Le nombre important de cas importés de chikungunya en France métropolitaine représente un défi pour la surveillance et l’intervention*
// Large number of chikungunya imported cases in mainland France: a challenge for surveillance and response
Résumé
Pendant l'été 2014, toutes les conditions sont réunies pour une transmission autochtone du virus du chikungunya dans certains départements du sud de la France : un vecteur compétent, Aedes albopictus, et un grand nombre de voyageurs revenant des départements français d’Amérique où sévit une épidémie de chikungunya. Cet article présente l’organisation du dispositif de surveillance du chikungunya et de la dengue en France métropolitaine et ses résultats. Du 2 mai au 4 juillet 2014, 126 cas importés confirmés ont été notifiés en France métropolitaine.
Abstract
During the summer of 2014, all the pre-requisites for autochthonous transmission of chikungunya virus are present in southern France: a competent vector, Aedes albopictus, and a large number of travellers returning from the French Caribbean islands where an outbreak is occurring. We describe the system implemented for the surveillance of chikungunya and dengue in mainland France. From 2 May to 4 July 2014, there were 126 laboratory-confirmed imported chikungunya cases in mainland France.
Introduction
En novembre 2013, des cas de chikungunya autochtones ont été confirmés dans la partie française de Saint-Martin dans les Antilles 1. Le virus s’est rapidement propagé dans les territoires français environnants (la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et la Guyane française) en décembre 2013, puis dans la plupart des îles de la Caraïbe 2,3. Au 15 juin 2014, on comptait plus de 80 000 cas cliniquement compatibles dénombrés par le dispositif de surveillance sentinelle dans les départements et collectivités français d’Amérique (DFA) 4. Étant donnée la situation épidémique dans les DFA, et en raison de l'importance des échanges entre ceux-ci et la France métropolitaine, la survenue d’un grand nombre de cas de chikungunya importés en France métropolitaine est prévisible.
En cet été 2014, toutes les conditions sont réunies dans 18 départements du sud de la France métropolitaine pour une transmission autochtone du virus du chikungunya et, dans une moindre mesure, du virus de la dengue : un vecteur compétent 5, un grand nombre de voyageurs virémiques, des conditions climatiques favorables à la reproduction des moustiques et à la réplication virale chez le moustique. Le risque de transmission de chikungunya en France métropolitaine est donc particulièrement élevé.
Surveillance du chikungunya et de la dengue en France métropolitaine
La dengue et le chikungunya sont deux arboviroses transmises par les moustiques du genre Aedes, notamment Aedes aegypti et Aedes albopictus, ce dernier étant présent en Europe 6,7. Depuis son identification en 2004 dans les Alpes-Maritimes, Aedes albopictus a disséminé dans le sud de la France 8,9.
Suite à la mise en évidence de l'implantation d’Aedes albopictus dans le sud de la France, le ministère de la Santé français a mis en œuvre depuis 2006 un plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue en métropole 10. En raison des similarités cliniques et entomologiques des deux maladies, un système de surveillance commun a été mis en place, comprenant un volet entomologique et un volet épidémiologique.
Surveillance entomologique du chikungunya et de la dengue
La surveillance entomologique est mise en œuvre localement par différents opérateurs publics de démoustication, sous la coordination et la responsabilité du ministère de la Santé.
La présence et la dissémination d’Aedes albopictus sont notamment surveillées par la mise en place de pièges pondoirs le long du littoral méditerranéen et à l'intérieur des terres sur le réseau autoroutier. Les pièges sont vérifiés au moins une fois par mois pour la présence d’œufs d'Aedes albopictus. La recherche de virus de la dengue et du chikungunya n’est pas effectuée en routine sur les moustiques et les œufs.
La figure 1 indique les départements de France métropolitaine colonisés par le vecteur Aedes albopictus en fonction de l’année de colonisation : la colonisation, qui concernait un département en 2004, en concerne 18 en 2014, dans six régions (Provence-Alpes-Côte d'Azur, Corse, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes, Aquitaine, Midi-Pyrénées).
Surveillance épidémiologique du chikungunya et de la dengue
Un cas suspect est défini comme une personne présentant une fièvre supérieure à 38,5°C d’apparition brutale, accompagnée soit d'arthralgies (pour le chikungunya), soit d’au moins un des signes suivants : céphalée, douleur rétro-orbitaire, arthralgie, myalgie, lombalgie (pour la dengue), en l’absence de tout autre point d’appel infectieux. Pour les deux virus, les cas sont confirmés par sérologie (IgM positives ou multiplication par 4 du titre des IgG) ou par RT-PCR, ou, dans le cas de la dengue, par un test de détection de l’antigène NS1 positif.
