Étude rétrospective des envenimations par les méduses en Guadeloupe entre 2010 et 2016 : peut-on parler de syndrome d’Irukandji ?

// Retrospective study of jellyfish envenomation in emergency wards in Guadeloupe (French West Indies) between 2010 and 2016: can it be an Irukandji syndrome?

Denis Boucaud-Maitre1 (denis.boucaud@gmail.com), Djoudi Bouyer-Monot2, Serge Ferracci3, Stéphane Pelczar2
1 Dispositif de toxicovigilance Antilles, Centre hospitalier de Basse-Terre, Guadeloupe, France
2 Pôle médecine, Centre hospitalier de Basse-Terre, Guadeloupe, France
3 Pôle urgences et soins critiques, Centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, France
Soumis le 03.10.2017 // Date of submission: 10.03.2017
Mots-clés : Syndrome d’Irukandji | Envenimation | Guadeloupe | Méduse
Keywords: Irukandji syndrome | Envenomation | Guadeloupe | Jellyfish

Résumé

Introduction –

En Guadeloupe, de nombreuses intoxications marines sont observées, en particulier causées par les méduses dont les piqûres peuvent entraîner un syndrome d’Irukandji (SI). L’objectif de cette étude était d’analyser les caractéristiques cliniques des SI à partir des cas d’envenimations reçus dans les services d’urgence des deux hôpitaux publics de la Guadeloupe, et de comparer les cas de SI aux cas de piqûres simples.

Méthodes –

Tous les cas correspondant à une envenimation par une méduse ont été extraits à partir des bases de données des urgences entre le 1er janvier 2010 et le 1er septembre 2016. Le SI était défini par un contact évoqué avec une méduse et au moins un signe parmi les suivants : céphalée, nausée, anxiété, vomissements, sueurs, agitation, crampes musculaires des quatre membres, douleurs intenses lombo-sacrées ou thoraco-abdominales.

Résultats –

Deux-cent-onze envenimations ont été répertoriées, parmi lesquelles 45,0% se sont produites entre le 22e et le 26e jour de lune des mois de juin à septembre. Quatre-vingt-quinze patients avaient un SI, dont 3 ont présenté un œdème de Quincke et 1 une décompensation cardiaque. D’autres signes cliniques ont été associés à un SI comparativement aux cas de piqûre simples : l’hypertension artérielle (51,6% vs 18,1%, p <0,001), les tremblements (32,6% vs 14,7%, p=0,0014), les paresthésies (20,0% vs 10,3%, p=0,049), les dyspnées (13,7% vs 3,4%, p=0,006) et l’intensité de la douleur selon l’échelle visuelle analogique (7,5 ± 2,6 vs 6,0 ± 2,6, p=0,001).

Discussion-conclusion –

Dans les services d’urgences de la Guadeloupe, l’envenimation par les méduses était fréquemment associée à un SI. Celui-ci serait principalement dû à l’espèce Alatina alata, dont la périodicité de l’occurrence est corrélée aux saisons et au cycle lunaire. Si les patients présentaient une symptomatologie légèrement moins grave que celle observée dans des études australiennes, un cas de décompensation cardiaque, le premier hors du Pacifique, a été relevé.

Abstract

Introduction –

In Guadeloupe (French West Indies), many marine envenomations caused by jellyfish are observed, some of them might induce an Irukandji syndrome (IS). The aim of this study was to analyze the clinical features of IS from the envenomation’s cases observed in emergency wards of two Guadeloupe’s public hospitals, and to compare them to non-Irukandji stings.

Methods –

All jellyfish envenomation’s cases between the 1 January 2010 and the 1 September 2016, from the emergencies database were analysed. IS case has been defined by a jellyfish sting followed by one of the symptoms among: headache, severe lumbosacral, thoracic or abdominal pain, muscle cramps of the four limbs, profuse sweating, anxiety, restlessness, nausea, or vomiting.

Results –

Two hundred and eleven envenomations were extracted, 45.0% of them happened between the 22nd and the 26th day of the lunar phase from June to September. Ninety five patients had an IS. Three of them had Quincke’s oedema and one a cardiopulmonary failure. Other clinical signs were associated with IS compared to other sting cases, including hypertension (51.6% vs 18.1%, p <0.001), tremor (32.6% vs 14.7%, p=0.0014), paresthesia (20.0% vs 10.3%, p=0.049), dyspnea (13.7% vs 3.4%, p=0.006), and the pain evaluation by the visual analogue pain scale (7.5 ± 2.6 and 6.0 ± 2.6, p=0.001).

