Description de la mortalité des agents et ex-agents de l’administration pénitentiaire entre 1990 et 2008 en France

// Description of the mortality of employees and ex-employees of the Prison Administration between 1990 and 2008 in France

Frédéric Moisan (f.moisan@invs.sante.fr), Thomas Dourlat, Jean-Luc Marchand
Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
Soumis le 30.09.2015 // Date of submission: 09.30.2015
Mots-clés : Administration pénitentiaire | Agent pénitentiaire | Suicide | Étude de mortalité | Étude de cohorte
Keywords: Prison administration | Correctional officer | Suicide | Mortality study | Cohort study

Résumé

Le fait de travailler en prison représente, pour la majorité des agents de l’administration pénitentiaire (AP), un environnement de travail particulier, avec des nuisances professionnelles spécifiques (stress, sentiment d’insécurité, etc.). Dans cette étude de cohorte, l’Institut de veille sanitaire a analysé les causes de décès des personnes ayant été agent pénitentiaire entre 1990 et 2008, soit plus de 40 000 personnes. Leur mortalité – toutes causes et par cause – a été comparée à celle de la population générale française sur la même période à l’aide de ratios standardisés de mortalité (SMR) prenant en compte l’âge et les années.

Les 1 754 décès observés entre 1990 et 2008 représentent une sous-mortalité toutes causes classiquement observée dans les cohortes de travailleurs. Un excès de suicide (+21%) statistiquement significatif est cependant observé chez les hommes. Cette observation est faite entre 1990 et 2008, sans aggravation ou atténuation au cours du temps. L’excès concerne spécifiquement les métiers de surveillant pénitentiaire et d’adjoint technique. Aucune association positive n’a été observée entre les indicateurs professionnels étudiés (type d’établissement, taux d’occupation carcérale) et le risque de suicide. Cet excès de suicide est cohérent avec les données de la littérature.

Même si les données disponibles ne permettent pas de déterminer dans quelle mesure les facteurs professionnels ont pu contribuer au suicide des agents de l’AP, les résultats renforcent l’intérêt de poursuivre les mesures de prévention, le suivi épidémiologique et des études dans cette population afin de mieux comprendre les causes de cette surmortalité par suicide.

Abstract

Working in prison represents for the majority of workers of the Prison Administration a specific occupational environment due to multiple and specific factors (stress, insecurity feeling, etc.). In this cohort study, the French Institute for Public Health Surveillance analyzed overall and cause-specific mortality of more than 40,000 people who worked in the Prison Administration between 1990 and 2008. The observed mortality was compared to that of the French general population over the same period using standardized mortality ratios (SMR) taking into account the age and the years.

During the follow-up period, the 1,754 deaths observed represent a lower mortality generally noted in occupational cohort studies. However, a statistically significant excess of suicides (+21%) was observed among men. This observation was made between 1990 and 2008, without aggravation or reduction during the follow-up. Two groups of professions were concerned by this excess of mortality by suicide: correctional officers and technical assistants. No positive association was observed between the occupational indicators studied (type of prison, prison occupancy rate) and the risk of suicide. The excess of mortality by suicide is consistent with existing data.

Although the available data cannot determine to what extent occupational factors have contributed to the suicide of Prison Administration workers, the results reinforce the importance of continuing preventive measures in Prison Administration Directorate, epidemiological monitoring and studies in this population to better understand the causes of this excess mortality by suicide.

Introduction

La majorité des agents de l’administration pénitentiaire (AP) travaillent dans un environnement professionnel particulier. Ils sont exposés à des nuisances professionnelles, multiples et spécifiques, inhérentes à leurs missions (stress, insécurité, etc.) 1,2. Les agents peuvent également être exposés à des facteurs de risque moins spécifiques comme le travail posté avec des horaires de nuit, les contraintes physiques avec les escaliers ou la station débout prolongée, le fait de travailler seul, le bruit et la fatigue visuelle 2.

Peu d’études épidémiologiques sont pourtant disponibles pour ce groupe professionnel. Quelques travaux (France, Canada) ont mis en évidence une fréquence élevée de plusieurs pathologies ou problèmes de santé (par exemple symptômes dépressifs, anxiété, hypertension) 1,2,3.