La surveillance a pour objectif de prévenir ou limiter l’instauration d’un cycle de transmission autochtone du chikungunya et de la dengue. Elle repose sur trois composantes :
- la déclaration obligatoire (DO) des cas confirmés par le laboratoire, qui concerne l’ensemble de la France métropolitaine, tout au long de l’année ;
- le dispositif de surveillance saisonnière renforcée, dans les départements colonisés par le vecteur. De mai à novembre, période d’activité du vecteur, tous les cas suspects importés doivent être signalés sans délai aux Agences régionales de santé (ARS). Des mesures de lutte antivectorielle sont alors mises en œuvre dans tous les lieux fréquentés par le patient pendant la phase potentiellement virémique (du jour précédant la date de début des signes jusqu’à sept jours après 11), sans attendre la confirmation du diagnostic par le laboratoire ;
- la transmission quotidienne à l’Institut de veille sanitaire (InVS), par un réseau de laboratoires, des résultats des diagnostics de chikungunya et de dengue par sérologie ou amplification génique par RT-PCR. Ceci permet un rattrapage des cas qui n'ont pas été rapportés par le système de DO ou la surveillance renforcée saisonnière, améliorant ainsi l’exhaustivité du système de surveillance.
Le signalement d’un cas confirmé autochtone entraîne immédiatement des investigations épidémiologiques et entomologiques, notamment la recherche active d’autres cas, afin de confirmer la transmission autochtone et d’orienter les mesures de lutte antivectorielle. L’investigation et les mesures de contrôle incluent : (i) la recherche active de cas dans l’entourage du patient (résidence et lieux visités pendant la phase virémique) ; (ii) des recommandations faites au patient virémique de se protéger contre les piqûres de moustiques ; (iii) une incitation des professionnels de santé à dépister les cas suspects ; (iv) des mesures de lutte antivectorielle dans un périmètre de 150 mètres autour de la résidence du cas, avec destruction des gîtes larvaires et traitements adulticides ciblés ; (v) l’information du grand public sur les mesures de protection personnelle et la réduction des gîtes larvaires.
Cas de chikungunya en France métropolitaine
En France métropolitaine, du 1er novembre 2013 (mois de confirmation des premiers cas à Saint-Martin) au 27 juin 2014, 475 cas importés confirmés de chikungunya ont été signalés par le réseau de laboratoires (figure 2), alors que 33 avaient été dénombrés en 2011 et 17 en 2012.
Du 2 mai au 4 juillet 2014, sur un total de 350 cas suspects signalés aux ARS, 126 cas importés de chikungunya et 47 cas importés de dengue ont été confirmés dans les départements colonisés par Aedes albopictus (tableau 1 et figure 2). La grande majorité des cas importés confirmés de chikungunya provenaient des DFA (85%, 107/126) comme indiqué dans le tableau 2. Plus de 80% des cas (n=103) étaient présents dans un département colonisé par Aedes albopictus pendant la période potentielle de virémie (les 20% restant ayant été diagnostiqués de façon rétrospective). Aucun cas autochtone n’a été confirmé à ce jour. Des informations plus détaillées ainsi que les résultats actualisés de la surveillance sont disponibles sur le site de l’InVS 4.
Discussion
De 2006 à 2013, 2 à 6 cas importés de chikungunya biologiquement confirmés étaient signalés chaque année entre mai et novembre dans les départements colonisés par Aedes albopictus. Pour l’année 2014, du 1er mai au 4 juillet, ce nombre est beaucoup plus élevé (126) que les années précédentes, en lien avec l’épidémie de chikungunya qui sévit actuellement aux Antilles.
Bien qu’aucun cas autochtone n’ait été confirmé à ce jour pour l’année 2014, les conditions sont réunies pour une transmission autochtone du virus du chikungunya : la population de France métropolitaine est immunologiquement susceptible au virus ; un vecteur compétent existe, Aedes albopictus 5, et sa propagation a été constante et rapide au cours des 10 dernières années 10 ; la probabilité d'une introduction du virus par des voyageurs venant de zones affectées est grande. Ce risque de transmission autochtone d'arbovirus a été démontré dans le passé récent dans le sud de la France, où ont été identifiés 2 cas de dengue autochtones en 2010 et 1 en 2013, et 2 cas de chikungunya autochtones en 2010 12,13,14.
Le trafic de voyageurs entre la France métropolitaine et la Martinique et la Guadeloupe est important, avec plus de 2,5 millions de passagers aériens en 2013 15. Pendant l’été 2014, période d’activité du moustique en métropole, un grand nombre de voyageurs en provenance des Antilles va venir en France métropolitaine. Une proportion élevée de ces voyageurs sera en phase virémique au moment de son arrivée, augmentant la probabilité de survenue de cas autochtones de chikungunya dans les départements colonisés par Aedes albopictus et rendant ainsi réel le risque d’épidémie de chikungunya en France métropolitaine.
Le plan ministériel de préparation et d’intervention, mis en place en France métropolitaine depuis 2006, s’est avéré efficace pour la détection précoce des cas et la mise en œuvre des mesures de lutte antivectorielle afin de prévenir ou de limiter la transmission autochtone. Il va être mis à l’épreuve cet été par le nombre important de cas importés de chikungunya. C’est pourquoi il est crucial de maintenir un haut niveau de mobilisation des professionnels de santé vis-à-vis de la surveillance. Ceux-ci sont aussi un relais important d’information pour le grand public afin d’encourager à la fois l’adoption de mesures de protection individuelle contre les piqûres de moustique et la lutte contre les gîtes larvaires.
Le défi à relever est d'éviter l'instauration d'un cycle de transmission autochtone du chikungunya en France métropolitaine et, au-delà, dans d'autres zones en Europe où des vecteurs compétents sont également présents.