Environnement socioéconomique et incidence des cancers en France
// Socioeconomic environment and cancer incidence in France
* Le réseau Francim : Véronique Bouvier (Registre des tumeurs digestives du Calvados), Xavier Troussard (Registre régional des hémopathies malignes de Basse-Normandie), Anne-Valérie Guizard (Registre général des cancers du Calvados), Anne-Marie-Bouvier (Registre bourguignon des cancers digestifs ; Registre des tumeurs digestives de Saône-et-Loire), Morgane Mounier (Registre des hémopathies malignes de Côte-d’Or), Patrick Arveux (Registre gynécologique de Côte‑d’Or), Anne‑Sophie Woronoff (Registre des tumeurs du Doubs), Michel Robaszkiewicz (Registre des tumeurs digestives du Finistère), Alain Monnereau (Registre des hémopathies malignes de la Gironde), Anne Gruber (Registre des tumeurs du système nerveux central de la Gironde), Gaelle Coureau (Registre général des cancers de la Gironde), Marc Colonna (Registre des cancers de l’Isère), Florence Molinié (Registre des cancers de Loire-Atlantique), Simona Bara (Registre des cancers de la Manche), Karine Ligier (Registre général des cancers de Lille et de sa région), Michel Velten (Registre des cancers du Bas-Rhin), Emilie Marrer (Registre des cancers du Haut-Rhin), Bénédicte Lapôtre-Ledoux (Registre des cancers de la Somme), Pascale Grosclaude (Registre des cancers du Tarn), Anne Cowppli-Bony (Registre général des cancers de Vendée), Nathalie Leone (Registre des cancers de Haute-Vienne), Brigitte Trétarre (Registre général des cancers de l’Hérault).
Résumé
L’objectif de ce travail était de qualifier et de quantifier l’influence de l’environnement socioéconomique sur l’incidence des cancers, et ce pour chacune des 15 tumeurs solides et des trois hémopathies malignes les plus fréquentes en France. L’analyse a porté sur les données des registres de cancers français membres du réseau Francim (Réseau français des registres des cancers). L’indice européen agrégé de défavorisation sociale (European Deprivation Index – EDI) a été utilisé pour évaluer l’environnement socioéconomique.
Un gradient d’incidence statistiquement significatif croissant avec la défavorisation sociale a été observé pour les cancers de l’estomac, du foie, des lèvres-bouche-pharynx et du poumon dans les deux sexes, pour les cancers du larynx, de l’œsophage, du pancréas et de la vessie chez l’homme et pour les cancers du col de l’utérus chez la femme. À l’inverse, un gradient d’incidence statistiquement significatif croissant avec la favorisation sociale a été observé pour le mélanome dans les deux sexes, pour les cancers de la prostate et du testicule chez l’homme et les cancers de l’ovaire et du sein chez la femme. La part des cas de cancers attribuables à la défavorisation sociale était la plus importante pour les cancers du larynx (30,1%), des lèvres-bouche-pharynx (26,6%) et du poumon (19,9%) chez l’homme, et pour les cancers des lèvres-bouche-pharynx (22,7%) et du col de l’utérus (21,1%) chez la femme.
Près de 15 000 cas de cancers pourraient être évités en France chaque année par l’amélioration des conditions de vie et la promotion de la santé des populations les plus défavorisées.
Abstract
This work aimed to investigate the influence of socioeconomic environment on cancer incidence for each of the 15 tumors and the 3 most frequent hematologic malignancies in France. The analysis included data from French cancer registries (FRANCIM network). The evaluation of the socioeconomic environment was based on the aggregate European Deprivation Index (EDI).
Over-incidence for individuals living in disadvantaged areas was observed for cancers of the stomach, liver, lips and mouth-pharynx, and lung for both sexes, for cancers of the larynx, esophagus, pancreas and bladder for males, and for cancers of the cervix for females. On the contrary, over-incidence in individuals living in affluent areas was observed for melanoma for both sexes, for cancers of the prostate and testis for males, and cancers of ovary and breast for females. The proportion of cancer cases caused by social deprivation was highest for cancers of the larynx (30.1%), lips and mouth-pharynx (26.6%), and lung (19.9%) in men, and for cancers of the lips and mouth-pharynx (22.7%) and the cervix (21.1%) in women.