Discussion-conclusion –

Jellyfish’s envenomation is frequently associated with IS in Guadeloupean’s emergencies wards. This could be mainly associated to the species Alatina alata, whose periodicity can be determined according to the months and the cycle of the moon. If patients showed symptoms slightly less severe than those observed in Australian studies, a case of cardiac decompensation, the first out of the Pacific, was reported.

Introduction

L’épidémiologie des intoxications dans les Antilles françaises est peu décrite dans la littérature malgré l’existence de spécificités fortes en termes de faune, de flore et de médecine traditionnelle. La Guadeloupe est sujette à un fort taux d’intoxications ou envenimations d’origine animale. Elles représentent près de 20% de l’ensemble des intoxications prises en charge aux urgences, soit dix fois plus qu’en métropole 1. En raison de l’insularité de cette région, de nombreuses envenimations ou intoxications d’origine marine sont observées, causées essentiellement par les poissons lions, la ciguatera et les cnidaires (méduses ou physalies). Ces derniers seraient responsables d’environ 10% des envenimations ou intoxications animales prises en charge dans les services d’urgences de Guadeloupe 1. Si, dans la plupart des cas, les piqûres de méduses sont bénignes, des symptômes généraux peuvent apparaître et entraîner une consultation chez le médecin généraliste ou dans un service d’urgence. Ces symptômes généraux ont déjà été décrits en Guadeloupe dans un cas clinique comme étant probablement un syndrome d’Irukandji (SI) 2. Ce cas clinique associait une piqûre de méduse d’intensité modérée, avec disparition rapide des symptômes locaux, à d’intenses douleurs abdominales et lombaires et à des contractures musculaires, une dyspnée, une obnubilation et une diaphorèse, apparues après un intervalle libre de vingt minutes.

Le SI a commencé à être décrit en Australie dans les années 1950. En effet, de nombreux baigneurs sortaient de l’eau avec un tableau associant de nombreux signes cliniques, en particulier des douleurs intenses, des crampes musculaires généralisées, des nausées, des vomissements, de l’anxiété, de l’agitation, des céphalées, une diaphorèse et une sensation de mort imminente. En 1952, ces signes ont été regroupés par H. Flecker 3 en un syndrome appelé « Irukandji », terme issu d’une tribu aborigène australienne éponyme vivant au sud de Cairns. Depuis, la définition du SI n’a cessé d’évoluer au fur et à mesure des études dédiées, et le SI a été décrit bien au-delà de l’Australie, dans le Pacifique (Thaïlande, Indonésie, Philippines, Malaisie), en Floride ou à Hawaï 4. Ce syndrome peut entraîner de graves complications. De nombreux cas de décompensation cardiaque avec œdème pulmonaire aigu ont été décrits dans la littérature, en particulier chez des patients jeunes sans comorbidité 5, et deux décès par hémorragie intracérébrale ont été rapportés 6.

De nombreuses espèces de méduses ont été décrites comme étant la cause du SI 4. La plupart d’entre elles appartiennent à la classe des Cubozoa, comme Alatina alata (anciennement dénommée Carybdea alata) et Carukia barnesi. En Guadeloupe, les différentes espèces de méduses présentes dans l’archipel n’ont pas été décrites. Cependant, quelques observations sous-marines permettent de se rendre compte de la présence de multiples espèces comme Aurelia aurita, Cassiopea xamachana, Alatina alata et, plus rarement, Physalia physalis. Ces deux dernières espèces sont les seules couramment admises comme étant responsable du SI en Guadeloupe, même si la responsabilité de Physalis physalis dans les SI reste débattue 4.

En raison du nombre élevé de cas d’envenimation par les méduses observé dans les services d’urgence de Guadeloupe depuis quelques années, une étude rétrospective des cas d’envenimation sur la période 2010-2016 a été réalisée. L’objectif principal était d’analyser les cas de SI se présentant aux urgences des deux hôpitaux publics de la Guadeloupe, à savoir le Centre hospitalier de Basse-Terre (CHBT) et le Centre hospitalo-universitaire de Pointe-à-Pitre (CHU). L’objectif secondaire était de comparer les envenimations entraînant un SI avec celles n’en entraînant pas. L’intérêt de cette étude était de contribuer à améliorer la prévention, le diagnostic et la prise en charge thérapeutique de ce syndrome fréquent et méconnu.