Dans le cadre de la mise en place d’un système de surveillance épidémiologique au sein de l’AP, les objectifs de l’étude présentée ici étaient (i) d’analyser les causes de décès des agents ayant travaillé à l’AP entre 1990 et 2008 en comparaison à la population générale française et (ii) de comparer, parmi les agents de l’AP, la mortalité suivant leurs caractéristiques professionnelles. Les résultats présentés dans cet article ont fait l’objet d’un rapport détaillé 4.

Population et méthode

Les différentes étapes de l’étude ont été : (i) la reconstitution rétrospective de la cohorte des agents de l’AP ; (ii) la recherche des statuts vitaux et des causes de décès ; (iii) l’analyse de la mortalité. Cette étude a reçu une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil, n°909160).

Reconstitution de la cohorte

La population d’étude correspond à l’ensemble des agents de l’AP ayant été en activité au moins un an entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 2008. Les individus ont été identifiés à partir des fichiers du personnel, qui comprenaient les historiques de carrière de l’ensemble des personnes ayant été agent pénitentiaire pendant cette période (n=47 963). Après exclusion des personnes ayant travaillé moins d’un an (n=4 079), de celles présentant des données incohérentes (n=4) et de celles ayant signifié leur souhait de ne pas participer à l’étude (n=15), la population finale d’étude comprenait 43 865 personnes.

Données de mortalité

Les dossiers des ressources humaines de l’AP ne comportant pas d’information mise à jour sur le statut décédé des agents, une recherche des statuts vitaux a été effectuée auprès du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 2010 (procédure décrite dans le décret n°98-37). Pour les personnes identifiées comme décédées dans le RNIPP, la cause initiale du décès a été obtenue auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Les causes de décès sont définies à partir des informations renseignées sur les certificats de décès 5. Elles ont été regroupées suivant la liste européenne des causes de décès à 65 modalités 6, dans laquelle les causes « tumeurs malignes du larynx » (codes C32 de la Classification internationale des maladies) et « tumeurs malignes de la trachée, des bronches et du poumon » (codes C33 à C34) ont été séparées.

Cette recherche a permis d’identifier l’ensemble des décès – et leur cause – survenus jusqu’au 31 décembre 2008 chez l’ensemble des agents, y compris ceux ayant quitté l’AP (retraite ou autre motif).

Données professionnelles

Les informations professionnelles comprenaient la date d’entrée à l’AP et, pour chaque épisode professionnel ensuite : la date d’affectation, le métier exercé et l’établissement d’affectation. Ces informations ont permis de définir, pour chaque individu et de façon dynamique au cours du temps, (i) dans quelle(s) filière(s) professionnelle(s) la personne avait travaillé (surveillance, insertion et probation, administration, services techniques, encadrement) et (ii) quel(s) métier(s) elle avait exercé. Les métiers avec des fonctions semblables ont été regroupés ; 19 types de métiers ont été identifiés.

En outre, des données ont été transmises par l’AP, permettant de définir comme caractéristiques professionnelles : (i) le régime de détention de l’établissement pénitentiaire d’affectation (centre de détention, centre pénitentiaire, centre pour peines aménagées, centre de semi-liberté, établissement pour mineurs, maison d’arrêt et maison centrale) ; (ii) le taux d’occupation carcérale (annuel) de l’établissement d’affectation défini comme le ratio du nombre de personnes détenues dans l’établissement par rapport à la capacité théorique de l’établissement (catégorisé en sept modalités : inconnu, établissements sans personnes détenues, <90%, [90%-100%[, [100%-120%[, [120%-140%[, ≥140%.

Stratégie d’analyse

Les analyses ont consisté à comparer la mortalité globale et par cause des agents et ex-agents de l’AP à celle de la population générale française, en calculant des ratios standardisés de mortalité (SMR) et leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%) en tenant compte du sexe, de l’âge et de l’année 7.

Les comparaisons ont été effectuées séparément chez les hommes et les femmes, puis en fonction de la filière professionnelle ou du groupe de métiers en prenant en compte leur évolution au cours du temps.

