Inégalités sociales d’accès aux soins et à la prévention en Midi-Pyrénées, France, 2012

// Social inequalities of access to care and prevention in Midi-Pyrénées region, France, 2012

Cyrille Delpierre1 (cyrille.delpierre@inserm.fr), Romain Fantin1, Haithem Chehoud2, Valérie Nicoules2, Annette Bayle3, Arnaud Souche4, Maela Tanguy5, Jean-Paul Valière6, Françoise Cayla7, Pascale Grosclaude1,8, Denis Ducros2
1 Inserm, UMR1027, Toulouse, France ; Université Toulouse III, Toulouse, France / Institut fédératif d’études et de recherches interdisciplinaires santé société (Iferiss), France
2 Agence régionale de santé Midi-Pyrénées, Toulouse, France
3 Mutualité sociale agricole (MSA) Midi-Pyrénées Sud, Toulouse, France
4 Direction régionale du service médical Midi-Pyrénées, Toulouse, France
5 Régime social des indépendants (RSI) Midi-Pyrénées, Balhma, France
6 Mutualité sociale agricole (MSA) Midi-Pyrénées Nord, Rodez, France
7 Observatoire régional de la santé (ORS) Midi-Pyrénées, Toulouse, France
8 Institut Claudius Regaud, IUCT-O, Registre des cancers du Tarn, Toulouse, France
Soumis le 01.07.2015 // Date of submission: 07.01.2015
Mots-clés : Inégalités sociales de santé | Bases de données médico-administratives | Offre de soins | Consommation de soins | Région Midi-Pyrénées
Keywords: Social inequalities in health | Medico-administrative databases | Access to care | Healthcare use | Midi-Pyrénées region

Résumé

Introduction –

L’objectif était de décrire les inégalités sociales de recours aux soins et à la prévention en région Midi-Pyrénées à partir des bases de données de l’Assurance maladie et d’un indicateur écologique de défavorisation.

Méthodes –

La population correspond aux bénéficiaires adultes des trois principaux régimes d’assurance maladie au 31 décembre 2012, soit plus de 2 millions de personnes. Dix indicateurs de recours aux soins et à la prévention, calculés sur 12 mois, ont été construits. L’influence du niveau socioéconomique, mesuré par un indice écologique de défavorisation, l’European Deprivation Index (EDI), calculé après géocodage de l’adresse exacte de la personne et attribution de l’Iris correspondant à cette adresse, a été analysée après ajustement sur l’âge, le sexe et l’exonération du ticket modérateur pour affection de longue durée.

Résultats –

Une diminution régulière de la consommation de soins – consultation d’un médecin généraliste ou d’un gynécologue au moins une fois dans l’année, soins dentaires conservateurs, remboursement de frais d’optique et recours à la mammographie et au frottis – a été observée avec l’augmentation de la défavorisation. Ce gradient social était inversé pour la consommation d’anxiolytiques et l’extraction dentaire. Aucun gradient social n’apparaissait dans la population des diabétiques traités, des différences sociales n’étant observées que pour la consultation d’ophtalmologie.

Discussion –

Un gradient social de recours aux soins et à la prévention a été largement observé en Midi-Pyrénées. Ce travail montre qu’il est possible d’approcher les inégalités sociales de santé à partir des bases de données médico-administratives, notamment pour les décrire à une échelle géographique fine.

Abstract

Introduction –

The objective was to describe social inequalities in healthcare use in the Midi-Pyrénées region (France) based on health insurance data and an ecological index of deprivation.

Methods –

The sample was selected from the three main French health insurance schemes databases, consisting of adult users entitled to health insurance as of 31 December 2012, which represents more than 2 million people. Ten indicators of healthcare use, calculated over 12 months, were constructed. An ecological deprivation index, the European Deprivation Index (EDI), which is calculated based on the geocoded addresses of the participants and the corresponding area code (IRIS) associated with that address, was used as a proxy for socioeconomic position. Multivariate analyses of the association between the deprivation index and healthcare use are adjusted for age, sex and exemption from co-payments because of long-term illness.