Matériel et méthodes

Il s’agit d’une étude descriptive rétrospective des passages aux urgences pour envenimation par méduses entre le 1er janvier 2010 et le 1er septembre 2016. Les cas ont été extraits des bases de données des urgences des deux hôpitaux par recherche du mot-clé « méduse ». Seuls les cas correspondants à une envenimation de moins de 24 heures ont été retenus. Chaque dossier a été examiné par le même médecin afin de documenter les caractéristiques démographiques (âge, sexe, date et lieu de l’envenimation), les antécédents médicaux, les résultats biologiques (si disponibles) et la prise en charge thérapeutique. Les signes diagnostiques du syndrome d’Irukandji ont été recherchés ainsi que les signes catécholaminergiques (tension, pouls, diaphorèse), l’échelle visuelle analogique (EVA) à l’entrée et tout autre signe clinique, particulièrement la présence de tremblements, de paresthésies, d’une dyspnée, de signes allergiques graves et d’une décompensation cardiaque. Le jour de lune correspondant au jour d’envenimation a également été recherché.

Pour l’évaluation de la gravité des cas, l’échelle du Poisoning Severity Score (PSS) 7 a été utilisée, graduée de 0 à 4 (0 correspondant à une absence d’intoxication, 1 à une intoxication bénigne, 2 à une intoxication modérée, 3 à une intoxication sévère et 4 à une intoxication fatale).

Un SI était défini comme un contact évoqué avec une méduse et au moins un des signes suivants : céphalée, nausée, anxiété, vomissements, sueurs, agitation, crampes musculaires des quatre membres, douleurs intenses lombo-sacrées ou thoraco-abdominales 8.

La comparaison des cas de SI avec les cas n’en présentant pas a été effectuée par un test du Chi2 pour les variables qualitatives et par un test de Student ou un test de Mann-Whitney pour les variables quantitatives. Les données manquantes n’ont pas été imputées. Pour les p-values, un seuil de 0,05 a été considéré comme un indicateur de significativité. Toutes les analyses ont été effectuées avec le logiciel R version 3.0.2.

Résultats

Caractéristiques générales des envenimations

Le nombre de patients dont le dossier comportait le mot « méduse » était de 215. Parmi eux, 211 avaient une envenimation suspectée datant de moins de 24 heures. La grande majorité des envenimations a été prise en charge au CHBT (n=156, soit 73,9%) et non au CHU de Pointe-à-Pitre (n=55 soit 26,1%), qui accueille pourtant trois fois plus de patients aux urgences. L’âge moyen des patients était de 33 ± 18 ans, avec une médiane à 30 ans. La majorité des patients était des hommes, avec un sex-ratio H/F de 1,45.

Le nombre d’envenimations a diminué entre 2010 et 2016. En 2010, année où le plus grand nombre d’envenimations a été recensé, 57 cas ont été pris en charge aux urgences. En 2011, il y a eu 41 envenimations, puis 30 en 2012, 27 en 2013, 31 en 2014, 20 en 2015 et 6 en 2016 (du 1er janvier au 1er septembre).

Pendant la période de juin à septembre, le risque de venir aux urgences pour une piqûre de méduse était multiplié par 1,71 (intervalle de confiance (IC) à 95% : [1,37-2,15]) comparativement au risque annuel. Entre le 22e et le 26e jour de lune, 155 cas (73,5%) se sont produits (figure). Durant cette période de cinq jours, le risque de venir aux urgences pour une piqûre de méduse était multiplié par 4,35 [IC95%: 3,19-5,94] comparativement au risque mensuel. En combinant ces deux périodicités, 45,0% des piqûres ont eu lieu sur 20 jours dans l’année (du 22e au 26e jour de lune, de juin à septembre), ce qui représentait un risque relatif de 8,00 [3,48-18,37].

