Connaissance et utilisation de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes fréquentant les lieux de convivialité gay de cinq villes françaises. Prevagay 2015

// Pre-exposure prophylaxis awareness and use among men who have sex with men attending gay venues in five French cities. Prevagay 2015

Claire Sauvage1 (claire.sauvage@santepubliquefrance.fr), Leïla Saboni1, Cécile Sommen1, Nathalie Lydié1, Antonio Alexandre2, Florence Lot1, Annie Velter1 et le groupe Prevagay 2015*
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Équipe nationale d’intervention en prévention et santé pour les entreprises (Enipse), Paris, France
Soumis le 13.03.2018 // Date of submission: 03.13.2018
Mots-clés : Prophylaxie pré-exposition | PrEP | Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes | HSH | Lieux de convivialité gay
Keywords: Pre-exposure prophylaxis | PrEP | Men who have sex with men | MSM | Gay venues
* Le groupe Prevagay 2015 était composé d’Annie Velter, Antonio Alexandre, Francis Barin, Stéphane Chevaliez, David Friboulet, Marie Jauffret-Roustide, Florence Lot, Nathalie Lydié, Gilles Peytavin, Olivier Robineau, Leïla Saboni, Claire Sauvage et Cécile Sommen.

Résumé

La prévention de l’infection par le VIH est l’élément majeur de la lutte contre l’épidémie. En complément du préservatif, d’autres outils sont aujourd’hui disponibles et notamment la prophylaxie pré-exposition (PrEP) par un traitement antirétroviral (emtricitabine-tenofovir disoproxil fumarate, initialement disponible sous le nom de Truvada® puis sous formes génériques depuis mars 2017) qui, pris lors d’un rapport sexuel à risque, permet de diminuer le risque de contamination par le VIH.

L’objectif de cet article est d’évaluer la connaissance et l’utilisation de la PrEP qu’avaient les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) fréquentant les lieux de convivialité gay de cinq villes françaises, au dernier trimestre 2015, avant la mise en œuvre de la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) du Truvada® dans cette indication.

Prevagay 2015 est une étude de séroprévalence du VIH, anonyme et aléatoire, qui a permis de renseigner un questionnaire comportemental et de recueillir un prélèvement de sang auprès des HSH fréquentant les bars, saunas et backrooms de cinq villes françaises.

Au total, 2 164 HSH non séropositifs pour le VIH et résidant en France ont été retenus pour cette analyse. Parmi eux, 53% déclaraient avoir connaissance de la PrEP, principalement des hommes enquêtés à Nice ou Paris, âgés de 25 ans ou plus et ayant fait des études supérieures. Par ailleurs, 2,3% déclaraient avoir utilisé ce traitement préventif au cours des 12 derniers mois. La majorité d’entre eux s’était procuré la PrEP en participant à l’essai Ipergay (29%) ou par prescription médicale (27%).

Le niveau de connaissance de la PrEP, non optimal, peut s’expliquer par le fait que l’étude a été réalisée avant la RTU du Truvada® et donc avant les campagnes d’information institutionnelles. Cependant, s’agissant d’une population exposée aux messages de prévention, ces résultats incitent à poursuivre les actions d’information sur l’ensemble des outils de prévention, auprès de tous les publics HSH et notamment les plus éloignés de la communauté gay, afin que chacun puisse choisir sa protection de manière éclairée.

Abstract

Prevention of HIV infection is the main element in the fight against the epidemic. In addition to the condom, other tools are now available, including pre-exposure prophylaxis (PrEP) through an antiretroviral treatment (emtricitabine-tenofovir disoproxil fumarate, initially sold under the brand name Truvada®, then under generics forms from March 2017), treatment that, taken before or after unprotected intercourse with a condom can reduce the risk of HIV infection.

The aim of this study was to evaluate awareness and use of PrEP among men who have sex with men (MSM) attending gay venues in five French cities, in 2015, before the temporary recommendation for using Truvada® for a PrEP indication.

Prevagay 2015 is an anonymous and random HIV seroprevalence study, which collects information from a behavioral questionnaire and blood samples from men who have sex with men in bars, saunas and backrooms in five French cities.

