Consommations alimentaires des enfants de 11-15 ans en Guadeloupe et Martinique. Enquête Kannari 2013-2014
// Dietary intake in 11-15-year-old children in Guadeloupe and Martinique. Kannari Survey 2013-2014
Résumé
Objectif –
Notre objectif était de décrire les consommations alimentaires des enfants âgés de 11 à 15 ans en Guadeloupe et Martinique en 2013-2014, à partir des données recueillies dans le cadre de l’enquête « Kannari : santé, nutrition et exposition au chlordécone aux Antilles ».
Méthodes –
L’échantillon a été constitué à partir d’un plan de sondage à trois degrés : îlots, foyers et individus. Après administration d’un questionnaire « santé » en face-à-face au domicile, les enfants de 11-15 ans étaient interrogés par téléphone sur leurs consommations alimentaires par la méthode des deux rappels de 24 heures. L’analyse descriptive, réalisée globalement, par département et par sexe, tient compte du plan de sondage et est pondérée par redressement par rapport au recensement de population de l’Insee.
Résultats –
Au total, 83 enfants de 11-15 ans en Guadeloupe et 70 en Martinique ont répondu à deux rappels des 24 heures. Seuls 16,5% d’entre eux consommaient au moins 400 g/j de fruits et légumes (recommandation du Programme national nutrition santé (PNNS)). En moyenne, ils consommaient 1,7 portion de produits laitiers par jour contre 3 à 4 dans le repère du PNNS. Par ailleurs, 28,3% consommaient plus de 2 portions de « viande, poisson, oeufs », c’est-à-dire au-delà du repère du PNNS. Peu de différences étaient observées entre les départements et selon le sexe. Globalement, l’équilibre des apports en macronutriments était conforme aux recommandations, mais les apports en calcium étaient insuffisants.
Conclusion –
Bien que reposant sur des effectifs limités, ces résultats soulignent le besoin d’actions de santé publique pour améliorer les consommations alimentaires et les apports nutritionnels des enfants aux Antilles.
Abstract
Objective –
Our objective was to describe dietary intake in 11-to-15-year-old children in Martinique and Guadeloupe in 2013-2014 using data collected in the “Kannari Survey: Health, Nutrition and Exposure to Chlordecone in the French West Indies”.
Methods –
We used a multi-stage sampling scheme (blocks, households, and subjects). After filling in a face-to-face questionnaire on health at home, 11-15-year-old children were asked to describe their dietary intake using a repeated 24-hour recall by phone. The descriptive analysis was carried out globally, by district and by gender, and took into account the sampling design and calibrations according to the French population census.
Results –
In all, 83 children aged 11-15-years in Guadeloupe and 70 in Martinique answered the two 24-hour recalls. Only 16.5% of them consumed at least 400g/d of fruit and vegetables (French Nutrition and Health Program (PNNS) recommendation) and, on average, 1.7 servings of dairy products, while 3 to 4 are recommended. Besides, 28.3% of them consumed more than 2 servings of meat, seafood and egg, i.e. beyond the PNNS recommendation. A few differences were observed between Guadeloupe and Martinique, and between genders. Overall, macronutrient intake was well-balanced but calcium intake was insufficient.
Conclusion –
Despite a limited sample size, such results underline the need for public health actions in order to improve food and nutrient intakes in children living in French West Indies.
Introduction
Les Départements français d’Amérique (DFA : Martinique, Guadeloupe, Guyane) connaissent une situation épidémiologique caractérisée par une exposition élevée à certaines maladies infectieuses (chikungunya, dengue, VIH…) et des modes de vie qui confèrent à leurs habitants des risques de maladies chroniques, malgré la jeunesse de leurs populations. L’importance des modes de vie dans l’apparition des maladies chroniques est largement démontrée, ce dès le début de la vie 1. C’est ainsi que des prévalences de surpoids et d’obésité supérieures à celles observées en France hexagonale ont été rapportées chez les enfants et les adolescents.
