,47]) et les femmes (SMR=1,61 [1,18-2,13]) (tableau 6).

Tableau 6 : Ratios standardisés de mortalité par localisation cancéreuse sur la période 2003-2013 sur l’ensemble des six communes de la zone d’étude
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En termes d’incidence comme de mortalité, on ne retrouve pas d’autres localisations cancéreuses en excès sur la zone d’étude.

L’importance du mésothéliome sur le secteur de Roussillon est telle (29 cas observés chez l’homme, contre 5 attendus), que ce cancer habituellement rare contribue de manière significative à la légère sur-incidence de 8% observée dans l’analyse « tous cancers » chez l’homme. De fait, une analyse de l’incidence « tous cancers sauf mésothéliome » conduit à un SIR de 1,06 [0,98-1,14] non significativement différent de la moyenne départementale.

Analyse des questionnaires de l’enquête PNSM

Dans le cadre du PNSM, 33 cas (29 hommes et 4 femmes) dont le diagnostic de mésothéliome de la plèvre a été posé entre 2003 et 2013 étaient domiciliés dans l’une des communes du secteur. Parmi ceux-ci, 19 ont bénéficié d’une enquête standard (enquête réalisée avec le patient), 4 ont bénéficié d’une enquête plus légère réalisée avec un proche et 10 n’ont pas pu être interrogés.

Parmi les 19 cas ayant bénéficié d’une enquête standard, 18 ont été exposés professionnellement à l’amiante de façon probable ou très probable. Parmi ces 18 cas, 17 ont déclaré avoir été exposés dans une entreprise de la plateforme chimique de Roussillon et un cas a été exposé dans une autre entreprise située à quelques kilomètres.

Pour le seul cas non exposé professionnellement, le questionnaire indique une exposition extraprofessionnelle à l’amiante très probable.

Discussion – conclusion

Cette étude ne confirme pas les craintes d’un excès global de cancers dans les communes voisines de la plateforme chimique de Roussillon : les analyses portant sur l’ensemble des cancers montrent chez les hommes une légère sur-incidence (+8%) et un niveau de mortalité qui n’est pas statistiquement différent de la moyenne du département de l’Isère. Chez les femmes, l’incidence et la mortalité par cancer sont au même niveau que dans le département de l’Isère. Précisons que le département de l’Isère, qui tient lieu de référence, est lui-même un département en situation favorable dans le contexte national pour le cancer 9.

En revanche, le mésothéliome de la plèvre ressort nettement en excès sur la zone d’étude : le risque, en termes d’incidence et de mortalité, est multiplié par plus de 5 chez les hommes (résultat significatif) et par 2,5 chez les femmes (non significatif). De façon moins marquée, une légère surmortalité par cancer du poumon et du larynx est observée pour les deux sexes. Aucun autre cancer n’est retrouvé en excès sur le secteur. Les pathologies autres que les cancers n’ont pas été étudiées dans le cadre de ce travail.

Les résultats concernant le mésothéliome orientent vers l’hypothèse d’une exposition à l’amiante. L’amiante est le seul facteur de risque reconnu pour ce cancer et la part attribuable à une exposition professionnelle est estimée entre 75% et 92% chez les hommes et entre 25% et 58% chez les femmes 10,11,12. Cette hypothèse a pu être confirmée par l’analyse des questionnaires PNSM qui montre que, sur 19 cas domiciliés dans le secteur au moment de leur diagnostic entre 2003 et 2013 et ayant pu être interrogés sur leurs expositions passées, 18 ont été exposés professionnellement à l’amiante dont 17 au sein d’une entreprise de la plateforme chimique de Roussillon. La part attribuable des expositions professionnelles à l’amiante dans la survenue des mésothéliomes sur le secteur de Roussillon se situe ainsi dans la fourchette haute des estimations nationales.

L’exposition à l’amiante pourrait aussi expliquer l’excès de mortalité par cancer du poumon et du larynx. En effet, si le tabagisme est de très loin le principal facteur de risque de ces cancers, des études indiquent qu’en France 5 à 18% des cancers incidents du poumon chez l’homme (1 à 2% chez la femme) et 5 à 33% des cancers du larynx chez l’homme (1 à 5% chez la femme) seraient attribuables à une exposition professionnelle à l’amiante 10,11,12. La part attribuable des expositions professionnelles à l’amiante dans la survenue des cancers du poumon et du larynx sur le secteur de Roussillon est inconnue en l’absence d’enquête retraçant les expositions des patients atteints par ces cancers, mais elle se situe vraisemblablement, comme pour les mésothéliomes, dans la fourchette haute des estimations nationales, contribuant ainsi au léger excès de ces cancers.

Indépendamment des expositions professionnelles, le simple fait de résider à proximité d’un site industriel utilisant de l’amiante peut être un facteur de risque d’exposition à l’amiante comme cela a été observé, dans de rares cas, autour d’entreprises de broyage ou de transformation de ce matériau 13. Cette situation est peu probable à Roussillon, où l’amiante a été utilisée comme isolant thermique. Cette utilisation de l’amiante expose les travailleurs mais n’est pas à l’origine d’un rejet de fibres dans l’environnement pouvant conduire à des expositions environnementales des riverains. Les résultats de l’enquête PNSM sur le secteur de Roussillon vont également dans ce sens, puisque tous les cas de mésothéliomes qui ont pu être interrogés rapportent une exposition à l’amiante dans un cadre professionnel.

Ainsi, le fait de résider autour de la plateforme chimique de Roussillon n’apparait pas associé à un excès global de cancers ni à un excès de cancers d’origine environnementale. Les seules localisations cancéreuses retrouvées en excès sur le secteur partagent l’exposition professionnelle à l’amiante comme facteur de risque. La quasi-totalité des mésothéliomes et sans doute une part des cancers du poumon et du larynx en excès sur le secteur affectent des anciens salariés de la plateforme chimique qui ont été exposés dans le cadre de leur activité professionnelle.

Cette étude illustre la complémentarité des données d’un registre des cancers et de l’enquête PNSM pour mesurer, à un niveau local, les conséquences sanitaires de l’utilisation professionnelle de l’amiante. Compte tenu du fait qu’il a pu subsister des fibres d’amiante sur le site après l’arrêt de son utilisation en 1996 et des délais, généralement de plusieurs décennies, entre exposition à l’amiante et survenue des cancers, des cas en excès de mésothéliomes et probablement de cancers du poumon et du larynx pourraient encore être observés pendant plusieurs années sur le secteur de Roussillon. Après une longue procédure administrative, la plateforme a été reconnue « site classé amiante » début 2018, classement ouvrant des droits aux salariés et anciens salariés de ces entreprises.

Références bibliographiques

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Remerciements

Pr Béatrice Fervers (Centre Léon Bérard, Université Lyon) et Pr Alain Bergeret (Service de médecine du travail, Centre Hospitalier Lyon-Sud) pour leur expertise sur les cancers professionnels, Édouard Chatignoux (Santé publique France, direction des maladies non transmissibles et des traumatismes) et Abdessattar Saoudi (Santé publique France, direction santé environnement) pour leur expertise statistique, Laurence Cherié Challine et Anabelle Gilg Soit Ilg (Santé publique France, direction santé travail) qui nous ont transmis les exploitations de l’enquête PNSM en Isère.

Citer cet article

Pepin P, Yvon JM, Saura C. Cancers autour de la plateforme chimique de Roussillon (Isère). Bull Epidémiol Hebd. 2019;(16):301-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/16/2019_16_3.html