A total of 2,164 non-HIV-positive MSM residing in France were selected for this analysis. Among them, 53% reported having knowledge of PrEP, mainly men surveyed in Nice or Paris, 25 years or older and having completed higher education. Besides, 2.3% reported using this preventive treatment in the last 12 months. The majority of them had obtained PrEP by participating in the Ipergay trial (29%) or by medical prescription (27%).

The level of knowledge of PrEP, rather weak, can be explained by the fact that the study was carried out before the temporary recommendation for using Truvada®, and before institutional information campaigns. However, concerning a population exposed to the prevention messages, these results encourage the pursuit of information actions on all prevention tools for all MSM public and in particular, those furthest from the gay community, so that everyone can choose their protection in an informed way.

Introduction

La prévention de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est l’élément majeur de la lutte contre l’épidémie 1. Si le préservatif reste le socle de la prévention comportementale, d’autres outils sont aujourd’hui disponibles pour une prévention dite combinée ou diversifiée. Cette stratégie consiste à y associer le dépistage et les traitements antirétroviraux : le traitement post-exposition (TPE) et le Treatment as Prevention (TasP). Les recherches scientifiques ont récemment prouvé l’efficacité d’une stratégie de prévention supplémentaire 2,3,4 : la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Elle consiste à proposer à des personnes à haut risque d’acquisition du VIH 5 de bénéficier d’un traitement antirétroviral (emtricitabine-tenofovir disoproxil fumarate, initialement disponible sous le nom de Truvada® puis sous formes génériques depuis mars 2017), de façon continue ou lors d’un rapport sexuel à risque, dans le but de diminuer le risque de contamination.

Le premier essai ayant mis en évidence l’efficacité de la PrEP chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) en prise continue est l’essai iPrEx, réalisé aux États-Unis et publié fin 2010 2. Mi-2012, la prescription de la PrEP a été rendue possible aux États-Unis, tandis que démarraient deux essais en Europe dans la population HSH : l’essai franco-canadien Ipergay (Truvada® à la demande) 3, puis l’essai Proud au Royaume-Uni (administration en continu) 4. Fin février 2015, les résultats de ces essais ont montré que la PrEP diminuait de 86% le risque de contamination par le VIH chez les HSH 3,4. Sur la base de ces éléments nouveaux, des recommandations d’un comité scientifique mis en place par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), des conclusions du groupe d’experts sur la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH 5 et de la décision de rembourser le médicament, l’ANSM a rendu effective la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) du Truvada® dans la PrEP le 4 janvier 2016. Une extension d’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été accordée à la spécialité (Truvada®) en août 2016 par la Commission européenne et mise en place en France au 1er mars 2017.

C’est dans ce contexte que l’étude Prevagay a été réalisée à Lille, Lyon, Montpellier, Nice et Paris, sous la responsabilité de Santé publique France et en partenariat avec l’Équipe nationale d’intervention en prévention et santé pour les entreprises (Enipse), les centres nationaux de référence (CNR) pour le VIH et les hépatites virales B, C et Delta et l’Inserm.

Cette étude a pour objectif d’évaluer la connaissance et l’utilisation de la PrEP des HSH fréquentant les lieux de convivialité gay au dernier trimestre 2015, avant la mise en œuvre de la RTU. À cette période, l’essai Ipergay était en cours en France (dans 4 des 5 villes enquêtées dans Prevagay) et plusieurs consultations PrEP ont été progressivement ouvertes (dans les hôpitaux Saint-Louis et Tenon à Paris, et l’Archet à Nice). Ainsi, ces données pourront contribuer à mesurer l’évolution de ces indicateurs de connaissance et d’utilisation de la PrEP ainsi que l’impact des campagnes d’information ultérieures. De plus, caractériser les HSH ayant connaissance de la PrEP et ceux l’ayant déjà utilisée doit permettre d’adapter le plus efficacement possible les modes de communication et d’offrir ainsi aux HSH un choix éclairé quant aux moyens de protection contre le VIH.

Méthodes

L’étude Prevagay 2015 est une étude de séroprévalence du VIH et des hépatites B et C, réalisée de septembre à décembre 2015 auprès des HSH fréquentant les lieux de convivialité gay de Lille, Lyon, Montpellier, Nice et Paris 6. La méthode d’échantillonnage probabiliste lieux-moments « Time-Location Sampling » (TLS) a été utilisée 7, permettant ainsi de réduire les biais inhérents à la sélection des lieux enquêtés. La méthodologie complète de l’étude a été précédemment décrite 8.

