Mortalité due à l’insuffisance cardiaque en France, évolutions 2000-2010

// Heart failure mortality in France, trends 2000-2010

Amélie Gabet1 (a.gabet@invs.sante.fr), Agathe Lamarche-Vadel2, Francis Chin1, Yves Juillière3, Christine de Peretti1, Valérie Olié1
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Inserm-CépiDc, Le Kremlin-Bicêtre, France
3 Institut lorrain du cœur et des vaisseaux Louis Mathieu, CHU Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy, France
Soumis le 24.03.2014 // Date of submission: 03.24.2014
Mots-clés : Insuffisance cardiaque | Mortalité | Tendances
Keywords: Heart failure | Mortality | Trends

Résumé

Introduction –

L’insuffisance cardiaque est une maladie à l’origine de nombreuses hospitalisations dans les pays occidentaux et présente une létalité très élevée. L’objectif de ce travail était d’estimer le taux annuel de décès par insuffisance cardiaque en France et d’en analyser les évolutions entre 2000 et 2010.

Méthodes –

Les données ont été extraites des bases nationales sur les causes médicales de décès du CépiDc. Les taux ont été standardisés sur la population française de 2006 et les tendances analysées par des régressions de Poisson. Les analyses en cause initiale (CI) et en causes multiples (CM) ont été réalisées.

Résultats –

En 2010, 23 882 décès par insuffisance cardiaque ont été observés en CI et 72 809 en CM. Le taux standardisé global de mortalité par insuffisance cardiaque était de 31,1 pour 100 000 personnes en CI et de 96,8 pour 100 000 en CM. Le taux de mortalité a diminué de 4% annuellement en CI et de 3,5% en CM entre 2000 et 2010. Malgré des écarts importants de la mortalité entre CI et CM, leurs évolutions sont similaires.

Discussion-conclusion –

Malgré une réduction significative de la mortalité entre 2000 et 2010, l’insuffisance cardiaque reste une cause de mortalité fréquente en France, notamment chez les personnes âgées, et constitue un enjeu prioritaire de santé publique.

Abstract

Introduction –

Heart failure is a severe disease responsible for many hospitalizations in developed countries, and with high fatality case. The objectives of this study were to estimate heart failure annual mortality rates in France and to describe trends between 2000 and 2010.

Methods –

Data were obtained from the French National Mortality Databases (CépiDc). Rates were standardized, using the 2006 French census population as standard population. Time trends in mortality rates were tested using the log linear Poisson regression model. Underlying-cause of death (UCD) and multiple-cause of death (MCD) analysis were carried out respectively.

Results –

In 2010, 23,882 deaths were recorded for heart failure as UCD and 72,809 as MCD. The overall age- and sex-standardized heart failure mortality rate was 31.1 per 100,000 as UCD and 96.8 per 100,000 as MCD. It decreased by 4% annually during the 2000-2010 period for heart failure as UCD and by 3.5% as MCD. Despite of differences between heart failure mortality as UCD and MCD, trends were very close.

Discussion-Conclusion –

The mortality for heart failure decreased substantially during the study period. Nevertheless, heart failure remains a major cause of death in France, particularly in the elderly, and represents a large public health concern.

Introduction

L’insuffisance cardiaque est une maladie grave et fréquente puisqu’elle est la troisième cause de mortalité cardiovasculaire, derrière les accidents vasculaires cérébraux et les infarctus du myocarde 1. D’après la Société européenne de cardiologie, elle touche 1 à 2% de la population adulte dans les pays développés et plus de 10% des personnes de 70 ans et plus 2. En France, les enquêtes déclaratives Handicap-Santé, menées en 2008 (ménages ordinaires) et 2009 (en institutions), ont permis d’estimer la prévalence de l’insuffisance cardiaque à 2,3% dans la population française adulte 3. Une étude réalisée en 2002 par les médecins généralistes du réseau Sentinelles avait estimé la prévalence de l’insuffisance cardiaque à 2,2% (IC95%: [1,9-2,5]) dans la population générale et à 11,9% [10,5-13,5] chez les patients âgés de 60 ans et plus consultant en médecine générale 4. La fréquence de l’insuffisance cardiaque augmente avec l’âge. Elle est ainsi susceptible de croître dans les années à venir en raison du vieillissement de la population et d’une survie accrue des patients victimes d’autres maladies cardiovasculaires souvent à l’origine de l’insuffisance cardiaque. En effet, l’insuffisance cardiaque chronique est un syndrome hétérogène pouvant résulter des complications de différentes maladies cardiovasculaires (cardiopathies ischémiques, valvulaires, cardiomyopathies, hypertension artérielle, etc.). L‘évolution de l’insuffisance cardiaque est marquée par des phases de décompensation aiguë représentant une cause fréquente d’hospitalisation chez les personnes âgées 2. Le nombre de patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque en court séjour s’élevait à 148 292 en 2008 5.