En 2004-2005, dans les DFA, la prévalence du surpoids chez les enfants de classes de CM2 (âgés d’environ 10-11 ans) était de 22,2%, parmi lesquels 9,7% étaient obèses selon les références de l’International Obesity Task Force (IOTF) 2, contre respectivement de 16,0% et 3,7% en France de façon globale. Des écarts équivalents ont été observés chez les élèves en classe de troisième en 2003-2004 3. Les données plus récentes pour l’ensemble des Départements d’outre-mer font toujours état de prévalences supérieures par rapport à ce qui est observé en France hexagonale, en particulier concernant l’obésité 4.
Les origines du surpoids et de l’obésité chez les enfants et les adolescents sont multiples et, pour une partie d’entre elles, débutent très tôt dans la vie 5. En termes de stratégies de prévention, l’acquisition de comportements alimentaires favorables à la santé occupe une place importante. Aux Antilles françaises, de fortes évolutions des consommations alimentaires ont été rapportées depuis les années 1980 : d’une alimentation alors basée essentiellement sur des glucides complexes 6, il est observé un accroissement de la part des lipides et des glucides simples, comme cela a été montré chez les adultes en 2003 en Martinique dans l’étude Escal (Étude sur la santé et les consommations alimentaires) 7.
Dans ce contexte, la réalisation d’actions de santé publique visant à prévenir ces risques, comme c’est le but de la déclinaison en outre-mer du Programme national nutrition santé (PNNS), nécessite de connaître l’alimentation des enfants et adolescents. Menée dans le cadre de l’enquête Kannari (Santé, nutrition et exposition au chlordécone aux Antilles) 8, notre analyse avait pour objectif de décrire les consommations alimentaires et les apports nutritionnels des adolescents de 11-15 ans en Guadeloupe et en Martinique en 2013-2014.
Méthodes
L’enquête Kannari (1) avait pour objectifs de décrire l’exposition alimentaire et l’imprégnation biologique au chlordécone, l’état de santé et les consommations alimentaires des populations martiniquaises et guadeloupéennes. Les résultats présentés ici correspondent au dernier de ces objectifs, uniquement chez les enfants de 11-15 ans. Les enfants plus jeunes n’ont pas fait l’objet de recueils alimentaires ; les consommations alimentaires des 16 ans et plus sont décrites dans le deuxième article de ce BEH.
Échantillon
Il s’agit d’une enquête transversale à visée représentative de la population générale résidant en Guadeloupe et Martinique, avec un plan d’échantillonnage à trois degrés : îlots (zones géographiques définies par l’Insee), foyers et individus au sein du foyer. Le tirage des îlots a été stratifié selon les zones de contamination au chlordécone, en littoral ou dans les terres. Le tirage des foyers à enquêter a été réalisé d’après la liste des logements établie lors du recensement de l’Insee de 2012, sachant que les logements comprenant une personne vivant de la pêche étaient systématiquement enquêtés. Pour la réalisation du troisième degré du plan de sondage, la composition exhaustive du foyer a été recueillie, ce qui a permis de définir la personne de référence du foyer selon la définition de l’Insee et de tirer au sort les individus à enquêter selon la méthode Kish. Un adulte de 16 ans et plus était systématiquement tiré au sort. Chez les enfants, selon leur présence dans le foyer, un de chacune des classes d’âge suivantes était tiré au sort : 3-6 ans, 7-10 ans et 11-15 ans. Au total, la proposition de participation à l’enquête a donc été faite à 1 à 4 individus au maximum. L’éligibilité des individus à inclure était définie par le fait que leur foyer soit résident aux Antilles françaises depuis au moins six mois et y soit présent dans les trois mois suivant le premier contact, et par le fait que l’enfant réside dans le foyer au moins 4 jours par semaine, qu’il soit apte à répondre à l’enquête, qu’il soit lui-même résident depuis au moins six mois aux Antilles et présent dans les trois mois suivant son accord de participation.
Recueil des données
Une fois l’accord de participation obtenu, le recueil des données a été organisé en trois phases : passation d’un questionnaire « santé » au domicile (y compris des mesures de poids et taille) ; recueil des consommations alimentaires par téléphone par des diététiciennes formées, pour les personnes de 11 ans et plus ; puis, pour celles de 18 ans et plus, prélèvement biologique à domicile.