Déroulement de l’étude

Pour participer à l’étude, les hommes devaient être volontaires, âgés de 18 ans ou plus, lire et parler le français et avoir eu au moins un rapport sexuel avec un homme au cours des 12 derniers mois. Après avoir donné leur consentement éclairé, les HSH volontaires étaient invités à répondre à un questionnaire comportemental sur tablette électronique, puis à déposer huit gouttes de sang après ponction digitale sur un papier buvard. Le questionnaire recueillait les caractéristiques sociodémographiques des participants, des informations sur leur mode de vie, leur sexualité, leur santé, leur éventuel usage de drogues, leurs comportements de prévention et leur fréquentation des lieux de convivialité gay 6. Parmi la soixantaine de questions, trois concernaient la PrEP. Les HSH étaient interrogés sur leur connaissance de ce traitement : « Avez-vous entendu parler de la prophylaxie pré-exposition (PrEP), traitement qui pris avant et après un rapport non protégé par un préservatif peut réduire, chez une personne séronégative, le risque d’être contaminé par le VIH (par exemple, prise de Truvada® ou autre) ? » (Oui / Non) ; ainsi que sur leur éventuel recours à celui-ci : « Avez-vous déjà utilisé une prophylaxie pré-exposition (PrEP) (par exemple prise de Truvada® ou autre) ? » (Oui, au cours des 12 derniers mois / Oui, avant / Non). La troisième question portait sur le mode d’acquisition de la PrEP (participation à Ipergay / prescription médicale / auprès de personnes séropositives / sur Internet / autre).

Soixante établissements de convivialité gay des 5 villes ont participé à l’étude : 26 bars et clubs, 15 backrooms et sexclubs et 19 saunas. Au total 247 interventions ont été effectuées, durant lesquelles 5 324 HSH ont été invités à participer. La moitié d’entre eux a accepté, soit 2 658 hommes. L’analyse des données sur la connaissance et l’utilisation de la PrEP a été restreinte aux 2 164 HSH se déclarant non séropositifs pour le VIH et résidant en France.

Analyses statistiques

Les données ont été pondérées en tenant compte du poids de chaque établissement de convivialité gay (proportionnellement à sa file active), du poids individuel de chaque participant et du nombre de fréquentations des établissements investigués, selon la méthode généralisée du partage des poids (MGPP) 8. Dans les analyses, le plan de sondage à deux degrés et les poids de sondage ont systématiquement été pris en compte. L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel Stata® 12.1. Le test du Chi2 a été utilisé pour les comparaisons bivariées et la modélisation logistique pour identifier les associations en univarié et en multivarié. Seules les variables significatives jusqu’au seuil de 0,05 en univarié ont été retenues pour l’analyse multivariée.

Résultats

Les 2 164 HSH non séropositifs pour le VIH et résidant en France avaient un âge médian de 40 ans (IQ : [28-49]), 65% d’entre eux avaient fait des études supérieures, 71% n’avaient pas de problèmes financiers, 53% habitaient dans une commune de plus de 100 000 habitants et 82% s’identifiaient comme étant homosexuels.

Connaissance de la PrEP

Plus de la moitié des HSH (53%) ont déclaré avoir déjà entendu parler de la PrEP (tableau 1). Le niveau de connaissance était significativement plus élevé parmi les HSH enquêtés à Nice (57%) et Paris (59%), âgés de 25 ans et plus (56%), ayant fait des études supérieures (60%), vivant dans une ville de plus de 100 000 habitants (57%) et se définissant homosexuels (56%). La connaissance de la PrEP était également meilleure parmi les HSH fréquentant les backrooms et les lieux de drague extérieurs, ainsi que les sites de rencontre virtuelle (sites de rencontre gay sur Internet ou applications de rencontre gay géolocalisées). Plus le nombre de lieux de socialisation gay, avec ou sans échanges sexuels, fréquentés était important, plus la part de HSH informés de l’existence de la PrEP était élevée : 44% pour ceux ne fréquentant qu’un seul lieu vs 72% pour ceux fréquentant les six types de lieux (bar, sauna, backroom, lieu extérieur de drague, site Internet de rencontre gay et application de rencontre gay géolocalisée). Les HSH qui connaissaient le mieux la PrEP étaient également ceux qui avaient un fort risque d’exposition au VIH dans l’année, que ce soit en termes de nombre de partenaires, de non-usage du préservatif ou de pratique du chemsex (utilisation de drogues – GHB, amphétamines et méphédrone – pendant les relations sexuelles).