L’objectif 73 du rapport d’objectifs annexé à la loi relative à la politique de Santé publique de 2004 était de « diminuer la mortalité et la fréquence des décompensations aiguës des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque ». En 2008, près de 22 000 décès par insuffisance cardiaque ont été recensés en cause initiale (CI) par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (Inserm-CépiDc). Une diminution de 20% du taux standardisé de mortalité pour insuffisance cardiaque en tant que CI de décès a été enregistrée entre 2000 et 2008 6. Cependant, l’analyse en CI est susceptible de sous-estimer la mortalité par insuffisance cardiaque lors de maladie cardiaque préexistante, en particulier en cas de cardiopathie ischémique 7,8,9. Les règles de codage de la Classification internationale des maladies (CIM) recommandent en effet de ne pas coder l’insuffisance cardiaque en CI de décès, considérant l’insuffisance cardiaque comme un symptôme, un mode de décès et non une cause de décès 10.

L’objectif de cette étude est d’estimer le taux annuel de mortalité due à l’insuffisance cardiaque en France et d’en décrire les évolutions entre 2000 et 2010 au niveau national, en fonction du sexe et de l’âge. Nous avons comparé les résultats des analyses en fonction des approches de la mortalité en CI et en causes multiples (CM).

Méthodes

Données de mortalité

Les données de décès ont été extraites des bases nationales sur les causes médicales de décès (Inserm-CépiDc) des années 2000 à 2010. L’étude de la mortalité nationale inclut les décès de personnes domiciliées en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer (DOM), à l’exception de Mayotte. L’insuffisance cardiaque a été définie par l’ensemble des codes de la CIM, 10e révision (CIM-10) suivants : insuffisance cardiaque (I50.0, I50.1, I50.9), cardiopathie hypertensive avec insuffisance cardiaque (I11.0), cardio-néphropathie hypertensive avec insuffisance cardiaque (I13.0), cardio-néphropathie hypertensive avec insuffisance cardiaque et insuffisance rénale (I13.2), cardio-néphropathie hypertensive sans précision (I13.9), œdème aigu du poumon (J81), congestion passive chronique du foie (K76.1).

L’analyse en CI comptabilise les décès avec ces codes inscrits en CI sur le certificat de décès. Pour l’analyse en CM, nous avons retenu les décès présentant l’un des codes précédents en CI ou en cause associée (CA).

Données de population

Les données de population utilisées pour le calcul des taux sont celles publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Il s’agit des populations moyennes nationales (âges en années révolues) par classe d’âge et par année considérée 11. Pour le calcul des taux standardisés, nous avons retenu la population française de 2006 comme population de référence.

Analyses statistiques

Les taux bruts ont été estimés pour les années 2000 à 2010 globalement, puis stratifiés par sexe et par classe d’âge. Sur cette même période, des taux standardisés sur l’âge ont ensuite été calculés par la méthode de standardisation directe (utilisation des classes d’âge quinquennales). Le taux global a été standardisé sur l’âge et le sexe, et les taux par sexe sur l’âge uniquement. Les comparaisons entre sexes de l’âge de décès ont été réalisées par des tests t, et par le test du Chi2 pour le nombre de cas par classe d’âge.

L’évolution annuelle moyenne des taux de mortalité a été analysée par des régressions de Poisson pour chaque sexe et par classe d’âge, avec le logarithme des populations moyennes de l’année considérée en variable offset. Les comparaisons entre les hommes et les femmes ont été réalisées par des tests d’interaction entre le sexe et le temps.

Par la suite, nous nous sommes intéressés aux maladies les plus fréquemment codées en CI de décès lorsque l’insuffisance cardiaque était inscrite en CA sur les certificats de décès. La distribution des CI de décès quand l’insuffisance cardiaque était mentionnée en CA a été détaillée par sexe et différentes classes d’âge. Cette distribution a ensuite été comparée avec celle des CI de décès en l’absence d’insuffisance cardiaque en calculant des risques relatifs ajustés sur l’âge. Afin d’éviter les fluctuations annuelles, les décès des années 2008 à 2010 ont été regroupés.