Results –

A graded decline in healthcare use is observed with increased deprivation for a number of healthcare uses including, consulting a GP or gynaecologist at least one per year, having dental care, reimbursements for optical care, and mammography and cervical smears. The social gradient is reversed for anxiolytic consumption and tooth extraction. Among the treated diabetic population a gradient was observed for consultations with an ophthalmologist, but not for any other healthcare use.

Discussion –

A social gradient in healthcare use and prevention is widely observed in the Midi-Pyrénées region. This work shows that it is possible to measure social health inequalities from health insurance databases, particularly for describing such inequalities at a small geographic scale.

Introduction

La réduction des inégalités sociales de santé (ISS) représente une priorité de santé publique en France. Elle s’inscrit comme un des objectifs prioritaires des Plans cancer et apparaît dans les Plans stratégiques régionaux de santé de plusieurs Agences régionales de santé (ARS). En 2009, deux rapports du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) répondant à des saisines gouvernementales ont pointé le manque, en France, d’un véritable système de surveillance des ISS 1,2. Rappelant que la capacité à mesurer est un préalable à l’action, le HCSP a insisté sur l’importance d’une production régulière de données sur les ISS en France, ce qui nécessite d’intégrer ou de récupérer des données sociales dans les enquêtes et systèmes d’information en santé et de développer la production de données à un échelon géographique fin.

En pratique, diverses approches existent pour mesurer la position socioéconomique. Au niveau individuel, le statut socioéconomique est principalement approché par trois dimensions : le revenu, l’éducation, l’emploi et/ou la catégorie socioprofessionnelle qui figurent rarement dans les dossiers médicaux et sont souvent manquantes dans les enquêtes par questionnaire, au risque d’introduire un biais. Afin de suppléer le manque de données individuelles, les mesures des caractéristiques socioéconomiques des zones de résidence sont fréquemment utilisées. L’objectif de ces indicateurs écologiques est d’assigner à chaque individu, en utilisant l’adresse de son domicile, une information socioéconomique calculée à partir des caractéristiques de son territoire de résidence. La majorité des indices géographiques sont des indices composites combinant plusieurs variables disponibles au niveau écologique, indices dits de défavorisation, laquelle est définie comme « un état de désavantage observable et démontrable relatif à la communauté locale ou plus largement à la société à laquelle appartient une personne, une famille ou un groupe » 3. Les indices de défavorisation, principalement construits à partir des données de recensement de population, ont d’abord été développés au début des années 1970 au Royaume-Uni et, plus récemment, en France.

Le croisement de données issues des bases médico-administratives des régimes d’assurance maladie, qui disposent des adresses, avec un indicateur écologique de défavorisation pourrait pallier en partie le manque de données sociales collectées en routine et offrir une vraie opportunité pour étudier les ISS en France 4. L’objectif de notre étude était de décrire les inégalités sociales de recours aux soins et à la prévention en région Midi-Pyrénées, à partir de données issues des bases de données de l’Assurance maladie et d’un indicateur écologique de défavorisation.

Méthodes

Population

La population retenue était celle des bénéficiaires des trois principaux régimes d’assurance maladie – Régime général (RG), Mutualité sociale agricole (MSA) et Régime social des indépendants (RSI) – ayant des droits ouverts et résidant en Midi-Pyrénées au 31 décembre 2012. Pour chaque régime, certaines populations ont été exclues en raison des différences de gestion des ressortissants : les sections locales mutualistes pour le RG, le groupement des assureurs maladie des exploitants pour la MSA et les professions libérales pour le RSI. Les personnes décédées ont également été exclues. Afin d’éviter certains biais de sélection pour les classes d’âge les plus jeunes, par exemple le recours des enfants à la Protection maternelle et infantile (PMI), la population étudiée a été restreinte aux personnes de 18 ans et plus.

Une autorisation a été obtenue pour la réalisation de cette étude auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) sous le n° 1634837.

Indicateurs marqueurs du recours aux soins et à la prévention

Les indicateurs choisis, ainsi que la méthodologie utilisée, ont été décrits dans un article précédemment publié 4. Ils intègrent les grandes orientations de la Stratégie nationale de santé 5. Ils concernaient principalement les soins de premier recours (soins primaires) et la prévention.