Tableau 1 : Connaissance de la PrEP selon les caractéristiques sociodémographiques, les modes de vie et les comportements sexuels, parmi les HSH se déclarant non séropositifs pour le VIH et résidant en France. Prevagay 2015, données pondérées
Agrandir l'image

L’analyse multivariée montre que la connaissance de la PrEP était associée au fait d’avoir été enquêté à Nice et Paris plutôt qu’à Lille, d’être âgé de 25 ans et plus, d’avoir fait des études supérieures, de se définir homosexuel, de fréquenter les sites de rencontre gay sur Internet, de pratiquer le chemsex et d’être vacciné contre l’hépatite B (VHB) par rapport à ceux qui ne connaissaient pas leur statut vaccinal.

Utilisation de la PrEP

Parmi les 2 164 hommes concernés par cette analyse, 2,3% avaient utilisé la PrEP dans l’année précédant l’étude (tableau 2). Il s’agissait davantage d’HSH en situation financière difficile (4%), qui fréquentaient les backrooms (4%), les sites de rencontre gay sur Internet (4%) et les applications de rencontre gay géolocalisées (3%). L’utilisation de la PrEP était également plus fréquemment rapportée par les HSH les plus exposés au VIH au cours des 12 derniers mois.

Tableau 2 : Utilisation de la PrEP au cours des 12 derniers mois, selon les caractéristiques sociodémographiques, les modes de vie et les comportements sexuels, parmi les HSH se déclarant non séropositifs pour le VIH et résidant en France. Prevagay 2015, données pondérées
Agrandir l'image

Dans le modèle ajusté, les facteurs indépendamment associés à l’utilisation de la PrEP au cours des 12 derniers mois étaient : la fréquentation des sites de rencontre gay sur Internet, la pratique de la pénétration anale non protégée (PANP) par un préservatif avec des partenaires de statut sérologique VIH différent ou inconnu, avoir eu au moins une infection sexuellement transmissible (IST) et avoir réalisé un test de dépistage de l’hépatite C (VHC) au cours des 12 derniers mois. Une association était également retrouvée entre le fait d’avoir utilisé la PrEP et le fait de se déclarer satisfait de sa vie sexuelle.

Parmi les HSH ayant utilisé la PrEP, les modalités pour se la procurer se répartissaient à parts égales : 29% en participant à l’essai Ipergay, 27% sur prescription d’un médecin (principalement à Paris, même si la différence n’était pas significative entre les villes), 26% auprès de personnes séropositives de leur entourage et 24% par un autre moyen que ceux cités, sans plus de précision. Aucun HSH n’a déclaré s’être procuré la PrEP par Internet.

Discussion

Quelques mois avant la mise à disposition de la PrEP dans le cadre de la RTU, Prevagay 2015 a permis de mesurer, pour la première fois, la connaissance et l’utilisation de la PrEP chez les HSH fréquentant les lieux de convivialité gay de cinq grandes villes françaises. Le fait de disposer de données de référence est important pour permettre de mesurer l’évolution de ces indicateurs et l’impact des campagnes d’information sur la prévention diversifiée menées par les associations et Santé publique France, ou l’impact des campagnes spécifiques sur la PrEP. La première édition de l’enquête « Rapport au sexe », menée en 2017 auprès d’HSH via Internet et les applications de rencontre gay, permettra de réévaluer le niveau de connaissance et a déjà permis de connaître l’utilisation de la PrEP lors du dernier rapport sexuel (chez 5% des répondants séronégatifs pour le VIH) 9.