Les associations entre les caractéristiques professionnelles et la mortalité par suicide ont été étudiées, par comparaison interne, en estimant des risques relatifs (RR) de décès et leur IC95% à l’aide de modèles de Cox en utilisant l’âge comme échelle de temps. Ces analyses ont été conduites uniquement chez les hommes de la filière surveillance en activité. Les variables d’ajustement incluses dans les modèles ont été la période calendaire, l’âge des agents au début du suivi – permettant notamment de prendre en compte la durée de carrière – et la direction régionale d’affectation (11 zones géographiques). Une analyse de sensibilité a été réalisée en excluant les agents affectés en Île-de-France en raison d’une potentielle sous-évaluation de certaines causes de décès dans cette région 8.

Résultats

Description de la cohorte

Les principales caractéristiques de la population d’étude (32 728 hommes et 11 137 femmes) sont présentées dans le tableau 1. L’âge moyen d’entrée à l’AP était de 27 ans pour les hommes et de 28 ans pour les femmes. La cohorte comprenait 19 295 personnes au 1er janvier 1990, toutes en activité à l’AP. Au 31 décembre 2008, son effectif était de 41 711 agents vivants, dont 73% en activité et 27% sortis de l’AP. La retraite constituait le motif principal de sortie (trois quarts des sortis). Le suivi médian est de 17 ans chez les hommes et de 9 ans chez les femmes.

Parmi la population d’étude, 78% des agents avaient travaillé dans la filière de la surveillance (n=34 406 ; 80% des personnes-années). Le métier de surveillant était le plus représenté chez les hommes (89% des agents) et chez les femmes (46% des agents). En majorité (>80%), les agents n’ont exercé qu’un seul type de métier. Parmi les hommes ayant été surveillants, 83% n’ont pas eu d’autres fonctions, 11% sont devenus premiers surveillants et 6% officiers de surveillance.

Entre 1990 et 2008, la majorité des agents de la cohorte (88% des personnes-années) avaient travaillé dans une structure fermée : 46% des personnes-années en maison d’arrêt, 21% en centre pénitentiaire et 16% en centre de détention. Près de la moitié des agents (47% des personnes-années) avaient exercé au cours de leur carrière dans un établissement où le nombre de personnes détenues était supérieur à la capacité théorique de l’établissement.

Tableau 1 : Caractéristiques générales des membres de la cohorte des agents et ex-agents de l’administration pénitentiaire (AP) sur la période 1990-2008, France
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Mortalité observée

Un total de 1 754 décès a été recensé chez les agents de l’AP entre 1990 et 2008 (1 606 chez les hommes et 148 chez les femmes). La cause de décès était connue dans 95% des cas. Les tumeurs malignes représentaient la première cause de mortalité (1 décès sur 3) devant les causes externes de blessure et d’empoisonnement (1 sur 5) et les maladies cardiovasculaires (1 sur 6).

Comparaison de la mortalité à celle de la population française

Globalement, le nombre de décès observé est significativement inférieur à celui attendu (SMR=0,84 chez les hommes et SMR=0,82 chez les femmes ; tableau 2) compte tenu de l’âge et de l’effectif des agents. Parmi les hommes retraités, il est toutefois comparable au nombre attendu (SMR=0,98 ; IC95%: [0,91-1,05] ; 737 décès observés contre 753 attendus). Des nombres de décès inférieurs aux nombres attendus sont observés chez les hommes pour la plupart des causes de décès : cancers (SMR=0,84), maladies cardiovasculaires (SMR=0,91), maladies de l’appareil digestif (SMR=0,74), maladies respiratoires (SMR=0,35) (tableau 2). Cependant, un excès de suicide statistiquement significatif de 21% est observé (SMR=1,21 ; tableau 2) et une analyse détaillée montre que ce phénomène touche particulièrement les 35-44 ans (SMR=1,28 [1,00-1,62], 70 décès observés contre 55 attendus), et les 45-54 ans (SMR=1,35 [1,02-1,75], 56 décès observés contre 42 attendus). Chez les femmes, aucun excès de suicide n’est observé (SMR=0,95).