Ne sont traitées ici que les informations relatives aux consommations alimentaires, même si des informations d’autres questionnaires ont été secondairement utilisées. La méthode du rappel des 24 heures a été mise en oeuvre à deux reprises sur des jours tirés au sort, en équilibrant au niveau de l’échantillon la répartition entre jours de semaine et jours de week-end. Cette méthode consiste à demander à la personne interrogée de décrire l’ensemble de ses consommations en aliments et boissons la veille de l’entretien téléphonique, de minuit à minuit. Les quantités consommées sont estimées grâce à des mesures ménagères (unités de vente, cuillères, bols…) et à des photographies de portions. Pour cette enquête, deux cahiers complémentaires ont été utilisés : l’un mis au point lors de l’étude SU.VI.MAX 9, l’autre élaboré par l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (Ireps) Martinique, pour le compléter en y incluant des aliments non présents dans le cahier de l’étude SU.VI.MAX mais disponibles aux Antilles. Par ailleurs, les marques des aliments et boissons ont été demandées, pour que la valeur nutritionnelle utilisée dans les analyses soit la plus proche des aliments disponibles aux Antilles en ce qui concerne les produits laitiers, biscuits et boissons sucrées. Les informations déclarées aux diététiciennes qui ont conduit ces entretiens ont été saisies sur un logiciel spécialisé (MXS Epidemio®, France). Les enfants pouvaient être aidés au besoin par leurs parents.
Analyses statistiques
L’ensemble des analyses a été réalisé sous Stata® V12. Les consommations d’aliments et de boissons, recueillies de façon détaillée, ont été regroupées pour les analyses en 59 groupes constitués selon des critères cohérents avec les indications du PNNS. Par ailleurs, les apports nutritionnels ont été estimés à partir de ces consommations détaillées et d’une table de composition nutritionnelle, précédemment publiée 10 et enrichie des plats, aliments et boissons antillais disponibles dans le cahier photographique des portions de l’Ireps. Ces consommations alimentaires et apports en nutriments sont décrits en moyennes, avec l’erreur standard de la moyenne (SEM), les moyennes étant ajustées sur l’énergie pour les apports en micronutriments. Les moyennes par département ont été comparées par un test de Wald. En complément, des comparaisons selon le sexe ont été réalisées avec les données des deux départements conjointement. Les niveaux de consommations alimentaires ont aussi été analysés par catégories par rapport aux repères de consommation du PNNS (selon le repère : en dessous, dans le repère, ou au-dessus du repère ; résultats présentés uniquement dans le texte). Dans ce but, des portions standard ont été utilisées pour décrire les apports en aliments en équivalents de nombre de portions 11.
Ces analyses utilisent des pondérations calculées sur l’inverse des probabilités initiales d’inclusion et redressées par calage sur marges, celles-ci étant calculées à partir des données de recensement disponibles en 2012. Les caractéristiques prises en compte dans les marges concernaient la personne de référence du foyer (sexe, âge, diplôme, situation matrimoniale), l’enfant inclus (lieu de naissance) et le foyer (présence d’un enfant, logement en zone terrestre ou littorale de contamination au chlordécone, taille de la commune de résidence). L’échantillon de base utilisé pour le calcul de ces pondérations redressées est celui ayant répondu au questionnaire « santé », car il n’y avait pas de biais supplémentaire lié à la participation aux recueils des consommations alimentaires d’après les variables recueillies dans le questionnaire « santé ». Toutes les analyses présentées ici prennent en compte ces pondérations finales et le plan de sondage complexe d’échantillonnage
Résultats
Le recueil des données a été réalisé de septembre 2013 à février 2014 dans les deux départements. Le tirage au sort a sélectionné initialement 2 514 logements en Guadeloupe et 2 548 en Martinique (figure). Après exclusion des logements hors champ, non visités pendant l’enquête et inéligibles, le taux de participation des foyers était de 52,7% (880/1 671) en Guadeloupe et 56,9% (919/1 616) en Martinique (figure). Au moins un enfant de 11-15 ans éligible était présent dans 134 de ces foyers participants en Guadeloupe, et dans 114 en Martinique. En raison de refus individuels, de personnes injoignables par téléphone ou de la réalisation d’un seul rappel des 24 heures, 83 enfants en Guadeloupe et 70 en Martinique ont finalement répondu à deux rappels des 24 heures, soit un taux de participation individuelle de 61,9% et 63,2%, respectivement.
