Évènements indésirables graves associés aux soins : bilan des signalements reçus à l’ARS Île-de-France pendant 24 mois (1er janvier 2012 - 31 décembre 2013)

// Care-related serious adverse events: 24 months assessment of reporting to the ARS Île-de-France (1 January 2012 - 31 December 2013)

Jimmy Mullaert, Antoine Robin, Myriam Ben Aïssa, Morgane Le Bail, Emilie Daimant, Anne Castot-Villepelet* (anne.castot-villepelet@ars.sante.fr)
Pôle Veille et sécurité sanitaire, Direction de la santé publique, Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France, Paris

* Avec la collaboration de : Clothilde Huyghe et Dr Christine Chaffaut (ARS Île-de-France, Délégation territoriale (DT) Paris) ; Matthieu Jochum (ARS Île-de-France, DT Seine et Marne), Myriam Burdin et Elise Calafat (ARS Île-de-France, DT Yvelines) ; Marie-Pascale Delaporte, Dr Hervé Dadillon, Zahira Kada et Dr Madeleine Puia (ARS Île-de-France, DT Essonne) ; Diane Genet et Dr Marie-France Paulet (ARS Île-de-France, DT Hauts de Seine) ; Mohamed Kilani
(ARS Île-de-France, DT Seine Saint-Denis), Régis Gardin, Elias Fosso et Dr Marie-Françoise Raspiller (ARS Île-de-France, DT Val de Marne), Dr Sonia Michaut et Elisabeth Coativy (ARS Île-de-France, DT Val d’Oise) ; Corinne Panais et Valérie Jovelin-Peigne (Cabinet du directeur général, Pôle Démocratie sanitaire, Gestion des réclamations et de la demande de santé, ARS Île-de-France)
Soumis le 27.03.2014 // Date of submission: 03.27.2014
Mots-clés : Évènements indésirables graves | Évitabilité | Qualité des soins | Sécurité des patients
Keywords: Serious adverse events | Preventability | Quality of healthcare | Patient safety

Résumé

Contexte –

Les Agences régionales de santé (ARS) sont destinataires des déclarations des événements indésirables liés aux prises en charge, dans le cadre de l’offre de soins et médicosociale, qui leurs sont transmises par les établissements et les professionnels de santé. Certains de ces événements correspondent à des évènements indésirables graves (EIG, événements suivis du décès du patient, de la mise en jeu de son pronostic vital, de son hospitalisation ou de la prolongation de son hospitalisation, ou de la survenue de séquelles). L’objectif principal de cette étude était de décrire les caractéristiques des déclarations d’EIG reçues en 2012 et 2013 à l’ARS Île-de-France (ARSIdF) et d’analyser leur évolution entre ces deux années.

Matériel et méthodes –

L’analyse a porté sur l’ensemble des EIG déclarés à l’ARSIdF durant la période allant de janvier 2012 à décembre 2013. Les signalements émanaient des établissements sanitaires et médicosociaux. Les réclamations des usagers ont été également prises en compte. Les variables analysées ont été : la catégorie du signalant, le délai de déclaration à l’ARSIdF, le lien éventuel avec une vigilance règlementée, l’âge et le sexe du patient ainsi que la gravité de l’évènement.

Résultats –

Sur les 883 signalements d’événements indésirables liés aux prises en charge recueillis durant la période d’étude, 270 répondaient à la définition d’EIG et ont été inclus dans l’analyse. Un tiers d’entre eux étaient des comportements suicidaires (N=89, 33%). La progression du nombre de déclarations entre 2012 et 2013 était significative (+31%, p=0,03). Les données provenaient à la fois du secteur sanitaire (n=185, 69%) et du secteur médicosocial (n=85, 31%). Le délai de déclaration était supérieur à 15 jours dans un quart des cas. La répartition des signalements en fonction de leur gravité était significativement différente de celle obtenue dans les enquêtes nationales ENEIS (p<10-4).

Discussion – Conclusion –

Cette étude descriptive présente pour la première fois les caractéristiques des EIG spontanément signalés à l’ARSIdF, avec une part importante de signalements en provenance d’établissements médicosociaux. L'étude exclut néanmoins les infections associées aux soins. Elle permet de mettre en évidence une importante sous-déclaration, qui concerne principalement les événements les moins graves. Les actions en faveur de la culture du signalement et de la gestion des risques devraient être renforcées.