La moitié (53%) des HSH interrogés avaient connaissance de la PrEP. Ce pourcentage semble faible pour une population qui, de par sa fréquentation des lieux de convivialité gay, a pu être exposée aux messages d’information sur la PrEP antérieurs à 2015 (1), que ce soit sous forme de flyers ou d’échanges avec les associations menant des actions de prévention dans ces lieux. Néanmoins, aucune annonce officielle n’avait encore été faite sur sa disponibilité. La connaissance de ce traitement était plus importante à Paris et Nice, villes dans lesquelles ont été recrutés des volontaires de l’essai Ipergay et où ont été ouvertes les premières consultations PrEP. Lille et Lyon étaient également des villes de recrutement de l’essai, mais la PrEP y était significativement moins connue des HSH. Cette moindre connaissance peut s’expliquer par l’inclusion à Lille et Lyon d’une population plus jeune qu’à Paris et Nice 6, l’âge étant effectivement un facteur associé à la connaissance de la PrEP. Par ailleurs, la proportion d’établissements investigués dans lesquels les relations sexuelles étaient possibles (saunas, backrooms), était plus importante à Nice et Paris qu’à Lyon et Lille. Or, la connaissance de la PrEP était significativement meilleure parmi les HSH qui fréquentaient ce type de lieux (55%) que parmi ceux ne fréquentant que les bars (45%).

La mise en perspective du niveau de connaissance de la PrEP observé dans notre étude avec ceux d’autres pays est à manier avec prudence du fait de contextes de mise à disposition de la PrEP et de diffusion de l’information propres à chaque pays, mais aussi en raison de méthodologies d’enquêtes différentes. Ainsi, aux États-Unis, deux ans après l’approbation de la PrEP par la FDA (US Food and Drug Administration), une enquête réalisée par les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) en 2014 dans les lieux de convivialité gay rapportait que 74% des HSH enquêtés à Washington et seulement 41% des HSH enquêtés à Miami avaient connaissance de la PrEP 10. Dans cette étude, les auteurs rapportaient une augmentation de la connaissance de la PrEP dans les deux villes depuis 2011, mais soulignaient les différences régionales plaidant pour une information sur la PrEP et des actions adaptées à chaque région.

Le profil des HSH ayant entendu parler de la PrEP dans notre enquête présentait des caractéristiques similaires aux autres études : ils étaient plus souvent diplômés et âgés de 25 ans et plus 11. D’autres facteurs décrits dans la littérature ont également été retrouvés dans Prevagay, mais uniquement en analyse univariée : le fait de résider dans une grande agglomération, de fréquenter la scène gay et de déclarer, au cours des 12 derniers mois, plusieurs partenaires sexuels et la réalisation d’au moins un test de dépistage du VIH 11,12,13. Le fait d’avoir réalisé un test de dépistage VIH dans l’année suggère une proximité avec les services de santé et, ainsi, une plus grande capacité d’appropriation des nouveaux outils de prévention. Par ailleurs, dans notre étude, les HSH dont le profil était concordant avec les critères de prescription de la PrEP 5, car à haut risque d’acquisition du VIH par voie sexuelle (PANP par un préservatif ou pratique du chemsex), rapportaient avoir une meilleure connaissance de la PrEP que les autres.

Ces résultats ne sont pas sans rappeler ceux décrits par M. Pollak dès 1987, où les HSH disposant d’un capital socioculturel élevé avaient rapidement adapté leurs comportements sexuels face au risque de la maladie 14. De nouveau, il est constaté un gradient social quant à la capacité des HSH à accéder aux informations sur les outils préventifs et à les comprendre.

L’étude Prevagay a montré que 2,3% des HSH avaient déjà eu recours à une PrEP dans l’année précédant l’étude. Cette faible proportion est en partie due à la chronologie, l’étude ayant eu lieu avant la mise à disposition du Truvada® puis des génériques dans cette indication. Le profil des HSH qui déclaraient s’être procurés la PrEP en dehors de l’essai Ipergay était similaire à celui des HSH inclus dans l’essai : 35 ans d’âge médian, un niveau d’études élevé et grands multipartenaires 15. Plus d’un quart des utilisateurs, en majorité des HSH enquêtés à Paris, ont déclaré s’être procuré la PrEP sur prescription médicale, alors que la première consultation n’a ouvert qu’en novembre 2015. Pour les autres, il s’agissait d’un usage non encadré par un suivi médical. Ce suivi régulier est pourtant indispensable, notamment pour identifier de manière précoce une infection par le VIH, dépister les autres IST et les hépatites virales.