Consommations alimentaires globales et par département
Sans différence entre les départements (tableau 1), les consommations en fruits et légumes et en produits laitiers étaient globalement faibles chez les enfants de 11-15 ans en Martinique et Guadeloupe. Les jus contribuaient pour une grande part aux apports en fruits et légumes (tableau 1). De façon globale dans les deux départements, 90,1% des enfants pouvaient être considérés comme des petits consommateurs de fruits (<1,5 portion par jour) et 88,4% comme des petits consommateurs de légumes (<2 portions par jour). Seuls 16,5% des enfants de 11-15 ans (18,8% en Guadeloupe et 13,9% en Martinique ; NS) consommaient au moins 400 g par jour de fruits et légumes (y compris les jus 100%), quantité recommandée au niveau international et national dans le cadre du PNNS.
Une grande part des apports en produits laitiers était sous forme de lait, tandis que les apports en yaourts et fromage étaient très faibles (tableau 1), ce qui ne permettait pas à la grande majorité des enfants d’atteindre les repères de consommation du PNNS pour les adolescents (3 à 4 portions par jour). En effet, seul 1 enfant sur 5 atteignait le niveau des repères dans les deux départements (25,3% en Guadeloupe et 13,0% en Martinique ; NS), la consommation moyenne étant de 1,7 portion par jour.
Les pâtes, le riz et la semoule constituaient les deux tiers des apports en féculents dans les deux départements, tandis que le pain en était la deuxième origine (tableau 1). Au total, 38,5% des enfants de 11-15 ans en consommaient l’équivalent de 3 à 6 portions (repère de consommation du PNNS), la majorité en consommant moins de 3 (55,6%) et 5,9% en consommant plus de 6 par jour. Analysée selon ces catégories et non en moyennes de consommation (tableau 1), la distribution était différente selon le département : ces pourcentages étaient, respectivement, de 30,3%, 59,0% et 10,7% en Guadeloupe, et de 47,8%, 51,8% et 0,4% en Martinique (p=0,04).
Avec près de 160 g par jour en moyenne de façon globale, les consommations du groupe « viande, poisson, oeufs » étaient comparables entre les deux départements (tableau 1). Près de la moitié (48,5%) des enfants en consommaient l’équivalent d’1 à 2 portions par jour (repère de consommation du PNNS), tandis que près d’un quart en consommaient moins (23,2%) et qu’un peu plus d’un quart en consommaient davantage (28,3%), ces proportions étant comparables entre les deux départements. Par ailleurs, 61,2% des enfants consommaient du poisson au moins deux fois par semaine, sans différence statistique selon le département (Guadeloupe : 60,1% ; Martinique : 60,9% ; NS).
Les consommations en boissons sucrées étaient également comparables dans les deux départements (tableau 1), avec l’équivalent, en moyenne, de plus d’un demi-verre de 250 mL par jour (seuil maximal indiqué par le PNNS pour les enfants et adolescents). En revanche, la consommation totale d’aliments gras et sucrés était plus élevée en Martinique qu’en Guadeloupe, ce qui semblait être la conséquence de consommations plus élevées, bien que non statistiquement significatives, en desserts lactés (p=0,06) et biscuits, gâteaux et viennoiseries (p=0,055 ; tableau 1). La consommation d’aliments gras et salés était estimée quant à elle autour de 18 g par jour, sans différence selon le département.