Nearly 15,000 cases of cancer could be prevented each year in France by improving living conditions and promoting the health of the most disadvantaged populations.
Introduction
La France fait partie des pays au monde ayant les meilleurs indicateurs globaux de santé, mais elle présente aussi un gradient social de mortalité prématurée parmi les plus marqués en Europe 1. Si la lutte contre les inégalités sociales de santé est, depuis de nombreuses années, une priorité des organisations internationales en santé 2, son affichage sur l’agenda politique français est plus récent, notamment au travers des dernières lois de santé publique et des missions confiées aux Agences régionales de santé. Le cancer est l’une des pathologies qui contribue le plus à ce gradient, et la réduction des inégalités sociales de santé est une priorité transversale des Plans cancer 2009-2013 puis 2014-2019.
L’action publique pour réduire ce gradient doit s’appuyer sur une connaissance approfondie des mécanismes qui sous-tendent ces inégalités. Les différences de mortalité par cancer sont la résultante de différences d’incidence et de différences de létalité. Les mécanismes à l’origine des disparités socioéconomiques d’incidence ou de survie sont de nature différente. Il importe donc de pouvoir les étudier séparement pour chaque localisation cancéreuse. Les données des registres de cancer en France le permettent désormais, en utilisant de grands échantillons représentatifs de la population générale.
Les éléments qui déterminent l’environnement socioéconomique sont multiples et dépendent du capital financier, culturel et social des individus. Même si le dernier diplôme acquis, les revenus ou la situation professionnelle apparaissent souvent comme de bons indicateurs de cet environnement, ils ne peuvent le résumer. Par ailleurs, de plus en plus d’études mettent en évidence l’importance des éléments socioéconomiques contextuels du lieu de vie. C’est ainsi que les travaux ont de plus en plus fréquemment recours à des indices synthétiques qui permettent, dès lors que les modèles statistiques utilisés sont adaptés à la structure des données, de proposer une analyse intégrative de l’influence de l’environnement socioéconomique des individus sur leur santé 3.
L’objectif de ce travail était de quantifier l’influence de l’environnement socioéconomique sur l’incidence des cancers en France et d’en estimer la fraction attribuable.
Matériel et méthodes
Population de l’étude
La population de l’étude comprenait tous les cas de cancers diagnostiqués dans les registres membres du réseau Francim (Réseau français des registres des cancers) entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2009. Ces registres couvrent les départements suivants : Calvados, Côte-d’Or, Doubs, Finistère, Gironde, Isère, Loire-Atlantique, Manche, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Saône-et-Loire, Somme, Tarn, Vendée et Haute-Vienne, ainsi que Lille et sa région (figure 1). La zone couverte par les registres incluait environ 12 millions d’individus (5 775 595 hommes et 6 137 751 femmes), représentant 20% de la population française. Pour les registres généraux de Gironde et de Lille et sa région, seuls les cas de cancers diagnostiqués entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2009 ont été analysés (données non disponibles avant cette date). Pour des raisons de puissance statistique, seules les 15 tumeurs solides et les trois hémopathies malignes les plus fréquentes ont été analysées, pour les hommes et pour les femmes (tableau 1). Ces localisations ont été choisies selon leur fréquence dans les estimations nationales 4. Les localisations cancéreuses considérées ont été définies selon les codes de la Classification internationale des maladies oncologiques 3 (ICD‑O‑3). La population complète incluait 189 144 cas de cancers.
Variables
Les caractéristiques cliniques des tumeurs ont été collectées par les registres de façon standardisée, assurant l’exhaustivité et la bonne qualité des données. La topographie, la morphologie, l’âge, le sexe et la date de diagnostic étaient connus pour chaque patient.
Pour tous les cas de cancer diagnostiqués, l’adresse a été géolocalisée par la Plateforme méthodologique nationale pour l’étude des inégalités sociales dans les cancers grâce à un système d’information géographique (ARCGIS 10.2) et affectée à un Iris (1). L’Iris est l’entité géographique infra-communale la plus petite pour laquelle on dispose de données censitaires (entre 1 800 et 5 000 habitants). La région de l’étude comprenait 9 740 Iris. Le niveau de défavorisation sociale de chaque Iris a été évalué en utilisant l’European Deprivation Index (EDI), indice agrégé permettant de mesurer la défavorisation sociale de manière comparable entre les différents pays européens. Dans cette étude, la version française de l’EDI, basée sur le recensement de 2007, a été utilisée pour attribuer un score de défavorisation sociale aux Iris 5. Les versions continues et catégorielles (quintiles nationaux) de l’EDI ont été utilisées.