Tableau 2 : Comparaison de la mortalité toutes causes et par cause chez les hommes et les femmes de la cohorte des agents et ex-agents de l’administration pénitentiaire sur la période 1990-2008, France
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Dans les analyses selon la filière professionnelle ou les types de métiers, la sous-mortalité toutes causes est observée pour toutes les filières mais de façon contrastée (figure). Elle est plus prononcée et statistiquement significative chez les hommes ayant travaillé dans la filière de direction (SMR=0,37 [0,10-0,94]) et moins prononcée – mais également statistiquement significative – chez ceux de la filière de la surveillance (SMR=0,86 [0,82-0,91]). Chez les femmes, pour lesquelles les effectifs sont plus réduits, la sous-mortalité par filière est moins marquée et n’est pas statistiquement différente de celle de la population générale. Chez les hommes de la filière surveillance, un gradient hiérarchique est noté (figure) avec une sous-mortalité plus marquée chez les officiers (SMR=0,61 [0,50-0,74]) que chez les premiers surveillants (SMR=0,71 [0,63-0,81]) ou les surveillants (SMR=0,86 [0,81-0,91]). Un gradient de sous-mortalité est également noté au sein de la filière technique, avec une sous-mortalité plus marquée chez les directeurs techniques (SMR=0,56 [0,28-1,00]).

Figure : Ratio standardisé de mortalité (SMRa) toutes causes chez les agents et ex-agents de l’administration pénitentiaire selon le sexe, la filière professionnelleb et le métier exercéc sur la période 1990-2008, France
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L’excès de décès par suicide est observé parmi les hommes de la filière surveillance (SMR=1,22 ; tableau 3). Il est observé pour tous les métiers de la filière mais n’est statistiquement significatif que chez les agents qui ont été surveillants, et pas parmi ceux qui ont été premiers surveillants ou officiers (tableau 3). L’excès de suicide est observé pour les périodes 1990-1994 (SMR=1,43 [1,04-1,93]), 1995-1999 (SMR=1,29 [0,94-1,73]) et 2005-2008 (SMR=1,22 [0,88-1,66]) mais pas entre 2000 et 2004 (SMR=0,99 [0,70-1,36]). Chez les femmes de la filière surveillance, 6 décès sont observés pour 5 attendus. Les hommes issus de la filière technique présentent également un excès de mortalité par suicide, même s’il porte sur de plus petits nombres que les surveillants (tableau 3).

Tableau 3 : Ratio standardisé de mortalité (SMR) par suicide chez les agents et ex-agents de l’administration pénitentiaire selon le sexe, la filière professionnellea et le métier exercéb sur la période 1990-2008, France
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Comparaison de la mortalité par suicide suivant les caractéristiques professionnelles

En prenant comme référence les agents de la filière surveillance affectés dans un centre pénitentiaire, aucune augmentation du risque de suicide n’est observée pour les agents affectés dans une maison d’arrêt (RR=0,84 [0,56-1,27]) ou une maison centrale (RR=0,85 [0,38-1,91]). Concernant le taux d’occupation carcérale, le résultat observé est inattendu : même si le risque relatif de suicide n’est pas statistiquement significatif, il est inférieur parmi les agents ayant travaillé dans les établissements avec les taux d’occupation les plus élevés (>140%) par rapport à ceux ayant exercé dans les établissements avec les taux d’occupation les plus faibles (<90%) (RR=0,65 [0,37-1,16]). Ce risque relatif reste à un niveau comparable dans une analyse excluant les agents affectés en Île-de-France (RR=0,59 [0,31-1,12]).

Discussion

Cette analyse inédite de la mortalité d’une cohorte de plus de 40 000 agents et ex-agents de l’AP suivis entre 1990 et 2008 montre une sous-mortalité toutes causes par rapport à la population générale française. Aucun excès de décès relatif à des pathologies (maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires, tumeurs) n’est observé de façon significative ; cependant, un excès statistiquement significatif de suicide est observé chez les hommes.

La sous-mortalité globale est une observation habituelle des études de cohortes professionnelles et expliquée par les différents phénomènes de sélection appelés « effets du travailleur en bonne santé » 9, notamment ceux liés à l’accès à l’emploi, les personnes en bonne santé étant plus susceptibles d’accéder à un emploi.