Apports en nutriments et en énergie, globaux et par département
Avec environ 1 750 kcal/j d’apport en énergie globalement, l’équilibre des apports en lipides, glucides et protéines était conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (<35-40% pour les lipides, >45-50% pour les glucides et 15-20% pour les protéines) (tableau 2). Néanmoins, les différences rapportées concernant les consommations alimentaires se traduisaient par une part d’acides gras mono-insaturés plus faible en Martinique qu’en Guadeloupe (tableau 2). De même, en cohérence avec les consommations alimentaires, les apports en calcium étaient faibles par rapport au besoin nutritionnel moyen : seuls 25,4% des enfants de Guadeloupe et 7,4% de ceux de Martinique dépassaient le besoin nutritionnel moyen en calcium (p=0,03). Près de la moitié des enfants (47,3%) avaient des apports en fer inférieurs aux apports nutritionnels conseillés (ANC), soit 8 à 14 mg/j selon l’âge et le sexe, tandis que ceux en sodium correspondaient à des apports en sel inferieurs à 8 g par jour pour 83,1% des enfants. Enfin, 71,3% des enfants avaient des apports en vitamine C inférieurs aux ANC (100 à 110 mg/j).
Consommations alimentaires et apports nutritionnels selon le sexe
En moyenne (tableau 3), les consommations alimentaires des enfants de 11-15 ans en Guadeloupe et Martinique étaient comparables chez les garçons et les filles, sauf pour les produits laitiers et les céréales du petit-déjeuner. En effet, les garçons consommaient plus du double des filles en produits laitiers en grammes par jour, grâce à des consommations plus élevées de lait (tableau 3). Le nombre moyen de portions de produits laitiers était ainsi de 2,1 par jour chez les garçons contre 1,2 par jour chez les filles (p=0,0003). En conséquence, la part de filles n’atteignant pas le repère de consommation du PNNS était très élevée (96,3%) et moindre chez les garçons (64,7% ; p=0,001). Par ailleurs, les garçons consommaient plus fréquemment des céréales du petit-déjeuner que les filles : 50,6% des garçons en consommaient contre 11,5% des filles, ce qui conduit à des consommations moyennes en grammes par jour plus élevées chez les garçons (tableau 3). Lorsque les consommations alimentaires étaient analysées en fonction des repères du PNNS, les niveaux de consommation étaient aussi différents pour le groupe « viande, poisson, oeufs » : chez les filles, 22,7% en consommaient moins d’une portion par jour, 63,1% en consommaient 1 à 2 portions par jour et 14,2%, plus de deux portions. Chez les garçons, ces proportions étaient, respectivement, de 23,6%, 35,0% et 41,3% (p=0,04). Les fréquences de consommation de poisson d’au moins deux fois par semaine étaient quant à elles statistiquement comparables chez les garçons (68,4%) et chez les filles (52,3% ; NS).
Les apports en énergie et macronutriments étaient statistiquement comparables chez les garçons et les filles, sauf pour les protéines dont la part dans les apports énergétiques était plus faible chez les filles (p=0,048) (tableau 4). Enfin, les apports en calcium chez les filles étaient plus faibles que ceux des garçons (p=0,0001), ainsi que leurs apports en fer (p=0,04) (tableau 4). Ainsi, 59,7% des filles avaient des apports en fer inférieurs aux ANC contre 35,9% des garçons (p=0,049).
Discussion
D’après les informations recueillies dans le cadre de l’enquête Kannari en 2013-2014, l’alimentation des enfants de 11-15 ans en Guadeloupe et Martinique était caractérisée par des apports faibles en fruits, légumes et produits laitiers, et des apports élevés en « viande, poisson, oeufs », boissons sucrées et aliments gras et sucrés. Si l’équilibre nutritionnel global était conforme aux recommandations pour les macronutriments, des apports faibles en calcium sont à souligner. Peu de différences sont observées entre les deux départements, excepté une consommation plus importante d’aliments gras et sucrés et des apports plus faibles en calcium (par rapport au besoin nutritionnel moyen) en Martinique qu’en Guadeloupe. Par rapport aux filles, l’alimentation des garçons de ces âges était caractérisée par des consommations plus élevées de lait et de céréales du petit-déjeuner et par un risque plus fréquent de consommation en « viande, poisson, oeufs » dépassant le repère de consommation du PNNS. En conséquence, leurs apports en protéines et en calcium étaient également plus élevés que chez les filles.