Toutes les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel SAS® Entreprise Guide, version 4.3.

Résultats

Description des personnes décédées pour insuffisance cardiaque en 2010

En 2010, nous avons recensé 23 882 décès par insuffisance cardiaque en CI, dont une majorité de femmes : 14 535 soit 60,9% des cas de décès pour insuffisance cardiaque (tableau 1). Les codes I50 et I11.0 regroupaient la quasi-exhaustivité des décès d’insuffisance cardiaque en CI (88,7% et 9,4% respectivement). L’âge moyen de décès était de 86,4 ans (âge médian de 88 ans). Il était significativement plus élevé chez les femmes que chez les hommes (88,4 et 83,3 ans respectivement). Plus des deux-tiers (67,1%) des personnes décédées étaient âgés de 85 ans ou plus. Cette proportion s’élevait à plus de 75,4% des femmes alors qu’elle n’était que de 54,2% chez les hommes. Enfin, la part des décès prématurés (survenus avant 65 ans) était faible. Ils ne représentaient que 3,5% des décès dus à l’insuffisance cardiaque en CI, et seulement 1,6% chez les femmes.

Si l’on tient compte de l’insuffisance cardiaque en CA, 72 809 personnes étaient décédées par insuffisance cardiaque en 2010, soit près de 3 fois plus qu’en CI. La proportion de femmes y était moins importante (55,4%), l’âge au décès un peu moins élevé (âge moyen de 84,3 ans et âge médian de 86 ans), et les 85 ans et plus représentaient 58,8% des décès (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des personnes décédées pour insuffisance cardiaque (IC), 2010, France
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Taux bruts de mortalité et taux standardisés sur l’âge et le sexe en 2010

Globalement, en 2010, le taux brut de mortalité pour insuffisance cardiaque était de 36,9 pour 100 000 habitants en CI et 112,4 en CM (tableau 2). Il était plus élevé chez les femmes que chez les hommes, en CI (43,5 vs. 29,8) comme en CM (120,7 vs. 103,6), et augmentait avec l’âge. Ainsi, le taux brut, peu élevé pour les moins de 65 ans, s’élevait à 979,7 et 2 618,0 pour 100 000 chez les 85 ans et plus, respectivement en CI et CM.

Après standardisation sur l’âge et le sexe à partir de la population française de 2006, le taux de mortalité global estimé était de 31,1 pour 100 000 habitants en CI et de 96,8 en CM. Contrairement au taux brut, il était significativement plus élevé chez les hommes que chez les femmes (tableau 2).

Tableau 2 : Taux de mortalitéa pour insuffisance cardiaque, selon le sexe et la classe d’âge, 2010, France
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Évolutions des taux de mortalité entre 2000 et 2010

Le taux standardisé de mortalité pour insuffisance cardiaque a diminué de façon importante entre 2000 et 2010 (tableau 3). La baisse de la mortalité semblait un peu plus accentuée en CI qu’en CM (-32,4% contre -29,6%). Que l’insuffisance cardiaque soit en CI ou en CA de décès, l’évolution était du même ordre de grandeur chez les moins de 65 ans et chez les 65 ans et plus (figure 1).

L’analyse par sexe révélait une diminution de 30,4% et de 32,1% (figure 1) de la mortalité en CI respectivement pour les femmes et les hommes de moins de 65 ans. Cet écart était plus marqué en CM dans la même classe d’âge (-27,8% vs. -30,5%). Chez les 65 ans et plus, les tendances étaient très proches entre les hommes et les femmes.

Tableau 3 : Taux annuels standardisésa de mortalité (%) pour insuffisance cardiaque en France, 2000-2010
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Figure 1 : Évolution des taux* de mortalité par insuffisance cardiaque survenue avant 65 ans et à partir de 65 ans (a : en cause initiale ; b : en causes multiples) selon le sexe, 2000-2010, France
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La figure 2 décrit l’évolution annuelle moyenne des taux de mortalité par classe d’âge et par sexe. Une diminution annuelle de la mortalité statistiquement significative de -4,0% a été observée en CI (-3,5% en CM). L’évolution annuelle des taux était équivalente pour les moins de 65 ans et les 65 ans et plus. Pour les classes d’âge supérieures à 44 ans, l’évolution de la mortalité demeurait très proche en CI et en CM. L’étude de l’interaction avec le sexe n’a pas mis en évidence de différence significative entre les hommes et les femmes en CI. L’analyse en CM a fait apparaître des évolutions significativement différentes selon le sexe chez les 45-54 ans (p=0,03). Pour cette tranche d’âge, la réduction de la mortalité était plus importante chez les hommes que chez les femmes.