Les populations de référence proviennent du recensement national de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) des années 2006, 2007, 2008 et 2009. Elles sont données pour chaque Iris, chaque sexe et chaque groupe d’âge : [0-14 ans], [15-29 ans], [30-44 ans], [45-59 ans], [60-74 ans], [75 ans et plus].
Analyse statistique
Une approche bayésienne a été utilisée pour la modélisation statistique car elle permet d’intégrer la variabilité extra-poissonienne induite par la nature géographique des données : les différences dans les tailles de population entre les Iris, appelées hétérogénéité spatiale non-structurée, peuvent en effet introduire une sur-dispersion, et cette méthodologie permet de faire la part entre des fluctuations aléatoires et de véritables variations des taux d’incidence. De plus, les zones voisines peuvent ne pas être indépendantes et avoir des taux d’incidence similaires. Ce phénomène, appelé autocorrélation spatiale, est également intégré dans l’approche bayésienne 6,7 implémentée sous WinBUGS 8. Nous avons ainsi estimé le coefficient de régression associé à la variable EDI ainsi que son intervalle de crédibilité (2) à 95%. Un coefficient positif signifie une sur-incidence dans les zones défavorisées et un coefficient négatif signifie une sur-incidence dans les zones favorisées.
Pour savoir si l’autocorrélation spatiale et l’hétérogénéité spatiale non-structurée étaient bien présentes dans les données, nous avons dans un premier temps réalisé les tests de Moran 9 pour l’autocorrélation et de Potthoff-Whittinghill 10 pour l’hétérogénéité non-structurée. Ces tests ont été réalisés à l’aide des packages spdep et DCluster du logiciel R version 2.15.0. Selon les résultats des tests, nous avons réalisé soit un modèle Besag-York-Mollié (BYM) intégrant les deux composantes, soit un modèle conditionnel autorégressif (CAR) intégrant uniquement la composante d’autocorrélation spatiale, ou un modèle intégrant uniquement la composante d’hétérogénéité non-structurée. Quand les deux tests étaient non-significatifs, indiquant alors qu’il n’y avait pas de variabilité d’incidence dans les données, la variable EDI n’a pas été incluse dans l’analyse.
Nous avons ensuite évalué le PAF (Population Attributable Fraction) pour les localisations en sur-incidence dans les zones défavorisées, en utilisant la version catégorielle de l’EDI. Cet outil peut être défini comme la réduction proportionnelle du risque moyen de maladie qui serait obtenue par l’élimination de l’exposition d’intérêt dans la population, ici la défavorisation sociale 3,11,12. La population des Iris a été divisée en cinq groupes sur la base des quintiles de la distribution de l’EDI sur l’ensemble de la France. Les catégories ont été nommées Q1 à Q5, Q1 étant la catégorie la plus favorisée et Q5 la catégorie la plus défavorisée. Nous en avons déduit des risques relatifs associés et nommés RR1 et RR5. Q1 était considérée comme la catégorie de référence. Le PAF est défini de la façon suivante, pi désignant la proportion de la population habitant dans les Iris du quintile considéré :
Appliqué dans notre étude, cet outil permet d’évaluer la part de l’incidence d’un cancer donné associée à la défavorisation sociale. Nous avons par la suite estimé le nombre de cas de cancers attribuable en France à la défavorisation sociale en multipliant, pour chaque localisation pour laquelle existait une association significative et positive entre l’EDI (en continu) et l’incidence, la valeur du PAF par le nombre de cas incidents en France pour l’année 2012 4.
Résultats
L’analyse a porté sur 189 144 personnes (100 299 hommes et 78 845 femmes) ayant eu un cancer entre 2006 et 2009 et habitant dans l’un des 16 départements couverts par un registre en France.