Pour caractériser le recours primaire aux soins, les indicateurs retenus correspondaient à la proportion de la population bénéficiaire d’au moins une consultation chez un médecin généraliste et à la proportion des femmes ayant bénéficié d’au moins une consultation chez un médecin gynécologue.

Des marqueurs de la qualité de la prise en charge ont été étudiés chez les patients diabétiques traités de 50 ans et plus, à savoir : la part des patients ayant bénéficié d’au moins un fond d’œil ou d’une rétinographie ou d’une consultation chez un médecin ophtalmologiste, et la proportion de ceux ayant eu au moins trois dosages de l’hémoglobine glyquée sur 12 mois.

Pour approcher le recours à la prévention, deux indicateurs ont été retenus : la proportion de femmes de 50 à 74 ans ayant bénéficié d’au moins une mammographie et de femmes de 25 à 64 ans ayant bénéficié d’au moins un frottis cervico-utérin.

Pour examiner le recours à des soins pour lesquels des inégalités d’accès sont notoirement reconnues, tels que les soins dentaires et l’optique, trois indicateurs ont été construits : part de la population bénéficiaire d’au moins une extraction dentaire (hors dents de sagesse), d’au moins un soin dentaire conservateur et d’au moins un remboursement de lunettes de vue ou de lentilles.

Enfin, un indicateur de consommation médicamenteuse connu pour être socialement différencié 6 a été retenu, à savoir la proportion de la population bénéficiaire d’au moins trois délivrances d’anxiolytiques.

Tous ces indicateurs de recours aux soins ou à la prévention ont été calculés sur 12 mois [MSA et RSI, année 2012, RG mars 2012-février 2013]. Les bénéficiaires non-consommants ont été inclus dans le calcul.

Variables collectées

Les données individuelles retenues correspondaient à trois variables reconnues comme déterminant des besoins en soins. Il s’agit de l’âge, du sexe et de l’exonération du ticket modérateur pour affection de longue durée (ALD), fréquemment utilisée comme une variable proxy de l’état de santé 7.

Indicateur de défavorisation : l’European Deprivation Index

Le niveau socioéconomique a été mesuré grâce à un indice écologique de défavorisation, l’European Deprivation Index (EDI), calculé après géocodage de l’adresse exacte de la personne et attribution de l’Iris correspondant à cette adresse. L’Iris (Îlots regroupés pour l’information statistique) est une zone géographique incluant environ 2 000 personnes homogènes au niveau socioéconomique. En 2010, la région Midi-Pyrénées comptait 3 500 Iris. À chaque Iris a été attribuée une valeur de l’EDI, calculée à partir des données de recensement de 2007, une valeur élevée signifiant un niveau de défavorisation élevé de l’Iris. Nous avons utilisé une présentation de cet indicateur en déciles, calculés à partir de l’ensemble des Iris de France métropolitaine 8.

Analyse statistique

Le lien entre chaque indicateur de recours aux soins et l’EDI a été analysé à l’aide d’un modèle de régression logistique ajusté sur l’âge, le sexe et le fait de bénéficier de l’ALD utilisé comme proxy de l’état de santé. Les odds ratios (OR) ajustés associés à chaque décile de l’EDI ont été représentés sous forme graphique en prenant comme référence l’EDI le plus favorisé (décile 1).

Concernant les indicateurs de prévention pour lesquels des recommandations existent (un frottis tous les trois ans chez les femmes de 25 à 65 ans et une mammographie tous les deux ans chez les femmes de 50 à 74 ans), la « sous-consommation de soins » absolue a été estimée en calculant le nombre de personnes qui auraient consommé si l’ensemble de la population avait eu le niveau de recours attendu par les programmes de dépistage, soit 33% de recours par an pour le frottis et 50% par an pour la mammographie. Par ailleurs, la sous-consommation relative a été estimée en calculant le nombre de personnes qui auraient consommé si, à âge, sexe et statut d’ALD égaux, l’ensemble de la population avait eu le même niveau de recours que celle du décile le plus favorisé. Pour chaque décile, la comparaison entre cette consommation théorique et la consommation observée permet d’approcher la sous-consommation, exprimée en nombre de recours non réalisés.