Figure 2 : Évolution annuelle des taux de mortalité pour insuffisance cardiaque (a : en cause initiale ; b : en causes multiples) selon le sexe et la classe d’âge, 2000-2010, France
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Causes initiales de décès et risques relatifs

La figure 3 détaille les causes initiales de décès de l’ensemble des certificats sur lesquels figure l’insuffisance cardiaque (en CI ou en CA). Le poids des maladies cardiovasculaires augmentait avec l’âge et dépassait les 60% chez les 70 ans et plus ; l’insuffisance cardiaque était la CI de décès la plus fréquemment codée à partir de 70 ans. La figure 3 affiche également l’ensemble des CI de décès pour la population âgées de 70 ans et plus (avec ou sans insuffisance cardiaque). La part des différentes maladies de l’appareil circulatoire différait entre les décès toutes causes et ceux d’insuffisance cardiaque en CM. Cependant, la distribution globale des causes initiales des cas d’insuffisance cardiaque en CM était proche de celle de l’ensemble des décès.

Figure 3 : Distribution des causes initiales (CI) de décès pour les personnes décédées d’insuffisance cardiaque (IC) en causes multiples (CM) et pour l’ensemble de la population selon la classe d’âge, 2010, France
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Le tableau 4 présente les principales causes initiales de décès selon que l’insuffisance cardiaque figure ou non en CA. Lorsque l’insuffisance cardiaque était inscrite en CA, la probabilité d’être décédé d’une maladie cardiovasculaire, et en particulier d’une valvulopathie ou d’une cardiomyopathie en CI, était bien sûr plus élevée que lorsque l’insuffisance cardiaque n’était pas mentionnée. De même, le diabète et la bronchopneumopathie chronique obstructive présentaient un risque relatif (RR) élevé d’apparaître en CI. À l’inverse, la probabilité d’être décédé d’un cancer en CI était plus faible (RR=0,44 pour les hommes et RR=0,41 pour les femmes). Ces résultats variaient peu en fonction du sexe.

Tableau 4 : Comparaison des principales causes initiales (CI) de décès lorsque l’insuffisance cardiaque (IC) est mentionnée dans les causes associées (CA) et lorsqu’elle ne l’est pas, 2008-2010, France
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Discussion

En 2010, 23 882 décès d’insuffisance cardiaque en CI ont été recensés par le CépiDc et 72 809 en CM. Les taux standardisés correspondants étaient de 31,1 pour 100 000 habitants en CI pour la France entière, et 96,8 en CM. La standardisation sur l’âge de la population européenne du Circ (Centre international de recherche sur le cancer) de 2010 engendrait un taux de 37,0 en CI et de 113,8 en CM. L’insuffisance cardiaque est donc toujours, à l’heure actuelle, une cause fréquente de décès, avec une mortalité près de 3 fois plus élevée en CM. Elle touche des populations très âgées, avec un âge moyen de décès de 86,4 ans en CI et de 84,3 ans en CM, et un âge médian de 88 ans en CI et de 86 ans en CM. En 2008, l’exploitation des données du PMSI a mis en évidence un âge moyen de 79 ans à la première hospitalisation pour insuffisance cardiaque en tant que diagnostic principal. Une survie de plus de 5 ans en moyenne pourrait ainsi être espérée suite à une première décompensation cardiaque 5.

Comparaison avec d’autres études

Peu de données épidémiologiques au niveau national sont aujourd’hui disponibles sur la mortalité due à l’insuffisance cardiaque en France et à l’étranger. Les études publiées concernent surtout les taux d’hospitalisation et de mortalité suite à un séjour hospitalier 4,12,13. Les données sont souvent peu comparables, d’une part en raison des différents choix méthodologiques : il existe une diversité des définitions utilisées pour l’insuffisance cardiaque et donc des différences dans le choix des codes CIM pour la définir, ainsi qu’une diversité des populations de standardisation utilisées. D’autre part, les différentes pratiques de soins et l’hétérogénéité des lieux de prise en charge rendent difficile les comparaisons 13. Par ailleurs, on ne peut exclure que les différences de mortalité observée dans les études soient liées à une variabilité, d’un pays à l’autre, des facteurs de risque et de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque.