La généralisation de ces observations est limitée par la faible taille d’échantillon disponible, en raison de conditions d’enquête contraintes, notamment en termes de temps alloué pour le recueil des données, et avec des taux de participation plutôt modestes par rapport à d’autres enquêtes de ce type 11,12. La prise en compte du plan d’échantillonnage et l’utilisation de redressements permettent de considérer que ces résultats apportent une première évaluation fiable de l’alimentation des enfants aux Antilles françaises. La prudence reste toutefois requise concernant la portée générale des conclusions présentées ici, conclusions qu’il s’agira de confirmer lors d’une enquête ultérieure avec des effectifs plus importants.
Par ailleurs, les recueils de consommations alimentaires peuvent être entachés d’erreurs et de sous-déclarations, en particulier pour des aliments connotés négativement. Les enfants ont aussi pu connaître des difficultés à se souvenir de la nature des aliments et des quantités consommées, même si l’aide d’un parent avait été conseillée. Ainsi, les consommations des jus 100% (classés dans les apports globaux en fruits et légumes) et de nectars (classés dans les boissons sucrées, avec les sodas) sont probablement à cumuler, car les boissons issues de fruits disponibles aux Antilles sont très majoritairement avec des sucres ajoutés, ce qui souligne une probable erreur de déclaration dans cette classification. C’est ainsi qu’au total, en moyenne, ces consommations sont estimées à près de 250 mL par jour. Dans l’Étude individuelle nationale des consommations alimentaires réalisée en France hexagonale en 2006-2007 (Inca-2), la consommation moyenne de ce type de boissons (« boissons rafraîchissantes sans alcool ») chez les 11-14 ans était de 215 mL 12.
La question de la saisonnalité de l’alimentation intervient assez peu aux Antilles, sauf pour quelques fruits ; le fait que l’enquête se soit déroulée sur un temps limité n’a a priori pas d’incidence pour des estimations de l’alimentation habituelle sur l’année. Enfin, pour faciliter l’interprétation des consommations moyennes observées, celles-ci ont été également analysées en nombre équivalent de portions journalières, pour les comparer aux fréquences recommandées. Cette démarche conduit à appliquer des tailles de portions standard, alors que le PNNS recommande d’adapter la taille des portions consommées à l’appétit et à l’âge des enfants. Il s’agit donc d’une utilisation simplifiée des observations pour aider l’interprétation à l’échelle de la population, mais qui ne tient pas compte de la diversité des besoins au niveau individuel.
Les fruits et légumes étaient insuffisamment consommés par les enfants de Guadeloupe et Martinique. Leur grande disponibilité aux Antilles, des fruits en particulier, laisse penser qu’il s’agit plutôt de choix familiaux ou individuels, par goût ou par substitution avec des aliments plus attractifs, notamment les aliments gras et sucrés. Pour les foyers ne disposant pas d’accès à des jardins, la question de leur coût peut entrer également en compte. C’est ainsi que la proportion d’enfants atteignant les recommandations pour les fruits et légumes (16%) est plus faible que ce qui avait été observé dans l’Hexagone dans l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) en 2006-2007, dans laquelle 23% des garçons de 11-14 ans et 25% des filles de ces âges en consommaient plus de 400 g par jour 11.
Concernant les produits laitiers, au-delà des habitudes culturelles, la problématique de l’accessibilité des yaourts et fromages est soulignée par ces résultats, notamment en lien avec leurs coûts. En effet, la majeure partie des consommations provient ici du lait, avec une forte différenciation entre les garçons (qui le consomment en accompagnement des céréales du petit-déjeuner) et les filles. En France hexagonale en 2006-2007, 45% des garçons de 11-14 ans et 38% des filles consommaient des produits laitiers de façon conforme au repère du PNNS 11 contre 35% et 3%, respectivement, dans l’enquête Kannari. Les faibles consommations en produits laitiers observées aux Antilles, liées à de faibles consommations de yaourts et fromages blancs 12, conduisent à une couverture très insuffisante des besoins en calcium, en particulier chez les filles. Ces manques sont moins importants que ceux qui avaient été rapportés par exemple à Mayotte en 2006 13, mais ils restent préoccupants pour la santé future de ces enfants.