Figure : Répartition quotidienne du nombre de passages aux urgences pour envenimation par méduses (N=211) en fonction du jour de lune, Guadeloupe, 1er janvier 2010-1er septembre 2016
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Envenimations associées à un SI

Sur l’ensemble des passages aux urgences pour envenimation par méduses, 95 SI ont été observés, soit 45,0%. Parmi les neuf signes diagnostiques associés au SI, près de la moitié des cas de SI présentaient une diaphorèse, plus d’un tiers une douleur thoraco-abdominale et un quart de l’anxiété ; 1 cas de SI sur 5 présentait une lombo-sacralgie. En revanche, les nausées, l’agitation et la céphalée étaient peu fréquentes (tableau 1). L’ensemble des symptômes douloureux (douleurs lombo-sacrées, thoraco-abdominales, crampes musculaires et céphalées) concernait 67 patients, soit 70,5%. La majorité des 95 cas de SI présentait un (38,9%) ou deux (21,1%) signes diagnostiques. Le nombre moyen de signes diagnostiques était de 2,2 ± 1,4 signes.

Tableau 1 : Signes diagnostiques relevés dans les cas de syndromes d’Ikurandji (SI), Guadeloupe, 1er janvier 2010-1er septembre 2016
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Plusieurs cas graves ont été décrits, aucun n’ayant été mortel. Trente-cinq patients ayant un SI présentaient un score de gravité (PSS) à 3, principalement dû à une hypertension sévère (>180/110), une tachycardie sévère (>180 pulsations/min) ou à des douleurs extrêmes. Trois patients ont eu un œdème de Quincke et 1 une décompensation cardiaque. Le cas de décompensation cardiaque était un homme de 54 ans sans antécédent noté, pris en charge devant des douleurs extrêmes apparues à la suite de quatre piqûres de méduse. Les signes notés dans le dossier du patient étaient : une EVA à 10/10, des crampes abdominales, des douleurs thoraciques diffuses, une diaphorèse, une agitation et une tension artérielle systolique (TAS) à 160/110 mmHg. Cinq heures après le début de la prise en charge, la symptomatologie persistait, avec une TAS à 221/106 et le diagnostic d’œdème aigu pulmonaire (OAP) a été posé. Le patient est sorti après 48 heures d’hospitalisation.

Comparaison entre les cas de SI et les envenimations simples

Le risque de développer un SI par rapport à une envenimation simple semblait plus important du 22e au 26e jour de lune : 80,0% vs 68,1% (tableau 2).

Les patients « SI » présentaient une EVA moyenne plus élevée que les patients avec envenimation simple (7,5 ± 2,6 vs 6,0 ± 2,6, p=0,001). Parmi les signes cliniques autres que ceux du SI, les patients du groupe SI ont présenté davantage de tremblements (32,6% vs 14,7%, p=0,0014), de paresthésies (20,0% vs 10,3%, p=0,049), de dyspnées (13,7% vs 3,4%, p=0,006) et une TAS moyenne plus élevée (142,2 ± 22,6 mmHg vs 125,5 ± 15,4 mmHg, p<0,01) que les patients avec envenimation simple. Les patients ayant un SI avaient un score de gravité moyen plus élevé que les patients avec envenimation simple (2,0 ± 1,0 vs 1,1 ± 1,1, p<0,001). Les patients du groupe SI ont eu plus souvent un ECG (27,4% vs 3,4%, p<0,001) que les patients avec envenimation simple. Enfin, ils ont reçu plus souvent de la morphine (18,9% vs 4,3%, p<0,001) et des benzodiazépines (41,1% vs 9,5%, p<0,001) que les patients avec envenimation simple. En revanche, le paracétamol, les antalgiques de palier 2, les corticoïdes, l’hydroxyzine et les autres antihistaminiques n’ont pas été prescrits différemment dans les deux groupes.

Tableau 2 : Comparaison entre les cas de syndromes d’Ikurandji (SI) et les envenimations simples concernant la périodicité, les signes cliniques et la prise en charge thérapeutique, Guadeloupe, 1er janvier 2010-1er septembre 2016
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Discussion

Cette étude a montré que le SI était observé, sur la période d’étude, dans près de la moitié (45%) des passages aux urgences pour envenimation par méduses en Guadeloupe. Les symptômes rencontrés lors d’un SI en Guadeloupe sont concordants avec ceux décrits dans la littérature, notamment en Australie 8,9. Dans notre étude, le symptôme dominant le tableau était les douleurs (70,5% des cas de SI), ce qui est similaire à l’étude de T Carrette et coll. 8 (80% des cas). La TAS maximale moyenne était globalement la même (142,2 dans cette étude, pour 140 8 et 145 9 dans les études australiennes). Les antalgiques de palier 3 ont été plus fréquemment utilisés dans les études australiennes, à des doses en moyenne trois fois plus élevées (18,9% dans notre étude vs 74% dans celle de T Carrette 8 ; dose moyenne de morphine à 7,8 mg dans notre étude vs 25 mg 8 et 31 mg 9 dans les études australiennes).