Quelques études internationales fournissent des données de mortalité. Une étude de l’Inserm portant sur sept pays européens 14, dont la France, présente un taux standardisé de mortalité par insuffisance cardiaque en CI global de 32,6 en 2008 (standardisation sur l’âge de la population européenne Circ de 1976). Bien que cette dernière n’inclue pas les codes J81 et K761, les résultats sont très proches des nôtres pour la mortalité en CI. Aux États-Unis, le taux standardisé de mortalité par insuffisance cardiaque en CM, estimé à 84,0 pour 100 000 personnes en 2010, est un peu plus faible que celui que nous avons observé 1. Cependant, seuls les décès codés en I50 avaient été comptabilisés. Une étude australienne observe des taux de mortalité standardisés (sur l’âge de la population européenne Circ de 1976) plus faibles que ceux de notre étude avec, en 2003, un taux de 13,3 pour 100 000 habitants en CI et de 67,0 en CM 9. Les codes sélectionnés pour les analyses étaient les mêmes que ceux de notre étude, sans l’œdème aigu du poumon (J81) et la congestion passive chronique du foie (K76.1), mais avec l’ajout des cardiomyopathies (I25.5, I42.0, I42.6) et de la péricardite constrictive chronique (I31.1). Au Canada, Tu et coll. 15 ont observé un taux de mortalité pour insuffisance cardiaque en CI (standardisé sur l’âge et le sexe de la population canadienne de 1991) de 15,0 pour 100 000 habitants (15,0 pour les hommes et 21,6 pour les femmes). Les cas de décès pour insuffisance cardiaque (code I50 seulement) des moins de 20 ans n’avaient pas été inclus dans ces analyses.

Tendances

Entre 2000 et 2010, les taux bruts et standardisés de la mortalité due à l’insuffisance cardiaque ont fortement diminué (-15,8% et -32,0% en CI ; -12,8% et -29,6% en CM). Les tendances observées en CI et en CM étaient similaires. L’étude de Laribi et coll. 14 a mis en évidence que la France, l’Allemagne, la Grèce et l’Espagne présentaient les évolutions les plus importantes des taux de mortalité par insuffisance cardiaque en CI, contrairement à l’Angleterre, au Pays de Galles, à la Finlande et à la Suède, pour lesquels les taux sont restés stables jusqu’en 2008. Ce deuxième groupe de pays était cependant caractérisé par des taux standardisés de mortalité moins élevés. De plus, d’après cette étude, une diminution de 36% de la mortalité par insuffisance cardiaque en CM en France entre 1987 et 2008 a été enregistrée contre une réduction de plus de 50% en Angleterre, au Pays de Galles, en Finlande et en Suède entre 1993 et 2008. Les tendances que nous avons observées sont par ailleurs retrouvées dans l’étude australienne, qui a enregistré entre 1997 et 2003 des réductions de la mortalité de 38,1% et 29,0%, respectivement en CI et CM 9.

La réduction de l’incidence pourrait constituer une première hypothèse pour expliquer la réduction de la mortalité. Ce n’est vraisemblablement pas ce qui a été observée en France 5. En effet, le taux standardisé de patients hospitalisés a peu évolué entre 2002 et 2008 (-2,5%). Une diminution plus importante a été observée aux États-Unis, en Australie, en Écosse et au Canada 15,16,17,18, tandis qu’une augmentation a été constatée en Allemagne 19 au cours de la même période. La réduction de la mortalité est très probablement liée à une amélioration de la prévention et de la prise en charge tant des maladies à l’origine de l’insuffisance cardiaque (telles les cardiopathies ischémiques et, notamment, l’infarctus du myocarde) que de l’insuffisance cardiaque elle-même 16,20. De plus, l’utilisation des nouveaux traitements plus efficaces (ß-bloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, etc.), le développement des thérapies de resynchronisation cardiaque et de l’éducation thérapeutique des patients ont favorisé la réduction de la mortalité due à l’insuffisance cardiaque 21,22.