Les gradients hiérarchiques de la mortalité observés dans notre étude sont à mettre en regard des disparités sociales de mortalité classiquement observées dans la population française. Les déterminants de ces disparités sont multiples et comprennent notamment les facteurs socioéconomiques (éducation, revenu, conditions de travail, etc.) et les comportements (individuels ou liés au groupe social). Ces différents déterminants interviennent vraisemblablement de façon concomitante ; cependant, les données disponibles dans l’étude ne permettent pas d’évaluer la part de chacun d’eux et d’explorer en détail ces gradients de mortalité. Ce résultat renvoie également au lien entre l’état de santé et la promotion professionnelle. Dans l’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP), après prise en compte du sexe, de l’âge, du diplôme et de la santé perçue à 18 ans, les travailleurs avec un parcours professionnel ascendant durant leur carrière se déclaraient plus souvent en bonne ou très bonne santé 10.

Comme les causes externes – dont le suicide – ne sont pas toujours renseignées dans les certificats de décès, le nombre de suicides dans la cohorte est vraisemblablement sous-évalué. Cependant, dès lors que ce nombre est comparé à un nombre de décès attendus calculé en utilisant les données issues des certificats de décès, les excès observés reflètent bien le différentiel de mortalité par suicide entre les agents de l’AP et la population générale. Il est à noter par ailleurs que des excès ou des risques spécifiques de suicide chez les agents pénitentiaires ont été rapportés précédemment dans une étude française 11 et deux études américaines 12,13. En particulier, l’accès à un moyen létal, la présence de troubles de la santé mentale (dépression) et des situations professionnelles stressantes ont été relevés comme associés au risque de suicide. Il s’agit de facteurs de risque de suicide déjà observés dans d’autres populations.

L’excès de suicide chez les surveillants pénitentiaires n’a probablement pas une origine unique et plusieurs hypothèses peuvent être envisagées. Les surveillants pénitentiaires sont exposés à des contraintes psychosociales reconnues délétères pour la santé psychique et pouvant constituer un élément déclencheur des conduites suicidaires. Ces contraintes peuvent être spécifiques (situation de violence, insécurité, stress, confrontation au suicide des personnes détenues), mais aussi non spécifiques (demande psychologique élevée, faible latitude décisionnelle, faible soutien des supérieurs, manque de reconnaissance, insuffisance des effectifs, mauvaise image de la profession). De plus, les surveillants pénitentiaires ont un accès, contrôlé mais possible dans les miradors, à un moyen létal, l’arme à feu, facteur pouvant entraîner le passage des pensées suicidaires à l’acte suicidaire. Aucune donnée extraprofessionnelle (statut marital, nombre d’enfants, etc.) n’étant disponible dans les sources de données utilisées, il n’a pas été possible d’explorer la part des facteurs personnels et des facteurs professionnels pouvant contribuer de façon concomitante à l’excès observé.

Aucune association positive n’a été observée entre les indicateurs professionnels étudiés et le risque de suicide. Concernant le taux d’occupation carcérale, la question peut se poser de savoir si un taux élevé suffit à lui seul pour tracer des conditions de travail délétères. D’autres éléments, comme la fréquence de roulement des équipes ou le nombre d’agents, peuvent en effet entrer en jeu pour nuancer cet effet potentiellement délétère. D’ailleurs, des comparaisons de mortalité en fonction de la taille des équipes de surveillants suggèrent un risque de suicide plus élevé parmi les agents ayant exercé dans les établissements avec les tailles d’équipe les plus petites 4.

Une des limites de l’étude est que seule la mortalité a été analysée, ce qui ne donne qu’une vision partielle de la santé d’une population. L’étude ne renseigne pas sur les problématiques de santés non létales, notamment sur la situation générale en termes de santé mentale (par exemple, symptômes dépressifs) ou de tentatives de suicide.