La consommation globale de féculents observée aux Antilles françaises est proche de ce qui a été rapporté dans l’Hexagone en 2006-2007 11, mais avec une part plus élevée de « pâtes, riz, semoule » et de légumes secs 12. Le riz paraît ainsi rester un élément important de l’alimentation aux Antilles, y compris chez les jeunes générations. Même si la part des glucides complexes a pu diminuer depuis les années 1980 6, elle reste plus élevée qu’au niveau national. Ainsi, 55% des enfants de 11-15 ans aux Antilles ont des apports en glucides complexes qui représentaient plus de 27,5% de leur apport énergétique total ; cette prévalence était de 25% en France hexagonale 11. Les apports en glucides simples sont plus faibles que ceux mesurés dans l’enquête hexagonale : 87 g/j contre 100 g/j dans cette classe d’âge 12. Les glucides simples proviennent ici surtout d’aliments sucrés, puisque les consommations en fruits, légumes et produits laitiers sont beaucoup plus faibles que dans l’Hexagone, comme indiqué précédemment. Ces indicateurs signalent ainsi une situation de transition nutritionnelle, avec la persistance d’une alimentation reposant en partie sur des plats plutôt traditionnels, composés principalement de féculents et viande ou poisson, auxquels s’ajoutent des boissons et aliments sucrés. En effet, sont à noter les consommations élevées de « viande, poisson, oeufs » dans cette population. À ces âges, plus d’un quart des enfants dépasse le repère de consommation du PNNS (1 à 2 portions par jour), contre moins de 10% dans l’Hexagone en 2006-2007 11. Ces apports proviennent en particulier du groupe « volaille, jambon », tandis que les consommations des autres sous-groupes sont comparables avec ce qui a été rapporté au niveau national 12.
En conclusion, des thèmes prioritaires d’actions de santé publique peuvent être identifiés à partir de ces résultats. L’information nutritionnelle sur la consommation de fruits et légumes devrait être renforcée, tout en prenant en compte l’organisation des filières, le coût de ces aliments pour certains foyers, mais aussi le contexte lié à la contamination par le chlordécone, insecticide anciennement utilisé dans les bananeraies et qui fait l’objet de mesures de gestion compte tenu de sa persistance en milieu terrestre et maritime 14. Par ailleurs, l’information sur la limitation des boissons et aliments sucrés devrait être renforcée, de façon conjointe aux actions entreprises pour diminuer la teneur en sucres de ces produits. En outre, l’accessibilité réduite de certains produits laitiers est importante à considérer compte tenu des risques associés à leur très faible consommation. De telles démarches de promotion de la santé doivent s’appuyer sur ces indicateurs quantitatifs tout en tenant compte des dimensions culturelles de l’alimentation au niveau local. Il reste enfin important de situer ces résultats dans la perspective de ceux obtenus chez les adultes lors de la même enquête, dont certaines conclusions sont cohérentes 15, et de répéter cette évaluation d’ici quelques années, avec une taille d’échantillon plus grande. Néanmoins, ces indicateurs contribuent à comprendre en partie les particularités de l’état de santé de la population aux Antilles françaises, notamment en ce qui concerne les prévalences élevées de surpoids et d’obésité observées chez les enfants.
Remerciements
Aux diététiciennes ayant réalisé les recueils de consommations alimentaires (O. Baron, E. Bartel, N. Erepmoc, L. Gaillard, L. Goubert, L. Largange, N. Lee, M. Levy, M. Molinard, N. Norbert, S. Palmier, Y. Permal, B. Plavonil, L. Raiza, L. Rosil, S. Rousseau, K. Thalmensy), à l’Ireps Martinique (N. Babot, K. Pierre-Louis) et à l’équipe projet de l’enquête Kannari (V. Cornély, S. Pitot (ORS Guadeloupe) ; M. Colard, S. Merle, I. Padra, J. Pluton (ORS Martinique) ; S. Cassadou, C. Dereumeaux, L. Guldner, M. Ledrans, M. Petit-Sinturel, J. Rosine, A. Saoudi, C. Suivant (InVS) ; J. Allègre, A. Seco (Usen) ; V. Desvignes, M. Fröchen, M. Merlo (Anses) ; A. Fleuret (Insee)).