Les analyses statistiques ont été conduites à l’aide du logiciel Stata® SE 11.2.

Résultats

La population étudiée correspondait à celle des adultes de la région Midi-Pyrénées, soit plus de 2 millions de personnes, dont 51,4% de femmes, d’âge moyen 50,1 ans et dont 18,4% avaient au moins une ALD.

De façon générale, dans l’ensemble de la population, plus les personnes vivaient dans une zone défavorisée, plus la consommation de soins (ajustée sur l’âge le sexe et une éventuelle ALD) était faible. Cela était observé pour le fait de consulter un médecin généraliste ou un gynécologue au moins une fois dans l’année, avec un OR calculé entre le décile le moins favorisé et le décile le plus favorisé (OR Q10 vs Q1) de, respectivement 0,80 et 0,59 (tableau). Cette différence prend la forme d’un gradient social qui se manifeste dans la figure par une diminution régulière de la consommation de soins avec l’augmentation de la défavorisation. Le phénomène était identique pour les soins dentaires s’ils étaient conservateurs, pour le remboursement de frais d’optique et pour les deux dépistages étudiés (concernant uniquement les femmes), la mammographie et le frottis.

Tableau : Recours aux soins en fonction du niveau de défavorisation, Midi-Pyrénées (France), 2012
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Figure : Gradient social de recours aux soins pour chacun des indicateurs étudiés, Midi-Pyrénées (France), 2012. Odds ratios (en fonction de l’indice de défavorisation ajustés sur l’âge, le sexe et l’ALD)
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Le gradient était inversé dans deux cas : la consommation d’anxiolytiques et l’extraction dentaire. Pour la consommation d’anxiolytiques, on observait une augmentation importante de la délivrance avec le niveau de défavorisation (OR Q10 vs Q1=1,48) et, pour l’extraction dentaire (OR Q10 vs Q1=1,20), une augmentation moins régulière qui concernait principalement les deux derniers déciles (figure).

Enfin, aucun gradient social n’apparaissait dans la population des diabétiques traités, pour laquelle les différences dans la qualité de la prise en charge étaient faibles mais réelles pour la consultation d’ophtalmologie (OR Q10 vs Q1=0,91) ou inexistantes pour le suivi biologique (dosage de l’hémoglobine glyquée : OR Q10 vs Q1=0,96).

En appliquant à l’ensemble de la population régionale le niveau de recours attendu par les programmes de dépistage, soit 33% des femmes de 25 à 65 ans avec un frottis par an et 50% des femmes de 50 à 74 ans avec une mammographie par an, la sous-consommation théorique sur un an a été estimée à 70 000 pour le recours à la mammographie et à 30 000 pour le frottis. En appliquant à l’ensemble de la population régionale le niveau de consommation du décile le plus favorisé, soit 34% pour la mammographie et 34% pour le frottis, la sous-consommation relative correspondrait à 10 000 mammographies et 36 000 frottis.

Discussion

Cette analyse met en évidence l’existence, au niveau global, d’une association entre le niveau de défavorisation et les niveaux de recours aux soins et à la prévention. Cette association prend le plus souvent la forme d’un gradient social plus ou moins marqué selon les indicateurs analysés, et ne se limite pas à la frange la plus défavorisée de la population.

Ce lien varie néanmoins en fonction de la nature des indicateurs étudiés. Pour le recours primaire aux soins, la probabilité de recours au médecin généraliste et au gynécologue décroît avec le niveau de défavorisation. Le niveau de prise en charge optimale n’étant pas connu, ce sous-recours important interroge. Il est ainsi difficile de savoir s’il s’agit d’une inégalité ou simplement d’une différence justifiée par des besoins en soins différents entre groupes sociaux. On peut néanmoins contester l’idée de différence de besoins lorsqu’on parle de prévention. Or, le taux de recours aux dépistages du cancer du sein et du cancer du col de l’utérus décroît fortement avec le niveau de défavorisation, notamment pour le cancer du col de l’utérus, traduisant une nette inégalité dans le recours à la prévention. On peut supposer que les campagnes de dépistage organisé du cancer du sein ont néanmoins permis de réduire le gradient social, moins marqué que pour le cancer du col de l’utérus mais qui reste toutefois important.