Abstract

Context –

The French Regional Health Agencies (ARS) receive reports of all care-related serious adverse events (SAE) sent by health practitioners and facilities in the context of social and medical health care. Some of these events correspond to serious adverse events (SAE, events resulting in the patient’s death, in case of the impairment of the patient’s vital prognosis, hospitalization or prolongation of hospitalization, or the occurrence of sequelae). The objective of this study was to describe the main characteristics of SAE reports received in 2012 and 2013 at the ARS Île-de-France and to assess the trends during those two years.

Material and methods –

The analysis focused on all SAE reported to the ARS from January 2012 to December 2013. The reports came from hospitals and medico-social facilities. Users’ complaints were also included in the analysis. Analyzed variables were: the reporting status, the reporting time lapse, the patient’ sex and age, and the severity of the event.

Results –

Among 883 care-related events collected during the study period, 270 SAE met the case definition for SAE and were included in the analysis. One third of them were suicidal behaviours (N=89, 33%). The increase in the number of report between 2012 and 2013 (+31%, p=0.03) was significant. Reports originated both from the health sector (n=185, 69%) and the medico-social sector (N=85, 31%). The time lapse before reporting was higher than 15 days for 25% of cases. The distribution of reports according to the seriousness is significantly different from that observed in the national ENEIS studies (p<10-4).

Discussion – Conclusion –

This descriptive study provides, for the first time, an insight on spontaneous reports of SAE to the ARS Ile-de-France, including a significant rate of reports from medico-social facilities. The study excluded acquired infections. It underlines an important underreporting of the less serious adverse events. Our study suggests that the culture of reporting and risk management should be permanently encouraged.

Contexte

La lutte contre les événements indésirables graves liés aux soins (EIG) s’inscrit dans la démarche globale d’amélioration de la qualité et sécurité des soins initiée par la loi de santé publique du 9 août 2004, relayée récemment par le Programme national pour la sécurité des patients 1 et affichée dans la Stratégie nationale de santé 2. La déclaration des EIG est l’un des pivots de la gestion des risques et de la qualité des soins, et s’inscrit en complément du signalement des infections associées aux soins et des effets indésirables des produits de santé. Le repérage, la mesure et la réduction de l’incidence des EIG revêtent de nombreux enjeux, stratégiques, organisationnels et humains (schémas régionaux d’organisation des soins, politique institutionnelle de l’établissement, qualité et sécurité du parcours de soins). L’article L.1413-14 du Code de la santé publique rend obligatoire la déclaration aux Agences régionales de santé (ARS) des évènements indésirables graves liés à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements et d’actions de prévention. Cependant, le décret devant préciser la nature et la gravité des évènements à déclarer et leurs modalités de recueil n’a pas encore été publié. Aussi, dans le contexte des démarches mises en place par l’ARS Île-de-France (ARSIdF) pour assurer la gestion des signalements, il est admis que l’EIG est un évènement inhabituel ou inattendu, préjudiciable pour le patient et ayant un caractère de gravité tel que le décès, la mise en jeu du pronostic vital, l’hospitalisation ou sa prolongation, ou la survenue de séquelles.

La sous-déclaration des EIG aux autorités de santé est connue pour être importante 3,4,5 mais les données épidémiologiques manquent dans ce domaine 6, notamment en France où les études publiées sur les EIG sont peu nombreuses et portent principalement sur le secteur hospitalier médecine-chirurgie-obstétrique (MCO). Les Enquêtes nationales sur les évènements indésirables liés aux soins ENEIS 1 et 2 7, menées par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en 2004 et 2009, avaient pour objectif d’évaluer l’incidence des EIG à partir d’un recueil effectué dans des services hospitaliers. Leurs résultats sont comparables et estimaient la densité d’incidence des EIG survenant lors d’une hospitalisation à 6,2 EIG pour 1 000 journées d’hospitalisation (IC95% [5,5-7,3]), dont 35% apparaissaient évitables. Plus récemment, une étude réalisée aux États-Unis 8 a mis en évidence une baisse de l’incidence sur un échantillon de 21 types d'EIG entre 2005 et 2011, mais avec d’importantes disparités selon le motif d’hospitalisation. Il apparaît également 9 que l’évolution de l’incidence des EIG est difficile à estimer du fait de la qualité hétérogène des signalements, mais aussi du manque de visibilité voire de la méconnaissance des dispositifs de déclaration.