Ces résultats doivent être relativisés, dans la mesure où la population d’étude de Prevagay ne représente pas la population HSH dans sa globalité. Il s’agit d’une population qui fréquente les lieux de convivialité, plutôt diplômée et relativement âgée (40 ans d’âge médian). De plus, les hommes qui acceptent de participer à ce type d’étude sont prioritairement ceux qui portent une attention particulière aux questions de prévention et sont donc plus à même d’avoir connaissance des nouvelles modalités de prévention.

Conclusion

La France a été le premier pays européen à rendre disponible la PrEP de façon gratuite, en intégrant son remboursement par la Sécurité sociale. Si cet outil de prévention est très efficace au niveau individuel, il est nécessaire que les HSH s’en emparent largement afin qu’il le devienne également au niveau collectif et permette ainsi de réduire la transmission du VIH. Entre janvier 2016 et juillet 2017, le nombre de personnes ayant initié une PrEP par Truvada® ou génériques a été assez limité (environ 5 300 personnes) par rapport à la population susceptible d’en bénéficier 16. La très grande majorité (97,5%) de ces personnes sont des hommes, vraisemblablement des HSH. Il est donc indispensable de diffuser une information complète sur ce nouvel outil préventif en prenant en compte, autant que possible, la capacité des personnes à pouvoir le comprendre et y accéder. Notre étude a montré que le niveau de connaissance de la PrEP était moindre chez les plus jeunes et les moins diplômés. Il faut donc parvenir à toucher tous les publics HSH dans leur diversité, et notamment les plus éloignés de la communauté gay, afin que chacun puisse choisir sa protection de manière éclairée. Le rapport Morlat, dans ses recommandations d’avril 2018, a d’ailleurs élargi les indications en considérant que toute personne HSH non infectée par le VIH était potentiellement éligible à la PrEP 17. C’est en informant au mieux, par différents canaux, les populations concernées, que la PrEP deviendra, au même titre que les autres modes de prévention, un moyen de faire reculer la dynamique de l’épidémie du VIH.

Remerciements

Les auteurs remercient toutes les personnes qui ont accepté de participer à l’étude Prevagay 2015. Nous remercions également les salariés de l’association Enipse qui ont réalisé le terrain de l’étude (S. Cambau, J. Derrien, S. Guillet, L. Jourdan, C. Kaminski, V. Lugaz, C. Péjou, E. Thomas Des Chenes, F. Therond, R De Wever) et les associations qui ont apporté leur soutien tout au long de l’étude, notamment Aides (V. Coquelin), Act Up Paris (H. Fisher), Le 190 (M. Oyahon), Sidaction (S. Fournier). Nous remercions chaleureusement l’ensemble des établissements ayant accepté de participer à l’étude et l’ensemble des associations ayant facilité sa réalisation. Nous remercions également les Cellules d’intervention en région de Santé publique France (Cire Hauts-de-France : P. Chaud, B. Ndiaye, P. Trouiller ; Cire Auvergne-Rhône-Alpes : C. Saura ; Cire Occitanie : C. Rousseau ; Cire Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse : P. Malfait et Cire Île-de-France : S. Vandentorren, A. Lepoutre, Y. Silué) pour leur soutien à la réalisation de l’étude.
Le recueil des données comportementales sur tablettes a été assuré par la société BVA.
L’étude Prevagay 2015 a été financée par Santé publique France, l’Agence nationale de recherche contre le sida et les hépatites virales (ANRS), Sidaction et les Agences régionales de santé des Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse et Île-de-France.