Deux indicateurs marqueurs de la qualité de la prise en charge des patients diabétiques traités ont été étudiés : un indicateur proxy de la surveillance du risque de rétinopathie diabétique et le dosage de l’hémoglobine glyquée. Ces recours semblent moins liés au niveau de défavorisation. Lorsqu’un patient diabétique est traité, la qualité du suivi biologique semble ainsi ne pas dépendre du niveau de défavorisation, comme retrouvé dans l’étude Entred 9. Le recours à l’ophtalmologiste reste quant à lui plus limité pour les personnes moins favorisées, sans qu’un gradient soit mis en évidence. Dans notre étude, les personnes diabétiques ont été identifiées par le fait qu’elles étaient traitées (au moins trois délivrances d’un antidiabétique oral ou d’insuline dans l’année). Toutefois, celles qui ne se soignent pas et qui pourraient présenter un profil social particulier ne sont pas prises en compte.

Dans le cas des indicateurs pour lesquels le reste à charge est important, les gradients sociaux sont nets. Pour le recours aux soins dentaires (soins conservateurs et extractions dentaires hors dents de sagesse), le recours aux soins conservateurs décroît régulièrement avec le niveau de défavorisation. À l’inverse, le recours à l’extraction augmente légèrement et, en particulier, pour les deux déciles les plus défavorisés (déciles 9 et 10). À ce titre, l’extraction dentaire pourrait refléter un état de santé davantage en lien avec une situation de précarité.

Pour les soins d’optique, la prise en charge de lunettes de vue ou de lentilles décroît nettement avec le niveau de défavorisation, ce qui semble confirmer que le reste à charge est un facteur de non recours. Un taux de renoncement à cette prise en charge estimé à 15,1% en 2012 était retrouvé pour les bénéficiaires de la CMU-C (Couverture maladie universelle complémentaire) dans l’Enquête sur la santé et la protection sociale (ESPS) 10. Il n’est cependant pas possible d’écarter aussi un sur-recours des populations les plus favorisées qui augmenterait les écarts.

Le gradient social associé aux anxiolytiques est particulièrement important bien qu’ajusté sur l’âge, le sexe et l’état de santé. Le lien entre difficultés socioéconomiques et santé mentale est bien connu et peut expliquer en partie ce gradient. Cependant, même si rien ne permet de l’affirmer, un sur-recours traduisant une tendance à la médicalisation de problèmes sociaux ne peut pas être exclu 6.

Limites

Cette étude comporte un certain nombre de limites inhérentes à l’utilisation de bases de données médico-administratives. Seuls les bénéficiaires des trois principaux régimes d’assurance maladie sont ici considérés (87% de la population de la région). Les données des régimes spéciaux et les bénéficiaires des sections locales mutualistes ne sont pas intégrées. Un biais de sélection existe donc. De plus, certaines catégories de population domiciliées auprès d’une institution et disposant d’une même adresse fictive ou imposée (personnes incarcérées, personnes sans domicile fixe, enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance) sont exclues des analyses. Les recours en consultation externe ne sont pas pris en compte. Enfin, il existe probablement une infime fraction des prestations qui ne sont pas présentées au remboursement par les bénéficiaires. Cette pratique marginale est probablement d’autant moins répandue que le niveau socioéconomique du bénéficiaire est faible et ne peut donc pas expliquer à elle seule les gradients de recours observés.

Une autre limite concerne la nature des données individuelles disponibles dans les bases médico-administratives, notamment au regard de l’analyse des ISS. Nos analyses sont ajustées sur l’âge, le sexe et le fait d’avoir une ALD car ces trois variables influencent les besoins en soins. Toutefois, l’information relative à l’ALD comporte des biais connus, notamment le fait qu’une personne peut ne pas demander l’exonération au titre de l’ALD pour des raisons personnelles : complémentaire santé offrant des garanties élevées, confidentialité…