En 2009, une étude pilote 10 a été réalisée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) dans le but de mettre en œuvre et d’évaluer un dispositif de déclaration des EIG auprès d’établissements partenaires. Les établissements participants appartenaient principalement au secteur hospitalier (MCO et psychiatrie) : seuls 1% des EIG recueillis provenaient d’établissements médicosociaux. Ce recueil, basé sur la déclaration spontanée en provenance d’établissement partenaires, ne permet pas d’évaluer un taux d’incidence, mais renseigne sur les mécanismes du signalement. En particulier, les évènements les plus graves, comme les décès, étaient plus représentés que dans les études fondées sur un recueil exhaustif (ENEIS). Cependant et à notre connaissance, aucune publication ne décrit les caractéristiques des événements spontanément déclarés aux autorités.

L’objectif principal de cette étude était de décrire les caractéristiques des EIG déclarés à ARSIdF durant la période janvier 2012 - décembre 2013 et d’analyser l’évolution des caractéristiques de ces signalements entre 2012 et 2013. Un focus sur quatre sous-groupes d’évènements est présenté.

Matériel et méthodes

Recueil des données

Les signalements d’événements liés aux prises en charge sont reçus à l’ARSIdF au Point focal régional (PFR) et sont enregistrés de manière exhaustive dans une base de données. Sont considérés comme des événements indésirables liés aux prises en charge les événements définis comme inattendus, pouvant avoir des conséquences préjudiciables chez les personnes prises en charge, y compris toutes situations individuelles graves (SIG), définies dans la circulaire de la Direction générale de la cohésion sociale du 23 juillet 2010 pour les établissements médicosociaux. Sont également pris en compte tous les dysfonctionnements sans conséquence clinique chez le patient ainsi que les réclamations d’usagers faisant suspecter un EIG. Il faut noter que les infections associées aux soins 11 ne sont pas incluses dans ce bilan des événements indésirables liés aux prises en charge. En effet, bien qu’elles doivent faire l’objet d’une déclaration aux ARS conformément à l’article L.1413-14 du Code de la santé publique, elles reposent sur un circuit de déclaration et des procédures de traitement distincts.

Les signalements sont transmis par les établissements et professionnels de santé par fax ou courriel sous forme de texte libre ou d’une fiche de déclaration propre à l’établissement. En novembre 2013, une campagne de sensibilisation, informant des modalités de déclaration et des nouveaux outils d’aide à la déclaration, a été menée par l’ARSIdF auprès des établissements de santé, médicosociaux et des médecins libéraux. Dans ce cadre et depuis le 25 novembre 2013, un formulaire de déclaration des événements indésirables liés aux prises en charge élaboré par l’ARSIdF est téléchargeable sur son site internet 12. Outre l’identité du signalant, le secteur de rattachement (établissement de santé, médicosocial ou professionnel de santé exerçant dans le secteur ambulatoire) et les motifs de la déclaration, le formulaire comporte la description de l’évènement, les conséquences pour le patient ainsi que les résultats de l’analyse des causes et les mesures correctives prises ou envisagées. Le lien éventuel avec une vigilance réglementée est aussi à renseigner.

Critères d’inclusion des signalements

L’étude a porté sur les signalements d’EIG reçus entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013 à l’ARSIdF. Était défini comme EIG tout évènement inhabituel ou inattendu, survenu au cours d’une prise en charge médicale ou médicosociale et présentant un caractère de gravité. Les critères de gravité pris en compte étaient le décès, la mise en jeu du pronostic vital, les séquelles irréversibles graves, l’hospitalisation ou la prolongation d’hospitalisation et l’incapacité temporaire ou définitive. Ont été exclus, en particulier, les SIG et les évènements ne présentant pas de critère de gravité. Le bilan des signalements a été effectué à distance de l’inclusion et a porté sur des évènements dont l’évolution était consolidée et définitive. Les modalités de traitement (instruction sur pièces, visite sur site ou inspection) ont été guidées par la « criticité » de l’évènement indésirable (appréciée sur la gravité et le risque de reproductibilité), l’historique de l’établissement et les possibles conséquences médiatiques ou judiciaires de l’évènement.