Même si les données disponibles ne permettent pas de déterminer l’origine de l’excès de suicide observé (spécificités du travail et/ou facteurs individuels) cet excès reste un constat objectif. Des actions sont déjà mises en œuvre par l’AP avec la création d’un groupe de travail sur les suicides, la mise en place d’un numéro vert et de la communication en direction des médecins du travail et des préventeurs. Cette étude montre que, même si certaines comparaisons sont difficiles en raison des effectifs, il est possible de mettre en œuvre une démarche épidémiologique à l’échelle d’une institution ou d’une entreprise ; cette démarche permet à l’institution ou l’entreprise de disposer de données quantifiées et objectives sur l’état de santé de ses salariés et donne des pistes pour des études plus approfondies dans le but de définir des stratégies de prévention adaptées.

Remerciements

Nous remercions les employés du service des ressources humaines et du service déconcentré 2 de l’administration pénitentiaire, et tout particulièrement Pierre Pavageau, pour leur aide et leur collaboration à l’étude. Nous remercions également Claire Bossard et Christine Cohidon pour leur expertise.

Références

1 Bourbonnais R, Malenfant R, Vézina M, Jauvin N, Brisson I. Les caractéristiques du travail et la santé des agents en services de détention. Rev Epidémiol Santé Publique. 2005;53(2):127-42.
2 Goldberg P, Landre MF, David S, Goldberg M, Dassa S, Marne MJ. Conditions de travail, conditions de vie et problèmes de santé physique déclarés par le personnel de l’administration pénitentiaire en France. Rev Epidémiol Santé Publique. 1996;44(3):200-13.
3 Goldberg P, David S, Landre MF, Goldberg M, Dassa S, Fuhrer R. Work conditions and mental health among prison staff in France. Scand J Work Environ Health. 1996;22(1):45-54.
4 Marchand JL, Dourlat T, Moisan F. Description de la mortalité des agents et ex-agents de l’administration pénitentiaire. Analyse de la mortalité par cause entre 1990 et 2008. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2015. 62 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12499
5 Pavillon G, Laurent F. Certification et codification des causes médicales de décès. Bull Epidémiol Hebd. 2003;(30-31):134-8. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=2410
6 Eurostat. European Shortlist for Causes of Death, 1998. [Internet]. Brussels: European Commission. http://ec.europa.eu/eurostat/ramon/nomenclatures/index.cfm?TargetUrl=LST_NOM_DTL&StrNom=COD_1998&StrLanguageCode=EN&IntPcKey=&StrLayoutCode=HIERARCHIC
7 Checkoway H, Pearce N, Kriebel D. Cohort studies. In: Research methods in occupational epidemiology. 2nd ed. Oxford: Oxford University Press; 2004. p. 123-78.
8 Aouba A, Péquignot F, Camelin L, Jougla E. Évaluation de la qualité et amélioration de la connaissance des données de mortalité par suicide en France métropolitaine, 2006. Bull Epidémiol Hebd. 2011;(47-48):497-500. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=10220
9 Pearce N, Checkoway H, Kriebel D. Bias in occupational epidemiology studies. Occup Environ Med. 2007;64(8):562-8.
10 Bahu M, Coutrot T, Herbet J-B, Mermilliod C, Rouxel C. Parcours professionnels et état de santé. Dossiers Solidarité Santé. 2010;(14):12 p. http://drees.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/article201014.pdf
11 Encrenaz G, Miras A, Contrand B, Séguin M, Moulki M, Queinec R, et al. Encrenaz G, Miras A, Contrand B, Michel G, Moulki M, et al. Suicide mortality among the French correctional staff: a study of mental health and life events as risk factors for suicide. The XXVI IASP World Congress, Sep 2011, Beijing, China.
12 New Jersey Police Suicide Task Force Report. 2009. 55 p. http://www.nj.gov/oag/library/NJPoliceSuicideTaskForceReport-January-30-2009-Final(r2.3.09).pdf
13 Stack SJ, Tsoudis O. Suicide risk among correctional officiers: A logistic regression analysis. Arch Suicide Res. 1997;3:183-6.

Citer cet article

Moisan F, Dourlat T, Marchand JL. Description de la mortalité des agents et ex-agents de l’administration pénitentiaire entre 1990 et 2008 en France. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(10):176-82. http://www.invs.sante.fr/beh/2016/10/2016_10_1.html