L’analyse en CM met en évidence une évolution significativement moins importante de la mortalité pour les femmes de 45-54 ans par rapport aux hommes du même âge. L’étude des hospitalisations pour insuffisance cardiaque entre 2002 et 2008 avait décrit une augmentation des taux d’hospitalisations pour les femmes de cette classe d’âge, probablement liée à une augmentation des taux d’infarctus du myocarde dans ce groupe 5.

Cause initiale versus causes multiples

Le rapport de 1 à 3 entre la mortalité pour insuffisance cardiaque en CI et en CM peut être dû à plusieurs phénomènes. En effet, la prise en compte des décès par insuffisance cardiaque en CI conduit à une sous-estimation importante de la mortalité pour insuffisance cardiaque 6,7,8,9. D’une part, le codage préférentiel de la maladie à l’origine de l’insuffisance cardiaque en tant que CI de décès a été observé dans d’autres études, notamment lors de la présence d’une cardiopathie ischémique sur le certificat de décès 2,23,24 ; à l’inverse, la sélection des décès pour insuffisance cardiaque en CM est susceptible de surestimer la mortalité réellement due à l’insuffisance cardiaque. D’autre part, le diagnostic de l’insuffisance cardiaque peut s’avérer complexe, notamment lors des premiers stades de la maladie 2. De plus, diagnostiquer une insuffisance cardiaque débutante est d’autant plus délicat que les comorbidités sont fréquentes chez les personnes âgées, qui représentent la grande majorité des personnes concernées 2.

L’approche en CM et l’analyse des risques relatifs de décès avec l’insuffisance cardiaque en CA mettent en lumière le fait que la mortalité n’est pas forcément liée à l’insuffisance cardiaque. Les patients atteints d’insuffisance cardiaque étant mieux pris en charge, mais âgés, ils décèdent des maladies les plus fréquemment retrouvées dans la population générale telles que le cancer, bien que ce dernier soit moins associé à l’insuffisance cardiaque que d’autres maladies.

Limites

Cette étude présente plusieurs limites. Tout d’abord, les estimations de la mortalité pour insuffisance cardiaque observées dépendent de la qualité du codage de l’insuffisance cardiaque et du remplissage des certificats de décès par les médecins. Le ratio des taux standardisés en CM et en CI restant stable entre 2000 et 2010 (autour de 3) et la distribution des différentes maladies en CI de décès étant aussi constante sur cette période (données non présentées), le codage semble n’avoir qu’un impact limité sur les tendances observées pendant la période étudiée, le biais supposé étant constant.

Il existe dans la littérature une grande variabilité des codes CIM-10 retenus pour identifier l’insuffisance cardiaque et il n’y a pas de consensus sur les codes à utiliser 25. Pour notre étude, les codes retenus combinent ceux sélectionnés par deux études récentes 14,26. Une analyse de sensibilité a été réalisée avec le code I50 : les tendances étaient identiques à celles observées pour tous les codes. Enfin, des variations de codage de l’insuffisance cardiaque liées aux changements de procédures et de connaissance du codage ont été observées dans plusieurs pays, mais ce n’est pas le cas de la France pendant la période 2000-2010 14,27.

Conclusion

Cette étude a permis de fournir des données actualisées sur la mortalité par insuffisance cardiaque et ses évolutions sur une période d’observation plus longue. Elle témoigne d’une fréquence préoccupante de cette maladie en France encore aujourd’hui, malgré une diminution importante de la mortalité globale due à l’insuffisance cardiaque entre 2000 et 2010, que ce soit en CI ou CM. La mise en parallèle de l’approche en CI avec celle en CM permet une meilleure compréhension de la mortalité pour insuffisance cardiaque et de ses évolutions. La prise en compte de l’insuffisance cardiaque en CI seulement peut s’avérer nécessaire dans le cadre de comparaison avec d’autres études. Cependant, la considération des cas d’insuffisance cardiaque en CI et en CA semble indispensable pour une meilleure estimation de la mortalité par insuffisance cardiaque, notamment au vu des règles de codage de la CIM. L’insuffisance cardiaque demeure un enjeu de santé publique majeur aujourd’hui et dans les années à venir ; sa surveillance doit donc être poursuivie et systématisée.

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Citer cet article

Gabet A, Lamarche-Vadel A, Chin F, Juillière Y, de Peretti C, Olié V. Mortalité due à l’insuffisance cardiaque en France, évolutions 2000-2010. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(21-22):386-94. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/21-22/2014_21-22_3.html