Analyse statistique

Les variables d’intérêt pour la description des signaux étaient : l’identité de l’établissement déclarant et sa catégorie, la profession du signalant, le secteur de soins concerné (hospitalier ou médicosocial), le délai de déclaration à l’ARSIdF, le lien éventuel avec une vigilance règlementée, l’âge et le sexe du patient ainsi que la gravité. La comparaison entre deux distributions statistiques a été réalisée avec le test du Chi2 ou de Wilcoxon, selon les conditions d’application.

Résultats

Nombre et caractéristique des signalements

Au cours de la période d’étude, 883 signalements d’événements indésirables liés aux prises en charge ont été recueillis. Après exclusion des 613 évènements qui ne remplissaient pas les critères d’inclusion, l’analyse a porté sur 270 EIG, dont les principales caractéristiques sont décrites dans le tableau 1.

Sur les 270 EIG signalés, 117 (43%) ont été déclarés en 2012 et 153 (57%) en 2013, soit une hausse significative de 31% (p=0,03) du nombre de signalements entre les deux périodes. Cette évolution était plus importante s’agissant des signalements provenant du secteur médicosocial (+39%, p=0,15), mais était aussi observée pour ceux du secteur sanitaire (+28%, p=0,09). L’analyse du délai écoulé entre la survenue de l’événement et sa déclaration montre que celle-ci s’est effectuée dans les 24 heures dans 25% des cas. Toutefois, ce délai dépassait 15 jours pour près d’un autre quart des signalements. Le délai de déclaration était significativement supérieur pour les établissements hospitaliers (p=0,001). En particulier, le délai de signalement pour les établissements médicosociaux était toujours inférieur à 31 jours, alors que 20% (37 sur 185) des EIG en provenance d’établissements hospitaliers ont été transmis à l’ARSIdF au-delà de 31 jours. L’augmentation du délai médian de signalement entre 2012 et 2013 n’est pas statistiquement significative (p=0,47).

Tableau 1 : Principales caractéristiques des événements indésirables graves signalés à l’Agence régionale de santé Île-de-France en 2012 et 2013
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Origine des signalements

Parmi les EIG, 69% étaient survenus dans un établissement de santé (n=185) et 31% dans un établissement médicosocial (n=85), dont 58 dans des établissements accueillant des personnes âgées et 27 dans des établissements accueillant des personnes handicapées. Aucun n’avait été signalé par la médecine de ville. Les EIG étaient majoritairement signalés par la direction de l’établissement (n=161, 60%), mais également par les gestionnaires des risques (n=26, 10%), les patients ou associations de patients (n=39, 13%) et des membres du corps médical et soignant (n=24, 9%). Les autres (n=21) provenaient d’organismes divers (préfecture, ministère…).

Les signalements émanaient de 169 établissements distincts, dont 97 établissements hospitaliers (57%, dont 22 établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris) et 72 établissements médicosociaux (43%). La majorité des établissements n’avait déclaré qu’un seul EIG durant la période d’étude (n=116, 69%). Les établissements déclarant 2, 3 ou 4 EIG étaient respectivement au nombre de 28, 14 et 5 (17%, 8% et 3%). Seuls 5 établissements ont déclaré au moins 4 EIG durant la période d’étude. Il s’agissait alors exclusivement d’établissements hospitaliers de plus de 300 lits.

Parmi les 28 établissements franciliens qui ont participé à l’étude pilote InVS, 10 ont déclaré au moins un EIG durant la période d’étude.

À noter que les 39 réclamations d’usagers concernaient pour 92% d’entre elles (n=36) un EIG survenu dans un établissement sanitaire et pour 8% un établissement médicosocial (n=3).