Les tableaux 2 et 3 présentent les résultats de l’analyse utilisant l’EDI comme une variable continue. Le test de Potthoff-Whittinghill était non-significatif pour toutes les localisations, sauf 7 pour les hommes et 4 pour les femmes. Le test de Moran était significatif pour toutes les localisations cancéreuses pour les hommes et pour les femmes, justifiant la pertinence de l’utilisation de ce type de modèle. Un gradient d’incidence statistiquement significatif croissant avec la défavorisation sociale a été observé pour les cancers de l’estomac, du foie, des lèvres-bouche-pharynx et du poumon dans les deux sexes. Ce gradient significatif a également a été constaté pour les cancers du larynx, de l’œsophage, du pancréas et de la vessie chez l’homme, et pour les cancers du col de l’utérus chez la femme. À l’inverse, un gradient d’incidence statistiquement significatif croissant avec la favorisation sociale a été observé pour le mélanome dans les deux sexes. Un gradient significatif a également été constaté pour les cancers de la prostate et du testicule chez l’homme et les cancers de l’ovaire et du sein chez la femme. Les valeurs des estimations des coefficients associés à la variable EDI montraient que ce lien entre niveau socioéconomique et incidence était particulièrement fort pour les cancers du larynx, des lèvres-bouche-pharynx, du poumon ainsi que pour le mélanome (signe négatif) chez l’homme, et pour les cancers du col de l’utérus, de l’estomac, du foie, des lèvres-bouche-pharynx ainsi que pour le mélanome (signe négatif) chez la femme. Utilisant l’EDI dans sa version catégorielle (quintiles), les figures 2 et 3 représentent graphiquement les risques relatifs de la catégorie la plus défavorisée (5e quintile de l’EDI) par rapport à la catégorie la plus favorisée (1er quintile de l’EDI). Les résultats sont cohérents avec ceux de l’analyse utilisant l’EDI comme une variable continue. Le lien entre défavorisation sociale et risque de cancer était plus marqué chez l’homme que chez la femme : davantage de localisations cancéreuses étaient concernées par ce lien et, lorsqu’il existait, le lien était plus fort. Le risque relatif était supérieur à 1,5 pour les localisations suivantes : lèvres-bouche-pharynx, larynx et poumon chez l’homme, col de l’utérus et lèvres-bouche-pharynx chez la femme. D’autres risques relatifs statistiquement significatifs, mais moins élevés, ont été trouvés pour le foie et l’estomac dans les deux sexes, le poumon chez la femme, l’œsophage et la vessie chez l’homme. Le mélanome présentait le plus fort risque relatif inversé dans les deux sexes.
Les tableaux 4 et 5 présentent, pour les localisations dont l’incidence était associée de manière positive et significative avec la défavorisation sociale, le calcul de la fraction d’incidence attribuable en utilisant la version catégorielle de l’EDI. La part des cas de cancers attribuables à la défavorisation sociale est la plus importante pour les cancers du larynx (30,1%), des lèvres-bouche-pharynx (26,6%), du poumon (19,9%) et de l’œsophage (16,7%) chez l’homme, et pour les cancers des lèvres-bouche-pharynx (22,7%), du col de l’utérus (21,1%) et de l’estomac (16,4%) chez la femme. Le tableau 6 présente, pour ces localisations, les nombres de cancers attribuables à la défavorisation sociale sur la base du nombre de cancers estimé pour la France entière en 2012. Ces nombres étaient de 11 189 pour les hommes et de 3 645 pour les femmes. Ainsi, pour le poumon, les lèvres-bouche-pharynx, le foie et l’estomac (localisations pour lesquelles le calcul a pu être fait dans les deux sexes), les nombres de cancers étaient, respectivement, de 7 253, 2 878, 849 et 736.