Enfin, le niveau socioéconomique des individus a été approché par un indice écologique de défavorisation. La précision de la mesure est déterminée par sa méthodologie de construction qui repose notamment sur sa résolution géographique. La résolution géographique de l’indice doit être la plus élevée possible afin de limiter le biais écologique, la précision des mesures socioéconomiques diminuant avec la taille de l’unité géographique utilisée. L’EDI est le seul indice de défavorisation défini à ce jour au niveau de l’Iris, pour l’ensemble du territoire national. Néanmoins, comme tout indice écologique, il est exposé au risque d’attribuer à tort à un individu le niveau de défavorisation de la zone dans laquelle il vit. L’utilisation d’un indice composite permet néanmoins d’approcher la notion de défavorisation, par nature multidimensionnelle et donc partiellement appréhendée par les dimensions du contexte prises isolément. De plus, en tant qu’indice écologique de défavorisation, il n’est pas qu’un proxy des caractéristiques individuelles mais aussi un proxy des caractéristiques du contexte dans lequel vivent les individus. Disposer d’informations sur le contexte, comme l’offre de soins par exemple, permettra de mieux préciser la nature des liens observés entre défavorisation et recours aux soins.

Conclusion

Ce travail a mis en évidence l’existence d’un lien fort entre caractéristiques sociales et niveau de recours aux soins et à la prévention en Midi-Pyrénées, malgré l’existence de mécanismes de compensation comme la CMU-C, centrés sur les populations les plus précaires. Ce lien prend majoritairement la forme d’un gradient social de recours. En fonction des indicateurs, notamment pour la prévention, ces gradients reflètent une sous-consommation des personnes vivant dans les zones moins favorisées et donc de réelles inégalités sociales de recours. Ce travail, conduit à partir des bases de données médico-administratives, prouve qu’il est possible d’approcher les ISS à partir de ces sources de données, notamment pour les décrire à une échelle géographique fine. On ne peut qu’insister sur l’intérêt de compléter ces bases avec d’autres types de données qui pourraient permettre d’analyser plus finement les mécanismes en jeu dans la genèse des ISS. De manière opérationnelle, ces résultats pourraient permettre d’identifier les territoires d’intervention prioritaires pour le déploiement et le suivi de politiques publiques visant à la réduction des ISS.

Remerciements

Les auteurs remercient les trois principaux régimes d’assurance maladie de la région Midi-Pyrénées (Direction régionale du service médical Midi-Pyrénées, Association régionale des organismes de Mutualité sociale agricole Midi-Pyrénées, Régime social des indépendants Midi-Pyrénées), l’Institut fédératif d’études et de recherches Interdisciplinaires santé société, l’Observatoire régional de la santé Midi-Pyrénées ainsi que l’Agence régionale de santé Midi-Pyrénées.

Références

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2 Haut Conseil de la santé publique. Les inégalités sociales de santé : sortir de la fatalité. Paris: HCSP; 2009. 99 p. http://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=113
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4 Ducros D, Nicoules V, Chehoud H, Bayle A, Souche A, Tanguy M, et al. Les bases médico-administratives pour mesurer les inégalités sociales de santé. Santé Publique. 2015;27:383-94.
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8 Pornet C, Delpierre C, Dejardin O, Grosclaude P, Launay L, Guittet L, et al. Construction of an adaptable European transnational ecological deprivation index: the French version. J Epidemiol Community Health. 2012; 66(11):982-9.
9 Fosse-Edorh S, Pornet C, Delpierre C, Rey G, Bihan H, Fagot-Campagna A. Associations entre niveau socioéconomique et recours aux soins des personnes diabétiques, et évolutions entre 2001 et 2007, à partir d’une approche écologique. Enquêtes Entred 2001 et 2007, France. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(30-31):500-6. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12281
10 Célant N, Guillaume S, Rochereau T. Enquête sur la santé et la protection sociale 2012. Rapport n° 556. Paris: Institut de recherche et de documentation en économie de la santé; 2014. 302 p. http://www.irdes.fr/recherche/2014/rapport-556-enquete-sur-la-sante-et-la-protection-sociale-2012.html

Citer cet article

Delpierre C, Fantin R, Chehoud H, Nicoules V, Bayle A, Souche A, et al. Inégalités sociales d’accès aux soins et à la prévention en Midi-Pyrénées, France, 2012. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(1):2-8. http://www.invs.sante.fr/beh/2016/1/2016_1_1.html