Gravité

Au total, sur les 270 EIG inclus, sont survenus 158 décès (59%), dont 12 rapportés dans le cadre d’une réclamation, 43 mises en jeu du pronostic vital (16%), 14 cas de séquelles irréversibles (5%), 50 cas d’hospitalisation ou prolongation d’hospitalisation (19%) et 5 cas d’incapacité temporaire (2%). Il n’a pas été mis en évidence d’évolution entre les années 2012 et 2013 (p=0,20). La distribution de la gravité ne diffère pas non plus significativement selon le secteur (sanitaire ou médicosocial, p=0,20). On constate des proportions plus importantes de décès et de mise en jeu du pronostic vital que celles rapportées dans l’enquête ENEIS 2 (p<10-4) et dans l’étude pilote InVS (p<10-4).

Typologie des signalements

La typologie des signalements d’EIG reçus est présentée dans le tableau 2. Tous faisaient suspecter un dysfonctionnement dans la prise en charge, dans des circonstances multiples et non exclusives. Près d’un tiers concernaient des conduites suicidaires (n=89, 33%). Les complications liées à une chute étaient relevées dans 24 cas (9%), les complications maternelles et périnatales dans 24 cas (9%) ; 15 erreurs médicamenteuses ont été déclarées (5%). Dans 24 cas (9%), l’évènement était un décès inattendu, qui pourrait être lié à la pathologie, à la prise en charge ou à l’aggravation d’un état clinique déjà précaire. Enfin, 94 EIG (35%) sont survenus dans un autre contexte (défaut de surveillance, retard ou erreur de diagnostic, erreur de patient). À noter que sur les 270 EIG, 34 cas (14%) ont impliqué un produit de santé et ont fait l’objet d’une déclaration à la vigilance concernée (pharmacovigilance, matériovigilance…).

Tableau 2 : Typologie des événements indésirables graves signalés à l’Agence régionale de santé Île-de-France en 2012 et 2013
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Les conduites suicidaires

Les conduites suicidaires comprenaient 60 suicides et 29 tentatives de suicide. Elles concernaient 43 hommes (51%) et 41 femmes (49%). Ces événements étaient survenus en établissement hospitalier dans 66% des cas (n=59) et en établissement médicosocial dans 34% des cas (n=30) (tableau 3).

Dix EIG (dont 6 décès) sont survenus dans un secteur psychiatrique et 3 suicides avaient eu lieu en chambre d’isolement. Dans 15 signalements, des facteurs de risque (antécédents de conduites suicidaires, pathologie psychiatrique sous-jacente) ont été identifiés et pris en compte par l’établissement (surveillance renforcée). Enfin, la déclaration de ces cas a été rapide puisque 50% des établissements ont déclaré l’événement (conduite suicidaire) dans les 24 heures et 75% des établissements dans les 96 heures.

Les chutes

Parmi les 24 signalements de chute, 6 ont entraîné le décès du patient (tableau 2). Ces chutes ont concerné 12 hommes et 12 femmes. Leurs signalements provenaient pour 79% (n=19) du secteur médicosocial (17 Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – Ehpad, et 2 Foyers d’accueil médicalisé) et pour 21% (n=5) du secteur sanitaire (tableau 3). Les circonstances de survenue étaient variées et multifactorielles (chute d’un fauteuil roulant, déambulation, tentative de fugue, sédation liée à un médicament psychotrope…).

Tableau 3 : Typologie des événements indésirables graves signalés à l’Agence régionale de santé Île-de-France en 2012 et 2013, par secteur
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Les complications maternelles et périnatales

Les 24 signalements de cette catégorie correspondaient, pour 11 d’entre eux, dont 6 décès, à des complications maternelles (hémorragies de la délivrance, embolies amniotiques…) et dans 2 cas à des décès in utero ; dans les 11 autres cas (11 décès), il s’agissait de complications à la naissance, en particulier de naissances en état de mort apparente.

La gravité (décès dans 19 cas), leur survenue inattendue et leurs répercussions psychologiques expliquaient en grande partie la déclaration à l’ARSIdF. La plupart de ces évènements étaient non évitables ou associés à des dysfonctionnements dans la prise en charge sans gravité immédiate.