Références

1 UNAIDS. The gap report, 2014. 422 p. [Internet] http://www.unaids.org/en/resources/documents/2014/20140716_
UNAIDS_gap_report
2 Grant RM, Lama JR, Anderson PL, McMahan V, Liu AY, Vargas L, et al. Preexposure chemoprophylaxis for HIV prevention in men who have sex with men. N Engl J Med. 2010;363(27):2587-99.
3 Molina JM, Capitant C, Spire B, Pialoux G, Cotte L, Charreau I, et al. On-demand preexposure prophylaxis in men at high risk for HIV-1 infection. N Engl J Med. 2015;373(23):2237‑46.
4 McCormack S, Dunn DT, Desai M, Dolling DI, Gafos M, Gilson R, et al. Pre-exposure prophylaxis to prevent the acquisition of HIV-1 infection (PROUD): Effectiveness results from the pilot phase of a pragmatic open-label randomised trial. Lancet. 2016;387(10013):53-60.
5 Morlat P (dir.). Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandations du groupe d’experts. Actualisation 2015. Prophylaxie pré-exposition. 18 p. https://cns.sante.fr/wp-content/uploads/2015/10/
experts-vih_prep2015.pdf
6 Sauvage C, Saboni L, Trouiller-Gerfaux P, Sommen C, Alexandre A, Lydié N, et al. Enquête de séroprévalence du VIH menée auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes fréquentant les lieux de convivialité gay. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 87 p. http://portaildocumentaire.santepubliquefrance.
fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/INV13573
7 MacKellar DA, Gallagher KM, Finlayson T, Sanchez T, Lansky A, Sullivan PS. Surveillance of HIV risk and prevention behaviors of men who have sex with men: A national application of venue-based, time-space sampling. Public Health Rep. 2007;122 Suppl 1:39-47.
8 Sommen C, Saboni L, Sauvage C, Alexandre A, Lot F, Barin F, et al. Time location sampling in men who have sex with men in the HIV context: The importance of taking into account sampling weights and frequency of venue attendance. Epidemiol Infect. 2018;146(7):913-9.
9 Velter A, Duchesne L, Lydié N. Pourquoi l’épidémie du VIH se poursuit-elle parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) en France ? 9e Conférence internationale francophone ; VIH/Hépatites – AFRAVIH ; 4-7 avril 2018, Bordeaux, France.
10 Patrick R, Forrest D, Cardenas G, Opoku J, Magnus M, Gregory Phillips I, et al. Awareness, willingness, and use of pre-exposure prophylaxis among men who have sex with men in Washington, DC and Miami-Dade County, FL: National HIV Behavioral Surveillance, 2011 and 2014. J Acquir Immune Defic Syndr. 2017;75 Suppl 3:S375-S382.
11 Hoagland B, De Boni RB, Moreira RI, Madruga JV, Kallas EG, Goulart SP, et al. Awareness and willingness to use pre-exposure prophylaxis (PrEP) among men who have sex with men and transgender women in Brazil. AIDS Behav. 2017;21(5):1278-87.
12 Frankis J, Young I, Flowers P, McDaid L. Who will use pre-exposure prophylaxis (PrEP) and why? Understanding PrEP awareness and acceptability amongst men who have sex with men in the UK – A mixed methods study. PLoS One. 2016;11(4):e0151385.
13 Lachowsky NJ, Lin SY, Hull MW, Cui Z, Sereda P, Jollimore J, et al. Pre-exposure prophylaxis awareness among gay and other men who have sex with men in Vancouver, British Columbia, Canada. AIDS Behav. 2016;20(7):1408-22.
14 Pollak M, Schiltz MA. Identité sociale et gestion d’un risque de santé. Actes de la Recherche en Sciences Sociales. 1987;68:77-102.
15 Sagaon-Teyssier L, Suzan-Monti M, Demoulin B, Capitant C, Lorente N, Preau M, et al. Uptake of PrEP and condom and sexual risk behavior among MSM during the ANRS IPERGAY trial. AIDS Care. 2016;28 Suppl 1:48-55.
16 ANSM. Suivi de l’utilisation de Truvada® ou génériques pour une prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH à partir du SNIIRAM – Période du 01/01/2016 au 31/07/2017. Novembre 2017. 19 p. https://ansm.sante.fr/content/
download/112661/1427393/version/1/file/Rapport_Truvada-PrEP-2016-2017_01-12-2017.pdf
17 Morlat P.(dir.). Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandations du groupe d’experts. Prévention et dépistage. 2018. 46 p. https://cns.sante.fr/actualites/prise-en-charge-du-vih-recommandations-du-groupe-dexperts/

Citer cet article

Sauvage C, Saboni L, Sommen C, Lydié N, Alexandre A, Lot F, et al. Connaissance et utilisation de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes fréquentant les lieux de convivialité gay de cinq villes françaises. Prevagay 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(29):602-10. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/29/2018_29_3.html

(1) Notamment l’Enipse, qui a publié en avril 2013 un livret d’information sur la PrEP pour les gays séronégatifs, ou Aides, dont le slogan lors des Marches des Fiertés de 2015 était « Je marche, la PrEP aussi ! ».