Selon les protocoles antalgiques courants, au moins 50% des patients de notre série ayant eu un SI auraient dû recevoir un antalgique de palier 3, dans la mesure où l’EVA médiane était à 8. Cela pourrait donc refléter des habitudes différentes d’un service à l’autre. Dans l’étude de TT Huynh 9, plusieurs anomalies cardiaques ont été relevées : 25 patients (22%) avaient une troponine élevée, 11 (9,4%) avaient une anomalie à l’ECG (aucune anomalie décrite dans notre étude parmi le tiers des patients ayant eu un ECG), 6 patients (5,2%) avaient une échocardiographie anormale et 1 patient (0,9%) a eu une décompensation cardiaque globale. Dans notre étude, un OAP a été observé (1,0%). Le risque moyen de décompensation cardiaque lors d’un SI est estimé à 3% 10.

Cette étude soulève la question du manque de définition standardisée du SI, qui varie selon les auteurs et pour chaque série de cas. La définition de Carrette et Seymour de 2013 8 a été choisie dans le but de comparer notre série caribéenne avec l’étude la plus récente effectuée en Australie. Cette définition présente la faiblesse de considérer qu’un seul signe diagnostique suffit pour caractériser un SI, contrairement à d’autres études antérieures qui étaient plus restrictives (au moins deux ou trois signes cliniques) 11,12,13. La nausée et les céphalées prises isolément, connues pour être peu spécifiques, étaient peu associées au SI dans notre étude (<6%), alors qu’une EVA supérieure à 6, une HTA, des paresthésies, des tremblements ou une dyspnée étaient fréquents et corrélés à la présence du SI. À partir des données de notre étude, nous avons proposé une nouvelle définition du SI 14.

Enfin, une périodicité marquée des envenimations a été observée, d’une part entre juin et septembre et d’autre part en fonction du cycle de la lune (73% des envenimations se produisant entre le 22e et le 26e jour de la lune). Ce type de périodicité a déjà été observé à Hawaï, où l’espèce Alatina alata a été suspectée comme la cause principale de SI 15. Cette périodicité lunaire suggère que les envenimations ayant conduit les patients aux urgences seraient dues aussi à cette espèce de méduse, d’autant plus qu’elle a été formellement identifiée en plongée par deux biologistes eux-mêmes victimes d’un SI dans notre série. Cette périodicité pourrait être prise en compte pour mener des actions de prévention auprès des baigneurs, d’autant plus que les cas d’envenimations ont été bien localisés géographiquement (au sud de Basse-Terre).

Cette étude présente plusieurs limites en raison de son caractère rétrospectif. Les informations sur les cas ont pu être incomplètement décrites dans les dossiers, notamment ceux concernant les cas de SI, syndrome peu connu localement. Malgré une recherche sur six années, cette série de 211 patients ne permet pas d’évaluer précisément la fréquence des envenimations sévères pour les signes rares comme la décompensation cardiaque et les réactions allergiques graves.

Conclusion

La présence du SI en Guadeloupe, probablement dû à l’espèce de méduses Alatina alata, est confirmée par cette étude, avec une quinzaine de cas par an en moyenne. Une sensibilisation des médecins à ce syndrome méconnu pourrait être entreprise. Une périodicité marquée de survenue des cas, dépendante du cycle de la lune, a été mise en évidence, périodicité qui pourrait aussi être prise en compte dans des mesures de prévention. Si les patients de Guadeloupe ont présenté une symptomatologie légèrement moins grave que celle observée dans les études australiennes, un cas de décompensation cardiaque, le premier hors du Pacifique, a été relevé.

Références

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Citer cet article

Boucaud-Maitre D, Bouyer-Monot D, Ferracci S, Pelczar S. Étude rétrospective des envenimations par les méduses en Guadeloupe entre 2010 et 2016 : peut-on parler de syndrome d’Irukandji ? Bull Epidémiol Hebd. 2018;(4):56-61. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/4/2018_4_1.html