Les erreurs médicamenteuses

Parmi les 15 erreurs médicamenteuses graves signalées, 6 ont entrainé le décès du patient. Dans 8 autres cas, l’évolution a été favorable et, dans le dernier cas, le patient a présenté des séquelles neurologiques sévères post-anoxiques. Ces erreurs sont survenues majoritairement en établissement hospitalier (n=13, 87%).

Il s’agissait, le plus souvent, d’erreurs de posologie, de dosage ou de concentration. Toutes ces erreurs concernaient des médicaments à risque tels que définis dans l’arrêté du 6 avril 2011 13.

Discussion

Ce bilan dresse un état des lieux descriptif des signalements d’EIG liés aux soins signalés à l’ARSIdF en 2012 et 2013. En raison du faible nombre d’évènements signalés et du peu d’établissements notificateurs, il n’est pas possible de tirer des conclusions sur la iatrogénie liée aux soins en Île-de-France. Par ailleurs, la base de données exploitée ne prend pas en compte les infections associées aux soins, pour lesquelles il existe un dispositif de déclaration et d’enregistrement indépendant. Cependant, ce bilan propose des résultats originaux sur les EIG déclarés spontanément à l’ARSIdF, qui comportent une part importante de signalements provenant du secteur médicosocial. Il permet de mettre en évidence une importante sous-déclaration des évènements en secteur hospitalier. En effet, si l’on se réfère au nombre de journées d’hospitalisation en 2012 en Île-de-France 14 et à une incidence des EIG liés aux soins estimée, dans l’enquête ENEIS 2, à 2,6 pour 1 000 jours d’hospitalisation, l’ARSIdF devrait recevoir plus de 59 000 déclarations d’EIG chaque année. En particulier, les données 2001-2006 issues du registre national des décès maternels 15,16, 17 font état d’une vingtaine de cas par an en Île-de-France, alors que notre bilan n’en comporte que 7 pour deux années. La faible participation des établissements impliqués dans l’expérimentation InVS en 2009 10 témoigne de la nécessité d’une sensibilisation régulièrement répétée des établissements et des professionnels de santé.

À notre connaissance, aucune donnée n’est disponible sur l’incidence des EIG en établissement médicosocial et il est donc difficile d’y estimer leur éventuelle sous-déclaration. Il faut noter, néanmoins, que l’augmentation entre 2012 et 2013 du nombre des déclarations en provenance du secteur médicosocial peut être une conséquence de la circulaire DGCS/2A/2010/254 du 23 juillet 2010, recommandant le signalement de tout évènement indésirable. Plus généralement, l’augmentation du nombre de signalements tous secteurs confondus s’explique, au moins en partie, par la sensibilisation des professionnels de santé à la déclaration au PFR et la consultation publique fin 2012 qui a encadré les travaux sur le futur décret EIG.

En ce qui concerne la médecine de ville, la récente Étude épidémiologique en soins primaires sur les évènements indésirables (Esprit) a montré 18 que la fréquence des évènements indésirables chez les patients de médecins généralistes était d’environ 25 pour 1 000 actes, dont 21 seraient évitables. Ces évènements étaient, pour la majorité, non graves puisque 77% n’entraînaient pas de conséquences cliniques. La prise en charge hospitalière des EIG survenant en ville explique en partie l’absence de signalement du secteur ambulatoire observée dans notre étude.

Ce bilan a mis aussi en évidence un délai de signalement significativement plus court lorsque l’évènement survient dans une structure médicosociale, qui s’explique en partie par les récentes évolutions règlementaires (circulaire DGCS/2A/2010/254) et par un circuit interne de déclaration mobilisant moins d’intervenants.

Le nombre d’EIG « sensibles » signalés (suicides, complications maternelles et périnatales et erreurs médicamenteuses), dont la survenue expose l’établissement à un risque médiatique ou judiciaire, suggère que ce type de risque contribue à favoriser la déclaration à l’ARSIdF. Par ailleurs, ces évènements peuvent avoir des répercussions psychologiques importantes sur le personnel soignant, avec un impact sur le fonctionnement de l’établissement. Sur les deux années de l’étude, 18 inspections sur site ont été diligentées. Dans les autres cas, l’instruction s’est faite sur pièces (dossier médical, synthèse analyse des causes, mesures correctives mises en place).