Discussion
Cette étude, première du genre en France, est basée sur un échantillon important des données de 16 registres de cancer du réseau national Francim. Ces résultats montrent que, contrairement aux inégalités sociales de survie, l’influence de l’environnement social sur l’incidence des cancers varie selon les localisations, l’incidence observée pouvant être, selon les cas, croissante ou décroissante en fonction de la défavorisation. Ces résultats confirment, sur des données françaises, le sur-risque lié à la défavorisation sociale pour les cancers des voies respiratoires et digestives hautes 13,14,15,16. La détermination sociale de certains facteurs de risque comme la consommation tabagique, les expositions professionnelles ou aux polluants atmosphériques expliquent sans doute une partie importante des différences observées 17. Ces résultats mettent en lumière l’influence moins connue de la défavorisation sociale sur d’autres localisations (foie, estomac, vessie, pancréas) pour lesquelles il importera à l’avenir d’identifier les médiateurs. Ces résultats montrent aussi que le mélanome pour les deux sexes, les cancers de la prostate et du testicule chez l’homme et du sein et de l’ovaire chez la femme sont plus fréquemment observés chez les personnes vivant dans un environnement social favorisé. Pour le cancer de la prostate et, dans une moindre mesure, pour le cancer du sein, ces différences peuvent être dues à la détermination sociale de la pratique du dépistage et du sur-diagnostic qui lui est lié 18,19. Pour autant, et en premier lieu pour les cancers de l’ovaire et du testicule et pour le mélanome, il reste à identifier, parmi les facteurs de risque de ces cancers, ceux dont la détermination sociale explique ces différences dont l’ampleur peut être, par exemple pour le mélanome, aussi importante que celle observée à l’inverse pour les cancers des voies aérodigestives supérieures.
Certains aspects méthodologiques de notre étude peuvent être discutés. La nature spatiale des données et ses spécificités ont été prises en compte dans notre modélisation grâce à l'approche bayésienne, assurant une bonne cohérence de l'analyse statistique. Une régression classique de Poisson peut présenter une sur-dispersion, c’est-à-dire une variance du nombre de cas supérieure à sa moyenne, ce qui rend son utilisation impossible. Cette sur-dispersion peut provenir de l’hétérogénéité spatiale entre les unités géographiques. La non-prise en compte de cette sur-dispersion peut entrainer une sous-estimation de l’erreur standard des paramètres du modèle. L’approche bayésienne a permis d’intégrer une plus grande variabilité que celle de la variabilité de Poisson en ajoutant des effets aléatoires. Les tests de Moran étaient significatifs pour toutes les localisations cancéreuses et les tests de Potthoff-Whittinghill l’étaient pour une majorité de localisations cancéreuses. Ceci signifie, d’une part, que les zones géographiques voisines avaient tendance à avoir des taux d’incidences similaires et, d’autre part, que les taux d’incidences avaient une forte variabilité non-structurée dans l’espace. Ces variabilités supérieures à la variabilité de Poisson étaient donc bien présentes dans nos données, justifiant l’utilisation de l’approche bayésienne.
L’environnement social des individus a été apprécié au moyen d’un indice agrégé de défavorisation sociale. L’utilisation de ce type d’indice, construit à partir des données censitaires, présente l’avantage d’être applicable à l’ensemble de la population de l’étude, évitant ainsi les biais de sélection. Elle permet aussi la prise en compte des effets contextuels potentiels 20. Toutefois, cette utilisation entraîne de manière inévitable la construction d’un biais écologique lié au fait que le même score est attribué à toutes les personnes vivant dans la même zone. Dans notre étude, l’utilisation de l’Iris, plus petite entité géographique pour laquelle les données censitaires sont disponibles, a permis de réduire ce biais autant que possible. Par ailleurs, une étude actuellement en cours de publication montre que l’EDI utilisé dans cette étude minimise ce biais comparativement aux autres indices disponibles pour le territoire national 21. La nature européenne de la construction de cet indice et son caractère transférable d’un pays à l’autre permettent d’envisager dans les années qui viennent la conduite de ce type d’étude à une échelle internationale 22.
Grâce au calcul de la fraction attribuable, ce travail permet également d’estimer que, pour les localisations dont le risque augmente avec la défavorisation sociale, près de 15 000 cas de cancers pourraient être évités en France chaque année par une amélioration appropriée des conditions de vie et la promotion de la santé des populations les plus défavorisées, ce gain potentiel étant plus important chez l’homme que chez la femme et maximal pour les cancers du poumon. Pour faire face à ces inégalités, nos résultats confirment la nécessité de renforcer les efforts de prévention et de promotion de la santé ciblés sur les populations les plus à risque et, plus généralement, l’application du principe de l’universalisme proportionné, dans le cadre de l’allocation raisonnée de ressources toujours plus limitées. Au-delà des interventions à mettre en place dans le champ sanitaire et social, la préoccupation de réduction des inégalités sociales de santé doit être permanente dans les choix politiques intersectoriels, concernant par exemple l’éducation, l'urbanisation, les transports et l’emploi 23,24.