L’analyse des causes montre que beaucoup d’évènements sont de cause multifactorielle. Les nombreux cas de conduites suicidaires interrogent sur la difficile évaluation du risque suicidaire lors de l’admission, ainsi que sur la prise en compte de ce risque par la mise en place de mesures « barrières » appropriées. Concernant les erreurs médicamenteuses, le défaut d’organisation de la prise en charge médicamenteuse et du circuit du médicament constituait la cause profonde, et semblait souvent associé à une erreur humaine, le tout intervenant dans un contexte particulier d’urgence ou de perturbation de l’organisation des soins lié à un manque de personnel, une surcharge de travail, un défaut de communication entre les équipes etc. La déclaration des EIG à l'ARSIdF contribue à améliorer l'organisation des soins et la gestion des risques et s'intègre naturellement aux démarches qualité et sécurité des prises en charge.

Ce bilan présente, pour la première fois en France, la description des signalements d’EIG reçus par une autorité de santé. La comparaison avec les études publiées montre l’importance de la sous-déclaration, notamment dans le secteur hospitalier. Il présente également un premier tableau de la iatrogénie dans le secteur médicosocial, pour lequel aucune donnée épidémiologique n’existe à notre connaissance. La progression du volume des signalements pourrait être un des indicateurs de l’impact des actions de promotion à la déclaration des EIG et de l’adhésion des professionnels de santé.

La politique d’amélioration de la qualité des prises en charge de l’ARSIdF vise à renforcer la sécurité des patients. Dans cette perspective, la gestion des EIG s’intègre désormais dans un dispositif plus complet de veille et d’analyse de toute information portant sur la qualité et la sécurité, prenant aussi en compte les rapports de certification, les réclamations, les signalements d’infections associées aux soins, les conclusions d’inspection. La centralisation des signaux et leur analyse permettront de disposer d’une cartographie des risques qui orientera des programmes d’actions de prévention et d’amélioration de la qualité et sécurité des soins, en lien avec les représentants d’usagers et des professionnels et établissements de santé. Une des mesures concerne le déploiement d’un programme d’actions dans la coordination de la politique du médicament et des produits de santé. Enfin, l’ARSIdF s’appuiera prochainement sur une structure régionale d’appui à la qualité et à la sécurité des soins qui s’articulera avec les autres structures de vigilance et d’appui de la région, dont l’Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (Omedit) et le Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CClin) et son antenne régionale (Arlin).

Références

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11 Définition des infections associées aux soins. Paris: Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports. Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins; 2007. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_vcourte.pdf
12 Fiche de déclaration d’un évènement indésirable lié aux prises en charge. http://www.iledefrance.paps.sante.fr/index.php?id=158141
13 Arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000023865866&dateTexte=&categorieLien=id
14 Statistique annuelle des établissements de santé 2012. http://www.sae-diffusion.sante.gouv.fr/Collecte_2012/
15 Saucedo M, Deneux-Tharaux C, Bouvier-Colle M-H. Épidémiologie des morts maternelles en France 2001-2006. Bull Epidémiol Hebd. 2010;(2-3):10-4. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=839
16 Rapport du Comité national d’experts sur la mortalité maternelle (CNEMM) 2001-2006. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2010. 99 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=833
17 Saucedo M, Deneux-Tharaux C, Bouvier-Colle M-H. Disparités régionales de mortalité maternelle en France : situation particulière de l’Île-de-France et des départements d’outre-mer, 2001-2006. Bull Epidémiol Hebd. 2010;(2-3):15-8. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=838
18 Michel P, Mosnier A, Kret M, Chanelière M, Dupie I, Haeringer-Cholet A, et al. Étude épidémiologique en soins primaires sur les événements indésirables associés aux soins en France (Esprit 2013). Bull Epidémiol Hebd. 2014;(24-25):410-6.

Citer cet article

Mullaert J, Robin A, Ben Aïssa M, Le Bail M, Daimant E, Castot-Villepelet A. Évènements indésirables graves associés aux soins : bilan des signalements reçus à l’ARS Île-de-France pendant 24 mois (1er janvier 2012 - 31 décembre 2013. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(34-35):573-9. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/34-35/2014_34-35_3.html